La lettre d'infos


A voir et à lire
sur
19e.org,
et ailleurs.

S'abonner à la lettre d'infos
 

 L'actualité
sur 19e.org

 
 

 A voir sur le Web

     Vous êtes ici :   Accueil   Documents   La Seconde République                                               Contact
                                                   La Constitution républicaine du 4 novembre 1848

 

La Constitution républicaine
du 4 novembre 1848.




par Marc Nadaux









La vie politique de la Monarchie de Juillet s'organise autour du clivage à la Chambre des députés qui sépare le parti du "mouvement", progressiste et considérant la Charte de 1830 comme un point de départ, et celui de la "résistance", conservateur et qui n'accepte aucun aménagement supplémentaire. Si les deux partis adverses alternent dans un premier temps au pouvoir, celui-ci est confisqué à partir de 1840 par Guizot et les conservateurs. Les manifestations réformistes et révolutionnaires se multiplient alors tandis que le mécontentement est aiguisé par les crises économiques. L'interdiction d'une manifestation le 22 février 1848 provoque bientôt une émeute dans la capitale parisienne. Le surlendemain, le palais des Tuileries est pris d'assaut, Louis-Philippe Ier doit abdiquer. Un gouvernement provisoire dominé par le poète Lamartine proclame la République. Une Assemblée constituante, élue le 23 avril et composée de républicains modérés, est chargée de rédiger une constitution. Les travaux sont cependant troublés par les "journées de juin", la répression d'un mouvement de révolte d'ouvriers protestant contre la fermeture des ateliers nationaux. Le texte définitif est finalement promulgué le 4 novembre 1848, après des semaines de discussion à l'Assemblée constituante.

La Constitution de 1848 est novatrice à plusieurs titres. Sur le modèle des institutions américaines, la France de la Seconde République confie désormais le pouvoir exécutif à un Président élu au suffrage universel. Favorable dans leur majorité au monocamérisme, les députés de l'Assemblée constituante attribue à une Chambre unique de représentants du peuple le pouvoir législatif. Cependant plusieurs problèmes soulevés lors des discussions préparatoires à l'élaborations du texte comme le droit au travail, l'abolition de la peine de mort, la séparation de l'Église et de l'État ne trouvent pas de développement et restent lettre morte. D'ailleurs les dispositions établies par la Constitution de 1848 demeurent sur de nombreux points ambiguës. Tandis que la responsabilités des ministres n'est pas clairement exprimée, les deux pouvoirs, celui de la Chambre des députés et celui du Président de la République, sont d'égale force. Aucun organisme n'est là disposé à régler leurs conflits éventuels.








Chapitre premier : De la souveraineté
Chapitre II : Droits des citoyens garantis par la Constitution
Chapitre III : Des pouvoirs public
Chapitre IV : Du pouvoir législatif
Chapitre V : Du pouvoir exécutif
Chapitre VI : Du Conseil d'État
Chapitre VII : De l'administration intérieure
Chapitre VIII : Du pouvoir judiciaire
Chapitre IX : De la force publique
Chapitre X : Dispositions particulières
Chapitre XI : De la révision de la Constitution
Chapitre XII : Dispositions transitoires








AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS,


L'Assemblée nationale a adopté, et, conformément à l'article 6 du décret du 28 octobre 1848, le président de l'Assemblée nationale promulgue la CONSTITUTION dont la teneur suit :



Préambule


En présence de Dieu et au nom du Peuple français, l'Assemblée nationale proclame :

I. La France s'est constituée en République. En adoptant cette forme définitive de gouvernement, elle s'est proposée pour but de marcher plus librement dans la voie du progrès et de la civilisation, d'assurer une répartition de plus en plus équitable des charges et des avantages de la société, d'augmenter l'aisance de chacun par la réduction graduée des dépenses publiques et des impôts, et de faire parvenir tous les citoyens, sans nouvelle commotion, par l'action successive et constante des institutions et des lois, à un degré toujours plus élevé de moralité, de lumières et de bien-être.

II. La République française est démocratique, une et indivisible.

III. Elle reconnaît des droits et des devoirs antérieurs et supérieurs aux lois positives.

IV. Elle a pour principe la Liberté, l'Égalité et la Fraternité. Elle a pour base la Famille, le Travail, la Propriété, l'Ordre public.

V. Elle respecte les nationalités étrangères, comme elle entend faire respecter la sienne ; n'entreprend aucune guerre dans des vues de conquête, et n'emploie jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple.

VI. Des devoirs réciproques obligent les citoyens envers la République, et la République envers les citoyens.

VII. Les citoyens doivent aimer la Patrie, servir la République, la défendre au prix de leur vie, participer aux charges de l'État en proportion de leur fortune ; ils doivent s'assurer, par le travail, des moyens d'existence, et, par la prévoyance, des ressources pour l'avenir ; ils doivent concourir au bien-être commun en s'entraidant fraternellement les uns les autres, et à l'ordre général en observant les lois morales et les lois écrites qui régissent la société, la famille et l'individu.

VIII. La République doit protéger le citoyen dans sa personne, sa famille, sa religion, sa propriété, son travail, et mettre à la portée de chacun l'instruction indispensable à tous les hommes ; elle doit, par une assistance fraternelle, assurer l'existence des citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille, des secours à ceux qui sont hors d'état de travailler.
En vue de l'accomplissement de tous ces devoirs, et pour la garantie de tous ces droits, l'Assemblée nationale, fidèle aux traditions des grandes assemblées qui ont inauguré la Révolution française, décrète, ainsi qu'il suit, la Constitution de la République.


 

Constitution


 

   Chapitre premier

De la souveraineté


Article premier. La souveraineté réside dans l'universalité des citoyens français. Elle est inaliénable et imprescriptible. Aucun individu, aucune fraction du peuple ne peut s'en attribuer l'exercice.



Chapitre II

Droits des citoyens garantis par la Constitution


Article 2. Nul ne peut être arrêté ou détenu que suivant les prescriptions de la loi.

Article 3. La demeure de toute personne habitant le territoire français est inviolable ; il n'est permis d'y pénétrer que selon les formes et dans les cas prévus par la loi.

Article 4. Nul ne sera distrait de ses juges naturels. Il ne pourra être créé de commissions et de tribunaux extraordinaires, à quelque titre et sous quelque dénomination que ce soit.

Article 5. La peine de mort est abolie en matière politique.

Article 6. L'esclavage ne peut exister sur aucune terre française.

Article 7. Chacun professe librement sa religion, et reçoit de l'État, pour l'exercice de son culte, une égale protection. Les ministres, soit des cultes actuellement reconnus par la loi, soit de ceux qui seraient reconnus à l'avenir, ont le droit de recevoir un traitement de l'État.

Article 8. Les citoyens ont le droit de s'associer, de s'assembler paisiblement et sans armes, de pétitionner, de manifester leurs pensées par la voie de la presse ou autrement. L'exercice de ces droits n'a pour limites que les droits ou la liberté d'autrui et la sécurité publique. La presse ne peut, en aucun cas, être soumise à la censure.

Article 9. L'enseignement est libre. La liberté d'enseignement s'exerce selon les conditions de capacité et de moralité déterminées par les lois, et sous la surveillance de l'État. Cette surveillance s'étend à tous les établissements d'éducation et d'enseignement, sans aucune exception.

Article 10. Tous les citoyens sont également admissibles à tous les emplois publics, sans autre motif de préférence que leur mérite, et suivant les conditions qui seront fixées par les lois. Sont abolis à toujours tout titre nobiliaire, toute distinction de naissance, de classe ou de caste.

Article 11. Toutes les propriétés sont inviolables. Néanmoins l'État peut exiger le sacrifice d'une propriété pour cause d'utilité publique légalement constatée, et moyennant une juste et préalable indemnité.

Article 12. La confiscation des biens ne pourra jamais être rétablie.

Article 13. La Constitution garantit aux citoyens la liberté du travail et de l'industrie. La société favorise et encourage le développement du travail par l'enseignement primaire gratuit, l'éducation professionnelle, l'égalité de rapports, entre le patron et l'ouvrier, les institutions de prévoyance et de crédit, les institutions agricoles, les associations volontaires, et l'établissement, par l'État, les départements et les communes, de travaux publics propres à employer les bras inoccupés ; elle fournit l'assistance aux enfants abandonnés, aux infirmes et aux vieillards sans ressources, et que leurs familles ne peuvent secourir.

Article 14. La dette publique est garantie. Toute espèce d'engagement pris par l'État avec ses créanciers est inviolable.

Article 15. Tout impôt est établi pour l'utilité commune. Chacun y contribue en proportion de ses facultés et de sa fortune.

Article 16. Aucun impôt ne peut être établi ni perçu qu'en vertu de la loi.

Article 17. L'impôt direct n'est consenti que pour un an. Les impositions indirectes peuvent être consenties pour plusieurs années.



   Chapitre III

Des pouvoirs publics


Article 18. Tous les pouvoirs publics, quels qu'ils soient, émanent du peuple. Ils ne peuvent être délégués héréditairement.

Article 19. La séparation des pouvoirs est la première condition d'un gouvernement libre.



Chapitre IV

Du pouvoir législatif


Article 20. Le peuple français délègue le pouvoir législatif à une Assemblée unique.

Article 21. Le nombre total des représentants du peuple sera de sept cent cinquante, y compris les représentants de l'Algérie et des colonies françaises.

Article 22. Ce nombre s'élèvera à neuf cents pour les Assemblées qui seront appelées à réviser la Constitution.

Article 23. L'élection a pour base la population.

Article 24. Le suffrage est direct et universel. Le scrutin est secret.

Article 25. Sont électeurs, sans condition de cens, tous les Français âgés de vingt et un ans, et jouissant de leurs droits civils et politiques.

Article 26. Sont éligibles, sans condition de domicile, tous les électeurs âgés de vingt-cinq ans.

Article 27. La loi électorale déterminera les causes qui peuvent priver un citoyen français du droit d'élire et d'être élu. Elle désignera les citoyens qui, exerçant ou ayant exercé des fonctions dans un département ou un ressort territorial, ne pourront y être élus.

Article 28. Toute fonction publique rétribuée est incompatible avec le mandat de représentant du peuple. Aucun membre de l'Assemblée nationale ne peut, pendant la durée de la législature, être nommé ou promu à des fonctions publiques salariées dont les titulaires sont choisis à volonté par le pouvoir exécutif. Les exceptions aux dispositions des deux paragraphes précédents seront déterminés par la loi électorale organique.

Article 29. Les dispositions de l'article précédent ne sont pas applicables aux assemblées élues pour la révision de la Constitution.

Article 30. L'élection des représentants se fera par département, et au scrutin de liste. Les électeurs voteront au chef-lieu du canton ; néanmoins, en raison des circonstances locales, le canton pourra être divisé en plusieurs circonscriptions, dans la forme et aux conditions qui seront déterminées par la loi électorale.

Article 31. L'Assemblée nationale est élue pour trois ans, et se renouvelle intégralement. Quarante-cinq jours au plus tard avant la fin de la législature, une loi détermine l'époque des nouvelles élections. Si aucune loi n'est intervenue dans le délai fixé par le paragraphe précédent, les électeurs se réunissent de plein droit le trentième jour qui précède la fin de la législature. La nouvelle Assemblée est convoquée de plein droit pour le lendemain du jour où finit le mandat de l'Assemblée précédente.

Article 32. Elle est permanente. Néanmoins, elle peut s'ajourner à un terme qu'elle fixe. Pendant la durée de la prorogation, une commission, composée des membres du bureau et de vingt-cinq représentants nommés par l'Assemblée au scrutin secret et à la majorité absolue, a le droit de la convoquer en cas d'urgence. Le président de la République a aussi le droit de convoquer l'Assemblée. L'Assemblée nationale détermine le lieu de ses séances. Elle fixe l'importance des forces militaires établies pour sa sûreté, et elle en dispose.

Article 33. Les représentants sont toujours rééligibles.

Article 34. Les membres de l'Assemblée nationale sont les représentants, non du département qui les nomme, mais de la France entière.

Article 35. Ils ne peuvent recevoir de mandat impératif.

Article 36. Les représentants du peuple sont inviolables. Ils ne pourront être recherchés, accusés, ni jugés, en aucun temps, pour les opinions qu'ils auront émises dans le sein de l'Assemblée nationale.

Article 37. Ils ne peuvent être arrêtés en matière criminelle, sauf le cas de flagrant délit, ni poursuivis qu'après que l'Assemblée a permis la poursuite. En cas d'arrestation pour flagrant délit, il en sera immédiatement référé à l'Assemblée, qui autorisera ou refusera la continuation des poursuites. Cette disposition s'applique au cas où un citoyen détenu est nommé représentant.

Article 38. Chaque représentant du peuple reçoit une indemnité, à laquelle il ne peut renoncer.

Article 39. Les séances de l'Assemblée sont publiques. Néanmoins, l'Assemblée peut se former en comité secret, sur la demande du nombre de représentants fixé par le règlement. Chaque représentant a le droit d'initiative parlementaire ; il l'exercera selon les formes déterminées par le règlement.

Article 40. La présence de la moitié plus un des membres de l'Assemblée est nécessaire pour la validité du vote des lois.

Article 41. Aucun projet de loi, sauf les cas d'urgence, ne sera voté définitivement qu'après trois délibérations, à des intervalles qui ne peuvent pas être moindres de cinq jours.

Article 42. Toute proposition ayant pour objet de déclarer l'urgence est précédée d'un exposé des motifs. Si l'Assemblée est d'avis de donner suite à la proposition d'urgence, elle en ordonne le renvoi dans les bureaux et fixe le moment où le rapport sur l'urgence lui sera présenté. Sur ce rapport, si l'Assemblée reconnaît l'urgence, elle le déclare, et fixe le moment de la discussion. Si elle décide qu'il n'y a pas urgence, le projet suit le cours des propositions ordinaires.



Chapitre V

Du pouvoir exécutif


Article 43. Le peuple français délègue le pouvoir exécutif à un citoyen qui reçoit le titre de président de la République.

Article 44. Le président doit être né Français, âgé de trente ans au moins, et n'avoir jamais perdu la qualité de Français.

Article 45. Le président de la République est élu pour quatre ans, et n'est rééligible qu'après un intervalle de quatre années. Ne peuvent, non plus, être élus après lui, dans le même intervalle, ni le vice-président, ni aucun des parents ou alliés du président jusqu'au sixième degré inclusivement.

Article 46. L'élection a lieu de plein droit le deuxième dimanche du mois de mai. Dans le cas où, par suite de décès, de démission ou de toute autre cause, le président serait élu à une autre époque, ses pouvoirs expireront le deuxième dimanche du mois de mai de la quatrième année qui suivra son élection. Le président est nommé, au scrutin secret et à la majorité absolue des votants, par le suffrage direct de tous les électeurs des départements français et de l'Algérie.

Article 47. Les procès-verbaux des opérations électorales sont transmis immédiatement à l'Assemblée nationale, qui statue sans délai sur la validité de l'élection et proclame le président de la République. Si aucun candidat n'a obtenu plus de la moitié des suffrages exprimés, et au moins deux millions de voix, ou si les conditions exigées par l'article 44 ne sont pas remplies, l'Assemblée nationale élit le président de la République, à la majorité absolue et au scrutin secret, parmi les cinq candidats éligibles qui ont obtenu le plus de voix.

Article 48. Avant d'entrer en fonctions, le président de la République prête au sein de l'Assemblée nationale le serment dont la teneur suit : " En présence de Dieu et devant le Peuple français, représenté par l'Assemblée nationale, je jure de rester fidèle à la République démocratique, une et indivisible, et de remplir tous les devoirs que m'impose la Constitution. "

Article 49. Il a le droit de faire présenter des projets de loi à l'Assemblée nationale par les ministres. Il surveille et assure l'exécution des lois.

Article 50. Il dispose de la force armée, sans pouvoir jamais la commander en personne.

Article 51. Il ne peut céder aucune portion du territoire, ni dissoudre ni proroger l'Assemblée nationale, ni suspendre, en aucune manière, l'empire de la Constitution et des lois.

Article 52. Il présente, chaque année, par un message, à l'Assemblée nationale, l'exposé de l'état général des affaires de la République.

Article 53. Il négocie et ratifie les traités. Aucun traité n'est définitif qu'après avoir été approuvé par l'Assemblée nationale.

Article 54. Il veille à la défense de l'État, mais il ne peut entreprendre aucune guerre sans le consentement de l'Assemblée nationale.

Article 55. Il a le droit de faire grâce, mais il ne peut exercer ce droit qu'après avoir pris l'avis du Conseil d'État. Les amnisties ne peuvent être accordées que par une loi. Le président de la République, les ministres, ainsi que toutes autres personnes condamnées par la haute cour de justice, ne peuvent être graciés que par l'Assemblée nationale.

Article 56. Le président de la République promulgue les lois au nom du peuple français.

Article 57. Les lois d'urgence sont promulguées dans le délai de trois jours, et les autres lois dans le délai d'un mois, à partir du jour où elles auront été adoptées par l'Assemblée nationale.

Article 58. Dans le délai fixé pour la promulgation, le président de la République peut, par un message motivé, demander une nouvelle délibération. L'Assemblée délibère : sa résolution devient définitive ; elle est transmise au président de la République. En ce cas, la promulgation a lieu dans le délai fixé pour les lois d'urgence.

Article 59. A défaut de promulgation par le président de la République, dans les délais déterminés par les articles précédents, il y serait pourvu par le président de l'Assemblée nationale.

Article 60. Les envoyés et les ambassadeurs des puissances étrangères sont accrédités auprès du président de la République.

Article 61. Il préside aux solennités nationales.

Article 62. Il est logé aux frais de la République, et reçoit un traitement de six cent mille francs par an.

Article 63. Il réside au lieu où siège l'Assemblée nationale, et ne peut sortir du territoire continental de la République sans y être autorisé par une loi.

Article 64. Le président de la République nomme et révoque les ministres. Il nomme et révoque, en conseil des ministres, les agents diplomatiques, les commandants en chef des armées de terre et de mer, les préfets, le commandant supérieur des gardes nationales de la Seine, les gouverneurs de l'Algérie et des colonies, les procureurs généraux et autres fonctionnaires d'un ordre supérieurs Il nomme et révoque, sur la proposition du ministre compétent, dans les conditions réglementaires déterminées par la loi, les agents secondaires du gouvernement.

Article 65. Il a le droit de suspendre, pour un terme qui ne pourra excéder trois mois, les agents du pouvoir exécutif élus par les citoyens. Il ne peut les révoquer que de l'avis du Conseil d'État. La loi détermine les cas où les agents révoqués peuvent être déclarés inéligibles aux mêmes fonctions. Cette déclaration d'inéligibilité ne pourra être prononcée que par un jugement.

Article 66. Le nombre des ministres et leurs attributions sont fixés par le pouvoir législatif.

Article 67. Les actes du président de la République, autres que ceux par lesquels il nomme et révoque les ministres, n'ont d'effet que s'ils sont contresignés par un ministre.

Article 68. Le président de la République, les ministres, les agents et dépositaires de l'autorité publique, sont responsables, chacun en ce qui le concerne, de tous les actes du gouvernement et de l'administration. Toute mesure par laquelle le président de la République dissout l'Assemblée nationale, la proroge ou met obstacle à l'exercice de son mandat, est un crime de haute trahison. Par ce seul fait, le président est déchu de ses fonctions ; les citoyens sont tenus de lui refuser obéissance ; le pouvoir exécutif passe de plein droit à l'Assemblée nationale. Les juges de la haute cour de justice se réunissent immédiatement à peine de forfaiture : ils convoquent les jurés dans le lieu qu'ils désignent, pour procéder au jugement du président et de ses complices ; ils nomment eux-mêmes les magistrats chargés de remplir les fonctions du ministère public. Une loi déterminera les autres cas de responsabilité, ainsi que les formes et les conditions de la poursuite.

Article 69. Les ministres ont entrée dans le sein de l'Assemblée nationale ; ils sont entendus toutes les fois qu'ils le demandent, et peuvent se faire assister par des commissaires nommés par un décret du président de la République.

Article 70. Il y a un vice-président de la République nommé par l'Assemblée nationale, sur la présentation de trois candidats faite par le président dans le mois qui suit son élection. Le vice-président prête le même serment que le président. Le vice-président ne pourra être choisi parmi les parents et alliés du président jusqu'au sixième degré inclusivement. En cas d'empêchement du président, le vice-président le remplace. Si la présidence devient vacante, par décès, démission du président, ou autrement, il est procédé, dans le mois, à l'élection d'un président.



Chapitre VI

Du Conseil d'État


Article 71. Il y aura un Conseil d'État, dont le vice-président de la République sera de droit président.

Article 72. Les membres de ce Conseil sont nommés pour six ans par l'Assemblée nationale. Ils sont renouvelés par moitié, dans les deux premiers mois de chaque législature, au scrutin secret et à la majorité absolue. Ils sont indéfiniment rééligibles.

Article 73. Ceux des membres du Conseil d'État qui auront été pris dans le sein de l'Assemblée nationale seront immédiatement remplacés comme représentants du peuple.

Article 74. Les membres du Conseil d'État ne peuvent être révoqués que par l'Assemblée, et sur la proposition du président de la République.

Article 75. Le Conseil d'État est consulté sur les projets de loi du gouvernement qui, d'après la loi, devront être soumis à son examen préalable, et sur les projets d'initiative parlementaire que l'Assemblée lui aura renvoyés. Il prépare les règlements d'administration publique ; il fait seul ceux de ces règlements à l'égard desquels l'Assemblée nationale lui a donné une délégation spéciale. Il exerce, à l'égard des administrations publiques, tous les pouvoirs de contrôle et de surveillance qui lui sont déférés par la loi. La loi réglera ses autres attributions.



Chapitre VII

De l'administration intérieure


Article 76. La division du territoire en départements, arrondissements, cantons et communes est maintenue. Les circonscriptions actuelles ne pourront être changées que par la loi.

Article 77. Il y a : 1° Dans chaque département, une administration composée d'un préfet, d'un conseil général, d'un conseil de préfecture ; 2° Dans chaque arrondissement, un sous-préfet ; 3° Dans chaque canton, un conseil cantonal ; néanmoins, un seul conseil cantonal sera établi dans les villes divisées en plusieurs cantons ; 4° Dans chaque commune, une administration, composée d'un maire, d'adjoints et d'un conseil municipal.

Article 78. Une loi déterminera la composition et les attributions des conseils généraux, des conseils cantonaux, des conseils municipaux, et le mode de nomination des maires et des adjoints.

Article 79. Les conseils généraux et les conseils municipaux sont élus par le suffrage direct de tous les citoyens domiciliés dans le département ou dans la commune. Chaque canton élit un membre du conseil général. Une loi spéciale réglera le mode d'élection dans le département de la Seine, dans la ville de Paris et dans les villes de plus de vingt mille âmes.

Article 80. Les conseils généraux, les conseils cantonaux et les conseils municipaux peuvent être dissous par le président de la République, de l'avis du Conseil d'État. La loi fixera le délai dans lequel il sera procédé à la réélection.



Chapitre VIII

Du pouvoir judiciaire


Article 81. La justice est rendue gratuitement au nom du peuple français. Les débats sont publics, à moins que la publicité ne soit dangereuse pour l'ordre ou les mœurs ; et, dans ce cas, le tribunal le déclare par un jugement.

Article 82. Le jury continuera d'être appliqué en matière criminelle.

Article 83. La connaissance de tous les délits politiques et de tous les délits commis par la voie de la presse appartient exclusivement au jury. Les lois organiques détermineront la compétence en matière de délits d'injures et de diffamation contre les particuliers.

Article 84. Le jury statue seul sur les dommages-intérêts réclamés pour faits ou délits de presse.

Article 85. Les juges de paix et leurs suppléants, les juges de première instance et d'appel, les membres de la Cour de cassation et de la Cour des comptes, sont nommés par le président de la République, d'après un ordre de candidature ou d'après les conditions qui seront réglées par les lois organiques.

Article 86. Les magistrats du ministère public sont nommés par le président de la République.

Article 87. Les juges de première instance et d'appel, les membres de la Cour de cassation, et de la Cour des comptes, sont nommés à vie. Ils ne peuvent être révoqués ou suspendus que par un jugement, ni mis à la retraite que pour les causes et dans les formes déterminées par les lois.

Article 88. Les conseils de guerre et de révision des armées de terre et de mer, les tribunaux maritimes, les tribunaux de commerce, les prud'hommes et autres tribunaux spéciaux, conservent leur organisation et leurs attributions actuelles jusqu'à ce qu'il y ait été dérogé par une loi.

Article 89. Les conflits d'attributions entre l'autorité administrative et l'autorité judiciaire seront réglés par un tribunal spécial de membres de la Cour de cassation et de conseillers d'État, désignés tous les trois ans en nombre égal par leur corps respectif. Ce tribunal sera présidé par le ministre de la justice.

Article 90. Les recours pour incompétence et excès de pouvoirs contre les arrêts de la Cour des comptes seront portés devant la juridiction des conflits.

Article 91. Une haute cour de justice juge, sans appel ni recours en cassation, les accusations portées par l'Assemblée nationale contre le président de la République ou les ministres. Elle juge également toutes personnes prévenues de crimes, attentats ou complots contre la sûreté intérieure ou extérieure de l'État, que l'Assemblée nationale aura renvoyées devant elle. Sauf le cas prévu par l'article 68, elle ne peut être saisie qu'en vertu d'un décret de l'Assemblée nationale, qui désigne la ville où la cour tiendra ses séances.

Article 92. La haute cour est composée de cinq juges et de trente-six jurés. Chaque année, dans les quinze premiers jours du mois de novembre, la Cour de cassation nomme, parmi ses membres, au scrutin secret et à la majorité absolue, les juges de la Haute Cour, au nombre de cinq, et deux suppléants. Les cinq juges appelés à siéger feront choix de leur président. Les magistrats remplissant les fonctions du ministère public sont désignés par le président de la République, et, en cas d'accusation du président ou des ministres, par l'Assemblée nationale. Les jurés, au nombre de trente-six, et quatre jurés suppléants, sont pris parmi les membres des conseils généraux des départements. Les représentants du peuple n'en peuvent faire partie.

Article 93. Lorsqu'un décret de l'Assemblée nationale a ordonné la formation de la haute cour de justice, et, dans le cas prévu par l'article 68, sur la réquisition du président ou de l'un des juges, le président de la cour d'appel et, à défaut de cour d'appel, le président du tribunal de première instance du chef-lieu judiciaire du département, tire au sort, en audience publique, le nom d'un membre du conseil général.

Article 94. Au jour indiqué pour le jugement, s'il y a moins de soixante jurés présents, ce nombre sera complété par des jurés supplémentaires tirés au sort, par le président de la haute cour parmi les membres du conseil général du département où siégera la cour.

Article 95. Les jurés qui n'auront pas produit d'excuse valable seront condamnés à une amende de mille à dix mille francs, et à la privation des droits politiques pendant cinq ans au plus.

Article 96. L'accusé et le ministère public exercent le droit de récusation comme en matière ordinaire.

Article 97. La déclaration du jury portant que l'accusé est coupable ne peut être rendue qu'à la majorité des deux tiers des voix.

Article 98. Dans tous les cas de responsabilités des ministres, l'Assemblée nationale peut, selon les circonstances, renvoyer le ministre inculpé, soit devant la haute cour de justice, soit devant les tribunaux ordinaires, pour les réparations civiles.

Article 99. L'Assemblée nationale et le président de la République peuvent, dans tous les cas, déférer l'examen des actes de tout fonctionnaire, autre que le président de la République, au Conseil d'État, dont le rapport est rendu public.

Article 100. Le président de la République n'est justiciable que de la haute cour de justice.
Il ne peut, à l'exception du cas prévu par l'article 68, être poursuivi que sur l'accusation portée par l'Assemblée nationale, et pour crimes et délits qui seront déterminés par la loi.



Chapitre IX

De la force publique


Article 101. La force publique est instituée pour défendre l'État contre les ennemis du dehors, et pour assurer au-dedans le maintien de l'ordre et l'exécution des lois. Elle se compose de la garde nationale et de l'armée de terre et de mer.

Article 102. Tout Français, sauf les exceptions fixées par la loi, doit le service militaire et celui de la garde nationale. La faculté pour chaque citoyen de se libérer du service militaire personnel sera réglée par la loi du recrutement.

Article 103. L'organisation de la garde nationale et la constitution de l'armée seront réglées par la loi.

Article 104. La force publique est essentiellement obéissante. Nul corps armé ne peut délibérer.

Article 105. La force publique, employée pour maintenir l'ordre à l'intérieur, n'agit que sur la réquisition des autorités constituées, suivant les règles déterminées par le pouvoir législatif.

Article 106. Une loi déterminera les cas dans lesquels l'état de siège pourra être déclaré, et réglera les formes et les effets de cette mesure.

Article 107. Aucune troupe étrangère ne peut être introduite sur le territoire français sans le consentement préalable de l'Assemblée nationale.



Chapitre X

Dispositions particulières


Article 108. La Légion d'honneur est maintenue ; ses statuts seront révisés et mis en harmonie avec la Constitution.

Article 109. Le territoire de l'Algérie et des colonies est déclaré territoire français, et sera régi par des lois particulières jusqu'à ce qu'une loi spéciale les place sous le régime de la présente Constitution.

Article 110. L'Assemblée nationale confie le dépôt de la présente Constitution, et des droits qu'elle consacre, à la garde et au patriotisme de tous les Français.



Chapitre XI

De la révision de la Constitution


Article 111. Lorsque, dans la dernière année d'une législature, l'Assemblée nationale aura émis le vœu que la Constitution soit modifiée en tout ou en partie, il sera procédé à cette révision de la manière suivante : - Le vœu exprimé par l'Assemblée ne sera converti en résolution définitive qu'après trois délibérations consécutives, prises chacune à un mois d'intervalle et aux trois quarts des suffrages exprimés. Le nombre des votants devra être de cinq cents au moins. - L'Assemblée de révision ne sera nommée que pour trois mois. - Elle ne devra s'occuper que de la révision pour laquelle elle aura été convoquée. - Néanmoins, elle pourra, en cas d'urgence, pourvoir aux nécessités législatives.



Chapitre XII

Dispositions transitoires


Article 112. Les dispositions des codes, lois et règlements existants qui ne sont pas contraires à la présente Constitution, restent en vigueur jusqu'à ce qu'il y soit légalement dérogé.

Article 113. Toutes les autorités constituées par les lois actuelles demeurent en exercice jusqu'à la promulgation des lois organiques qui les concernent.

Article 114. La loi d'organisation judiciaire déterminera le mode spécial de nomination pour la première composition des nouveaux tribunaux.

Article 115. Après le vote de la Constitution, il sera procédé, par l'Assemblée nationale constituante, à la rédaction des lois organiques dont l'énumération sera déterminée par une loi spéciale.

Article 116. Il sera procédé à la première élection du président de la République conformément à la loi spéciale rendue par l'Assemblée nationale le 28 octobre 1848.