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La
législation.
Rapport
de l'Inspecteur du travail des enfants
dans les manufactures de
l'arrondissement de Reims
au Préfet de la Marne,
31 décembre 1847.
par Marc Nadaux
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On pourrait taxer le discours de cet inspecteur du travail de
libéralisme outrancier et même voir en la prudence avec laquelle il
entend la législation concernant le travail dans les manufactures comme
révélatrice d'un manque d'humanité. Un bourgeois qui voit en
observateur étranger à ce monde l'agitation de la classe laborieuse. Et pourtant,
celui-ci est davantage révélateur de la lucidité du fonctionnaire,
comme de la hauteur des débats qui agitent à l'époque le monde
politique.
Car cette législation doit tenir compte de l'état d'une société, comme
des caractères du capitalisme et d'un système qui se doit d'être concurrentiel
et donc rentable. Le travail des femmes et même celui des enfants est
nécessaire, par le revenu qu'il apporte au foyer, à la survie des
familles ouvrières. Aussi le temps de travail s'allonge démesurément,
au cours de la journée et de la semaine. Légiférer, autrement dit
l'interdire, serait donc perçu comme une " vexation ".
Ce fonctionnaire est également conscient des limites de son action. L'État
est ainsi incapable d'assurer sous la Monarchie de Juillet la bonne
application de la loi sur le travail dans les manufactures. D'autant plus
qu'il existe, comme nous le rappelle ce texte, de nombreux moyens de la
contourner. Sans oublier qu'à cette époque la main d'œuvre est
mouvante, qu'elle s'emploie souvent pour quelques jours pour un
entrepreneur qui pense avant tout au bon fonctionnement de son affaire, et
ne se préoccupe que peu des taches administratives qui lui incombent de
plus en plus... |
Reims, le 31 décembre 1847
Monsieur le Sous-Préfet,
J'ai l'honneur de vous rendre compte du résultat de la
dernière visite que j'ai faite dans l'arrondissement de Reims en qualité
d'Inspecteur du travail des Enfans dans les Manufactures : je joindrai
quelques observations sur le nouveau projet de loi présenté aux Chambres
à ce sujet.
L'Arrondissement de Reims contient 39 Établissemens soumis au régime de
la loi du 22 Mars 1841. Ces 39 Établissemens emploient 324 enfan
au-dessous de 16 ans, dont 982 garçons et 242 filles.
Les Contraventions que l'on pourrait constater à Reims sont de trois
genres :
1. négliger les formalités des registres,
livrets, etc. ;
2. le travail du Dimanche ;
3. faire travailler plus de8 heures par jours les
enfans âgés de moins de 12 ans.
J'ai constaté une contravention du premier genre. Pour les autres
établissemens, il y a si peu à dire que ce n'est pas la peine. Et on
comprend facilement qu'un chef de maison, préoccupé de nombreuses
affaires puisse négliger d'inscrire un enfant arrivé dans les huit
jours. J'ai aussi constaté une contravention pour le travail du Dimanche.
Mais à Reims, on travaille peu ce jour là, et la fabrique est
généralement peu pressée.
J'ai fait à ce sujet un certain nombre de tournées, qui ont eu pour
résultat de faire réfléchir ceux qui seraient tentés d'enfreindre
cette partie de la loi. C'est tout ce que je désirais. Sauf le troisième
genre d'infraction sur lequel je vais insister un peu, on peut dire que la
loi est généralement exécutée à Reims.
Sur 624 enfans employés, 50 environ, ou 1/12 de la totalité n'ont pas 12
ans. Sur ces 50 enfans, 12 tout au plus n'ont pas 10 ans. Il sont là le
plus souvent par charité. Ou bien, ils travaillent avec leurs parens. Sur
50 enfans travaillant en 39 établissemens, comment établir plusieurs
escouades travaillant alternativement ? C'est bien difficile et c'est un
inconvénient. Et si en d'autres pays, d'autres genres de fabrication
emploient un plus grand nombre de jeunes enfans, les Inspecteurs auront-il
dans la tête tous les livrets, tous les noms, tous les signalemens pour
pouvoir reconnaître les enfans ? Qui empêchera qu'ayant ici travaillé 8
heures, ils n'aillent ailleurs en travailler 4 autres ? Les livrets dira
t-on ? Il est facile d'en avoir deux. Les certificats d'école ? Il est
bien difficile de les exiger. Vraiment quand on songe au petit nombre d'enfans
employés au-dessous de12 ans, on ne peut s'empêcher de reconnaître la
sagesse du nouveau projet de loi qui élève le minimum de l'age à
douze ans. Du reste, l'intérêt des industriels les oblige de reconnaître
qu'à cet age, l'enfant n'a pas encore acquis assez de force pour remplir
avantageusement la besogne à laquelle on le destine. Élever le minimum
de l'age à 10 ans et même à 12, ce serait débarrasser les Industriels
d'entraves gênantes et simplifier singulièrement la tache des
Inspecteurs. Car alors, cesserait l'obligation d'envoyer les enfans à l'École.
Et si le minimum était 12 ans, peut-être serait-il bon de n'admettre que
les enfans sachant lire et écrire. Peut-être encore pourrait-on modifier
l'age d'admission selon le plus ou moins de salubrité des diverses
professions.
On propose d'interdire le travail du Dimanche aux filles et aux
femmes, quel que soit leur age. Alors ce serait aussi une loi pour les
adultes. Ne serait-ce pas toucher de bien près à la liberté
individuelle ? Ce serait supposer tout au moins, qu'une femme gagne en six
jours de quoi en vivre sept... et l'on sait ce que sont devenus les gains
des femmes... L'enfant mineur peut espérer sa part sur les gains de ses
parens, en est-il de même des adultes ? La loi actuelle va être
modifiée. Il est probable que plus tard, on modifiera encore ce que l'on
va décréter. Évitons l'inconnu. Qu'arrivera t-il si l'on interdit aux
femmes le travail du Dimanche ? sa mécontentera l'ouvrier ; on l'exposera
à ne pas apprécier la sollicitude du Gouvernement ; et il ne verra que
des mesures vexatoires dans des dispositions prises uniquement en faveur
de l'humanité. L'ouvrier qui n'a que son temps et ses bras pour tout
capital, détestera cette mesure. Celui qui voudra faire honneur à ses affaires
ne verra là qu'une diminution dans ses ressources.
Faire une loi quine porte le trouble ni dans le commerce ni dans la
famille ouvrière, qui soit facile à exécuter et exécutée à cet
effet, voilà le but à atteindre ! et l'on n'y parviendra pas en
multipliant les dispositions prohibitives.
L'Inspecteur,
A. Corbeau
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