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                                                                                Louis XVI, le " roi martyr "

 

Louis XVI, le " roi martyr ".


Discours sur le deuil national du 21 janvier, prononcé
par François-René de Chateaubriand à la chambre des Pairs,
le 9 janvier 1816.



par Marc Nadaux







François-René de Chateaubriand, l'écrivain et polémiste, auteur de deux opuscules d'importance, De Buonaparte et des Bourbons et De la Monarchie selon la Charte, participe également à cette réaction antirévolutionnaire. Prenant la parole à la Chambre des pairs, il propose un programme fourni de manifestations destiné à expier le crime de la Convention, l'assassinat du " roi-martyr ".







Messieurs,

qu'il me soit permis de vous rappeler, dût-on m'accuser d'un peu d'orgueil, que je reçus l'année dernière, à pareille époque, une bien douce récompense de ma fidélité à mon souverain légitime. Cette récompense fut d'être officiellement chargé d'annoncer la pompe funèbre que la France allait célébrer en mémoire du roi-martyr et les monuments que la piété de Louis XVIII voulait fonder pour éterniser ses regrets. Je fus redevable de ce choix à un ministre dont l'amitié m'honore, et qui, s'il a des ennemis, doit en chercher le plus grand nombre parmi des ennemis du roi. Vous aurez sans doute oublié, messieurs, ou peut être n'aurez-vous jamais lu le programme que je traçai alors de la fête expiatoire : comme il renferme des dispositions qui se rattachent à la résolution de la chambre des députés, comme ces dispositions sont à moitié l'ouvrage du roi, souffrez que je remette sous vos yeux quelques traits du tableau.

Tandis que les restes mortels de Louis XVI et de Marie-Antoinette seront portés à Saint-Denis, on posera la première pierre du monument qui doit être élevé sur la place Louis XV. Ce monument représentera Louis XVI, qui déjà, quittant la terre, s'élance vers son éternelle demeure. Un ange le soutient et le guide, et semble lui répéter ces paroles inspirées : Fils de saint Louis, montez au ciel ! Sur un des côtés du piédestal paraîtra le buste de la reine dans un médaillon ayant pour exergue ces paroles si dignes de l'épouse de Louis XVI : J'ai tout su, tout vu, et tout oublié. Sur une autre face de ce piédestal on verra un portrait en bas-relief de Mme Élisabeth ; ces mots seront écrits autour : Ne les détrompez pas, mots sublimes qui lui échappèrent dans la journée du 20 juin, lorsque des assassins menaçaient ses jours en la prenant pour la reine. Sur le troisième côté sera gravé le Testament de Louis XVI, où on lira en plus gros caractères cette ligne évangélique :

Je pardonne de tout mon cœur à ceux qui se sont faits mes ennemis.

La quatrième face portera l'écusson de France avec cette inscription : Louis XVIII à Louis XVI. Les Français solliciteront sans doute l'honneur d'unir au nom de Louis XVIII le nom de la France, qui ne peut jamais être séparée de son roi... Ce monument ne sera pas le seul consacré au malheur et au repentir. On élèvera une chapelle sur le terrain du cimetière de la Madeleine. Du côté de la rue d'Anjou, elle représentera un tombeau antique ; l'entrée en sera placée dans une nouvelle rue que l'on percera lors de l'établissement de cette chapelle. Pour mieux envelopper les différentes sépultures, l'édifice entier se déploiera en forme d'une croix latine, éclairée par un dôme qui n'y laissera pénétrer qu'une clarté religieuse. Dans toutes les parties du monument on placera des autels où chacun ira pleurer une mère, un frère, une sœur, une épouse, enfin toutes ces victimes, compagnes fidèles, qui pendant vingt ans ont dormi auprès de leur maître dans ce cimetière abandonné. C'est là qu'on viendra particulièrement honorer la mémoire de M. de Malesherbes. On nous pardonnera peut-être d'associer ici le nom du sujet au souvenir du roi. Il y a dans la mort, le malheur et la vertu, quelque chose qui rapproche les rangs.

Le roi fondera à perpétuité une messe dans cette chapelle ; deux prêtres seront chargés d'y entretenir les lampes et les autels. A Saint-Denis, une autre fondation plus considérable sera faite au nom de Louis XVI, en faveur des évêques et des prêtres infirmes qui après un long apostolat auront besoin de se reposer de leurs saintes fatigues. Ils remplaceront l'ordre religieux qui veillait aux cendres de nos rois. Ces vieillards, par leur âge, leur gravité et leurs travaux, deviendront les gardiens naturels de cet asile des morts, où eux-mêmes seront près de descendre. Le projet est encore de rendre à cette abbaye les tombeaux qui la décoraient, et auprès desquels Suger faisait écrire notre histoire, comme en présence de la Mort et de la Vérité.

Voilà, messieurs, ce qui fut commandé par le roi. Une ordonnance déclara de plus qu'à l'avenir le 21 janvier serait un jour consacré par des cérémonies religieuses. La première pensée de ce grand sacrifice de paix appartient donc à notre souverain, comme tout ce qui s'est fait de bon et de noble depuis la restauration de la monarchie. Et pourtant dans le programme dont je viens de lire quelques passages que de choses déjà vieillies, que de réflexions qui ne sont déjà plus applicables au moment où je vous parle ! Dum loquimur, fugerit invida aetas ! Combien, lorsque je retraçais la pompe de Saint-Denis, il y avait alors d'espoir au milieu du deuil de la patrie ! Combien le repentir de quelques hommes paraissait sincère ! Qu'il était doux pour le roi de leur pardonner !

Mais quand leur seconde trahison nous forçait de quitter le sol natal, auraient-ils jamais cru que nous nous retrouverions ici, à cette époque du 21 janvier, pour célébrer la seconde fête expiatoire ! Ils espéraient n'entendre plus parler de ces morts qui les accusent à la face du Dieu vivant. Ce Dieu pour les confondre a renfermé dans le court espace d'un an des événements qu'un siècle entier pourrait à peine contenir ; les hommes et les choses se sont précipités, se sont écoulés comme un torrent : toute la terre a pour ainsi dire passé en France entre deux pompes funèbres. Partis d'un tombeau, nous sommes revenus au pied de ce tombeau ; et de tant de projets conçus il n'est resté que ceux que Louis XVIII avait formés pour les cendres du roi son frère.

La chambre des députés veut partager les oeuvres de notre souverain ; elle veut unir la douleur du peuple à celle du roi : elle nous invite à nous joindre à son touchant hommage. Pairs de France, vous qui tenez la place de l'antique noblesse, à l'exemple du pieux Tanneguy, vous vous empresserez de concourir aux obsèques d'un monarque que des ingrats abandonnèrent. J'ai vu, messieurs, les ossements de Louis XVI mêlés dans la fosse ouverte avec la chaux vive qui avait consumé les chairs, mais qui n'a pu faire disparaître le crime ! J'ai vu le squelette de Marie-Antoinette intact, à l'abri d'une espèce de voûte qui s'était formée au-dessus d'elle comme par miracle ! La tête seule était déplacée ! et dans la forme de cette tête on pouvait encore reconnaître (ô Providence !) les traits où respirait avec la grâce d'une femme toute la majesté d'une reine ! Voilà ce que j'ai vu, messieurs ! voilà les souvenirs pour lesquels nous n'aurons jamais assez de larmes ; voilà les attentats que les hommes ne sauraient jamais expier ! Quand vous élèveriez à la mémoire de ces grandes victimes un monument pareil aux tombeaux qui bravent les siècles dans les déserts de l'Égypte, vous n'auriez encore rien fait : tout cet amas de pierres ne couvrirait pas la trace d'un sang qui ne s'effacera jamais !

Mais remarquez, messieurs, la puissance de la religion, de cette religion appelée à notre secours par notre monarque et par la chambre des députés ! Elle seule peut égaler les marques de la douleur à la grandeur des adversités ; elle n'a besoin pour cela ni de pompes magnifiques ni de mausolées superbes : quelques larmes, un jeûne, un autel, une simple pierre où elle aura gravé le nom du roi, lui suffiront. Laissons-la donc mener le deuil : cherchons seulement si dans la résolution soumise à votre examen ainsi que dans les adresses que l'on prépare rien n'a été oublié.

Je crois, messieurs, apercevoir une omission. Au milieu de tant d'objets de tristesse on n'a pas assez également départi le tribut de nos larmes. A peine dans les projets divers a-t-on nommé ce roi-enfant, ce jeune martyr qui a chanté les louanges de Dieu dans la fournaise ardente. Est-ce parce qu'il a tenu si peu de place dans la vie et dans notre histoire que nous l'oublions ? Mais que ses souffrances ont dû rendre ses jours lents à couler, et que son règne a été long par la douleur ! Jamais vieux roi, courbé sous les ennuis du trône, a-t-il porté un sceptre aussi lourd ? Jamais la couronne a-t-elle pesé sur la tête de Louis XIV descendant dans la tombe autant que le bandeau de l'innocence sur le front de Louis XVII sortant du berceau ? Qu'est-il devenu, ce pupille royal laissé sous la tutelle du bourreau, cet orphelin qui pouvait dire, comme l'héritier de David : " Mon père et ma mère m'ont abandonné ? " Où est-il, le compagnon des adversités, le frère de l'orpheline du Temple ? Où pourrais-je lui adresser cette interrogation terrible et trop connue : Capet, dors-tu ? Lève-toi ! - Il se lève, messieurs, dans toute sa gloire céleste, et il vous demande un tombeau. Malédiction sur les scélérats qui nous obligent aujourd'hui à tant de réparations vaines ! Qu'elle soit séchée la main parricide qui osa se lever sur cet enfant de saint Louis, roi oublié jusque ici dans nos annales, comme il le fut dans sa prison ! La France rejette enfin les hommes qui ont eux-mêmes rejeté une amnistie sans exemple. Ils ont méconnu leur second père ; la patrie ne les connaît plus ! Leur propre fureur a effacé la clause du Testament de Louis XVI qui les mettait à l'abri : la justice a repris ses droits, et le crime a cessé d'être inviolable.

Je vote, messieurs, pour l'adoption pleine et entière de la résolution de la chambre des députés, et je regrette que nos règlements nous interdisent de la voter par acclamation. Je propose, en outre, d'ajouter à la résolution cet amendement, qui complétera les expiations du 21 janvier :

" Le roi sera humblement supplié d'ordonner qu'un monument soit élevé à la mémoire de Louis XVII, au nom et aux frais de la nation. "