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Béranger,
chansonnier et opposant politique.



La critique de l'Empire.


par Marc Nadaux

 






Sous l'Empire, Pierre-Jean de Béranger entre au service de Louis de Fontanes, grand-maître de l'Université depuis 1808. Ce dernier attache le jeune homme à son secrétariat avec le titre de commis-expéditionnaire. A la fin de l'année 1813, Béranger est également invité à participer aux réunions du Caveau, un cercle littéraire.

A cette époque, le chansonnier commence avec ses quelques succès à avoir une réputation. Celle-ci lui vient notamment d'un texte par laquelle il critique le pouvoir, son système de gouvernement comme les conquêtes de Napoléon Bonaparte. On dit d'ailleurs que l'Empereur lui-même aurait fredonner Le Roi d'Yvetot, composé par un de ses fonctionnaires... 







Ainsi soit-il.
Le Roi d'Yvetot.
Le Sénateur.


 





Ainsi soit-il

(1812)



Je suis devin, mes chers amis ;
L'avenir qui nous est promis
Se découvre à mon art subtil.
Ainsi soit-il !

Plus de poète adulateur ;
Le puissant craindra le flatteur ;
Nul courtisan ne sera vil.
Ainsi soit-il !

Plus d'usuriers, plus de joueurs,
De petits banquiers grands seigneurs,
Et pas un commis incivil.
Ainsi soit-il !

L'amitié, charme de nos jours,
Ne sera plus un froid discours
Dont l'infortune rompt le fil.
Ainsi soit-il !

La fille, novice à quinze ans,
À dix-huit avec ses amants
N'exercera que son babil.
Ainsi soit-il !

Femme fuira les vains atours,
Et son mari pendant huit jours
Pourra s'absenter sans péril.
Ainsi soit-il !

L'on montrera dans chaque écrit
Plus de génie et moins d'esprit,
Laissant tout jargon puéril.
Ainsi soit-il !

L'auteur aura plus de fierté,
L'acteur moins de fatuité;
Le critique sera civil.
Ainsi soit-il !

On rira des erreurs des grands,
On chansonnera leurs agents,
Sans voir arriver l'alguazil.
Ainsi soit-il !

En France enfin renaît le goût;
La justice règne par-tout,
Et la vérité sort d'exil.
Ainsi soit-il !

Or, mes amis, bénissons Dieu,
Qui met chaque chose en son lieu :
Celles-ci sont pour l'an trois mil.
Ainsi soit-il !







Le Roi d'Yvetot

(1813)



Il était un roi d'Yvetot
Peu connu dans l'histoire,
Se levant tard, se couchant tôt,
Dormant fort bien sans gloire ;

Et couronné par Jeanneton
D'un simple bonnet de coton,
Dit-on.
Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Quel bon petit roi c'était là !

La, la.


Il faisait ses quatre repas
Dans son palais de chaume,
Et sur un âne, pas à pas,
Parcourait son royaume.

Joyeux, simple et croyant le bien,
Pour toute garde il n'avait rien
Qu'un chien.
Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Quel bon petit roi c'était là !

La, la.


Il n'avait de goût onéreux
Qu'une soif un peu vive ;
Mais, en rendant son peuple heureux,
Il faut bien qu'un roi vive.

Lui-même, à table et sans suppôt,
Sur chaque muid levait un pot
D'impôt.
Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Quel bon petit roi c'était là !

La, la.


Aux filles de bonnes maisons
Comme il avait su plaire,
Ses sujets avaient cent raisons
De le nommer leur père :

D'ailleurs il ne levait de ban
Que pour tirer, quatre fois l'an,
Au blanc.
Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Quel bon petit roi c'était là !

La, la.


Il n'agrandit point ses états,
Fut un voisin commode,
Et, modèle des potentats,
Prit le plaisir pour code.

Ce n'est que lorsqu'il expira
Que le peuple qui l'enterra
Pleura.
Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Quel bon petit roi c'était là !

La, la.


On conserve encor le portrait
De ce digne et bon prince ;
C'est l'enseigne d'un cabaret
Fameux dans la province.

Les jours de fête, bien souvent,
La foule s'écrie en buvant
Devant:
Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Quel bon petit roi c'était là !

La, la.







Le Sénateur

(1813)



 

Mon épouse fait ma gloire :
Rose a de si jolis yeux !
Je lui dois, l'on peut m'en croire,
Un ami bien précieux.

Le jour où j'obtins sa foi
Un sénateur vint chez moi.
Quel honneur !
Quel bonheur !
Ah! Monsieur le sénateur,

Je suis votre humble serviteur.
De ses faits je tiens registre :
C'est un homme sans égal.
L'autre hiver, chez un ministre,
Il mena ma femme au bal.

S'il me trouve en son chemin,
Il me frappe dans la main.
Quel honneur !
Quel bonheur !
Ah! Monsieur le sénateur,

Je suis votre humble serviteur.
Près de Rose il n'est point fade,
Et n'a rien de freluquet.
Lorsque ma femme est malade,
Il fait mon cent de piquet.

Il m'embrasse au jour de l'an;
Il me fête à la Saint-Jean.
Quel honneur !
Quel bonheur !
Ah! Monsieur le sénateur,

Je suis votre humble serviteur.
Chez moi qu'un temps effroyable
Me retienne après dîner,
Il me dit d'un air aimable :
« Allez donc vous promener ;

Mon cher, ne vous gênez pas,
Mon équipage est là bas ».
Quel honneur !
Quel bonheur !
Ah ! Monsieur le sénateur,

Je suis votre humble serviteur.
Certain soir à sa campagne
Il nous mena par hasard ;
Il m'enivra de champagne,
Et Rose fit lit à part :

Mais de la maison, ma foi,
Le plus beau lit fut pour moi.
Quel honneur !
Quel bonheur !
Ah! Monsieur le sénateur,

Je suis votre humble serviteur.
À l'enfant que Dieu m'envoie
Pour parrain je l'ai donné.
C'est presque en pleurant de joie
Qu'il baise le nouveau-né ;

Et mon fils, dès ce moment,
Est mis sur son testament.
Quel honneur !
Quel bonheur !
Ah! Monsieur le sénateur,

Je suis votre humble serviteur.
À table il aime qu'on rie ;
Mais parfois j'y suis trop vert.
J'ai poussé la raillerie
Jusqu'à lui dire au dessert :

On croit, j'en suis convaincu,
Que vous me faites c...
Quel honneur !
Quel bonheur !
Ah! Monsieur le sénateur,
Je suis votre humble serviteur.