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Béranger,
chansonnier et opposant politique.



La Restauration.



par Marc Nadaux

 






Béranger publie son deuxième recueil en 1821. Ce dernier est précédé de sa démission de l'administration de l'Université. Car, si le plus souvent, ses textes circulent sous le manteau, imprimés sur des feuilles volantes, le pouvoir connaît l'origine des piques qui lui sont adressées. Car le chansonnier, toujours attaché aux souvenirs de la grandeur de l'Empire, ne peut que rejeter la Restauration, ses excès - La Censure - , ses mesquineries - Le Prince de Navarre - , son opportunisme - Le Ventru - , son aspect réactionnaire - Le Sacre de Charles le Simple.

Il sera d'ailleurs inquiété par les autorités au cours de ces années. Béranger se produit parfois en public, au cabaret de la mère Saguet, à la barrière Montparnasse notamment, où se réunit la Société du Moulin-Vert dont il est le président. Là, devant l'assistance, le chansonnier entonne en cette époque Le Dieu des Bonnes Gens. Un article, qui paraît dans Le Drapeau blanc, un quotidien dirigé par Alphonse de Martainville, organe du parti ultra, donne l'alerte aux autorités. Accusé d'outrages à la morale publique, à la personne du roi, et même d'apologie du régime honni, Pierre-Jean de Béranger est condamné par la Cour d'assises à une amende, ainsi qu'à trois mois de prison.

Aussi en 1830, avec humour, il conseillera aux Belges de se trouver un roi. Et s'il lui arrive de vanter les mérites de la Restauration, c'est de celle de la chanson dont il parle !







La Censure.
La Cocarde blanche.
Le prince de Navarre.
Le Ventru.
Le Ventru aux élections de 1819.
La Sainte Alliance des Peuples.
Le Sacre de Charles le Simple.
Conseils aux Belges.
La Restauration de la chanson.


 





La Censure

(août 1814)



Que, sous le joug des libraires,
On livre encor nos auteurs
Aux censeurs, aux inspecteurs,
Rats-de-cave littéraires ;
Riez-en avec moi.
Ah! Pour rire
Et pour tout dire,
Il n'est besoin, ma foi,
D'un privilège du roi !

L'état ayant plus d'un membre
Que la presse eût fait trembler,
Qu'on ait craint son franc parler
Dans la chambre et l'antichambre ;
Riez-en avec moi.
Ah ! Pour rire
Et pour tout dire,
Il n'est besoin, ma foi,
D'un privilège du roi !

Que cette chambre sensée
Laisse avec soumission
Sortir la procession
Et renfermer la pensée ;
Riez-en avec moi.
Ah ! Pour rire
Et pour tout dire,
Il n'est besoin, ma foi,
D'un privilège du roi.

Qu'un censeur bien tyrannique
De l'esprit soit le geôlier,
Et qu'avec son prisonnier
Jamais il ne communique ;
Riez-en avec moi.
Ah! Pour rire
Et pour tout dire,
Il n'est besoin, ma foi,
D'un privilège du roi !

Quand déjà l'on n'y voit guère,
Quand on a peine à marcher,
En feignant de la moucher,
Qu'on éteigne la lumière ;
Riez-en avec moi.
Ah! Pour rire
Et pour tout dire,
Il n'est besoin, ma foi,
D'un privilège du roi !

Qu'un ministre qui s'irrite
Quand on lui fait la leçon
Lise tout bas ma chanson,
Qui lui parvient manuscrite ;
Riez-en avec moi.
Ah! Pour rire
Et pour tout dire,
Il n'est besoin, ma foi,
D'un privilège du roi !







La Cocarde blanche

(30 mai 1816)



Couplets censés faits pour un dîner où l'on célébrait l'anniversaire de la première entrée des Russes, des Autrichiens et des Prussiens à Paris.



 

Jour de paix, jour de délivrance,
Qui des vaincus fis le bonheur ;
Beau jour, qui vins rendre à la France
La cocarde blanche et l'honneur !

Chantons ce jour cher à nos belles,
Où tant de rois par leurs succès
Ont puni les français rebelles,
Et sauvé tous les bons français.

Jour de paix, jour de délivrance,
Qui des vaincus fis le bonheur ;
Beau jour, qui vins rendre à la France
La cocarde blanche et l'honneur !

Les étrangers et leurs cohortes
Par nos vœux étaient appelés.
Qu'aisément ils ouvraient les portes
Dont nous avions livré les clefs !

Jour de paix, jour de délivrance,
Qui des vaincus fis le bonheur ;
Beau jour, qui vins rendre à la France
La cocarde blanche et l'honneur !

Sans ce jour qui pouvait répondre
Que le ciel, comblant nos malheurs,
N'eût point vu sur la tour de Londres
Flotter enfin les trois couleurs ?

Jour de paix, jour de délivrance,
Qui des vaincus fis le bonheur ;
Beau jour, qui vins rendre à la France
La cocarde blanche et l'honneur !

On répètera dans l'histoire
Qu'aux pieds des cosaques du Don,
Pour nos soldats et pour leur gloire,
Nous avons demandé pardon.

Jour de paix, jour de délivrance,
Qui des vaincus fis le bonheur ;
Beau jour, qui vins rendre à la France
La cocarde blanche et l'honneur!

Appuis de la noblesse antique,
Buvons, après tant de dangers,
Dans ce repas patriotique,
Au triomphe des étrangers.

Jour de paix, jour de délivrance,
Qui des vaincus fis le bonheur ;
Beau jour, qui vins rendre à la France
La cocarde blanche et l'honneur !

Enfin, pour sa clémence extrême,
Buvons au plus grand des Henris,
À ce roi qui sut par lui-même
Conquérir son trône et Paris.

Jour de paix, jour de délivrance,
Qui des vaincus fis le bonheur;
Beau jour, qui vins rendre à la France
La cocarde blanche et l'honneur !






Le Prince de Navarre.



 

Quoi ! Tu veux régner sur la France !
Es-tu fou, pauvre Mathurin ?
N'échange point ton indigence
Contre tout l'or d'un souverain.
Sur un trône l'ennui se carre,
Fier d'être encensé par des sots.
Croyez-moi, prince de Navarre,
Prince, faites-nous des sabots.

Des leçons que le malheur donne,
Tu n'as donc point tiré de fruit.
Réclamerais-tu la couronne,
Si le malheur t'avait instruit ?
Cette ambition n'est point rare,
Même ailleurs que chez les héros.
Croyez-moi, prince de Navarre,
Prince, faites-nous des sabots.

Dans le rang que toi-même espères,
Trompés par des flatteurs câlins,
Que de rois se disent les pères
D'enfants qui se croient orphelins!
Régner, c'est n'être point avare
De lois, de rubans, de grands mots.
Croyez-moi, prince de Navarre,
Prince, faites-nous des sabots.

Quand tu combattrais avec gloire,
Sache que plus d'un conquérant
Se voit arracher la victoire
Par un général ignorant.
Un anglais, aidé d'un tartare,
Foule aux pieds de nobles drapeaux.
Croyez-moi, prince de Navarre,
Prince, faites-nous des sabots.

Combien d'agents illégitimes
Servent la légitimité !
Trop tard sur les malheurs de Nîmes
On éclairerait ta bonté.
Le roi qu'au pont-neuf on répare
Parle en vain pour les huguenots.
Croyez-moi, prince de Navarre,
Prince, faites-nous des sabots.

De tes maux quel serait le terme,
Si quelques alliés sans foi
Prétendaient que tu tiens à ferme
Le trône que tu dis à toi ?
De jour en jour leur ligue avare
Augmenterait le prix des baux.
Croyez-moi, prince de Navarre,
Prince, faites-nous des sabots.

Enfin pourrais-tu sans scrupule,
Graissant la patte au Saint-Esprit,
Faire un concordat ridicule
Avec ton père en Jésus-Christ?
Pour lui redorer sa tiare,
Tu nous surchargerais d'impôts.
Croyez-moi, prince de Navarre,
Prince, faites-nous des sabots.

D'ailleurs ton métier nous arrange :
Nos amis nous ont fait capot.
C'est pour que l'étranger la mange
Que nous mettons la poule au pot.
De nos souliers même on s'empare
Après avoir pris nos manteaux.
Croyez-moi, prince de Navarre,
Prince, faites-nous des sabots.



 





Le Ventru.



Électeurs de ma province,
Il faut que vous sachiez tous
Ce que j'ai fait pour le prince,
Pour la patrie et pour vous.
L'état n'a point dépéri :
Je reviens gras et fleuri.
Quels dînés,
Quels dînés
Les ministres m'ont donnés !
Oh ! Que j'ai fait de bons dînés !

Au ventre toujours fidèle,
J'ai pris, suivant ma leçon,
Place à dix pas de Villèle,
À quinze de D'Argenson ;
Car dans ce ventre étoffé
Je suis entré tout truffé.
Quels dînés,
Quels dînés
Les ministres m'ont donnés !
Oh ! Que j'ai fait de bons dînés !

Comme il faut au ministère
Des gens qui parlent toujours
Et hurlent pour faire taire
Ceux qui font de bons discours,
J'ai parlé, parlé, parlé ;
J'ai hurlé, hurlé, hurlé.
Quels dînés,
Quels dînés
Les ministres m'ont donnés !
Oh ! Que j'ai fait de bons dînés !

Si la presse a des entraves,
C'est que je l'avais promis ;
Si j'ai bien parlé des braves,
C'est qu'on me l'avait permis.
J'aurais voté dans un jour
Dix fois contre et dix fois pour.
Quels dînés,
Quels dînés
Les ministres m'ont donnés !
Oh ! Que j'ai fait de bons dînés !

J'ai repoussé les enquêtes,
Afin de plaire à la cour ;
J'ai, sur toutes les requêtes,
Demandé l'ordre du jour.

Au nom du roi, par mes cris,
J'ai rebanni les proscrits.
Quels dînés,
Quels dînés
Les ministres m'ont donnés !
Oh ! Que j'ai fait de bons dînés !

Des dépenses de police
J'ai prouvé l'utilité ;
Et non moins français qu'un suisse,
Pour les suisses j'ai voté.
Gardons bien, et pour raison,
Ces amis de la maison.
Quels dînés,
Quels dînés
Les ministres m'ont donnés !
Oh ! Que j'ai fait de bons dînés !

Malgré des calculs sinistres,
Vous paîrez, sans y songer,
L'étranger et les ministres,
Les ventrus et l'étranger.

Il faut que, dans nos besoins,
Le peuple dîne un peu moins.
Quels dînés,
Quels dînés
Les ministres m'ont donnés !
Oh ! Que j'ai fait de bons dînés !

Enfin j'ai fait mes affaires :
Je suis procureur du roi ;
J'ai placé deux de mes frères,
Mes trois fils ont de l'emploi.
Pour les autres sessions
J'ai cent invitations.
Quels dînés,
Quels dînés
Les ministres m'ont donnés !
Oh ! Que j'ai fait de bons dînés !







Le Ventru aux élections de 1819.



Autour du pot c'est trop tourner,
Messieurs ! L'on m'attend pour dîner.

Électeurs, j'ai, sans nul mystère,
Fait de bons dîners l'an passé.
On met la table au ministère;
Renommez-moi, je suis pressé.

Autour du pot c'est trop tourner,
Messieurs ! L'on m'attend pour dîner.

Préfets, que tout nous réussisse,
Et du moins vous conserverez,
Si l'on vous traduit en justice,
Le droit de choisir les jurés.

Autour du pot c'est trop tourner,
Messieurs ! L'on m'attend pour dîner.

Maires, soignez bien mes affaires ;
Vous courez aussi des dangers.
Si les villes nommaient leurs maires,
Moins de loups deviendraient bergers.

Autour du pot c'est trop tourner,
Messieurs ! L'on m'attend pour dîner.

Dévots, j'ai la foi la plus forte ;
À Dieu je dis chaque matin :
Faites qu'à cent écus l'on porte
La patente d'ignorantin.

Autour du pot c'est trop tourner,
Messieurs ! L'on m'attend pour dîner.

Ultras, c'est moi qu'il faut qu'on nomme ; 
Faisons la paix, preux chevaliers :
N'oubliez pas que je suis homme
À manger à deux râteliers.

Autour du pot c'est trop tourner,
Messieurs! L'on m'attend pour dîner.

Libéraux, dans vos doléances,
Pourquoi donc vous en prendre à moi,
Quand le creuset des ordonnances
Peut faire évaporer la loi ?

Autour du pot c'est trop tourner,
Messieurs! L'on m'attend pour dîner.

Les emplois étant ma ressource
Aux impôts dois-je m'opposer ?
Par honneur je remplis la bourse
Où par devoir j'aime à puiser.

Autour du pot c'est trop tourner,
Messieurs ! L'on m'attend pour dîner.

On craindrait l'équité farouche
D'un tas d'orateurs éclatants ;
Moi, dès que j'ouvrirai la bouche,
Les ministres seront contents.

Autour du pot c'est trop tourner,
Messieurs ! L'on m'attend pour dîner.







La Sainte Alliance des Peuples.



 

J'ai vu la paix descendre sur la terre,
Semant de l'or, des fleurs et des épis.
L'air était calme, et du dieu de la guerre
Elle étouffait les foudres assoupis.
Ah ! Disait-elle, égaux par la vaillance,
Français, anglais, belge, russe ou germain,
Peuples, formez une sainte alliance,
Et donnez-vous la main.

Pauvres mortels, tant de haine vous lasse !
Vous ne goûtez qu'un pénible sommeil.
D'un globe étroit divisez mieux l'espace;
Chacun de vous aura place au soleil.
Tous attelés au char de la puissance,
Du vrai bonheur vous quittez le chemin.
Peuples, formez une sainte alliance,
Et donnez-vous la main.

Chez vos voisins vous portez l'incendie :
L'aquilon souffle, et vos toits sont brûlés ;
Et quand la terre est enfin refroidie,
Le soc languit sous des bras mutilés.
Près de la borne où chaque état commence,
Aucun épi n'est pur de sang humain.
Peuples, formez une sainte alliance,
Et donnez-vous la main.

Les potentats, dans vos cités en flammes,
Osent du bout de leur sceptre insolent
Marquer, compter et recompter les âmes
Que leur adjuge un triomphe sanglant.
Faibles troupeaux, vous passez sans défense
D'un joug pesant sous un joug inhumain.
Peuples, formez une sainte alliance,
Et donnez-vous la main.

Que Mars en vain n'arrête point sa course.
Fondez les lois dans vos pays souffrants ;
Le votre sang ne livrez plus la source
Aux rois ingrats, aux vastes conquérants.
Des astres faux conjurez l'influence ;
Effroi d'un jour, ils pâliront demain.
Peuples, formez une sainte alliance,
Et donnez-vous la main.

Oui, libre enfin, que le monde respire;
Sur le passé jetez un voile épais.
Semez vos champs aux accords de la lyre ;
L'encens des arts doit brûler pour la paix.
L'espoir riant, au sein de l'abondance,
Accueillera les doux fruits de l'hymen.
Peuples, formez une sainte alliance,
Et donnez-vous la main.

Ainsi parlait cette vierge adorée,
Et plus d'un roi répétait ses discours.
Comme au printemps la terre était parée ;
L'automne en fleurs rappelait les amours.
Pour l'étranger coulez, bons vins de France :
De sa frontière il reprend le chemin.
Peuples, formons une sainte alliance,
Et donnons-nous la main.




Le Sacre de Charles le Simple.



Français, que Reims a réunis,
Criez: Montjoie et Saint-Denis !
On a refait la Sainte-Ampoule,
Et, comme au temps de nos aïeux,
Des passereaux lâchés en foule
Dans l'église volent joyeux.
D'un joug brisé ces vains présages
Font sourire Sa Majesté.
Le peuple s'écrie: Oiseaux, plus que nous soyes sages ;
Gardez bien, gardez bien votre liberté (bis).

Puisqu'aux vieux us on rend leurs droits,
Moi, je remonte à Charles trois.
Ce successeur de Charlemagne
De Simple mérita le nom ;
Il avait couru l'Allemagne
Sans illustrer son vieux pennon.
Pourtant à son sacre on se presse :
Oiseaux et flatteurs ont chanté.
Le peuple s'écrie: « Oiseaux, point de folle allégresse ;
Gardez bien, gardez bien votre liberté». (bis)

Chamarré de vieux oripeaux,
Ce roi, grand avaleur d'impôts,
Marche entouré de ses fidèles,
Qui tous, en des temps moins heureux,
Ont suivi les drapeaux rebelles
D'un usurpateur généreux.
Un milliard les met en haleine:
C'est peu pour la fidélité.
Le peuple s'écrie : « Oiseaux, nous payons notre chaîne ;
Gardez bien, gardez bien votre liberté. » (bis)

Aux pieds des prélats cousus d'or,
Charles dit son confiteor.
On l'habille, on le baise, on l'huile,
Puis, au bruit des hymnes sacrés,
Il met la main sur l'Évangile.
Son confesseur lui dit : « Jurez.
Rome, que l'article concerne,
Relève d'un serment prêté. » 
Le peuple s'écrie : « Oiseaux, voilà comme on gouverne ;
Gardez bien, gardez bien votre liberté. » (bis)

De Charlemagne, en vrai luron
Dès qu'il a mis le ceinturon,
Charles s'étend sur la poussière.
Roi! crie un soldat, levez-vous !
« Non, dit l'évêque ; et, par saint Pierre,
Je te couronne : enrichis-nous.
Ce qui vient de Dieu vient des prêtres.
Vive la légitimité ! »
Le peuple s'écrie : « Oiseaux, notre maître a des maîtres ;
Gardez bien, gardez bien votre liberté. » (bis)

Oiseaux, ce roi miraculeux
Va guérir tous les scrofuleux.
Fuyez, vous qui de son cortège
Dissipez seuls l'ennui mortel :
Vous pourriez faire un sacrilège
En voltigeant sur cet autel.
Des bourreaux sont les sentinelles
Que pose ici la piété.
Le peuple s'écrie : « Oiseaux, nous envions vos ailes ;
Gardez bien, gardez bien votre liberté. » (bis)







Conseils aux Belges.

(1830)



Finissez-en, nos frères de Belgique,
Faites un roi, morbleu! finissez-en.
Depuis huit mois, vos airs de république
Donnent la fièvre à tout bon courtisan.
D'un roi toujours la matière se trouve:
C'est Jean, c'est Paul, c'est mon voisin, c'est moi.
Tout œuf royal éclôt sans qu'on le couve
Faites un roi, morbleu ! faites un roi;
Faites un roi, faites un roi.

Quels biens sur vous un prince va répandre !
D'abord viendra l'étiquette aux grands airs ;
Puis des cordons et des croix à revendre ;
Puis ducs, marquis, comtes, barons et pairs ;
Puis un beau trône, en or, en soie, en nacre,
Dont le coussin prête à plus d'un émoi.
S'il plaît au ciel, vous aurez même un sacre.
Faites un roi, morbleu! faites un roi ;
Faites un roi, faites un roi.

Puis vous aurez baisemains et parades,
Discours et vers, feux d'artifice et fleurs ;
Puis force gens qui se disent malades
Dès qu'un bobo cause au roi des douleurs.
Bonnet de pauvre et royal diadème
Ont leur vermine : un dieu fit cette loi.
Les courtisans rongent l'orgueil suprême.
Faites un roi, morbleu ! faites un roi ;
Faites un roi, faites un roi.

Chez vous pleuvront laquais de toute sorte ;
Juges, préfets, gendarmes, espions ;
Nombreux soldats pour leur prêter main-forte ;
Joie à brûler un cent de lampions !
Vient le budget; nourrir Athènes et Sparte
Eût en vingt ans moins coûté, sur ma foi.
L'ogre a dîné; peuples, payez la carte.
Faites un roi, morbleu! faites un roi ;
Faites un roi, faites un roi.

Mais quoi! je raille; on le sait bien en France :
J'y suis du trône un des chauds partisans.
D'ailleurs, l'histoire a répondu d'avance :
Nous n'y voyons que princes bienfaisants.
Pères du peuple, ils le font pâmer d'aise ;
Plus il s'instruit, moins ils en ont d'effroi ;
Au bon Henri succède Louis treize.
Faites un roi, morbleu! faites un roi ;
Faites un roi, faites un roi.







La Restauration de la chanson.



 

Oui, chanson, Muse ma fille,
J'ai déclaré net
Qu'avec Charles et sa famille
On te détrônait.
Mais chaque loi qu'on nous donne
Te rappelle ici
Chanson, reprends ta couronne
- Messieurs, grand merci !

Je croyais qu'on allait faire
Du grand et du neuf ;
Même étendre un peu la sphère
De quatre-vingt-neuf
Mais point ! On rebadigeonne
Un tronc noirci.
Chanson, reprends ta couronne
- Messieurs, grand merci !

Depuis les jours de décembre,
Vois, pour se grandir,
La Chambre vanter la Chambre,
La Chambre applaudir.
A se prouver qu'elle est bonne
Elle a réussi.
Chanson, reprends ta couronne
- Messieurs, grand merci !

Basse-cour des ministères
Qu'en France on honnit
Nos chapons héréditaires
Sauveront leur nid.
Les petits que Dieu leur donne
Y pondront aussi
Chanson, reprends ta couronne
- Messieurs, grand merci !

Gloire à la garde civique,
Piédestal des lois !
Qui maintient la paix publique
Peut venger nos droits.
Là-haut quelqu'un, je soupçonne,
En a du souci.
Chanson, reprends ta couronne
- Messieurs, grand merci !

La planète doctrinaire
Qui sur Gand brillait
Veut servir de luminaire
Aux gens de juillet.
Fi d'un froid soleil d'automne,
De brume obscurci !
Chanson, reprends ta couronne
- Messieurs, grand merci !

Nos ministres, qu'on peut mettre
Tous au même point,
Voudraient que le baromètre
Ne variât point.
Pour peu que là-bas il tonne,
On se signe ici.
Chanson, reprends ta couronne
- Messieurs, grand merci !

Pour être en état de grâce,
Que de grands peureux
Ont soin de laisser en place
Les hommes véreux !
Si l'on ne touche à personne,
C'est afin que si...
Chanson, reprends ta couronne
- Messieurs, grand merci !

Te voilà donc restaurée,
Chanson mes amours.
Tricolore et sans livrée
Montre-toi toujours
Ne crains plus qu'on t'emprisonne,
Du moins à Poissy.
Chanson, reprends ta couronne
- Messieurs, grand merci!

Mais pourtant laisse en jachère
Mon sol fatigué.
Mes jeunes rivaux, ma chère,
Ont un ciel si gai !
Chez eux la rose foisonne,
Chez moi le souci.
Chanson, reprends ta couronne
- Messieurs, grand merci !