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Béranger,
chansonnier et opposant politique.



L'anticlérical.



par Marc Nadaux

 






Dès son enfance, Béranger se défie de la religion, de la bigoterie et des idioties de la croyance populaire. Il refuse ainsi de se plier aux habitudes de sa tante de Péronne, chez qui ses parents l'ont placé au moment où la capitale entre en insurrection. Dans la commune, Pierre-Jean de Béranger est inscrit à l'Institut patriotique, il y poursuit quelques études sous la direction de Ballue de Bellanglise. Ce député de l'Assemblée législative a fondé récemment cet établissement dans le but d'éduquer la jeunesse, dans l'esprit du catéchisme révolutionnaire.

Formé à ces idéaux, le chansonnier trouve sous la Restauration et avec la religion, ses personnages, une source d'inspiration. Celle-ci n'est pas uniquement politique, elle est également religieuse. Ce réveil catholique est favorisé par l'appui que lui accorde la monarchie des Bourbons. L'alliance du trône et de l'autel est renouée. Pour Béranger, irréligion et critique du pouvoir vont de pair. D'autant que de larges pans de la population française sont à présents déchristianisés, à qui s'adressent plus particulièrement le œuvres du chansonnier.







Le Carillonneur.
Le Bedeau.
Les Deux Sœurs de Charité.
Le Dieu des Bonnes Gens.
Les Clefs du paradis.
Les Missionnaires.


 





Le Carillonneur



Digue, digue, dig, din, dig, din, don.
Ah ! Que j'aime
À sonner un baptême !
Aux maris j'en demande pardon.

Dig, din, don, din, digue, digue, don.
Les décès m'ont assez fait connaître;
Préludons sur un ton plus heureux.
D'un vieillard l'héritier vient de naître.
Sonnons fort : c'est un fait scandaleux.

Digue, digue, dig, din, dig, din, don.
Ah! Que j'aime
À sonner un baptême!
Aux maris j'en demande pardon.

Dig, din, don, din, digue, digue, don.
La maman est gaillarde et jolie :
Mais l'époux est triste et catarrheux ;
Sur son compte il sait ce qu'on publie.
Sonnons fort : il n'est pas généreux.

Digue, digue, dig, din, dig, din, don.
Ah! Que j'aime
À sonner un baptême !
Aux maris j'en demande pardon.

Dig, din, don, din, digue, digue, don.
De l'enfant quel peut être le père ?
N'est-ce pas mon voisin le banquier ?
Les cadeaux mènent vite une affaire.
Sonnons fort: il est gros marguillier.

Digue, digue, dig, din, dig, din, don.
Ah ! Que j'aime
À sonner un baptême!
Aux maris j'en demande pardon.

Dig, din, don, din, digue, digue, don.
Si j'osais, je dirais que le maire
S'est créé ce petit échevin ;
Je l'ai vu chiffonner la commère.
Sonnons fort: je boirai de son vin.

Digue, digue, dig, din, dig, din, don,
Ah ! Que j'aime
À sonner un baptême!
Aux maris j'en demande pardon.

Dig, din, don, din, digue, digue, don.
Je crois bien que notre grand vicaire
Aura mis le doigt au bénitier.
Depuis peu ma fille a su lui plaire.
Sonnons fort, pour l'honneur du métier.

Digue, digue, dig, din, dig, din, don.
Ah ! Que j'aime
À sonner un baptême!
Aux maris j'en demande pardon.

Dig, din, don, din, digue, digue, don.
Notre gouverneur a, je le pense,
Prélevé des droits sur ce terrain ;
Dans l'église il vient donner quittance.
Sonnons fort: monseigneur est parrain.

Digue, digue, dig, din, dig, din, don.
Ah ! Que j'aime
À sonner un baptême !
Aux maris j'en demande pardon.

Dig, din, don, din, digue, digue, don.
Plus facile à nommer que ton père,
Cher enfant, quel bonheur infini !
Je suis sûr de te voir plus d'un frère.
Sonnons fort : et que Dieu soit béni !

Digue, digue, dig, din, dig, din, don.
Ah ! Que j'aime
À sonner un baptême !
Aux maris j'en demande pardon.

Dig, din, don, din, digue, digue, don.







Le Bedeau



Pauvre bedeau ! Métier d'enfer !
La grand'messe aujourd'hui me damne.
Pour me régaler du plus cher,
Au beau coin m'attend dame Jeanne.
Voici l'heure du rendez-vous ;
Mais nos prêtres s'endorment tous.

Ah ! Maudit soit notre curé !
Je vais, sacristie !
Manquer la partie.
Jeanne est prête et le vin tiré.
Monsieur le curé !

Nos enfants de chœur, j'en réponds,
Devinent ce qui me tracasse.
Dépêchez-vous, petits fripons,
Ou vous aurez des coups de masse.
Chantres, c'est du vin à dix sous :
Chantez pour moi comme pour vous.

Mais maudit soit notre curé !
Je vais, sacristie !
Manquer la partie.
Jeanne est prête et le vin tiré.
Monsieur le curé !

Notre suisse, allongez le pas ;
Sur-tout faites ranger ces dames.
La quête ne finira pas :
Le vicaire lorgne les femmes.
Ah! Si la gentille Babet
Pour se confesser l'attendait !

Mais maudit soit notre curé !
Je vais, sacristie !
Manquer la partie.
Jeanne est prête et le vin tiré.
Monsieur le curé !

Curé, songez à la Saint-Leu :
Ce jour-là vous dîniez en ville.
Quel train vous nous meniez, morbleu !
On passa presque l'évangile.
En faveur de votre bedeau
Sautez la moitié du credo.

Mais maudit soit notre curé !
Je vais, sacristie !
Manquer la partie.
Jeanne est prête et le vin tiré.
Monsieur le curé !







Les Deux Sœurs de Charité



 

Dieu lui-même
Ordonne qu'on aime.
Je vous le dis, en vérité :
Sauvez-vous par la charité.

Vierge défunte, une sœur grise,
Aux portes des cieux rencontra
Une beauté leste et bien mise
Qu'on regrettait à l'opéra.
Toutes deux, dignes de louanges,
Arrivaient après d'heureux jours,
L'une sur les ailes des anges,
L'autre dans les bras des amours.

Dieu lui-même
Ordonne qu'on aime.
Je vous le dis, en vérité :
Sauvez-vous par la charité.

Là-haut, saint Pierre en sentinelle,
Après un ave pour la sœur,
Dit à l'actrice : on peut, ma belle,
Entrer chez nous sans confesseur.
Elle s'écrie : ah ! Quoique bonne,
Mon corps à peine est inhumé !
Mais qu'à mon curé Dieu pardonne ;
Hélas ! Il n'a jamais aimé.

Dieu lui-même
Ordonne qu'on aime.
Je vous le dis, en vérité :
Sauvez-vous par la charité.

Dans les palais et sous le chaume,
Moi, dit la sœur, j'ai de mes mains
Distillé le miel et le baume
Sur les souffrances des humains.
Moi, qui subjuguais la puissance,
Dit l'actrice, j'ai bien des fois
Fait savourer à l'indigence
La coupe où s'enivraient les rois.

Dieu lui-même
Ordonne qu'on aime.
Je vous le dis, en vérité :
Sauvez-vous par la charité.

Oui, reprend la sainte colombe,
Mieux qu'un ministre des autels,
À descendre en paix dans la tombe
Ma voix préparait les mortels.
Offrant à ceux qui m'ont suivie,
Dit la nymphe, une douce erreur,
Moi, je faisais chérir la vie:
Le plaisir fait croire au bonheur.

Dieu lui-même
Ordonne qu'on aime.
Je vous le dis, en vérité :
Sauvez-vous par la charité.

Aux bons cœurs, ajoute la nonne,
Quand mes prières s'adressaient,
Du riche je portais l'aumône
Aux pauvres qui me bénissaient.
Moi, dit l'autre, par la détresse
Voyant l'honnête homme abattu,
Avec le prix d'une caresse,
Cent fois j'ai sauvé la vertu.

Dieu lui-même
Ordonne qu'on aime.
Je vous le dis, en vérité :
Sauvez-vous par la charité.

Entrez, entrez, ô tendres femmes !
Répond le portier des élus :
La charité remplit vos âmes ;
Mon Dieu n'exige rien de plus.
On est admis dans son empire,
Pourvu qu'on ait séché des pleurs,
Sous la couronne du martyre,
Ou sous des couronnes de fleurs.

Dieu lui-même
Ordonne qu'on aime.
Je vous le dis, en vérité :
Sauvez-vous par la charité.



 





Le Dieu des Bonnes Gens



Il est un dieu ; devant lui je m'incline,
Pauvre et content, sans lui demander rien.
De l'univers observant la machine,
J'y vois du mal, et n'aime que le bien.
Mais le plaisir à ma philosophie
Révèle assez des cieux intelligents.
Le verre en main, gaîment je me confie
Au dieu des bonnes gens.

Dans ma retraite où l'on voit l'indigence,
Sans m'éveiller, assise à mon chevet,
Grâce aux amours, bercé par l'espérance,
D'un lit plus doux je rêve le duvet.
Aux dieux des cours qu'un autre sacrifie !
Moi, qui ne crois qu'à des dieux indulgents,

Le verre en main, gaîment je me confie
Au dieu des bonnes gens.
Un conquérant, dans sa fortune altière,
Se fit un jeu des sceptres et des lois,
Et de ses pieds on peut voir la poussière
Empreinte encor sur le bandeau des rois.
Vous rampiez tous, ô rois qu'on déifie !
Moi, pour braver des maîtres exigeants,
Le verre en main, gaîment je me confie
Au dieu des bonnes gens.

Dans nos palais, où, près de la victoire,
Brillaient les arts, doux fruits des beaux climats,
J'ai vu du nord les peuplades sans gloire
De leurs manteaux secouer les frimas.
Sur nos débris Albion nous défie ;
Mais les destins et les flots sont changeants :
Le verre en main, gaîment je me confie
Au dieu des bonnes gens.

Quelle menace un prêtre fait entendre !
Nous touchons tous à nos derniers instants :
L'éternité va se faire comprendre ;
Tout va finir, l'univers et le temps.
Ô chérubins à la face bouffie !
Réveillez donc les morts peu diligents.
Le verre en main, gaîment je me confie
Au dieu des bonnes gens.

Mais quelle erreur ! Non, Dieu n'est point colère ;
S'il créa tout, à tout il sert d'appui :
Vins qu'il nous donne, amitié tutélaire,
Et vous, amours, qui créez après lui,
Prêtez un charme à ma philosophie
Pour dissiper des rêves affligeants.
Le verre en main, que chacun se confie
Au dieu des bonnes gens.







Les Clefs du paradis



Saint Pierre perdit l'autre jour
Les clefs du céleste séjour.
(L'histoire est vraiment singulière !)
C'est Margot qui, passant par là,
Dans son gousset les lui vola.
«Je vais, Margot,
Passer pour un nigaud;
Rendez-moi mes clefs, » disait Saint Pierre.

Margoton, sans perdre de temps,
Ouvre le ciel à deux battants.
(L'histoire est vraiment singulière !)
Dévots fieffés, pécheurs maudits,
Entrent ensemble en paradis.
« Je vais, Margot,
Passer pour un nigaud ;
Rendez-moi mes clefs, » disait Saint Pierre.

On voit arriver en chantant
Un turc, un juif, un protestant ;
(L'histoire est vraiment singulière !)
Puis un pape, l'honneur du corps,
Qui, sans Margot, restait dehors.
« Je vais, Margot,
Passer pour un nigaud ;
Rendez-moi mes clefs, » disait Saint Pierre.

Des jésuites, que Margoton
Voit à regret dans ce canton,
(L'histoire est vraiment singulière !)
Sans bruit, à force d'avancer,
Près des anges vont se placer.
« Je vais, Margot,
Passer pour un nigaud ;
Rendez-moi mes clefs, » disait Saint Pierre.

En vain un fou crie, en entrant,
Que Dieu doit être intolérant ;
(L'histoire est vraiment singulière !)
Satan lui-même est bien venu :
La belle en fait un saint cornu.
« Je vais, Margot,
Passer pour un nigaud ;
Rendez-moi mes clefs, » disait Saint Pierre.

Dieu, qui pardonne à Lucifer,
Par décret supprime l'enfer.
(L'histoire est vraiment singulière !)
La douceur va tout convertir :
On n'aura personne à rôtir.
« Je vais, Margot,
Passer pour un nigaud ;
Rendez-moi mes clefs, » disait Saint Pierre.

Le paradis devient gaillard,
Et Pierre en veut avoir sa part.
(L'histoire est vraiment singulière !)
Pour venger ceux qu'il a damnés,
On lui ferme la porte au nez.
« Je vais, Margot,
Passer pour un nigaud; 
Rendez-moi mes clefs, » disait Saint Pierre.







Les Missionnaires

(1819)



 

Satan dit un jour à ses pairs:
On en veut à nos hardes;
C'est en éclairant l'univers
Qu'on éteint les discordes.
Par brevet d'invention
J'ordonne une mission.

En vendant des prières,
Vite soufflons, soufflons, morbleu !
Éteignons les lumières
Et rallumons le feu,
Vite soufflons, soufflons, morbleu!
Éteignons les lumières
Et rallumons le feu.

Exploitons, en diables cafards,
Hameau, ville et banlieue.
D'Ignace imitons les renards,
Cachons bien notre queue.
Au nom du Père et du Fils,
Gagnons sur les crucifix.

En vendant des prières,
Vite soufflons, soufflons, morbleu !
Éteignons les lumières
Et rallumons le feu,
Vite soufflons, soufflons, morbleu !
Éteignons les lumières
Et rallumons le feu.

Que de miracles on va voir
Si le ciel ne s'en mêle !
Sur des biens qu'on voudrait ravoir
Faisons tomber la grêle.
Publions que Jésus-Christ
Par la poste nous écrit.

En vendant des prières,
Vite soufflons, soufflons, morbleu !
Éteignons les lumières
Et rallumons le feu,
Vite soufflons, soufflons, morbleu !
Éteignons les lumières
Et rallumons le feu.

Chassons les autres baladins,
Divisons les familles.
En jetant la pierre aux mondains,
Perdons femmes et filles.
Que tout le sexe enflammé
Nous chante un Asperges me.

En vendant des prières,
Vite soufflons, soufflons, morbleu !
Éteignons les lumières
Et rallumons le feu,
Vite soufflons, soufflons, morbleu !
Éteignons les lumières
Et rallumons le feu.

Par Ravaillac et Jean Châtel,
Plaçons dans chaque prône,
Non point le trône sur l'autel,
Mais l'autel sur le trône.
Comme aux bons temps féodaux,
Que les rois scient nos bedeaux.

En vendant des prières,
Vite soufflons, soufflons, morbleu !
Éteignons les lumières
Et rallumons le feu,
Vite soufflons, soufflons, morbleu !
Éteignons les lumières
Et rallumons le feu.

L'Intolérance, front levé,
Reprendra son allure ;
Les protestants n'ont point trouvé
D'onguent pour la brûlure.
Les philosophes aussi.
Déjà sentent le roussi.

En vendant des prières,
Vite soufflons, soufflons, morbleu !
Éteignons les lumières
Et rallumons le feu,
Vite soufflons, soufflons, morbleu !
Éteignons les lumières
Et rallumons le feu.

Le diable, après ce mandement,
Vient convertir la France.
Guerre au nouvel enseignement,
Et gloire à l'ignorance !
Le jour fuit, et les cagots
Dansent autour des fagots.