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Béranger,
chansonnier et opposant politique.



Le refus des honneurs.



par Marc Nadaux

 






Pierre-Jean de Béranger s'est toujours flatté d'avoir su conserver son indépendance. Il se réclame davantage du Caveau, un cercle littéraire que le chansonnier fréquente depuis la fin de l'année 1813, que de l'Académie. Les Trois Glorieuses conduisent au pouvoir quelques uns de ses amis. Mais, il ne profite de son élévation que pour demander une pension en faveur de Rouget de l'Isle, l'auteur de La Marseillaise, tombé dans l'oubli et le dénuement.

Ce premier vent de liberté porte l'attention du peuple vers le chansonnier, fêté comme l'un des inspirateurs du soulèvement populaire. On vient alors rendre hommage à Pierre-Jean de Bérenger, qui réside à présent rue de La Tour d'Auvergne. Afin de retrouver sa tranquillité passée, gagne alors Passy, logeant rue Vineuse, puis Fontainebleau, s'éloignant toujours plus de la capitale, avant de gagner Tours et la Touraine. 

Quant à l'argent. Le 10 décembre 1828, Pierre-Jean de Béranger est condamné à neuf mois de prison et à 10.000 Francs d'amende. Cette somme colossale est réunie grâce à l'aide du banquier libéral Jacques Laffitte, qui ouvre dans ses bureaux une souscription en faveur du détenu de la Force. Ce dernier refusera d'adhérer à cette initiative, de peur de s'inféoder à l'argentier.

Rappelons néanmoins qu'en 1804, il envoie à Lucien Bonaparte, le frère du premier Consul, qui a la réputation être un protecteur des Arts, quelques-uns de ses textes. Ce dernier, à présent à Rome, fait parvenir au jeune poète un courrier amical, ainsi qu’une procuration à faire valoir sur sa propre pension de membre de l'Institut. Jusqu'en 1812, Béranger sera ainsi à l'abri du besoin grâce à la protection d'un parent de l'Empereur et à cette somme de 1.000 Francs qui lui échoit...







L'Académie et le Caveau.
Les Conseils de Lise.
Le Poète de cour.
A Mes Amis devenus ministres.
Le Refus.


 





L'Académie et le Caveau.



Au Caveau je n'osais frapper ;
Des méchants m'avaient su tromper.
C'est presque un cercle académique,
Me disait maint esprit caustique.
Mais, que vois-je ! De bons amis
Que rassemble un couvert bien mis.
Asseyez-vous, me dit la compagnie.
Non, non, ce n'est point comme à l'Académie.
Ce n'est point comme à l'Académie.

Je me voyais, pendant un mois,
Courant pour disputer les voix
À des gens qu'appuîrait le zèle
D'un grand seigneur ou d'une belle :
Mais, faisant moitié du chemin,
Vous m'accueillez le verre en main.
D'ici l'intrigue est à jamais bannie:
Non, non, ce n'est point comme à l'Académie.
Ce n'est point comme à l'Académie.

Toussant, crachant, faudra-t-il donc,
Dans un discours superbe et long,
Dire: Quel honneur vous me faites !
Messieurs, vous êtes trop honnêtes ;
Ou quelque chose d'aussi fort ?
Mais que je m'effrayais à tort !
On peut ici montrer moins de génie.
Non, non, ce n'est point comme à l'Académie.
Ce n'est point comme à l'Académie.

Je croyais voir le président
Faire bâiller en répondant
Que l'on vient de perdre un grand homme ;
Que moi je le vaux, Dieu sait comme.
Mais ce président sans façon
Ne pérore ici qu'en chanson :
Toujours trop tôt sa harangue est finie.
Non, non, ce n'est point comme à l'Académie.
Ce n'est point comme à l'Académie.

Admis enfin, aurai-je alors,
Pour tout esprit, l'esprit de corps ?
Il rend le bon sens, quoi qu'on dise,
Solidaire de la sottise ;
Mais dans votre société,
L'esprit de corps c'est la gaîté.
Cet esprit-là règne sans tyrannie.
Non, non, ce n'est point comme à l'Académie.
Ce n'est point comme à l'Académie.

Ainsi, j'en juge à votre accueil,
Ma chaise n'est point un fauteuil.
Que je vais chérir cet asile,
Où tant de fois le vaudeville
A renouvelé ses grelots,
Et sur la porte écrit ces mots:
Joie, amitié, malice et bonhomie!
Non, non, ce n'est point comme à l'Académie.
Ce n'est point comme à l'Académie.







Les Conseils de Lise

(1822)




Chanson adressée à M. J. Laffitte, qui m'avait proposé un emploi dans ses bureaux pour réparer la perte de ma place à l'université.

 

Lise à l'oreille
Me conseille;
Cet oracle me dit tout bas :
Chantez, monsieur, n'écrivez pas.

Un doux emploi pourrait vous plaire,
Me dit Lise; mais songez bien,
Songez bien au poids du salaire,
Même chez un vrai citoyen.
Rester pauvre vous est facile,
Quand l'amour, afin de l'user,
Vient remonter ce luth fragile
Que Thémis a voulu briser.

Lise à l'oreille
Me conseille ;
Cet oracle me dit tout bas :
Chantez, monsieur, n'écrivez pas.

Dans l'emploi qu'un ami vous offre,
Vous n'oseriez plus, vieil enfant,
Célébrer au bruit de son coffre
Les droits que sa vertu défend.
Vous croiriez voir à chaque rime
Les sots, doublement satisfaits,
De vos chansons lui faire un crime,
Vous en faire un de ses bienfaits.

Lise à l'oreille
Me conseille;
Cet oracle me dit tout bas:
Chantez, monsieur, n'écrivez pas.

Craignant alors la malveillance,
Vous ririez moins de ce baron,
Courtier de la sainte-alliance,
Qui des rois s'est fait le patron.
Dans les fonds de peur d'une crise,
Il veut que les grecs soient déçus ;
Pour avoir l'endos de Moïse,
On fait banqueroute à Jésus.

Lise à l'oreille
Me conseille ;
Cet oracle me dit tout bas :
Chantez, monsieur, n'écrivez pas.

Votre muse en deviendrait folle,
Et croirait flatter en disant
Que sur la droite du pactole
Intrigue et ruse vont puisant ;
Tandis qu'une noble industrie
Puise à gauche, et de toute part
Reverse à flots sur la patrie
Un or dont le pauvre a sa part.

Lise à l'oreille
Me conseille;
Cet oracle me dit tout bas :
Chantez, monsieur, n'écrivez pas.

Ainsi mon oracle m'inspire,
Puis ajoute ce dernier point :
Des distances l'amour peut rire ;
L'amitié n'en supporte point.
Riche de votre indépendance,
Chez Laffitte toujours fêté,
En trinquant avec l'opulence
Vous boirez à l'égalité.

Lise à l'oreille
Me conseille;
Cet oracle me dit tout bas :
Chantez, monsieur, n'écrivez pas.







Le Poète de cour

(1824)



 

On achète
Lyre et musette;
Comme tant d'autres, à mon tour,
Je me fais poète de cour.

Te chanter encore, ô Marie !
Non, vraiment je ne l'ose pas.
Ma muse enfin s'est aguerrie,
Et vers la cour tourne ses pas.
Je gage, s'il naît un Voltaire,
Qu'on emprunte pour l'acheter.
Prêt à me vendre au ministère,
Pour toi je ne puis plus chanter.

On achète
Lyre et musette ;
Comme tant d'autres, à mon tour,
Je me fais poète de cour.

Ce que je dirais pour te plaire
Ferait rire ailleurs de pitié :
L'amour est notre moindre affaire ;
Les grands ont banni l'amitié.
On siffle le patriotisme ;
Ce qu'on sait le mieux, c'est compter :
J'adresse une ode à l'égoïsme.
Pour toi je ne puis plus chanter.

On achète
Lyre et musette ;
Comme tant d'autres, à mon tour,
Je me fais poète de cour.

Je crains que ta voix ne m'inspire
L'éloge des grecs valeureux,
Contre qui l'Europe conspire
Pour ne plus rougir devant eux.
En vain ton âme généreuse
De leurs maux se laisse attrister ;
Moi je chante l'Espagne heureuse.
Pour toi je ne puis plus chanter.

On achète
Lyre et musette ;
Comme tant d'autres, à mon tour,
Je me fais poète de cour.

Dans mes calculs, dieu ! Quel déboire
Si de ton héros je parlais !
Il nous a légué tant de gloire
Qu'on est embarrassé du legs.
Lorsque ta main pare son buste
De lauriers qu'on doit respecter,
J'encense une personne auguste.
Pour toi je ne puis plus chanter.

On achète
Lyre et musette;
Comme tant d'autres, à mon tour,
Je me fais poète de cour.

Pourquoi douter, chère Marie,
Que ton ami change à ce point ?
Liberté, gloire, honneur, patrie,
Sont des mots qu'on n'escompte point.
Des chants pour toi sont la satire
Des grands que j'apprends à flatter.
Non, quoi que mon cœur veuille dire,
Pour toi je ne puis plus chanter.

On achète
Lyre et musette;
Comme tant d'autres, à mon tour,
Je me fais poète de cour.



 





A Mes Amis devenus ministres.



Non, mes amis, non, je ne veux rien être ;
Semez ailleurs places, titres et croix.
Non, pour les cours Dieu ne m'a pas fait naître:
Oiseaux craintif, je fuis la glu des rois.
Que me faut-il? maîtresse à fine taille,
Petit repas et joyeux entretien.
De mon berceau près de bénir la paille,
En me créant Dieu m'a dit: Ne sois rien.

Un sort brillant serait chose importune

Pour moi, rimeur, qui vis de temps perdu.
M'est-il tombé des miettes de fortune,
Tout bas je dis: Ce pain ne m'est pas dû.
Quel artisan, pauvre, hélas! quoi qu'il fasse,
N'a plus que moi droit à ce peu de bien ?
Sans trop rougir fouillons dans ma besace,
En me créant Dieu m'a dit: Ne sois rien.

Au ciel, un jour, une extase profonde
Vient me ravir, et je regarde en bas.
De là, mon œil confond dans notre monde
Rois et sujets, généraux et soldats.
Un bruit m'arrive; est-ce un bruit de victoire ?
On crie un nom; je ne l'entends pas bien.
Grands, dont là-bas je vois ramper la gloire,
En me créant Dieu m'a dit: Ne sois rien.

Sachez pourtant, pilotes du royaume,
Combien j'admire un homme de vertu,
Qui, regrettant son hôtel ou son chaume,
Monte au vaisseau par tous les vents battu.
De loin ma voix lui crie: Heureux voyage !
Priant de cœur pour tout grand citoyen.
Mais au soleil je m'endors sur la plage.
En me créant Dieu m'a dit: Ne sois rien.

Votre tombeau sera pompeux sans doute ;
J'aurai, sous l'herbe, une fosse à l'écart.
Un peuple en deuil vous fait cortège en route ;
Du pauvre, moi, j'attend le corbillard.
En vain on court où votre étoile tombe ;
Qu'importe alors votre gîte ou le mien ?
La différence est toujours une tombe.
En me créant Dieu m'a dit: Ne sois rien.

De ce palais souffrez donc que je sorte ;
À vos grandeurs je devais un salut.
Amis, adieu; j'ai derrière la porte
Laissé tantôt mes sabots et mon luth.
Sous ces lambris près de vous accourue,
La Liberté s'offre à vous pour soutien.
Je vais chanter ses bienfaits dans la rue.
En me créant Dieu m'a dit : Ne sois rien.

 





Le Refus.



Un ministre veut m'enrichir,
Sans que l'honneur ait à gauchir,
Sans qu'au  M o n i t e u r  on m'affiche.
Mes besoins ne sont pas nombreux ;
Mais, quand je pense aux malheureux,
Je me sens né pour être riche.

Avec l'ami pauvre et souffrant
On ne partage honneur ni rang;
Mais l'or, du moins, on le partage.
Vive l'or ! oui, souvent, ma foi,
Pour cinq cents francs, si j'étais roi,
Je mettrais ma couronne en gage.

Qu'un peu d'argent pleuve en mon trou,
Vite il s'en va, Dieu sait par où !
D'en conserver je désespère.
Pour recoudre à fond mes goussets,
J'aurais dû prendre, à son décès,
Les aiguilles de mon grand-père.

Ami, pourtant, gardez votre or.
Las ! j'épousai, bien jeune encor,
La Liberté, dame un peu rude.
Moi qui, dans mes vers, ai chanté
Plus d'une facile beauté,
Je meurs l'esclave d'une prude.

La Liberté, c'est, monseigneur,
Une femme folle d'honneur ;
C'est une bégueule enivrée
Qui, dans la rue ou le salon,
Pour le moindre bout de galon,
Va criant: À bas la livrée!

Vos écus la feraient damner.
Au fait, pourquoi pensionner
Ma Muse indépendante et vraie?
Je suis un sou de bon aloi:
Mais en secret argentez-moi,
Et me voilà fausse monnaie.

Gardez vos dons: je suis peureux;
Mais, si d'un zèle généreux
Pour moi le monde vous soupçonne,
Sachez bien qui vous a vendu;
Mon cœur est un luth suspendu:
Sitôt qu'on le touche, il résonne.