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Une nouvelle administration


Circulaire du Ministre de l'Intérieur, Ledru-Rollin, aux Commissaires des Départements,
13 mars 1848.



par Marc Nadaux

 






Le ministre de l'Intérieur de la jeune République, Ledru-Rollin, membre du Gouvernement provisoire, s'adresse par cette circulaire aux Commissaires généraux qui, dans les départements, remplacent à présent les Préfets et autres Sous-Préfets de la monarchie destituée. S'appuyant sur le souvenir des Représentants en mission de la Convention montagnarde, Ledru-Rollin leur confère des pouvoirs illimités. Ceci afin de consolider la République, les Commissaires généraux devant faire en sorte que les populations se rallient au nouveau régime. Il leur fixe ainsi pour tache de préparer les élections et, au besoin, de les orienter. A Paris, on craint à juste titre la réaction de la Province soumise à l'influence des notables. 

Cependant, on s'émeut au sein du Gouvernement provisoire de la liberté que s'octroie Ledru-Rollin, les modérés notamment. Au delà de Paris, la bourgeoisie s'inquiète des mesures prises par certains commissaires, Louis Charles Delescluze à Lille, Émile Ollivier à Marseille ou Étienne Arago à Lyon notamment. Quelques mois plus tard, les élections à l'Assemblée constituante porteront au pouvoir une majorité conservatrice, dominée par Adolphe Thiers et les membres du parti de l'Ordre. La Seconde République changera alors d'âme.  








CIRCULAIRE DU MINISTRE DE L’INTÉRIEUR
 AUX COMMISSAIRES GÉNÉRAUX DES DÉPARTEMENTS.



Citoyen Commissaire,


La circulaire qui vous est parvenue et qui a été publiée traçait vos devoirs. Il importe que j'entre avec vous dans quelques détails, et que je précise plus nettement ce que j'attends de votre patriotisme, maintenant par vos soins, la République est proclamée.
Dans plusieurs département, on m'a demandé quels étaient vos pouvoirs. Le citoyen ministre de la guerre s'en est inquiété en ce qui touche vos rapports avec les chefs militaires. Plusieurs d'entre vous veulent être fixés la ligne de conduite à suivre vis-à-vis de la magistrature; enfin la garde nationale et les élections, les élections surtout, doivent erre l'objet de votre constante préoccupation.


§ 1er. Quels sont vos pouvoirs ?


Il sont illimités. Agent d'une autorité révolutionnaire, vous êtes révolutionnaire. La victoire du peuple vous a imposé le mandat de faire clamer, de consolider son œuvre. Pour l'accomplissement de cette tache, vous êtes investi de sa souveraineté, voua ne relevez que de votre conscience, vous devez faire ce que les circonstances exigent pour le salut public
Grâce à nos mœurs, cette mission n’a rien de terrible. Jusqu’ici vous n’avez eu à briser aucune résistance sérieuse, et vous avez pu demeurer calme dans votre force; il ne faut cependant pas vous faire illusion sur l'état du pays. Les sentiments républicains y doivent être vivement excités, et pour cela il faut confier toutes les fonctions politiques à des hommes sûrs et sympathiques. Partout les préfets et sous-préfets doivent être changés ; dans quelques localités on réclame leur maintien ; c'est à vous de faire comprendre aux populations qu'on ne peut conserver ceux qui ont servi un pouvoir dont chaque acte était une corruption. La nomination des sous-commissaires remplaçant ces sous-préfets vous appartient. Vous m'en référerez toute les fois que vous éprouverez quelque hésitation. Choisissez de préférence des hommes appartenant au chef-lieu; vous ne les prendrez dans l'arrondissement même que lorsque vous les saurez dégagés d'esprit de coterie; n'écartez pas les jeunes gens. L'ardeur et la générosité sont le privilège de cet age, et la République a besoin de ces belles qualités.
Vous pourvoirez aussi au remplacement des maires et des adjoint. Vous les désignerez provisoirement, en les investissant du pouvoir ordinaire. Si les conseils municipaux sont hostiles, vous les dissoudrez, et, de concert avec les maires, vous constituerez une municipalité provisoire; mais vous n'aurez recours à cette mesure que dans un cas de rigoureuse nécessité. Je crois que la grande majorité des conseils municipaux peut être conservée, en mettant à leur tête des chefs nouveaux.


§ 2. Vos rapports avec les chefs militaires.


Vous exercez les pouvoirs de l'autorité exécutive; la force armée est donc sous vos ordres. Vous la requérez, vous la mettez en mouvement; vous pouvez même, dans les cas graves, suspendre un chef de corps, en m'en référant immédiatement. Mais vous devez apporter de grands ménagement à cette partie de vos fonctions. Tout ce qui, de votre part, blesserait la susceptibilité des chefs de corps ou du soldat, serait une faute inexcusable. J'ai appris que dans plusieurs départements les commissaires n’ont pas établi sur-le-champ un lien entre eux et l'autorité militaire; je m'en étonne, et vous invite à ne pas manquer à ces règles si simples de bonne politique et de convenance. L'armée a montré dans ces derniers événements sa vive sympathie pour la cause républicaine; il faut se la rattacher de plus en plus. Elle est peuple tomme nous, elle est la première barrière qui s’opposerait à une invasion. Elle va entrer pour la première fois en possession de droits politiques. Honorez-la donc, et conciliez-vous les bons sentiments de ceux qui la commandent; n’oubliez pas non plus que vos pouvoirs ne sauraient toucher à la discipline. lis se rhument en ces deux mots: Vous servir de la force militaire ou la contenir; et la gagner par des témoignages d’estime et de Cordialité.


§ 3. Foi rapports avec la magistrature.


La magistrature ne relève de l’autorité exécutive que dans le cercle précis tracé par les lois. Vous exigerez des parquets un contours dévoué : partout où vous ne le rencontrerez pas, vous m’en avertirez, en m’indiquant le nom de ceux que recommandent leur droiture et leur fermeté. J’en ferai immédiatement part au Ministre de la Justice. Quant à la magistrature inamovible, vous la surveillerez, et si quelqu’un de aux membres se montrait publiquement hostile, vos pourriez user du droit de suspension que vous confère votre autorité souveraine.


§ 4. La garde nationale.


Vous recevrez de moi des instructions détaillées sur l’organisation de la milice civique. J’ai taché d’y prévoir et d’y résoudre toutes les difficultés que vous pouvez rencontrer. Celles qui naîtront d’obstacles imprévus et locaux seront levées par votre patriotisme. En faisant procéder aux élections vous vous conformerez aux décrets du Gouvernement, c’est-à-dire que par dérogation à la loi de 1831, vous ferez nommer tous les officiers sans exception par les gardes nationaux, en commençant par les grades supérieur. Vous surveillerez soigneusement l’action des sous-commissaires et des municipalité, et vous les obligerez à vous rendre un compte exact de leurs opérations.


§ 5. Les élections.


Les élections sont votre grande œuvre; elles doivent être le salut du pays. C’est de la composition de l’assemblée que dépendent nos destinées. Il faut qu’elle soit animée de l’esprit révolutionnaire, sinon nous marchons à la guerre civile et à l’anarchie. A ce sujet, mettez-vous en garde contre les intrigues des hommes à double visage qui, après avoir servi la royauté, se disent les serviteurs du peuple. Ceux-là vous trompent, et vous devez leur refuser votre appui. Sachez-bien que pour briguer l’honneur de siéger à l’Assemblée nationale, il faut être pur des traditions du passé. Que votre mot d’ordre soit partout ; des hommes nouveaux, et autant que possible sortant du peuple.
Les travailleurs, qui sont la force vive de la nation, doivent choisir parmi eux ceux que recommandent leur intelligence, leur moralité, leur dévouement: réunis à l’élite des penseurs, ils apporteront à la discussion de toutes les grandes questions qui vont s’agiter l’autorité de leur expérience pratique. Ils continueront la révolution et la contiendront dans les limites du possible et de la raison. Sans eux, elle s’égarerait en vaines utopies, ou serait étouffée sous l’effort dune faction rétrograde.
Éclairez les électeurs et répétez-leur sans cesse que le règne des hommes de la monarchie est fini.
Vous comprenez combien ici votre tache est grande. L’éducation du pays n’est pas faite : c’est à vous de le guider. Provoquez sur tous les points de votre département la réunion de comités électoraux, examinez sévèrement les titres des candidats. Arrêtez-vous à ceux-là seulement qui paraissent présenter le plus de garanties à l’opinion républicaine, le plus de chances de succès. Pas de transactions, pas de complaisance. Que le jour de l’élection soit le triomphe de la révolution.



Le Membre du Gouvernement provisoire, Ministre de l’Intérieur,

LEDRU-ROLLIN.