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                                                                                 Étude des inventaires après-décés

 

La société dans les campagnes
à travers l'exemple
du bourg de Messei (Orne).




Étude des inventaires après-décés



par Jean-Marc Goglin







Les sources publiées ici sont des inventaires après décès. Un inventaire est une opération qui consiste à énumérer et à décrire les éléments composant l’actif et le passif d’une communauté, d’une succession. L’inventaire après décès fait l’état des fortunes à la mort d’une personne. Ces documents sont établis par un notaire, ici Maîtres Jouguet, père et fils, notaires à Messei, et signés par des témoins. Entre archives publiques et archives privées, les archives notariales constituent une source inépuisable de documents. Elles ont un caractère public du fait que le notaire est un officier ministériel, investi par l’État, et que leur conservation est d’intérêt public pour les preuves. Les archives deviennent communicables après un certain délai mais toujours avec autorisation du notaire dont la propriété exclusive est reconnue depuis 1304. Ces archives sont tirées des registres-protocoles qui ont l’avantage de fournir une documentation suivie. Elles témoignent la situation des fortunes à Messeï durant la période 1884-1900. Messei (61440), situé à proximité de Flers, est un chef lieu de canton de l’Orne, autrefois connu par son château du moyen âge et son activité sidérurgique. Aucune étude historique ne porte encore sur ce petit bourg rural qui tenait pourtant une place importante dans l’économie locale des XVIIIème et XIXème siècles.


Ces documents sont tous rédigés de la même manière. Il est fait mention :
. de la date, de l’heure, du lieu (ville et domicile) où se déroule l’inventaire,
. de la personne qui a demandé que l’inventaire soit effectué et des raisons pour lesquelles elle est habilitée à le faire,
. des témoins, du notaire et du greffier,
. des conditions dans lesquelles va se dérouler l’inventaire.


L’inventaire comprend une récapitulation :
. du mobilier du ménage du défunt,
. des objets de la vie courante du défunt,
. des papiers du ménage et du défunt.


L’inventaire peut être effectué en plusieurs journées.
Chaque objet est évalué. Le calcul de la fortune totale est effectué. Le document est signé par le notaire et les témoins. Il est alors fait mention de la date et du lieu de l’enregistrement de l’acte. Chaque recto porte le cachet du notaire et est signé par les témoins.






Les inventaires après décès sont des sources rares. Un inventaire n’est pas automatiquement effectué après chaque décès. Il l’est seulement si un héritier est ou mineur ou absent ou s’il en fait la demande. L’exemple de l’année 1897 est révélateur. En 1897, on compte vingt-deux décès à Messei. Seulement quatre inventaires sont effectués pour Messei sur un total de six sur l’année. Même si on peut supposer que certains inventaires ont été effectués par d’autres notaires, cela montre leur relative rareté et leur intérêt. Les inventaires édités dans cette étude concernent les années :

. 1885 : 1
. 1886 : 1
. 1889 : 1
. 1891 : 1
. 1892 : 2
. 1897 : 2
. 1898 : 1
. 1900 : 1

Ils répertorient la fortune :


. d’un boucher (1885)
. d’un aubergiste (1886)
. d’un propriétaire rentier (1819)
. d’une propriétaire et maîtresse d’hôtel (1891)
. d’un propriétaire, ancien receveur buraliste (1892)
. d’un agent royer (1892)
. d’une propriétaire rentière (1897)
. d’une épouse de journalier (1897)
. d’un cultivateur (1898)
. d’un propriétaire-cultivateur (1900).






La stabilité du franc au XIXème siècle permet des comparaisons faciles sans avoir à effectuer de correction monétaire. Une hiérarchie de fortune se dégage. Le propriétaire-cultivateur (1900) possède davantage de mobilier, de vaisselle que le simple cultivateur (1899). Il paraît également mieux outillé pour son travail : il dispose notamment d’une voiture à foin. Le prix de sa carriole est estimé à quarante-cinq francs. Celle du cultivateur, avec " deux équipages de limon ", " une paire de traits ", " deux mauvais colliers ", " une mauvaise paronne " et un licol, est estimée à trente francs. L’exploitant doit faire face à plusieurs types de dépenses : les charges fiscales, les fermages et les dépenses d’entretien. Il bénéficie des recettes des cultures et de l’élevage.

La fortune matérielle du boucher (1885) paraît bien modeste comparée à celle de l’aubergiste. L’ameublement de l’hôtel est plus important que celui de la boucherie. L’aubergiste dispose également de davantage de vêtements et dans des étoffes plus riches. Le capital vêtement du boucher est estimé à vingt-six francs, celui de l’aubergiste à soixante-cinq francs. L’aubergiste possède également une montre à boîtier estimée à quinze francs. La fortune matérielle de l’aubergiste est elle-même très inférieure à celle de la maîtresse d’hôtel (1882). Il est rare en Normandie qu’une femme possède plus d’une douzaine de chemises or la maîtresse d’hôtel en possède plus d’une vingtaine. Le nombre mais également le degré d’usure sont des indicateurs de fortune.


Les documents montrent la composition de la fortune rurale. Les richesses immobilières diminuent, les fortunes mobilières augmentent, les actifs monétaires et financiers se développent. Les créances se divisent en trois groupes :
. sommes dues à des marchands et artisans, souvent de faible valeur
. arrérages de fermage dus au moment du décès du propriétaire
. dettes.

De nouveaux types de placements apparaissent : rentes, actions et obligations. C’est l’étude des papiers qui permet d’établir la hiérarchie des fortunes. Le boucher est très endetté. L’aubergiste possède finalement une fortune supérieure à celle de la maîtresse d’hôtel grâce aux créances.






On estime que, pour l’ensemble de ma France, la fortune :
. de la petite bourgeoisie varie de 18.000 F à 46.000 F
. du peuple aisé de 9.000 F à 18.000 F
. du bas peuple de 2.000 F à 9.000 F.

Ce qui donne la hiérarchie de fortunes suivante :

1 . médecins, pharmaciens
2 . propriétaires, rentiers
3 . professions libérales
4 . marchands - négociants
5 . alimentation, hôtellerie
6 . cultivateurs
7 . services administratifs
8 . ecclésiastiques
9 . bâtiments
10 . artisans divers
11 . transports
12 . domestiques
13 . ouvriers
14 . journaliers.

Il est possible de comparer ce tableau avec celui établi à partir des dix fortunes éditées :

1 . propriétaire rentier (1889)
2 . agent royer (1892)
3 . aubergiste (1886)
4 . propriétaire et maîtresse d’hôtel (1891)
5 . propriétaire vivant de ses revenus (1897)
6 . cultivateur (1898)
7 . épouse de journalier (1897)
8 . propriétaire-cultivateur (1900)
9 . propriétaire, ancien receveur buraliste (1892)
10 . boucher (1885).






Ces documents aident à prendre conscience que ce qui est pour nous du passé était du présent pour ceux qui l’ont vécu. 


Un nombre infini de questions se posent face à ces textes :
. ces fortunes sont-elles représentatives de leur époque ?
. représentent-elles les diverses conditions sociales qui vivent dans les campagnes ? Messei même ?