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Béranger,
chansonnier et opposant politique.



Les Cent-Jours et ses compromissions.



par Marc Nadaux

 






1814, voici venu le temps de la chute de l'Aigle. Les airs composés par le chansonnier annonce déjà ses œuvres futures. Car Béranger est un homme de son temps, attaché à la grandeur de la France et hostile en cela aux puissances étrangères. Et s'il vante la résistance des grenadiers de Napoléon, c'est en les comparant aux anciens Gaulois, se soulevant contre Rome et ses légions. Pendant les Cent-Jours, avec Les Demoiselles, c’est l'attitude des royalistes, espérant le retour des Alliés, que dénonce Béranger. " Viv" nos amis ! Nos amis les enn'mis " chante t-on alors dans Paris.







Ma Dernière Chanson peut-être.
Les Gaulois et les Francs.
Le Bon Français.
Les Deux Grenadiers.
L'Opinion de ces Demoiselles.
Requête par Chien de qualité.


 





Ma Dernière Chanson peut-être

(janvier 1814)




Je n'eus jamais d'indifférence
Pour la gloire du nom français.
L'étranger envahit la France,
Et je maudis tous ses succès.

Mais, bien que la douleur honore,
Que servira d'avoir gémi ?
Puisqu'ici nous rions encore,
Autant de pris sur l'ennemi !

Quand plus d'un brave aujourd'hui tremble,
Moi, poltron, je ne tremble pas.
Heureux que Bacchus nous rassemble
Pour trinquer à ce gai repas !
Amis, c'est le dieu que j'implore ;
Par lui mon cœur est affermi.

Buvons gaîment, buvons encore :
Autant de pris sur l'ennemi !
Mes créanciers sont des corsaires
Contre moi toujours soulevés.
J'allais mettre ordre à mes affaires,

Quand j'appris ce que vous savez.
Gens que l'avarice dévore,
Pour votre or soudain j'ai frémi.
Prêtez-m'en donc, prêtez encore :
Autant de pris sur l'ennemi !

Je possède jeune maîtresse,
Qui va courir bien des dangers.
Au fond je crois que la traîtresse
Désire un peu les étrangers.
Certains excès que l'on déplore

Ne l'épouvantent qu'à demi.
Mais cette nuit me reste encore:
Autant de pris sur l'ennemi !
Amis, s'il n'est plus d'espérance,
Jurons, au risque du trépas,

Que pour l'ennemi de la France
Nos voix ne résonneront pas.
Mais il ne faut point qu'on ignore
Qu'en chantant le cygne a fini.
Toujours français, chantons encore :
Autant de pris sur l'ennemi !







Les Gaulois et les Francs

(janvier 1814)




Gai ! Gai ! Serrons nos rangs,
Espérance
De la France ;
Gai ! Gai ! Serrons nos rangs ;


En avant, gaulois et francs !


D'Attila suivant la voix,
Le barbare
Qu'elle égare
Vient une seconde fois


Périr dans les champs gaulois.


Gai ! Gai ! Serrons nos rangs,
Espérance
De la France ;
Gai ! Gai ! Serrons nos rangs ;


En avant, gaulois et francs !


Renonçant à ses marais,
Le cosaque
Qui bivouaque,
Croit, sur la foi des anglais,


Se loger dans nos palais.


Gai ! Gai ! Serrons nos rangs,
Espérance
De la France;
Gai ! Gai ! Serrons nos rangs ;


En avant, gaulois et francs !


Le russe, toujours tremblant
Sous la neige
Qui l'assiège,
Las de pain noir et de gland,


Veut manger notre pain blanc.


Gai ! Gai ! Serrons nos rangs,
Espérance
De la France ;
Gai ! Gai ! Serrons nos rangs ;


En avant, gaulois et francs !


Ces vins que nous amassons
Pour les boire
À la victoire,
Seraient bus par des saxons !


Plus de vin, plus de chansons !


Gai! Gai! Serrons nos rangs,
Espérance
De la France;
Gai ! Gai ! Serrons nos rangs ;


En avant, gaulois et francs !


Pour des calmouks durs et laids
Nos filles
Sont trop gentilles,
Nos femmes ont trop d'attraits.


Ah ! Que leurs fils soient français !


Gai ! Gai ! Serrons nos rangs,
Espérance
De la France ;
Gai ! Gai ! Serrons nos rangs ;


En avant, gaulois et francs !


Quoi ! Ces monuments chéris,
Histoire
De notre gloire,
S'écrouleraient en débris !


Quoi ! Les prussiens à Paris !


Gai! Gai! Serrons nos rangs,
Espérance
De la France ;
Gai ! Gai ! Serrons nos rangs ;


En avant, gaulois et francs !


Nobles francs et bons gaulois,
La paix si chère
À la terre
Dans peu viendra sous vos toits


Vous payer de tant d'exploits.


Gai! Gai! Serrons nos rangs,
Espérance
De la France ;
Gai ! Gai ! Serrons nos rangs;


En avant, gaulois et francs !







Le Bon Français

(mai 1814)



 

J'aime qu'un russe soit russe,
Et qu'un anglais soit anglais.
Si l'on est prussien en Prusse,
En France soyons français.

Lorsqu'ici nos cœurs émus
Comptent des français de plus,
Mes amis, mes amis,
Soyons de notre pays,
Oui, soyons de notre pays.

Charles-Quint portait envie
À ce roi plein de valeur
Qui s'écriait à Pavie :
Tout est perdu, fors l'honneur !
Consolons par ce mot-là

Ceux que le nombre accabla.
Mes amis, mes amis,
Soyons de notre pays,
Oui, soyons de notre pays.
Louis, dit-on, fut sensible

Aux malheurs de ces guerriers
Dont l'hiver le plus terrible
A seul flétri les lauriers.
Près des lis qu'ils soutiendront,
Ces lauriers reverdiront.

Mes amis, mes amis,
Soyons de notre pays,
Oui, soyons de notre pays.
Enchaîné par la souffrance,
Un roi fatal aux anglais

A jadis sauvé la France
Sans sortir de son palais.
On sait, quand il le faudra,
Sur qui Louis s'appuîra.
Mes amis, mes amis,

Soyons de notre pays,
Oui, soyons de notre pays.
Redoutons l'anglomanie,
Elle a déjà gâté tout.
N'allons point en Germanie

Chercher les règles du goût.
N'empruntons à nos voisins
Que leurs femmes et leurs vins.
Mes amis, mes amis,
Soyons de notre pays,

Oui, soyons de notre pays.
Notre gloire est sans seconde :
Français, où sont nos rivaux ?
Nos plaisirs charment le monde,
Éclairé par nos travaux.

Qu'il nous vienne un gai refrain,
Et voilà le monde en train !
Mes amis, mes amis,
Soyons de notre pays,
Oui, soyons de notre pays.

En servant notre patrie,
Où se fixent pour toujours
Les plaisirs et l'industrie,
Les beaux-arts et les amours,
Aimons, Louis le permet,

Tout ce qu'Henri-Quatre aimait.
Mes amis, mes amis,
Soyons de notre pays,
Oui, soyons de notre pays.



 





Les Deux Grenadiers

(1814)




Premier Grenadier.

À notre poste on nous oublie.
Richard, minuit sonne au château.


Deuxième Grenadier.

Nous allons revoir l'Italie.
Demain adieu, Fontainebleau.


Premier Grenadier.

Par le ciel ! Que j'en remercie,
L'île d'Elbe est un beau climat.


Deuxième Grenadier.

Fût-elle au fond de la Russie,
Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat.


Ensemble.

Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat,
Suivons un vieux soldat.


Deuxième Grenadier.

Qu'elles sont promptes les défaites !
Où sont Moscou, Wilna, Berlin ?
Je crois voir sur nos baïonnettes
Luire encor les feux du kremlin ;
Et, livré par quelques perfides,
Paris coûte à peine un combat !
Nos gibernes n'étaient pas vides.
Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat.


Premier Grenadier.

Chacun nous répète : il abdique.
Quel est ce mot? Apprends-le-moi.
Rétablit-on la république ?


Deuxième Grenadier.

Non, puisqu'on nous ramène un roi.
L'empereur aurait cent couronnes,
Je concevrais qu'il les cédât ;
Sa main en faisait des aumônes.
Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat.


Premier Grenadier.

Une lumière, à ces fenêtres,
Brille à peine dans le château.


Deuxième Grenadier.

Les valets à nobles ancêtres
Ont fui, le nez dans leur manteau.
Tous, dégalonnant leurs costumes,
Vont au nouveau chef de l'état
De l'aigle mort vendre les plumes.
Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat.


Premier Grenadier.

Des maréchaux, nos camarades,
Désertent aussi gorgés d'or.


Deuxième Grenadier.

Notre sang paya tous leurs grades;
Heureux qu'il nous en reste encor!
Quoi! La gloire fut en personne
Leur marraine un jour de combat,
Et le parrain on l'abandonne !
Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat.

Premier Grenadier.

Après vingt-cinq ans de services
J'allais demander du repos.


Deuxième Grenadier.

Moi, tout couvert de cicatrices,
Je voulais quitter les drapeaux ;
Mais, quand la liqueur est tarie,
Briser le vase est d'un ingrat.
Adieu, femme, enfants et patrie !
Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat.


Ensemble.

Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat,
Suivons un vieux soldat.







L'opinion de ces demoiselles

 (mai 1814)



Quoi ! C'est donc bien vrai qu'on parie
Qu'l'enn'mi va tout r'mettre chez nous
Sens sus d'ssous.
L'palais-royal, qu'est not'patrie,

S'en réjouirait;
Chacun son intérêt.
Aussi point d'fille qui ne crie :
Viv'nos amis,
Nos amis les enn'mis !

D'nos français j'connaissons l's astuces ;
Ils n'sont pas aussi bons chrétiens
Qu'les prussiens.
Comm'l'argent pleuvait quand les russes
F'saient hausser d'prix

Tout'les filles d'Paris !
J'n'avions pas l'temps d'chercher nos puces.
Viv'nos amis,
Nos amis les enn'mis !
Mais, puisqu'ils r'vienn't, faut les attendre.

Je r'verrons Bulof, Titchacof,
Et Platof;
L'bon Saken, dont l'cœur est si tendre,
Et puis ce cher...
Ce cher Monsieur Blücher :

Ils nous donn'ront tout c'qu'ils vont prendre.
Viv'nos amis,
Nos amis les enn'mis !
Drès qu'les plum's de coq vont r'paraître,
J'secoûrons, d'façon à l'fair'voir,

Not'mouchoir.
Quant aux amants, j'dois en r'connaître,
Ça tomb'sous l'sens,
Au moins deux ou trois cents.
Pour leurs entré'louons un'fenêtre.

Viv'nos amis,
Nos amis les enn'mis !
J'conviens que d'certain's honnêt's femmes
Tout autant qu'nous en ont pincé
L'an passé,

Et qu'nos cosaqu's, pleins d'leurs bell's flammes,
Prenaient l'chemin
Du faubourg saint-Germain.
Malgré l'tort qu'nous ont fait ces dames,
Viv'nos amis,

Nos amis les enn'mis!
Les affair's s'ront bientôt bâclées,
Si j'en crois un vieux libertin
D'sacristain.
Quand y aurait queuqu's maisons d'brûlées,

Queuqu's gens d'occis,
C'est l'cadet d'nos soucis.
Mais j'rirai bien si j'sommes violées.
Viv'nos amis,
Nos amis les enn'mis!







Requête par chien de qualité

 (juin 1814)



 

Puisque le tyran est à bas,
Laissez-nous prendre nos ébats.

Aux maîtres des cérémonies
Plaise ordonner que, dès demain,
Entrent sans laisse aux tuileries
Les chiens du faubourg saint-Germain.

Puisque le tyran est à bas,
Laissez-nous prendre nos ébats.

Des chiens dont le pavé se couvre
Distinguez-nous à nos colliers.
On sent que les honneurs du Louvre
Iraient mal à ces roturiers.

Puisque le tyran est à bas,
Laissez-nous prendre nos ébats.

Quoique toujours sous son empire
L'usurpateur nous ait chassés,
Nous avons laissé sans mot dire
Aboyer tous les gens pressés.

Puisque le tyran est à bas,
Laissez-nous prendre nos ébats.

Quand sur son règne on prend des notes,
Grâce pour quelques chiens félons !
Tel qui long-temps lécha ses bottes
Lui mord aujourd'hui les talons.

Puisque le tyran est à bas,
Laissez-nous prendre nos ébats.

En attrapant mieux que des puces,
On a vu carlins et bassets
Caresser allemands et russes
Couverts encor du sang français.

Puisque le tyran est à bas,
Laissez-nous prendre nos ébats.

Qu'importe que, sûr d'un gros lucre,
L'anglais dise avoir triomphé ?
On nous rend le morceau de sucre;
Les chats reprennent leur café.

Puisque le tyran est à bas,
Laissez-nous prendre nos ébats.

Quand nos dames reprennent vite
Les barbes et le caraco,
Quand on refait de l'eau bénite,
Remettez-nous in statu quo.

Puisque le tyran est à bas,
Laissez-nous prendre nos ébats.

Nous promettons, pour cette grâce,
Tous, hors quelques barbets honteux,
De sauter pour les gens en place,
De courir sur les malheureux.

Puisque le tyran est à bas,
Laissez-nous prendre nos ébats.