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La
législation.
Loi
du 19 mai 1874
" sur le travail des enfants et filles mineures
dans l'industrie ".
par Marc Nadaux
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Une
première loi limitant le travail des enfants, votée en 1841, demeure
sans effet. Ceci rend donc nécessaire l'élaboration d'un second texte de
loi. L'idée, à plusieurs reprises d'actualité sous le Second Empire, se
concrétise le 19 mai 1874, après plusieurs mois de débat à la
Chambre des députés. Défait par les armées prussiennes, la France de
la Troisième République connaît alors une grave crise morale. L'une des
raisons avancées pour expliquer les causes de ce désastre est la
faiblesse de la constitution des conscrits français face à celles de
leurs ennemis. La limitation du travail des enfants doit leur permettre
une croissance plus saine. D'autre part, si celui-ci est rendu nécessaire
à de nombreux foyers ouvriers, car il apporte un complément de
ressources aux familles en même temps qu'une formation professionnelle,
les préoccupations humanistes l'emportent.
La loi
proscrit en effet l'emploi d'enfants de moins de douze ans dans les établissements
industriels, permettant néanmoins certains aménagements. Elle fixe à 12
heures maximum la durée de la journée de travail pour les enfants et
pour les femmes. Le travail de nuit, celui des jours fériés et des
dimanches, est interdit avant l'âge de seize ans, de vingt et un
ans pour les filles dans les usines et manufactures. Ce texte législatif
prévoit également d'associer la formation scolaire avec l'apprentissage.
Pour la première fois, des dispositions répressives accompagnent la loi
de 1874 avec la création d'un corps d'inspecteurs qui, rémunérés par
le département ou l'État, doivent en surveiller l'application. Celle-ci
s'avérera, là encore, bien incomplète, notamment en raison de la
faiblesse du nombre des inspecteurs qui officient, de leur dépendance vis
à vis des Conseils généraux et donc des notabilités locales. |
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SECTION 1ère
- Age d'admission. Durée du travail. |
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SECTION II
- Travail de nuit, des dimanches et jours fériés. |
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SECTION III
- Travaux souterrains. |
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SECTION IV
- Instruction primaire. |
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SECTION V
- Surveillance des enfants - Police des ateliers. |
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SECTION VI
- Inspection. |
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SECTION VII
- Commissions locales. |
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SECTION VIII
- Commission supérieure. |
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SECTION IX-
Pénalités. |
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SECTION X-
Dispositions spéciales. |
Loi
du 19 mai 1874
" sur le travail des enfants et filles mineures
dans l'industrie ".
SECTION 1ère
- Age d'admission. Durée du travail.
Art. 1 -
Les enfants et filles mineures ne peuvent être employés à un travail
industriel, dans les manufactures, fabriques, usines, mines, chantiers et
ateliers, que sous les conditions déterminées dans la présente loi.
Art. 2 - Les enfants ne pourront être employés par des patrons
ni être admis dans les manufactures, usines, ateliers ou chantiers avant
l'âge de douze ans révolus. Ils pourront être toutefois employés à l'âge
de dix ans révolus dans les industries spécialement déterminées par un
règlement d'administration publique rendu sur l'avis conforme de la
commission supérieure ci-dessous instituée.
Art. 3 - Les enfants, jusqu'à l'âge de douze ans révolus, ne
pourront être assujettis à une durée de travail de plus de six heures
par jour, divisées par des repos. À partir de douze ans, ils ne pourront
être employés plus de douze heures par jour, divisées par des repos.
SECTION II
- Travail de nuit, des dimanches et jours fériés.
Art. 4 -
Les enfants ne pourront être employés à aucun travail de nuit jusqu'à
l'âge de seize ans révolus. La même interdiction est appliquée à
l'emploi des filles mineures de seize à vingt et un ans mais seulement
dans les usines et manufactures. Tout travail entre neuf heures du soir et
cinq heures du matin est considéré comme travail de nuit. Toutefois, en
cas de chômage résultant d'une interruption accidentelle et de force
majeure, l'interdiction ci-dessus pourra être temporairement levée, et
pour un délai déterminé, par la commission locale ou l'inspecteur
ci-dessous institués, sans que l'on puisse employer au travail de nuit
des enfants de moins de douze ans.
Art. 5 - Les enfants âgés de moins de seize ans et les filles
âgées de moins de vingt et un ans ne pourront être employés à aucun
travail, par leurs patrons, les dimanches et fêtes reconnues par la loi,
même pour rangement de l'atelier.
Art. 6 - Néanmoins dans les usines à feu continu, les enfants
pourront être employés la nuit ou les dimanches et jours fériés aux
travaux indispensables. Les travaux tolérés et le laps de temps pendant
lequel ils devront être exécutés seront déterminés par des règlements
d'administration publique. Ces travaux ne seront, dans aucun cas, autorisés
que pour des enfants âgés de douze ans au moins. On devra, en outre,
leur assurer le temps et la liberté nécessaires pour l'accomplissement
des devoirs religieux.
SECTION III
- Travaux souterrains.
Art. 7 -
Aucun enfant ne peut être admis dans les travaux souterrains des mines,
minières et carrières avant l'âge de douze ans révolus. Les filles et
femmes ne peuvent être admises dans ces travaux. Les conditions spéciales
du travail des enfants de douze à seize ans dans les galeries
souterraines, seront déterminées par des règlements d'administration
publique.
SECTION IV
- Instruction primaire.
Art. 8 -
Nul enfant, ayant moins de douze ans révolus, ne peut être employé par
un patron qu'autant que ses parents ou tuteurs justifient qu'il fréquente
actuellement une école publique ou privée. Tout enfant admis avant douze
ans dans un atelier devra, jusqu'à cet âge, suivre les classes d'une école
pendant le temps libre du travail. Il devra recevoir l'instruction pendant
deux heures au moins, si une école spéciale est attachée à l'établissement
industriel. La fréquentation de l'école sera constatée au moyen d'une
feuille de présence dressée par l'instituteur et remise chaque semaine
au patron.
Art. 9 - Aucun enfant ne pourra, avant l'âge de quinze ans
accomplis, être admis à travailler plus de six heures chaque jour, s'il
ne justifie, par la production d'un certificat de l'instituteur et de
l'inspecteur primaire, visé par le maire, qu'il a acquis l'instruction
primaire élémentaire. Ce certificat sera délivré sur papier libre et
gratuitement.
SECTION V
- Surveillance des enfants - Police des ateliers.
Art. 10 -
Les maires sont tenus de délivrer aux père, mère ou tuteur un livret
sur lequel sont portés les nom et prénoms de l'enfant, la date et le
lieu de sa naissance, son domicile, le temps pendant lequel il a suivi l'école.
Les chefs d'industrie ou patrons inscriront sur le livret la date de
l'entrée dans l'atelier ou établissement, et celle de la sortie. Il
devront également tenir un registre sur lequel seront mentionnées toutes
les indications insérées au présent article.
Art. 11 - Les patrons ou chefs d'industrie seront tenus de faire
afficher dans chaque atelier les dispositions de la présente loi et les règlements
d'administration publique relatifs à son exécution.
Art. 12 - Des règlements d'administration publique détermineront
les différents genres de travaux présentant des causes de danger ou excédant
leurs forces, qui seront interdits aux enfants dans les ateliers où ils
seront admis.
Art. 13 - Les enfants ne pourront être employés dans les
fabriques et ateliers indiqués au tableau officiel des établissements
insalubres ou dangereux, que sous les conditions spéciales déterminées
par un règlement d'administration publique. Cette interdiction sera également
appliquée à toutes les opérations où l'ouvrier est exposé à des
manipulations ou à des émanations préjudiciables à la santé.
En attentant la publication de ce règlement, il est interdit
d'employer les enfants âgés de moins de seize ans :
. 1. Dans les ateliers où l'on manipule des matières explosibles et
dans ceux où l'on fabrique des mélanges détonants, tels que poudre,
fulminantes, etc., ou tous autres éclatant par le choc ou par le contact
d'un corps enflammé.
. 2. Dans les ateliers destinés à la préparation, à la
distillation ou à la manipulation de substances corrosives, vénéneuses
et de celles qui dégagent des gaz délétères ou explosibles. La même
interdiction s'applique aux travaux dangereux, ou malsains, tels que :
l'aiguisage ou le polissage à sec des objets en métal et des verres ou
cristaux ; le battage ou le grattage à sec des plombs carbonatés,
dans les fabriques de céruse ; le grattage à sec d'émaux à base
d'oxyde de plomb dans les fabriques de verres dits de mousseline ; l'étamage
au mercure des glaces ; la dorure au mercure.
.Art. 14 - Les ateliers doivent être tenus dans un état
constant de propreté et convenablement ventilés. Ils doivent présenter
toutes les conditions de sécurité et de salubrité nécessaires à la
santé des enfants. Dans les usines à moteurs mécaniques, les roues, les
courroies, les engrenages ou tout autre appareil, dans le cas où il aura
été constaté qu'ils présentent une cause de danger, seront séparés
des ouvriers de telle manière que l'approche n'en soit possible que pour
les besoins du service. Les puits, trappes et ouvertures de descente
doivent être clôturés.
Art. 15 - Les patrons ou chefs d'établissement doivent, en
outre, veiller au maintien des bonnes mœurs et à l'observation de la décence
publique dans leurs ateliers.
SECTION VI
- Inspection.
Art. 16 -
Pour assurer l'exécution de la présente loi, il sera nommé quinze
inspecteurs divisionnaires. La nomination des inspecteurs sera faite par
le gouvernement, sur une liste de présentation dressée par la commission
supérieure ci-dessous instituée, et portant trois candidats pour chaque
emploi disponible. Ces inspecteurs seront rétribués par l'État. Chaque
inspecteur divisionnaire résidera et exercera sa surveillance dans l'une
des quinze circonscriptions territoriales déterminées par un règlement
d'administration publique.
Art. 17 - Seront admissibles aux fonctions d'inspecteur les
candidats qui justifieront du titre d'ingénieur de l'État ou d'un diplôme
d'ingénieur civil, ainsi que les élèves diplômés de l'école centrale
des arts et manufactures et des écoles des mines. Seront également
admissibles ceux qui auront déjà rempli, pendant trois ans au moins, les
fonctions d'inspecteur du travail des enfants ou qui justifieront avoir
dirigé ou surveillé pendant cinq années des établissements industriels
occupant cent ouvriers au moins.
Art. 18 - Les inspecteurs ont entrée dans tous les établissements
manufacturiers, ateliers et chantiers. Ils visitent les enfants ; ils
peuvent se faire représenter le registre prescrit par l'art. 10, les
livrets, les feuilles de présence aux écoles, les règlements intérieurs.
Les contraventions seront constatées par les procès-verbaux des
inspecteurs, qui feront foi jusqu'à preuve contraire. Lorsqu'il s'agira
de travaux souterrains, les contraventions seront constatées
concurremment par les inspecteurs ou par les gardes-mines. Les procès-verbaux
seront dressés en double exemplaire, dont l'un sera envoyé au préfet du
département et l'autre déposé au parquet. Toutefois, lorsque les
inspecteurs auront reconnu qu'il existe, dans un établissement ou
atelier, une cause de danger ou d'insalubrité, ils prendront l'avis de la
commission locale ci-dessous instituée, sur l'état de danger ou
d'insalubrité, et ils contresigneront cet avis dans un procès-verbal.
Les dispositions ci-dessus ne dérogent point aux règles du droit commun
quant à la constatation et à la poursuite des infractions commises à la
présente loi.
Art. 19 - Les inspecteurs devront chaque année adresser des
rapports à la commission supérieure ci-dessous instituée.
SECTION VII
- Commissions locales.
Art. 20 -
Il sera institué dans chaque département des commissions locales, dont
les fonctions seront gratuites, chargées :
. 1. de veiller l'exécution de la présente loi ;
. 2. de contrôler le service de l'inspection ;
. 3. d'adresser au préfet du département, sur l'état du service et
l'exécution de la loi, des rapports qui seront transmis au ministre et
communiqués à la commission supérieure. À cet effet, les commissions
locales visiteront les établissements industriels, ateliers et chantiers ;
elles pourront se faire accompagner d'un médecin quand elles le jugeront
convenable.
Art. 21 - Le Conseil général déterminera, dans chaque département
le nombre et la circonscription des commissions locales ; il devra en
établir une au moins dans chaque arrondissement ; il en établira en
outre, dans les principaux centres industriels et manufacturiers, là où
il le jugera nécessaire. Le Conseil général pourra nommer un inspecteur
spécial rétribué par le département ; cet inspecteur devra
toutefois agir sous la direction de l'inspecteur divisionnaire.
Art. 22 - Les commissions locales seront composées de cinq
membres au moins et de sept au plus, nommés par le préfet sur une liste
de présentation arrêtée par le Conseil général. On devra faire
entrer, autant que possible, dans chaque commission un ingénieur de l'État
ou un ingénieur civil, un inspecteur de l'instruction primaire et un ingénieur
des mines dans les régions minières. Les commissions sont renouvelées
tous les cinq ans ; les membres sortants pourront être de nouveau
appelés à en faire partie.
SECTION VIII
- Commission supérieure.
Art. 23 -
Une commission supérieure, composée de neuf membres dont les fonctions
seront gratuites, est établie auprès du Ministère du commerce ;
cette commission est nommée par le Président de la République ;
elle est chargée :
. 1. de veiller à l'application uniforme et vigilante de la présente
loi ;
. 2. de donner son avis sur les règlements à faire et généralement
sur les diverses questions intéressant les travailleurs protégés ;
. 3. enfin, d'arrêter les listes de présentation des candidats pour
la nomination des inspecteurs divisionnaires.
Art. 24 - Chaque année, le président de la commission supérieure
adressera au Président de la République un rapport général sur les résultats
de l'inspection et sur les faits relatifs à l'exécution de la présente
loi. Ce rapport devra être, dans le mois de son dépôt, publié au Journal
officiel. Le gouvernement rendra compte chaque année à l'Assemblée
nationale de l'exécution de la loi et de la publication des règlements
d'administration publique destinés à la compléter.
SECTION IX-
Pénalités.
Art. 25 -
Les manufacturiers, directeurs ou gérants d'établissements industriels
qui auront contrevenu aux prescriptions de la présente loi et des règlements
d'administration publique relatifs à son exécution seront poursuivis
devant le tribunal correctionnel et punis d'une amende de 16 à 50 francs.
L'amende sera appliquée autant de fois qu'il y aura eu de personnes
employées dans les conditions contraires à la loi, sans que son chiffre
total puisse excéder 500 francs. Toutefois, la peine ne sera pas
applicable si les manufacturiers, directeurs ou gérants d'établissements
industriels et les patrons établissent que l'infraction à la loi a été
le résultat d'une erreur provenant de la production d'actes de naissance,
livrets ou certificats contenant de fausses énonciations ou délivrés
par une autre personne. Les dispositions des articles 12 et 13 de la
loi du 22 juin 1854, sur les livrets d'ouvriers, seront, dans ce cas,
applicables aux auteurs des falsifications. Les chefs d'industrie sont
civilement responsables des condamnations prononcées contre leurs
directeurs ou gérants.
Art. 26 - S'il y a récidive, les manufacturiers, directeurs ou
gérants d'établissements industriels et les patrons seront condamnés à
une amende de 50 à 200 francs. La totalité des amendes réunies ne
pourra toutefois excéder 1 000 francs. Il y a récidive quand
le contrevenant a été frappé, dans les douze mois qui ont précédé le
fait qui est l'objet de la poursuite, d'un premier jugement pour
infraction à la présente loi ou règlements d'administration publique
relatifs à son exécution.
Art. 27 - L'affichage du jugement pourra, suivant les
circonstances et en cas de récidive seulement, être ordonné par le
tribunal de police correctionnelle. Le tribunal pourra également
ordonner, dans le même cas, l'insertion de sa sentence, aux frais du
contrevenant, dans un ou plusieurs journaux du département.
Art. 28 - Seront punis d'une amende de 10 à 100 francs les
propriétaires d'établissements industriels et les patrons qui auront mis
obstacle à l'accomplissement des devoirs d'un inspecteur, des membres des
commissions, ou des médecins, ingénieurs et experts délégués pour une
visite ou une constatation.
Art. 29 - L'art. 463 du Code pénal est applicable
aux condamnations prononcées en vertu de la présente loi. Le montant des
amendes résultant de ces condamnations sera versé au fonds de subvention
affecté à l'enseignement primaire dans le budget de l'instruction
publique.
SECTION X-
Dispositions spéciales.
Art. 30 -
Les art. 2, 3, 4 et 5 de la présente loi sont applicables aux
enfants placés en apprentissage et employés à un travail industriel.
Les dispositions des art. 18 et 25 ci-dessus seront appliquées aux
dits cas, en ce qu'elles modifient la juridiction et la quotité de
l'amende indiquée au premier paragraphe de l'art. 20 de la loi du 22 février
1851 ; ladite loi continuera à recevoir son exécution dans ses
autres prescriptions.
Art. 31 - Par mesure transitoire, les dispositions édictées
par la présente loi ne seront applicables qu'un an après sa
promulgation. Toutefois, à ladite époque, les enfants déjà admis légalement
dans les ateliers continueront à y être employés aux conditions spécifiées
dans l'art. 3.
Art. 32 - À l'expiration du délai sus indiqué toutes
dispositions contraires à la présente loi seront et demeureront abrogées.
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