Messieurs,
qu'il me soit permis de vous
rappeler, dût-on m'accuser d'un peu d'orgueil, que je reçus l'année
dernière, à pareille époque, une bien douce récompense de ma fidélité
à mon souverain légitime. Cette récompense fut d'être officiellement
chargé d'annoncer la pompe funèbre que la France allait célébrer en mémoire
du roi-martyr et les monuments que la piété de Louis XVIII voulait
fonder pour éterniser ses regrets. Je fus redevable de ce choix à un
ministre dont l'amitié m'honore, et qui, s'il a des ennemis, doit en
chercher le plus grand nombre parmi des ennemis du roi. Vous aurez sans
doute oublié, messieurs, ou peut être n'aurez-vous jamais lu le
programme que je traçai alors de la fête expiatoire : comme il renferme
des dispositions qui se rattachent à la résolution de la chambre
des députés, comme ces dispositions sont à moitié l'ouvrage du roi,
souffrez que je remette sous vos yeux quelques traits du tableau.
Tandis que les restes mortels de Louis XVI et de Marie-Antoinette seront
portés à Saint-Denis, on posera la première pierre du monument qui doit
être élevé sur la place Louis XV. Ce monument représentera Louis XVI,
qui déjà, quittant la terre, s'élance vers son éternelle demeure. Un
ange le soutient et le guide, et semble lui répéter ces paroles inspirées
: Fils de saint Louis, montez au ciel ! Sur un des côtés du piédestal
paraîtra le buste de la reine dans un médaillon ayant pour exergue ces
paroles si dignes de l'épouse de Louis XVI : J'ai tout su, tout vu, et
tout oublié. Sur une autre face de ce piédestal on verra un portrait
en bas-relief de Mme Élisabeth ; ces mots seront écrits autour : Ne
les détrompez pas, mots sublimes qui lui échappèrent dans la journée
du 20 juin, lorsque des assassins menaçaient ses jours en la prenant pour
la reine. Sur le troisième côté sera gravé le Testament de Louis XVI,
où on lira en plus gros caractères cette ligne évangélique :
Je pardonne de tout mon cœur à ceux qui se sont faits
mes ennemis.
La quatrième face portera l'écusson de France avec cette inscription
: Louis XVIII à Louis XVI. Les Français solliciteront sans doute
l'honneur d'unir au nom de Louis XVIII le nom de la France, qui ne peut
jamais être séparée de son roi... Ce monument ne sera pas le seul
consacré au malheur et au repentir. On élèvera une chapelle sur le
terrain du cimetière de la Madeleine. Du côté de la rue d'Anjou, elle
représentera un tombeau antique ; l'entrée en sera placée dans une
nouvelle rue que l'on percera lors de l'établissement de cette chapelle.
Pour mieux envelopper les différentes sépultures, l'édifice entier se déploiera
en forme d'une croix latine, éclairée par un dôme qui n'y laissera pénétrer
qu'une clarté religieuse. Dans toutes les parties du monument on placera
des autels où chacun ira pleurer une mère, un frère, une sœur, une épouse,
enfin toutes ces victimes, compagnes fidèles, qui pendant vingt ans ont
dormi auprès de leur maître dans ce cimetière abandonné. C'est là
qu'on viendra particulièrement honorer la mémoire de M. de Malesherbes.
On nous pardonnera peut-être d'associer ici le nom du sujet au souvenir
du roi. Il y a dans la mort, le malheur et la vertu, quelque chose qui
rapproche les rangs.
Le roi fondera à perpétuité une messe dans cette chapelle ; deux prêtres
seront chargés d'y entretenir les lampes et les autels. A Saint-Denis,
une autre fondation plus considérable sera faite au nom de Louis XVI, en
faveur des évêques et des prêtres infirmes qui après un long apostolat
auront besoin de se reposer de leurs saintes fatigues. Ils remplaceront
l'ordre religieux qui veillait aux cendres de nos rois. Ces vieillards,
par leur âge, leur gravité et leurs travaux, deviendront les gardiens
naturels de cet asile des morts, où eux-mêmes seront près de descendre.
Le projet est encore de rendre à cette abbaye les tombeaux qui la décoraient,
et auprès desquels Suger faisait écrire notre histoire, comme en présence
de la Mort et de la Vérité.
Voilà, messieurs, ce qui fut commandé par le roi. Une ordonnance déclara
de plus qu'à l'avenir le 21 janvier serait un jour consacré par des cérémonies
religieuses. La première pensée de ce grand sacrifice de paix appartient
donc à notre souverain, comme tout ce qui s'est fait de bon et de noble
depuis la restauration de la monarchie. Et pourtant dans le programme dont
je viens de lire quelques passages que de choses déjà vieillies, que de
réflexions qui ne sont déjà plus applicables au moment où je vous
parle ! Dum loquimur, fugerit invida aetas ! Combien, lorsque je
retraçais la pompe de Saint-Denis, il y avait alors d'espoir au milieu du
deuil de la patrie ! Combien le repentir de quelques hommes paraissait
sincère ! Qu'il était doux pour le roi de leur pardonner !
Mais quand leur seconde trahison nous forçait de quitter le sol natal,
auraient-ils jamais cru que nous nous retrouverions ici, à cette époque
du 21 janvier, pour célébrer la seconde fête expiatoire ! Ils espéraient
n'entendre plus parler de ces morts qui les accusent à la face du Dieu
vivant. Ce Dieu pour les confondre a renfermé dans le court espace d'un
an des événements qu'un siècle entier pourrait à peine contenir ; les
hommes et les choses se sont précipités, se sont écoulés comme un
torrent : toute la terre a pour ainsi dire passé en France entre deux
pompes funèbres. Partis d'un tombeau, nous sommes revenus au pied de ce
tombeau ; et de tant de projets conçus il n'est resté que ceux que Louis
XVIII avait formés pour les cendres du roi son frère.
La chambre des députés veut partager les oeuvres de notre souverain ;
elle veut unir la douleur du peuple à celle du roi : elle nous invite à
nous joindre à son touchant hommage. Pairs de France, vous qui tenez la
place de l'antique noblesse, à l'exemple du pieux Tanneguy, vous vous
empresserez de concourir aux obsèques d'un monarque que des ingrats
abandonnèrent. J'ai vu, messieurs, les ossements de Louis XVI mêlés
dans la fosse ouverte avec la chaux vive qui avait consumé les chairs,
mais qui n'a pu faire disparaître le crime ! J'ai vu le squelette de
Marie-Antoinette intact, à l'abri d'une espèce de voûte qui s'était
formée au-dessus d'elle comme par miracle ! La tête seule était déplacée
! et dans la forme de cette tête on pouvait encore reconnaître (ô
Providence !) les traits où respirait avec la grâce d'une femme toute la
majesté d'une reine ! Voilà ce que j'ai vu, messieurs ! voilà les
souvenirs pour lesquels nous n'aurons jamais assez de larmes ; voilà les
attentats que les hommes ne sauraient jamais expier ! Quand vous élèveriez
à la mémoire de ces grandes victimes un monument pareil aux tombeaux qui
bravent les siècles dans les déserts de l'Égypte, vous n'auriez encore
rien fait : tout cet amas de pierres ne couvrirait pas la trace d'un sang
qui ne s'effacera jamais !
Mais remarquez, messieurs, la puissance de la religion, de cette religion
appelée à notre secours par notre monarque et par la chambre des députés
! Elle seule peut égaler les marques de la douleur à la grandeur des
adversités ; elle n'a besoin pour cela ni de pompes magnifiques ni de
mausolées superbes : quelques larmes, un jeûne, un autel, une simple
pierre où elle aura gravé le nom du roi, lui suffiront. Laissons-la donc
mener le deuil : cherchons seulement si dans la résolution soumise à
votre examen ainsi que dans les adresses que l'on prépare rien n'a été
oublié.
Je crois, messieurs, apercevoir une omission. Au milieu de tant d'objets
de tristesse on n'a pas assez également départi le tribut de nos larmes.
A peine dans les projets divers a-t-on nommé ce roi-enfant, ce jeune
martyr qui a chanté les louanges de Dieu dans la fournaise ardente.
Est-ce parce qu'il a tenu si peu de place dans la vie et dans notre
histoire que nous l'oublions ? Mais que ses souffrances ont dû rendre ses
jours lents à couler, et que son règne a été long par la douleur !
Jamais vieux roi, courbé sous les ennuis du trône, a-t-il porté un
sceptre aussi lourd ? Jamais la couronne a-t-elle pesé sur la tête de
Louis XIV descendant dans la tombe autant que le bandeau de l'innocence
sur le front de Louis XVII sortant du berceau ? Qu'est-il devenu, ce
pupille royal laissé sous la tutelle du bourreau, cet orphelin qui
pouvait dire, comme l'héritier de David : " Mon père et ma mère
m'ont abandonné ? " Où est-il, le compagnon des adversités, le frère
de l'orpheline du Temple ? Où pourrais-je lui adresser cette
interrogation terrible et trop connue : Capet, dors-tu ? Lève-toi !
- Il se lève, messieurs, dans toute sa gloire céleste, et il vous
demande un tombeau. Malédiction sur les scélérats qui nous obligent
aujourd'hui à tant de réparations vaines ! Qu'elle soit séchée la main
parricide qui osa se lever sur cet enfant de saint Louis, roi oublié
jusque ici dans nos annales, comme il le fut dans sa prison ! La France
rejette enfin les hommes qui ont eux-mêmes rejeté une amnistie sans
exemple. Ils ont méconnu leur second père ; la patrie ne les connaît
plus ! Leur propre fureur a effacé la clause du Testament de Louis XVI
qui les mettait à l'abri : la justice a repris ses droits, et le crime a
cessé d'être inviolable.
Je vote, messieurs, pour l'adoption pleine et entière de la résolution
de la chambre des députés, et je regrette que nos règlements nous
interdisent de la voter par acclamation. Je propose, en outre, d'ajouter
à la résolution cet amendement, qui complétera les expiations du
21 janvier :
" Le roi sera humblement supplié d'ordonner qu'un monument soit élevé
à la mémoire de Louis XVII, au nom et aux frais de la nation. "