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Mémoire de Pierre Rivière, 1835 |
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Mémoire de Pierre Rivière,
" ayant égorgé ma mère,
ma sœur et mon frère ",
1835.
par Marc Nadaux
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« Moi, Pierre Rivière, ayant
égorgé ma mère, ma sœur et mon frère… ». Cette phrase est connue
de ceux qui ont parcouru l’ouvrage que Michel Foucault et
consorts ont consacré en 1973 à cette affaire de parricide sous
la Monarchie de Juillet. Ainsi commence la confession de ce
meurtrier, un volumineux mémoire dans lequel il explique son
acte ? Mais qui est donc ce Pierre Rivière ?
Pierre Rivière naît en 1815 à Courvaudon, dans le département du
Calvados. Il est l’aîné d’une famille de paysans qui comptera
quatre enfants. Marié deux années auparavant, Victoire Brion et
Pierre-Margrin Rivière ne s’entendent guère. Alors que l’Empire
est menacé par un soulèvement général en Europe, ce dernier
s’est marié deux années plus tôt à cette jeune fille des
environs afin d’échapper à la conscription. Ainsi le ménage
Rivière ne possède pas de domicile commun, l’épouse du paysan
refusant de vivre sous le même toît que son mari. Sa mère étant
malade peu après l’accouchement, Pierre est confié aux bons
soins de son père deux années durant. Il est ensuite dans le
giron maternel jusqu’en 1821, année où il retourne
définitivement chez son père, à Aunay-sur-Odon, dans le village
de La Faucterie. Ses frères le suivront en 1828.
Pierre Rivière est un enfant solitaire et taciturne. Les
voisins, qui travaillent aux champs, s’effraient parfois de son
comportement singulier : ses cris lorsqu’il marche seul dans la
campagne, son habitude d’effrayer les enfants. On l’accuse de
tuer de petits oiseaux, dans ses mains, pour le plaisir. A tel
point qu’on le surnomme « l’imbécile à Rivière ». L’enfant fuit
également le foyer familial et la présence de ses parents. Plus
tard, le procureur du roi décrira les « mouvements de
répulsion » qu’éprouvait parfois Pierre Rivière en s’approchant
de sa mère. Celle-ci, selon lui, multiplie les vexations à
l’égard de son père, les dettes sur les biens de la communauté.
Il se réfugie chez ses grands-parents, parfois également dans la
lecture, parcourant la nuit quelques ouvrages empruntés. Le
jeune homme s’intéresse d’ailleurs aux choses de la religion,
lisant notamment le « catéchisme de Montpellier » que le curé du
village lui a prêté.
Le 3 juin 1835, un samedi pourtant,
Pierre Rivière s’habille de ses vêtement du Dimanche. Vers midi,
il arrive à la ferme familiale, entre dans la pièce principale.
Le jeune homme tue alors de sang froid, à coups de serpe, sa
mère – enceinte de sept mois -, sa sœur âgée de dix-huit ans et
son frère de sept ans. Alerté par le voisinage et accompagné du
médecin , M. Théodore Morin, ainsi que de l’officier de santé
Thomas-Adrien Cordière, le Maire de la commune arrive peu après
sur les lieux et ne peut que contempler les cadavres qui gisent
sur le lieu du crime – la mère près de la cheminée où elle
préparait une bouillie, Jules et Aimée près de cette dernière -
, et donc constater les décès.
Le meurtrier prend ensuite la fuite, s’éloignant calmement dans
les campagnes des environs, après avoir raconté son geste à
quelques voisins. Ce n’est qu’un mois plus tard que le parricide
est arrêté – sans faire de difficulté -, sur la route de Falaise
à Caen, par un brigadier de gendarmerie de Langannerie. Le 10 du
même mois en effet, le procureur du Roi avait lancé un mandat
d’arrêt contre lui. Pendant tout ce temps, Pierre Rivière s’est
nourri de pain, acheté grâce à quelques monnaies, avant de
manger les baies et autres fruits sauvages, cueillis dans les
bois de Cingalis. Circulant la nuit, se reposant le jour, le
meurtrier aura erré pendant tout ce temps dans la campagne
normande.
Plus tard, interné à la maison d’arrêt de Falaise, avant son
procès, le jeune meurtrier s’occupe à la rédaction d’un mémoire
d’une cinquantaine de pages, Détail et explication de
l’événement arrivé le 3 juin à Aunay, village de la Fauctrie
écrite par l’auteur de cette action. Il s’agit pour lui
d’expliquer la genèse du meurtre, dès avant les premiers
interrogatoires. Décidé un mois avant son accomplissement, le
meurtre est perpétré grâce à une serpe aiguisée à cette fin.
Ainsi la première partie de l’écrit s’intitule : « Résumé des
peines et des afflictions que mon père a souffertes de la part
de ma mère depuis 1813 jusqu’à 1835 ». Au juge d’instruction,
Rivière explique que la Providence avait ligué les trois
victimes contre son père afin de le persécuter. C’est aussi
suivant le commandement de Dieu qu’il a agi. Dans un second
temps cependant, Rivière dément cette inspiration divine.
Bientôt les médecins s’emparent de l’affaire. Le docteur
Bouchard, qui a régulièrement rendu visite au meurtrier dans sa
cellule, affirme que Rivière n’est nullement aliéné, « qu’aucune
maladie n’a pu déranger les fonctions du cerveau ». Aussi « on
ne peut attribuer le triple assassinat… qu’à un état
d’exaltation momentanée, préparée par les malheurs de son
père ». Une opinion que ne partage nullement son confrère, le
docteur Vastel, médecin des Bons-Sauveurs, la maison des Aliénés
de la ville de Caen, ainsi que d’autres praticiens. Au procès
qui s’ouvre à l’automne devant les Assises du Calvados, devant
le refus de ses confrères, un jeune avocat est commis à
l’accusé, Me Berthauld. Ces débats savants, relayés par les
journaux locaux, passionnent l’opinion. Ce crime est peu courant
à l’époque, à peine une dizaine d’affaires par an dans le
royaume. D’autant plus que Pierre a prémédité son geste. Des
chansons fleurissent sur le sujet. Le 15 novembre 1835
cependant, le matricide est condamné à mort, la « peine des
parricides » selon le Pilote du Calvados.
Alors que doit se dérouler à Paris le procès de Fieshi, auteur
avec ses complices d’un attentat sur la personne du roi,
accorder les circonstances atténuantes – comme l’autorise une
loi de 1832 – aurait été en effet interprété comme une décision
politique. A l’époque, il est naturel de faire un parallèle
entre parricide et régicide, le roi étant toujours perçu comme
une figure paternelle pour son peuple. Pierre Rivière se
pourvoit néanmoins en cassation. Celui-ci étant rejeté le 15
janvier 1836, le roi Louis-Philippe d’Orléans use de son droit
de grâce – comme à son habitude - et commue la peine infligée au
parricide en réclusion à perpétuité, le 10 février 1836.
Quelques semaines auparavant, six prestigieux médecins - dont
Esquirol, médecin en chef de l’hôpital Charenton, Orfila, doyen
de la Faculté de médecine de Paris – avaient affirmé dans un
rapport commun que « depuis l’âge de quatre ans, Pierre Rivière
n’a pas cessé de donner des signes de son aliénation mentale,
que ces homicides sont uniquement dus au délire ». Alors que son
mémoire est mis en vente par le libraire Mancel de Caen, Pierre
Rivière est transféré à la prison de Beaulieu, le 9 mars 1836.
Il décède le 20 octobre 1840, après s’être pendu. Le meurtrier,
qui depuis longtemps avait assumé son acte, clamait sans sa
cellule, à qui voulait l’entendre, qu’il était déjà mort. |
Détail et explication de l’événement
arrivé le 3 juin à aunay, village de la fauctrie
écrite par l’auteur de cette action.
Moi pierre Riviere, ayant egorgé ma mére, ma sœur et mon frére, et
voulant faire connaître quel sont les motifs qui m’ont porté à cette
action, j’ai ecrit toute la vie que mon pére et ma mére ont menée
ensemble pendant leur mariage. j’ai été témoin de la plus grande partie
des faits, et qui sont écrits sur la fin de cette histoire, pour ce qui
est du commencement, j’ai l’ait entendu raconter à mon pére lorsques
qu’il en parlait avec ses amis, ainsi qu’avec sa mére, avec moi et avec
ceux qui en avaient connaissance. aprés cela je dirai comment je me suis
résolu a commettre ce crime, ce que pensais alors et quelle était mon
intention, je dirai aussi quelle était la vie que je menais parmi le
monde, je dirai ce qui se passa dans mon esprit aprés avoir fait cette
action, la vie que je ménée et les endroits par ou je été depuis ce
crime jusques à mon arrestation et quelles furent les resolutions que je
pris. tout cette ouvrage sera stilé trés grossiérement, car je ne sais
que lire et écrire ; mais pourvu qu’on entende ce que je veux dire, ce
c’est que je demande, et j’ai toute rédigé du mieux que je puis.
Résumé des peines et des afflictions
que mon pere a souffertes de la part de ma mére
depuis 1813 jusqu’à 1835
Mon père etait le second des trois garçons jean Riviére et de
marianne Cordel, il fut élevé dans l’honnêteté et dans la religion, il
se montra toujours doux et pacifique et affable parmi le monde, aussi il
était estimé de tous ceux qui le connaissaient, il fut de la
conscription en 1813. dans ce temps comme on le sait tous les garçons
partaient, aprés que le contingent avait été rempli une fois, quelque
temps aprés on revenait sur les numéros et on prenait le reste, mais
ceux qui s’étaient mariés avant ce second appel étaient exemptés par
là ; mon oncle frere ainé de mon pére était au service, et on craignait
que mon pere malgré son haut numéro ne fut encore obligé de partir, il
fut donc résolu qu’il se marierait. un fonctionnaire public avec qui il
était ami promis qu’il l’avertirai aussitot que son contingent serai
rempli, qu’en attendant il fit toujours une bonne amie. par la
connaissance de françois le comte de Courvaudon, mon pére fut demander
victoire Brion, les ages et les fortunes s’adonnaient a peu prés, elle
lui fut promise et mon père la frequenta pendant six mois, alors on
l’averti qu’il était temps qu’il se mariat, les parens de ma mere n’en
furent plus alors d’avis, leurs garcons étaient morts au service et ils
craignaient d’être encore embarrassés pour leur gendre. mon pére alors
leur representa que s’ils avaient a se dedire ils auraient dû le faire
auparavant, car maintenant il allaient le laisser embarassé, ma mére
applaudissait ce que disait mon pére et elle pleurait voyant que ses
parens à elle s’opposaient à leur union, mon pére la voyant pleurer se
pensait : elle m’aime puisque qu’elle pleure, enfin ses parens se
décidèrent et on alla passer le contrat de mariage par devant monsieur
le bailly notaire à aunay. les clauses de ce contrat furent qu’il
existerait communauté entre les époux de biens mobiliers d’aquet et
conquets immobiliers, qu’en cas de morts de l’un des epoux avant l’autre
sans enfans alors existans, le survivant jouirrait pendant sa vie de la
totalité de biens propres de son conjoint, et que s’il y avait des
enfans, il jouirrait seulement de ces biens et les enfans de l’autre
moitié. que le pére et la mere de la future epouse lui constitue et
qu’elle se constitue en dot tous les biens immobiliers qu’elle pourra
recueillir de la succession de ses pere et mère. ces biens lors de leur
recouvrement seront regis et administrés par le mari conformément à la
loi titre du regime dotal. l’inalienabilité de ces biens telle qu’elle
est expliquée dans le code civil, est aussi mentionnée dans ce contrat.
il portait en outre que l’apport présent du mari en communauté etait
evalué a 100 frans et celui de la femme se consistant en linges et
hardes de plusieurs espèces, une armoire fermant a deux volets, un lit,
des draps et plusieurs autres chose mentionnée. le tout estimé à la
somme de quatre cents francs. que le jour du mariage lui vaudra d’aquit
de cet apport en communauté. que la dite epouse autorisé comme dit est
se reserve le droit de renoncer a la communauté dans quelle temps et de
qu’elle maniére que la dissolution dicelle arrive alors elle remporterai
en exemtion de toutes dettes et charges son apport ci dessus mentionné
et en outre tout ce qui lui serai echu de succession dont elle
justifirait état. que cette dissolution de la communauté arrivant du
vivant des epoux, que le survivant ne serait nullement privé des droits
qui sont mentionnés plus haut de jouir sa vie durant des biens
personnels de son conjoint. telles furent les clauses du contrat.
quelques jours aprés ils se mariérent au civil. ensuite à l’église. lors
de ces derniers actes ma mere n’en était d’avis comme auparavant, ils ne
tinrent pas de noces, et le jour de leur mariage ils ne couchérent pas
ensemble, parce que la réforme n’etant pas encore passée, ma mère
disait : il n’à qu’a me faire un enfant et puis partir que déviendraije.
comme ceci pouvait être raisonnable, mon pére ne forcât pas a y coucher.
quelque jours aprés eut lieu la réforme, mon pére portat son acte de
mariage, et par un retard qui survint il resta trois jours a caen de
plus qu’il ne croyait. pendant ce temps ma mere ne vint pas voir a aunay
ce qui en était. mon pere en revenant de caen passa par courvaudon et ce
fut la prémiere fois qu’il coucha avec elle. j’expliquerai ici comment
était composée ma famille, celle de mon pére et de ma mére. dans la
maison de mon pére a aunay il y avait mon grand-pére et ma grand-mére
une tante de mon pére, mon oncle plus jeune que mon pére de dix ans en
tout cinq personnes. a courvaudon il y avait mes ayeux maternels et ma
mére en tout trois. mon grand-pére paternel possédait a peuprés 6 acres
de terre et mon pére et mon oncle entre autres ouvrages et commerces
qu’ils faisaient, s’occupaient à faire valoir cette terre. ils avaient
un cheval et sosonnaient avec un homme qui en avait un aussi. pour mon
grand-pére maternel il possedait a peuprés trois acres de terre qu’il
faisait valoir en prenant des laboureurs a journée. le village du
bouillon ou il demeurait est eloigné d’une lieue de celui de la fauctrie
ou demeurait mon pére. après le mariage ma mere restat avec ses parens à
courvaudon, et mon pére allait y allait faire le labourage qu’il y avait
à faire. dans les premiers temps de son union avec ma mere il allait
souvent lui rendre visite, mais il n’était recu d’elle qu’avec une
froideur qui le déconcertait, son beau-pere et sa belle-mere lui
faisaient bien meilleure mine. par cette froideur que ma mere lui
temoignait il n’allait plus la voir si souvent, sa mére s’etonnait qu’il
n’eut pas cette ardeur des nouveaux mariés. mais lui disait-elle ne
vas-tu pas aller aller au bouillion ce soir — ah dit-il ou voulez-vous
que j’aille ? dans le contrat de mariage il était dit que ma mere avait
un bon mobilier. mais ce n’est qu’une coutume qu’on a de mettre cela
dans les contrats elle n’en avait pas, et comme elle avait besoin d’un
lit et qu’on faisait une vendue à un village peu éloigné elle dit a mon
pére desirait avoir le lit, il lui demanda elle n’aimerai pas mieux du
neuf, mais elle dit que non et elle le disputait fort qu’il allait
arriver trop tard, mon pére alors pensa qu’il allait l’acheter à quelque
prix que ce fut, et il l’acheta à peuprés sa valeur, mais pendant la
vendue d’autres femmes dirent a ma mere qu’ils ne voudraient pas de la
peuvre, et elle dit à mon père qu’elle n’en voulait pas que c’était trop
cher ; il lui repondit : mais cela est acheté il faut qu’on s’en serve,
elle dit qu’en n’en voulait pas, mon père dit : pas de bruit pour cela
et il prit le lit et fut obligé de le revendre. dans le commencement de
1815 ma mère acoucha de moi, elle fut bien malade de cette couche. mon
pére prit tous les soins qu’il fallait prendre envers elle, il ne
couchat pas pendant six semaines, il dit que lors qu’il se couchat par
la suite il ne pouvait dormir, qu’il etait accoutumé a veiller, dans
cette maladie de ma mere, les manmelles lui pourrirent et mon père les
lui sucait pour en extraire le venin, ensuite il le vomissait a terre.
ma mere dans sa maladie montrait du mépris et de la dureté surtout à
regard de sa mére, elle ne la trouvait pas capable de lui faire aucune
choses ; c’était ma grand-mére paternel qu’elle trouvait alors capable
de la soigner. comme elle lui demandait pourquoi elle ne voulait pas que
ce fût sa mére, elle repondait : et puisque qu’elle est si bête. le mal
que souffrait ma mére alors eut pu l’excuser si sa conduite n’eut pas
toujours continué dépuis. dans cette maladie elle avait le dévouément,
elle ne voulait pas qu’on mît de son linge sous elle, elle voulait que
ce fut celui de sa mére. au bout de six mois elle fut guérie, mon pére
comme je l’ai dis faisait le labourage qu’il y avait à faire à
courvaudon, et pendant tout son mariage à l’exception du peu de temps
qu’elle vint demeurer avec lui dont je vais bientôt parler, il n’a
couché avec ma mére que lorsques qu’il allait faire ce labour ou quelque
autre ouvrages comme d’apprêter du grain, couper du bois, planter des
arbres, faire du cidre, etc. l’année suivante ma mére se trouvant de
nouveau enceinte, ses parens résolurent de l’envoyer avec son mari, et
elle l’avertit qu’elle avait dessein d’habiter avec lui, mon pére en fut
bien aise, et on fit arranger un cabinet pour y mettre son ménage. mon
pere acheta une armoire et on apporta tous les meubles que ma mére avait
à courvaudon, elle devait resider avec les parents de mon pére, et vivre
tous ensemble. cela alla bien pendant deux ou trois mois jusqu’à sa
couche et elle accoucha d’une fille nommée victoire, sa maladie fut de
nouveau grave et elle dura trois mois, elle fut soignée comme le doit
être tout malade, mon pére et ma grand-mere ptl passaient leurs nuits,
et on lui donnait ce que le médecin ordonnait, c’était chez la veuve
michel-guernier boulanger a aunay qu’on prenait le pain. malgré tous les
soins que mon pére et ma grand-mére prenaient pour elle, elle l’est
accablait d’injure et de paroles mortifiantes, ma grand-mére paternel
n’était plus alors capable de lui rien faire, sa mére venait la voir de
courvandon et elle la trouvait seule capable de la soigner, elle se
faisait donner des plats de porc cuit au four, et plusieurs autres
choses indigestives, et comme mon pére et ma grand-mere paternel [1]
si opposaient elle disait qu’ils y avaient regret que c’était l’avarice,
qu’ils faisaient périr. ma g-m-m. venait la voir elle disait qu’il
fallait lui en donner, elle lui en faisait cuire, et enfin pour la
satisfaire on lui donnait ce quelle demandait et aprés qu’elle avait
pris toutes ces choses, elle etait prises de nouvelles convulsions on
peut dire que ceci retarda beaucoup sa guérison. lorsqu’elle commenca à
se retablir, ma g-m-m. en venant la voir disait qu’elle voudrait bien
qu’elle retournat chez elle que mon g-p-m. avait bien envie de la voir
qu’il fallait la rapporter dans une charette. ma mere dit aussi qu’elle
voulait s’en retourner et qu’elle ne demeurerait plus à aunay. mon pére
eut beau lui faire des représentations qu’il serait honteux pour lui,
qu’elle s’en retournât, elle dit qu’elle le voulait absolument et que
s’il ne lui raportait ses meubles, elle les enverrait chercher. elle
retourna donc avec ses parents, et mon pére lui reporta ses meubles il
en porta une partie la nuit car le monde s’en moquait. or a cette époque
ma mére manifesta une grande aversion pour mon pere, elle debita dans
courvaudon qu’elle n’était revenue que parce qu’on la faisait périr
qu’elle manquait de tout, et que pendant sa maladie on avait fait moudre
deux bartés de mouture sans bulleter afin que cela durat plus longtemps.
lorsques que mon pere y retournait travaillier elle lui témoignait toute
son aversion ; lui tachait de la gagner, il lui disait : puisque que tu
n’as pas voulu rester avec moi veux-tu que je vienne ici avec tes parens
pour y demeurer ? que feraient-ils de toi, lui répondit-elle, il lui
demanda ce qu’elle voulait qu’il fit, elle voulait qu’il se louat pour
être domestique et que tous les ans il vint lui apporter l’argent de ses
gages pour en disposer comme elle voudrait, mon pére dit qu’ayant de
l’occupation chez lui il ne se louerait pas domestique et puis voyant
comme elle le traitait, il resolut de ne plus retourner la voir,
plusieurs personnes entr’autres ma g-m-p, feu Nicolle de saint agnan
avec lequel il sosonnait, lui conseilliérent d’y retourner, et alors il
dit a son frére et a Nicolle d’aller sans en parler a personnes labourer
le champs qu’il y avait à labourer à courvaudon et puis de s’en revenir,
mais ils y furent vus et ma g-m-m. vint leur apporter à manger,
quelque-temps aprés mon pére y fut couper du treffe, ma mére vint lui
apporter de la soupe, et alors il lui dit : veux-tu m’embrasser ? ce
n’est pas bien la peine, lui repondit-elle, et bien, lui dit mon père,
mange ta soupe car je n’en veux pas, et il faucha tout le trèffle sans
manger et sans revint à aunay. dans ce temps-là je ne sais qu’elle
circonstance y avait donné lieu, je demeurais avec mon pére à aunay.
j’avais trois ou quatre ans, ma mère accompagnée de sa mére vint me
chercher, elle me trouva dans le prai ou l’on fanait, ma g-m-p. me
tenait sur le bras alors sans dire une parole à personne elle me prit et
m’emporta. comme je criais mon pére courut aprés elle, et dit qu’il ne
voulait pas qu’elle m’emportât criant, qu’il me porterai le lendemai sur
le cheval à courvaudon, ce que voyant ma mére elle dit a sa mére qui
était avec elle : touchez dessus, touchez dessus, ma g-m-m. etait un peu
maligne, mais elle ne doit pas etre mise en comparaison avec ma mére,
elle avait un bon coeur et recevait toujours mon pére avec amitié, elle
se donna bien de garde de faire ce que ma mére lui disait alors, ma mére
voyant donc que mon pére ne voulait pas qu’elle m’emmenat ce jour, se
mit a crier dans les rues : je reveux mon enfant, je reveux mon enfant,
et elle alla de ce pas trouver le juge de paix de villers pour lui
demander si mon pére avait le droit de lui retenir son enfant. mon pere
suivant sa promesse alla me porter le lendemain a courvaudon et
déconcerté de toutes ces choses il n’y retournait plus, on le conseillia
d’y retourner, il obeit encore et continuat d’y aller travailler, ma
mére lui faisait toutes les vilainetés possibles entr’autres de lui
retirer l’oreillier et couete du côté ou il se couchait. dans ce temps
là, mon pére et mon oncle acheterent en leurs nom pour mille écus de
terre et de maisons, qui sadonnaient dans leur bien. ils empruntérent la
moitié de cette argent et mon pére en fait encore la rente, pour l’autre
moitié, ils en avaient une partie et ils esperaient gagner le reste, et
mon pére malgré la maladie et la mort de oncle en 1825 était presque
acquité quand un procés survint pour les biens de ma mere dont je
parlerai, quoique ceci paraisse étranger à la cause de cette histoire
j’en ai cependant fait mention, car ma mere a debité plusieurs fois que
mon pére était un mangeards et qu’ils faisait perir ses enfans. il se
passa des intervalles ou ma mére ne témoigna pas tant d’aversion envers
mon pére, sans pourtant lui faire beaucoup d’amitié, rien que des
paroles mortifiantes à mon pére et à mon oncle lorsqu’ils allaient faire
le labourage ou bien leur porter du bois, car les parens de ma mére n’en
recoltaient pas assez, et mon pére qui en recoltait plus qu’eux leurs en
portait lorsqu’ils en avaient besoin. mon oncle etait plus vif que mon
pére, il ne pouvait supporter toutes les paroles que ma mére lui
disait ; quand, dit-il, je lui entends dire toutes ces raisons elle me
met a bout, si elle continue je finirai par lui foutre ma main par la
goule. mon pére craignant qu’il ne fit, lui dit de n’y pas retourner,
ainsi ce fut le plus souvent mon pére qui depuis alla faire le
labourage. ma mére en 1820 accoucha d’une fille nommée aimée et 1822
d’un garçon nommé prosper. je dirai ici la vie que ma mère menait avec
ses parens, tous les jours elle disputait avec sa mére, elle ne lui
disait pas une parole que cela ne fut pour la mortifier, s’entrereprochaient
continuellement cinquantes milles choses, témoin tous ceux qui les ont
entendu parler ensemble, mon pere avait beau faire de remontrances à ma
mére qu’il fallait mieux respecter la sienne c’était en vain, elle s’en
moquait, je demeurai à courvaudon pendant mes six premières années
j’étais témoin de toutes ces disputes je puis que je n’avais pas grand
attachement pour ma mére, j’aimais bien plus mon grand-pere et ma g-m,
surtout mon g-p ; il me contait plusieurs choses j’allais avec lui, et
il est reconnu que c’etait un brave homme, il faisait la profession de
charpentier, mais dans le temps dont je parle, il n’allait plus à
journée, il était demeuré de jambes, il travaillait encore dans sa
boutique, et la il était tranquille, elle était assez éloignée pour ne
pas entendre que faiblement le claquet qui regnait dans la maison. ma
soeur victoire avait été habiter quelque temps avec mon pére à aunay,
elle avait à peu-prés trois ou quatre ans, et ma g-m-p. qui avait eu
autrefois une fille qu’elle avait perdue dans son age, semblait voir
dans ma soeur la resurection de cette enfant, ma mére alla la
rechercher, mon pére lui fit la representation que je viens de dire,
mais il aurait mieux fait de dire qu’elle lui était à charge. moi
j’allai habiter avec mon pére à l’age de dix ans et depuis j’ai toujours
resté avec lui. ma mére en 1824 accoucha d’un garcon nommé jean, il fut
convenu que ce serait ma g-m-p. et moi qui le nommeraient, mon pére
était absent lors de la couche, ma g-m-p. fut à courvaudon, et après
avoir vu ma mére qui était accouchée, elle examina l’enfant, il était
enveloppé de quelques mauvais haillons, ma g-m-p dit alors : ah on ne
lui mettra je crois bien ses autres habits que demain. ah, dit ma mére,
il n’y a pas d’autre chose, bienheureux d’avoir cela. ma g-m-p. compris
alors qu’elle avait fait cela sachant que ce serait elle qui le
nommerai, pénétrée de douleur elle revint à aunay et dit ces choses à
mon oncle qui était alors malade ; ah dit-il, en sera-t-il encore de
l’espèce, apportez-le ici ce pauvre pétit, il n’aura pas de mauvais
exemples. ma g-m alla au boug et recommanda un bonnet et ce qu’il
fallait pour habiller cet enfant, la couturiére passa sa nuit pour le
faire, et le lendemain on le baptisat, mon père qui était revenu demanda
a ma mére, si on allait enporter quelqu’uns des enfans et qui la
genaient, mais elle dit qu’elle voulait qu’on enportat que celui qui
venait d’etre fait ; eh bien, dit mon pere, on va l’enporter et du
partir de l’eglise, car elle est sur le chemin d’aunay ; lorsques que ma
mère vit qu’on allait partir, elle dit a mon pére : oh je vois bien que
tu as envie de me faire crever, et ne voulut plus qu’on l’enportât. dans
ce temps lá mon g-p-m. fut tout fait infirme, il avait encore quelque
argent qu’il voulut donner à mon pére aimant mieux le lui confier qu’a
sa femme et sa fille, mon pére lui qu’il était plus convenable qu’il le
confiat a sa femme ma g-m-m. ce qui fut fait. cet homme mourut en 1826.
dans ce temps, mon pére voulait avoir de ses enfans avec lui ; ma soeur
aimée avait montré le désir d’y venir, d’ailleurs ma mére demandait du
grain pour les nourrir, et elle envoya le meunier pour en chercher un
sac, mon pére dit qu’il avait du pain chez lui pour ses enfans, qu’ils
pouvaient en venir manger, et il ne donna pas de grain ce que voyant ma
mére, et sachant qu’il était ami avec mrs les vicaires d’aunay, elle
s’habilla comme une mendiante et vint à aunay, elle entra chez mon pére,
elle lui reprocha qu’il était un mangeard et un lubrique qu’il
entretenait des putains : tu fais le devot, lui dit-elle, mais tu ne dit
pas tout à ton conffesseur, je vais aller le trouver et lui apprendre ta
vie ; puis s’adressant a ma g-m-p, elle lui dit : que vous avez eu tort
de l’élever dans un telle vice, fi que cela est vilain et indigne.
entendant de telles paroles, ma g-m repondit : oh que dites-vous là
passez dehors, j’y vais passer aussi, dit ma mére, mon pére n’avait
montré à toutes ces reproches que son humeur ordinaire, toujours doux,
et cherchant a se justifier en exposant la vérité, ma mére fut de ce pas
trouver feu mr grellay qui était alors vicaire à aunay. elle lui dit que
son mari la faisait périr, qu’elle manquait de tout, qu’il avait
d’autres femmes qu’elle, enfin tout ce qu’elle put imaginer pour le
diffamer ; cela m’étonne disait mr le vicaire, je prenais Riviére pour
un bon garçon. a la fin il lui dit, ecoutez si vous etiez avec lui vous
auriez comme lui. dans la journée il vit mon pere, et lui parla de cette
affaire, mon pere se justifia du mieux qu’il put et mr le vaire ne mit
pas grand foi à ce que mére lui avait dit. a cette epoque il se trouva
une maison à vendre à côté de ceux de ma mére à courvaudon, elle en
avait envie, mais mon pere qui voyait qu’ils avaient deja plus de
maisons qu’ils ne leurs fallait, et qui craignait le resultat d’un
procés qu’on venait d’intenter sur les biens de ma mére, s’opposait à
l’achat de cette maison, mais ma g-m-m. l’acheta en son nom et ils y
employerent l’argent qu’ils avaient. le procés qu’on venait d’intenter,
etait pour une piéce de terre que mon g-p-m. avait achetée d’un homme,
dont la femme avait par son contrat de mariage, une dot de douze cents
francs à remporter dessus, et cette hypothéque n’avait pas été levée, il
devint plus serieux qu’on ne l’avait cru du commencement, mon pére et ma
mére allerent consulter plusieurs personnes qui connaissaient la loi, et
on les avertit qu’ils tomberaient toujours au dessous du procés, il
etait pourtant reconnu que c’était une volerie.
Cette femme n’avait jamais rien apporté à son mari,
et comme ma mére voulait plaider, des avocats qu’ils consulterent à caen,
dirent qu’en prouvant que cette femme n’eut rien apporté qu’elle ne
pourrait rien reclamer, ainsi il y eut donc procés, mais il fut bientot
perdu, mon pere comme je l’ai deja dit avait des amis, tous lui
offrirent de l’argent pour s’arranger et ne pas laisser vendre cette
terre, et il s’arranga, il lui en couta en frais et en tout 850 francs.
ma mère avait une rente dont l’amortissement fournit à peu prés 200 frs
mon pére payat le reste, il fut obligé de tout emprunter : et il l’a du
pendant deux ans. ma g-m-p. avait une rente de 90 francs que ses fréres
lui faisaient pour son mariage ; ils en amortirent un tiers, ce qui fit
à peu prés la somme que mon pere devait, ainsi ça été la rente de ma
g-m-p. qui a servi a aqquiter les biens de ma mère, pendant tout ce
procés ma mére faisait trés bonne mine à mon pére, et de ce temps
jusqu’aux deux derniéres années il n’y eut pas grand chose entreux ;
l’année d’apprés ce procés en 1828 ma mére accoucha d’un garcon nommé
jule, ma soeur aimée, et mon frère prosper, étaient venus demeurer avec
mon pére, l’année suivante mon frere jean y vint aussi demeurer ; ma
soeur victoire et mon frère jule ont toujours resté avec ma mére. a
cette epoque j’allais avec mon pére faire le labourage, et je voyais que
les disputes entre ma g-m. et ma mére continuaient toujours, mais ma
mére prit le dessus de ma g-m. qui s’afféblissait, cette pauvre bonne
femme fut tout-afait malheureuse, non-seulement elle souffrait les
querelles continuelles ; mais plusieurs personnes rapporte avoir vu ma
mere la battre et la trainer par les cheveux. mon pére n’a jamais battu
ma mére à l’exception de quelques soufflets qu’il lui donna dans les
grandes niarges qu’elle lui faisait, et dont je parlerai ; mais il dit
que s’il s’était trouvé dans ces rencontres il n’aurait pu s’empêcher de
la frapper ; ma mére en outre commanda a ma soeur victoire de ne pas
obéir du tout à ma g-m de sorte qu’ils etaient d’accord et la
persécutaient toutes deux, elle dit plusieurs fois à mon pére qu’elle
souhaitait de faire des lots et se retirer dans une des autres maisons à
côté, mais mon pére lui disait : est-ce que je veux faire des lots avec
vous, n’est-ce pas tout pour vous, elle avait plusieurs fois reproché à
ma mére dans les disputes, qu’elle manquait de fidélité à son mari et
lui avait reproché plusieurs chalans, jamais mon pere n’y a ajouté foi,
il disait que les maux qu’elle endurait lui faisaient imaginer et dire
ces choses, il prenait tous les soins possibles pour tacher d’avoir la
paix et la tranquillité avec ma mére, il lui achetait des vaches, et les
vendait lorsqu’il le fallait, et ils se rendaient compte liad pour liad,
ma mére avait dans son jardin une chouppée d’osier, elle en vendait si
mon pére en avait besoin de quelques bottes, il les payait sur les prix
qu’elle lui démandait, il lui prit un jour un quarteron de gleuf ; il
fallut qu’il prit un détour et qu’il dit qu’une personne lui avait
demandé du gleuf, et qu’il l’achetai pour tel prix, et ma mére dit
qu’elle le donnai... alors il la payat et prit le gleuf ; car s’il l’eut
pris sans cette précaution, elle aurait toujours dit qu’il ne l’aurai
pas payé sa valeur, tous les marchés qu’il faisait pour elle, elle n’en
trouvai pas un de bien fait ; quand il achetait c’était toujours trop
cher, quand il vendait c’était toujours trop bon marché, pour une
vertile de rien elle se courroucait, un jour un de ses voisins ayant
planté de piquets peut-être un pouce ou deux sur son terrain, elle en
parla à mon pére, il eut le malheur de dire que cela n’y portait pas
grand préjudice, elle se mit à lui-dire mille injures et entra tellement
en furie qu’elle en avait la bros à la bouche. j’arrive aux deux
derniéres années du mariage au commencement de 1833 ; ma g-m-m. était
alors retenue au lit de la maladie dont elle est morte, ma mére fit
faire un habit à ma soeur victoire, et comme elle passait tous les
samedis à la fauctrie en venant vendre son beurre à aunay, en passant
elle dit qu’il faudrait aussi faire un habit a ma soeur aimée ; vu que
ma soeur avait assez d’habits, et que mon pére n’avait d’argent a
perdre, il répondit qu’il n’y en avait pas besoin pour le moment. le
samedi suivant ma mére parlant à ma g-m-p. dit si on n’était point
décidé de faire un habit, on repondit que non. ah c’est cela, dit-elle
on ne craint pas tant de depenser pour d’autres ; et s’en alla en disant
cela, ma g-m-p. comprit qu’elle accusait de nouveau mon pére de
debauches et d’adultére ; ceci fut vérifié le samedi suivant, ma mére en
passant vint trouver mon pére à la grange ou il battait avec moi, mon
pére venait de faire faire une chartrie dont il avait fait peindre la
porte en arrivant, ah, dit-elle, tu prends bien plus de peine pour ta
chartrie, que pour ta maison est-tu décidé de me donner de l’argent pour
payer bringon [2] mon pére dit, mais ce
n’est pas la coutume que je te fournisse d’argent, donne-moi, dit ma
mére, ce que tu me dois le reste du prix de notre veau, mon pére dit tu
sais que nous avons conté et que cela revenait a quelque chose prés. en
effet mon père lui avait achété une vache, et ils s’étaient rendus
compte à trente ou quarante sous prés [3],
en outre mon pére avait achété pour elle une vache qui s’étant trouvée
malade il l’avait gardée chez lui, il l’avait perdue et il ne lui
contait pas cela. ma mére lui dit : ah oui tu as envie de me voler,
quand tu as l’argent entre les mains tu le garde, vieux fripon, vieux
lubrique, vieux macroc tu aimes bien mieux soutenir ta ménagiére, tu
fais perir mes enfants pour soutenir les siens [4]
tu lui séme tu lui laboure tout son cas ; mais dit mon pére il faut bien
que je gagne ma vie. ma mére lui dit, tu fais tout pour le ciel, elle a
de l’agrement cella elle a le cul sacré, sulpice me le disait bien, tu
devrais mourir la honte, va tu as eu mes enfans, mais tu auras la
menagiere aussi car je veux venir les soigner, je n’entends pas que tu
les fasse périr ; je veux empêcher tes debauches, et elle s’en alla. mon
pére la larme aux yeux me dit alors que je me repends d’avoir donné tant
d’argent pour le champ-poulain, c’etait le nom de la piéce de terre
qu’il avait rachetée a ma mére. malgré tout ce qu’elle venait de dire,
elle ne laissa pas en revenant du boug de venir trouver mon pére pour
lui dire d’aller tuer son cochon car mon pére savait tuer et saler les
cochons, et il y fut pendant la semaine, arrivé il demanda ou il allait
mettre son cheval, ma mére dit qu’il n’y avait pas de place, elle en eu
bien trouvé si elle voulut, mais elle disait qu’il etait tout aussi bien
dehors, mon père le logea chez un des voisins, et ensuite il apprêta le
cochon, c’était la coutume qu’il en apportait un morceau pour en faire
gouter, de cette fois il n’en prit pas. ma mére lui demanda pourquoi ;
si j’en prenais, dit-il ce serait pour donner a celle qui a le cul sacré
en passant, et sur cela mére soutint toujours son opinion, et mon père
partit aussitôt. ma mére n’allait pas souvent a confesse, il y avait
quelques années qu’elle n’avait fait de pâques, cependant comme mon père
etait ami avec mr le curé de courvaudon elle fut a conffesse, et en
outre elle lui parla de mon pere, l’accusant de ce que je dis qu’elle
lui avait réproché, qu’elle voulait venir soigner ses enfans qu’on
faisait périr. quelques jours après mon vit mr le curé qui lui qu’il
avait vu sa femme et qu’elle désirait venir avec lui. mon pére lui dit
ne vous à-t-elle pas encore dit autres chose ? ah quand à cela, dit le
curé, on vous connait bien, mais elle veut être avec ses enfants, mon
pere dit, je la veux bien aussi, mais maintenant la position est bien
critique. voila sa mére qui est bien malade et qui peut-être en mourra,
il faudrait attendre qu’elle fut guérie, ou bien si veut absolument
venir, mettre une personne à la soigner, le curé trouva que cela etait
juste, et la maladie de ma g-m-m. allant en empirant elle mourut quinze
jours après, mon père payat ce qu’il fallut pour l’enterrement, et
quelque jours après il dit à ma mére, tu voulais venir avec moi,
maintenant il n’y a plus rien qui te retient, tu peux y venir ;
cependant comme il la connaissait, il lui fit cette proposition, si tu
veux rester ici, lui dit-il, je continuerai à vénir faire le labourage,
et je te ferai comme auparavant, non dit-elle je veux empêcher tes
aumônes, mon pére lui dit, tu est donc toujours de la même opinion
est-ce pour me faire de la peine que tu dis cela ou bien si tu le crois
reelment, mais ma mére le soutint toujours et lui dit qu’étant venu il y
a quelque temps pour faire du cidre, il avait été cause, qu’elle avait
été obligée de payer une journée de pressoir de plus qu’il n’aurait
fallut, qu’elle savait que le matin avant de venir, il avait été
conduire sa putain [5] elle en
parla aussi devant ma soeur aimée, ma soeur eut beau la prier tout en
larmes, qu’elle cessât d’avoir de telles persuasions, que par rapport à
ce qu’elle disait que mon pére avait été conduire cette femme, que cela
n’était pas vrai, que c’était un autre homme du village qui avait été la
conduire, Nativel, ma mére repondit, si Nativel a été la conduire il ne
le faisait pas pour rien, il le payait, va pauvre petite sotte il t’en
passe bien, que tu ne t’en aperçois pas. mon pére dit à ma mére que
puisqu’elle voulait venir avec lui, qu’il faudrait qu’on louat la terre,
ce n’était pas son intention elle dit qu’on y laisserai les deux
filles ; qu’ils s’occuperaient a amenager et a y nourrir des bestiaux ;
de sorte que ma mére pensait qu’elle irait et viendrait et qu’elle
ramasserai l’argent de tout ; elle ne se contentai pas de jouir de la
maîtrise de son bien tout apprêté et travaillé, mais elle voulait encore
régir celui de mon pére, et qu’il n’eut l’administration de rien, pas
même de boire sans sa permission, une quarte le dimanche avec ses amis,
mon pére lui dit que les filles ne seraient pas en leurs honneur de
rester ainsi seules dans une maison, qu’elle choisit ou de rester comme
auparavant, ou qu’on louerait la terre, il lui demanda si elle aimait
mieux qu’on la louât en gros ou en détail, elle dit qu’elle aimait mieux
que ce fût a un seul fermier. comme mon pére avait assez de meubles à
aunay, il lui dit qu’on pourrait vendre ceux qui étaient a courvaudon,
elle dit qu’elle ne voulait pas qu’on vendît ses meubles, eh bien, dit
mon pére, on ne les vendra pas. quelques jours aprés j’allai y casser du
bois a midi elle le méprisa à moi disant : oh il avait envie de vendre
nos meubles, c’était sa mére qui sans doute lui avait conseillé cela,
pour faire une poignée d’argent, vraiment on n’en rirait. je lui dit, il
les venderait s’il voulait pourtant, ah oui, dit-elle, s’il pouvait, si
tu [6] avais affaire a d’aucuns, lui
dis-je, ils te meneraient d’une autre maniere que cela, mais il te fait
une autre proposition, reste tranquille comme tu étais, ah oui dit-elle,
et puis quand il aura vendu quelque chose il en gardera l’argent, je ne
resterai pas la. ma soeur victoire avait l’air de bien se moquer des
raisons que je disais, mon pére publia qu’il avait envie de louer la
terre, et alors pierre le comte son cousin vint le lui demander, cet
homme avait de la terre au bouillon mais point de maisons, il voulait
s’établir et voyait que cela l’arrangeait, ma mére en fut bien
consentante, le prix en fut fait devant elle, et elle réçut le vin, cet
homme loua toute la terre labourable ainsi que le prai, avec le corps de
batiment dans lequel demeurait ma mére, deux salles, une grange, et une
étable, tout de fond en comble, et pour 250 francs par an avec 50 francs
de vin qu’il donna, le bail fut fait pour neuf ans, il portait que le
fermier engraisserait la terre suivant l’usage du pays, qu’il
entretiendrait les maisons, qu’il aurait les arbres fruitiers qui
pourraient tomber en ant mettant de bons à la place, qu’il aurait tant
de paille en entrant, et qu’il les laisserai de même, qu’il aurait une
coupe de bois deux ans avant la fin du bail. il restait encore deux
corps de maisons a louer et dont on pouvait faire 60 francs. dés le bout
de quinze jours ma mére ne trouva plus cela bien, elle dit que c’était
trop bon marché, et à toutes fois que mon pere allait à courvaudon, car
ma mére devait y rester jusqu’a la saint-michel, ou le fermier entrait
en jouissance, elle lui disait qu’il fallait casser le marché, que sa
fille pleurait continuellement et qu’elle ne voudrait pas quitter, mon
pere demanda a ma soeur si c’était vrai, elle dit que non. voyant que ma
mére persistait toujours à vouloir casser le marché, mon pere parla au
fermier, et ils allerent tous les deux trouver ma mére, et lui porterent
leurs bails, alors mon pére lui dit, tu peux casser le marché si tu
veux, voila les deux écrits, mais fais attention que je ne reviendrait
plus ici, tu t’arrangeras comme tu voudras, ma mére ne voulut pas casser
les marchés elle ne dit ni oui ni non, et mon pére s’en retourna avec le
fermier remportant leurs bails ; mais ma mére persista toujours à dire
qu’elle ne sortirai jamais de chez elle, un jour que j’y étais et que je
parlais avec ma soeur, entrautres choses je lui dit qu’elle ne serait
pas là à un an d’ici, pourquoi n’y serai-je pas dit-elle, nous verrons
si pierre le comte nous mettra dehors de chez nous ; mais, lui dis-je il
forcera bien papa de t’y mettre dehors. ah, dit-elle si papa nous
faisait cela, maman lui reprocherait toujours cela, elle ferait tout
pour faire mal ; comme je pensais que le fermier ne forcerait pas mon
pére, je repondit à ma soeur, mais si tu reste là comment feras-tu papa
n’y viendra plus labourer ? écoutez, dit-elle, et nous prendrons des
gens, si n’y fut pas revenu il a quinze ans j’aurions bien eu du hasard
maman ne l’en enhâtait pas. mon pére esperait que le fermier ne le
forcerait pas, et on était alors au commencement de la recolte, voyant
que ma mére persister à vouloir rester, lorsqu’elle vint lui dire s’il
ne viendrai point entrer le grain, si tu veux, lui dit-il, qu’on
l’apporte ici j’y irai, comme cela ne lui convenait pas, elle dit
plusieurs choses et s’en alla et mon pére lui dit, va-t-en pauvre vielle
tête perdue ; lorsqu’elle fut partie jamais, dit-il, je ne lui en avais
dit autant. dans ce temps mon pére fit un voyage à la delivrande et y
portât mon frére prosper qui avait mal à la vue, ma soeur victoire avait
montré des intentions d’y aller, mon pere alla encore l’avertir, ah,
dit-elle, nous n’avons pas le temps d’aller courir, qu’estce qui mettrai
notre cas. ma mére prit des gens pour faire entrer sa récolte. cependant
le fermier qui avait loué la terre paraissait disposé a vouloir tenir à
son marché, ils se parlaient quelquefois ma mére et lui, et elle le
narguait disant qu’il n’était pas capable de la mettre dehors, cela
l’irritait et l’entêtait encore davantage a vouloir tenir a son marché,
et ma mére ayant encore quelques craintes fit émonder plusieurs arbres
dans le mois d’aout craignant qu’il n’en profitât, il en vint avertir
mon pére ; mais que pouvait-il y faire, il le priait d’abandonner le
marché ; mais ce fermier pensa que mon pére et ma mére étaient d’accord
afin de le lui retirer ; ils sont d’accord, disait-il, mais ils ne m’en
passeront pas par sous le nez. la saint michel arriva, mon pére fut
trouver ce fermier. il lui offrit de l’argent tant qu’il en voudrait,
plusieurs personnes accompagnérent mon pére et le priaient egalement
pour lui, à la fin il se resolu de ceder le marché, à condition qu’ils
feraient un écrit comme mon père ne le louerai pas a d’autres. mais le
dimanche suivant il vint dire qu’il se dédisait, mon père lui dit
alors : tu me feras ce que tu voudras, je n’en bougerai pas quand tu
devrais me ruiner. mais comment veux-tu donc que je fasse, il lui
répondit, et parent [7] n’avez-vous pas un
chapeau, et il s’en alla disant qu’il verrait la manière de s’y prendre
et il fit enregistrer son bail dans la semaine et il le montra à mon
pére qui voyant qu’il prénait ces formes resolut d’aller demeubler.
auparavant il fut trouver ma mére et mena avec lui françois le comte de
courvaudon et qui était de connaissance avec ma mère pour tacher de la
mettre a la raison. tout fut inutile, elle dit, qu’on ne la ferait pas
sortir, qu’elle se battrai plutôt jusqu’a la mort. quelques jours aprés
nous partîmes avec la charette pour aller querir du meuble, nous étions
a trois, mon pére, fouchet avec lequel nous sosonnions [8]
et moi ; en passant mon pére pria l’adjoint de la commune de venir avec
lui pour lui faire des remontrances, et il y vint, il dit qu’il n’allait
pas se montrer au cas qu’elle ne dit rien, etant arrivés mon pere
commenca par charger du grain qui était dans des pouche, ma mère ne
disait rien et l’adjoint s’en retourna. mon père demanda la clef d’un
guernier, et sur son refus, il prit un coffre qui etait dans la maison,
ma mére s’y opposa alors il la tint pendant que je le chargai avec
l’homme qui était avec nous. pendant qu’il la tenait elle se mit a le
grimer a la figure et le mordit en quelques endroits, mon pétit frere
jules s’étant approché, elle lui dit : mord, mord-le mon petit, mord-le
ce coquain là, mon pere dit qu’il lui prenait les doigts dans sa bouche
mais qu’il n’osait les serrer ; cependant voyant qu’il l’enbarassait je
prit cet enfant et le portait dans une maison voisine, nous achevâmes de
charger et nous partîmes. apres midi nous retournons à notre arrivée
tout le village sortit aux portes, ma mére se mit a disputer, et mon
pére monta par une fenêtre pour aller dans un guernier, alors elle le
prît par les jambes et le precipita du haut en bas, lui rompit la chaine
de sa montre et lui déchira ses habits, il ne la frappa du tout, mais il
dit que pour être tranquille il allait l’enfermer dans une maison, il la
prît dans ses bras pour l’emporter, mais ses mains agirent et le grima
encore plus que la premiére fois, alors il lui prit les mains pour la
conduire dans cette maison et elle se laissa tomber ; il ne l’a traînait
pas comme elle disait, mais il tachait de la relever pour la conduire,
ma soeur s’y mêla pour empêcher mon pére, et voyant qu’elle le genait,
je la retirai et lui donnai plusieurs soufflets pendant que mon pére
conduisait ma mére, elle criait ainsi que ma soeur : vengeance, il me
tue, il m’assassine, il me tue, vengeance mon dieu vengeance. arrivés
dans la maison, une de ses cousine vint qui lui fit plusieurs
remontrances, qu’elle ferait bien mieux de nous aider à charger, et de
s’en aller avec son mari, que de faire toutes ces choses. ce qui la
calma un peu. mon père était si epuisé lorsqu’il arriva dans cette
maison qu’il en crachait le sang. il revint charger, ma mère lui rétira
encore plusieurs choses qu’il voulait emporter, il en reprit d’autres a
la place et nous partîmes. je parlai a ma soeur elle me disait que je
l’avais tuée et ecrasée, je lui dit, mais pourquoi t’en mélais tu aussi,
ne sais tu pas toutes les imaginations qu’elle a faites contre lui ?
elle me répondit : elle n’en a pas fait une seule imagination, mon pére,
avec fouchet, lui parla aussi il lui dit de conseiller plutôt sa mère au
bien que de la rétenir et elle repondait qu’elle ne cessait de lui
conseiller tous les jours d’aller avec lui mais qu’elle n’y pouvait rien
gagner. mon pére demanda aussi au batteur qui était là s’il ne lui était
pas du quelque chose, il rependit que non. le lendemain ma mere arriva
pour reprendre sa vache, mon pére s’y opposa elle lui dit plusieurs
injures et en outre : tu as emporté le coffre tu croyais bien emporter
l’argent mais tu ne l’auras pas. puis s’adressant à ma g-m : vous lui
avez dit de venir me voler, c’est votre bonne vierge qui je crois bien
vous avait conseillier de faire cela. et elle s’en alla de suite trouver
le juge de paix de villers, qui la crut et envoya à mon père une lettre
concue en ces termes : votre épouse se plaint de ce que vous etes venus
hier avec des charettes au domicile ou est décédée feu sa mére dont elle
est la seule et unique héritiére, que vous avez enlevé les grains,
vaches, et meubles de toute especes. il me semble que votre femme avait
le droit de faire constater le mobilier de cette succession et que vous
n’aviez pas celui de vous en enparer sans aucunes formalités légales,
d’autant mieux que vous viviez mal avec elle puisque vous l’avez trainée
par les bras et les mains parce qu’elle s’opposait a ce que vous
defonciez des portes et croisées. il est certain que si elle portait des
plaintes en justice contre vous elle obtiendrait une juste reparation de
vos torts. pour eviter des desagrémens toujours fâcheux entre mari et
femme je vous invite a venir dimanche prochain sur les neuf heures du
matin en mon cabinet à lande pour vous arranger à l’amiable. ou bien
allez-vous en par devant mr le juge de paix de votre commune qui comme
je le pense pourra vous appeler et vous remettre a la raison.
Ma mère en apportant cette lettre la montra à mr le
juge de paix d’aunay, et vint de suite la donner a mon pére, qui se
disposait a aller querir le veau qui n’etait pas vendu, et il fut le
querir avec le banné, mais arrivé, et ma mére faisant de nouvelles
resistances, il s’en revint sans rien apporter, ma mére alla le vendre
deux jours aprés à villers avec son batteur. mr le juge de paix d’aunay
qui avait vu la lettre parlant à mr Rivière directeur de la poste à
aunay, ainsi qu’a son frére dit : diable que cela m’étonne je ne prenais
pas Riviére pour un homme comme cela, mais il lui dirent ce qui en
était. comme il est du devoir qu’un mari habite avec sa femme, mr le
curé d’aunay à qui mon pére avait conté que le fermier ne voulait pas
lui ceder le marché avait dit qu’il en était bien aise. mon pére fut
alors le trouver et lui montra sa figure, ah, dit le curé que je vous
plains mon pauvre Riviére. il lui montra aussi la lettre qu’il avait
reçue. mr le curé lui en donna une pour aller consulter un avocat de sa
connaissance a condé, mr davou. mon pére porta son contrat, et par
rapport à un article qu’on peut voir dans ce que j’en ai dit, il lui dit
qu’il était utile qu’il fit un inventaire du mobilier. mon pére lui
demanda la maniére de s’y prendre, et il dit : que votre femme fasse
elle-même cette estimation. mon pére n’avait pu lui expliquer son état
on peut juger par ce que j’en ai deja dit, si cet avis pouvait se
pratiquer. mon pére lui demanda comment il la ferait venir avec lui, il
lui dit ; que toutes les formalités étaient de prendre la garde
nationale, au cas que le maire le voulût, ou bien la gendarmerie. mon
pére n’eut pas le temps d’aller le dimanche trouver le juge de paix de
villers, il était occupé a planter des bornes avec un de ses voisins.
les blés étaient à faire et la force de l’ouvrage. mon pére n’avait pas
le temps d’aller se battre et se tintamarer ; il fit un état des arbres
au fermier, lui accorda qu’il coupât le bois la derniére année du bail,
pour les arbres que ma mere avait fait couper, et lui donna le fumier
pour la paille qu’il lui avait accordée, ainsi ce fermier entra en
jouissance et il fit les blés, mon pére fit aussi les siens, et
lorsqu’il n’eut plus tant d’ouvrage il résolut de livrer les maisons.
avant il dit au fermier qu’il allât trouver le juge de paix de villers
les mander tous deux sa femme et lui, mais le juge repondit, qu’il avait
deja ecrit à cet homme et qu’il ne l’avait pas vu, qu’il croyait que sa
femme avait raison et qu’elle s’expliquait bien. que puisqu’il lui avait
loué son bien, il pouvait le forcer a lui livrer, et lui demander une
indemnité pour ce dont il n’avait pas joui. ce fermier repondit qu’il ne
voulait pas lui faire des frais. eh bien, lui dit le juge, que
demandez-vous donc ? et il s’en revint de cette maniére, quelques jours
aprés mon pére alla avec lui pour lui vider une maison, et il dit a ma
mére : veux-tu, lui dit mon pére que nous mettions les meubles dans tes
autres maisons qui ne sont pas louées, tu t’y retireras et tu recevras
tout le revenu de ton bien, mais elle dit que non et qu’il fallait
mettre les meubles dehors, comment dehors, dit mon pére, et puis a quoi
que cela va aboutir. mais elle voulut qu’on les mit dehors, lorsqu’ils y
furent il lui dit, veux-tu qu’on les entrent dans les autres maisons,
non, dit-elle, alors mon pére ferma la maison qui venait d’etre vidée,
et s’en alla avec le fermier. mais a peine furent-ils partis que ma mére
et ma soeur rentrérent tous les meubles, et ma soeur disait en les
rentrant : c’est sans doute craignant de nous laisser manquer d’ouvrage
qu’ils ont fait cela, mon pere dans la semaine resolut de prendre
l’adjoint et quelques personnes notables avec lui et un serrurier, et
d’aller abattre les serrures, vider les maisons, les fermer, et emporter
tous les meubles. la nuit du jour ou il devait faire cela, il pensa que
si le fermier voulait encore s’arranger, et qu’en lui remboursant tout
ce qu’il avait fait, puis une indemnité il se trouverai encore plus
heureux que de la forcer à venir avec lui. le matin il nous declara son
intention et me dit qu’il allait toujours aller devant, et que j’amenât
la charette jusqu’au village du fermier, qu’au cas qu’il s’arrangât
qu’on n’irait pas plus loin et ce fermier y consentit. on comta tout ce
qu’il avait fait. la terre qu’il avait ensemencée, le vin qu’il avait
donné, l’enregistrement du bail tout cela montait a la somme de 119 frs
et autant pour ceder le marché, ce qui fit 238 francs ensuite le fermier
lui remit le bail, et lui donna un écrit que l’adjoint ecrivit, comme il
abandonnait le marché. mon pauvre pére croyait bien être tranquille il
n’avait pas cet argent, il allât l’emprunter chez un de ses voisins,
Hébert, je suis pourtant tranquille, disait-il, que tous mes enfants
viennent m’embrasser, qu’elle reste tant qu’elle voudra dans son bien.
tout ce que je desirerais ce que le pauvre pétit [9]
fut encore là, car pour l’autre elle est à la raison. un mois environ
aprés cela, ma mére vint le trouver et lui dit : a present que tu as
fait toutes tes farces, je viens voir quand est-ce que tu est décidé de
me rendre ce que tu m’as pris et de me donner l’administration de mon
bien, mon pére répondit, tu peux maintenant être tranquille, ton blé est
fait, tu as encore une vache, et tu ne manque pas [10]
laisse moi tranquille, tu n’as plus que faire de craindre que je
retourne entour toi, ma mere dit, je reveux mon cas, mon pére dit je te
le rendrai, si tu veux rendre aussi ce que je donnai pour toi, mais elle
dit et a toujours dit depuis, qu’il n’était pas vrai que mon pére eût
donné une indemnité au fermier, qu’ils s’étaient mis d’accord, pour la
faire sortir, que mon pére lui faisait faire le blé, qu’il lui avait
fait enregistrer son bail, et que l’ecrit qu’ils avaient fait comme il
cedait le marché a mon pére pour tant d’argent, n’était qu’un pur
micmac. elle fut trouver mr le juge de paix d’aunay qui les manda tous
deux en conciliation, il fit quantité de remontrances a ma mére et qui
n’aboutirent à rien, elle dit qu’elle en verrait plus long, elle allait
consulter françois le comte de courvaudon qui cherchait tant qu’il
pouvait a la remettre dans son devoir, il lui disait qu’elle pouvait
rester tranquille, que son mari lui laisserai, elle y avait parut
décidée, mais elle lui dit un jour que sa fille lui disait qu’il aurait
tout aussi bien le droit de venir une autre fois la ravager, et qu’elle
voulait se mettre en assurance, le comte lui dit : mais vous depenserez
de l’argent. eh bien, dit-elle, si j’en depense il en depensera aussi,
et elle fut dans la semaine a vire, elle revint sans rien faire, mais
elle dit à ceux qui s’informerent de son voyage qu’il en serait tout
aussi bien temps dans six mois d’ici, et qu’elle ferait bien manger tout
le bien de mon pere si elle voulait. alors elle prit le parti de lui
faire des dettes. elle prenait ordinairement des marchandises pour sa
toilette et celle de ma soeur, à aunay chez mme Aod. elle avait toujours
bien payé, elle ne payait plus. le batteur à qui mon pére avait demandé
s’il ne lui était pas du d’argent, vint le trouver dans ces temps et lui
dit que ma mére ne voulait pas lui payer douze frs qu’elle lui devait,
c’était le même qui avait émondé les arbres. mon pére lui témoigna un
peu son étonnement, puis il lui dit qu’il n’était pas juste qu’il perdit
son argent, et qu’il irait avec lui trouver ma mére et que si elle ne
voulait pas le payer, qu’il prendrai la vache et la vendrai pour le
payer, le jour convenu il y alla et trouva le batteur dans la maison, et
ma mére et ma soeur dans l’etable une de chaque coté de la vache, la
dessus il dit quelques paroles a ma mére, puis il dit au batteur qu’il
se fit payer comme il voulût. cet homme le fit venir en conciliation
devant mr le juge de paix, mais ma mére y alla aussi. le juge s’adressa
a elle seulement [11], il lui fit de
nouvelles remontrances qu’elle ferait bien mieux d’aller avec son mari,
et elle dit, qu’elle y viendrait, mon pére paya le batteur. ma mére se
plaignit à cette audience que mon père laissait sa terre a labourer [12],
pour labourer celle des autres. ces paroles entendues par les auditeurs
furent tournées en ridicule. on les entendait de deux maniéres, et mon
pére était ainsi le jouet de la risée publique. marie Fortain lui dit :
ah je vous prie n’allez plus par devant le juge de paix quand elle vous
y citerai de nouveau, les gens s’en moquent trop. mon pére retrourna
labourer à courvaudon vu que ma mére disait qu’elle viendrait avec lui.
il lui demanda quand est-ce qu’elle viendrait, ah, bientôt, dit-elle ;
sur cela ma soeur prenant la parole lui dit : ah je me louerai a la
saint-clair moi, et elle n’osait se declarer, enfin elle dit : ah ce que
vous croyez que nous nous en irons la sous votre domination, mon pére
toujours patient lui dit [13] tu disais
que ce n’était pas toi qui reténais ta mére cependant je vois bien que
tu est aussi pire qu’elle ; ce n’est pas moi, dit-elle, qui l’ai faites
revenir il y a quinze ans, fallait la laisser tranquille vous, et rester
ou vous etiez dans ce temps-là. ma mère dit aussi plusieurs paroles qui
firent connaître à mon père qu’elle n’avait pas l’intention de quitter.
quelques jours aprés en passant elle lui demanda s’il viendrait bientôt
faire l’orge. il lui dit si elle pensai qu’il fût toutafait fou pour se
deranger tant pour une personne qui ne cherchai qu’a le depiéter ; eh
bien, lui dit ma mére, tu fais cela mais ce ne sera douze francs de
cette fois que tu verras, tu en verras d’autre que cela, mon pére, lui
dit, mais si tu me fais des dettes je retournerai querir des meubles
pour les payer. eh bien, dit elle, nous verrons. et elle s’en alla.
craignant qu’elle ne realisât ses menaces, mon père fut consulter un
avocat à caen mr beaucher, pour lui demander s’il ne pourrait point
faire publier que personne ne lui donnassent rien à crédit ou qu’ils le
perdraient de sa part. cet avocat lui dit que cela serait infamant,
qu’il fallait plutôt la faire venir avec lui. mon lui conta une partie
de ce qui en était. c’est bien malheureux, repondit-il, mais allez
querir ses meubles une journée que vous savez qu’elle n’est pas là.
aprés que mon père fut sorti il alla encore en consulter un autre mr Pouillier ;
celui-ci lui dit qu’il fallait prendre les formes legales et presenter
une requete au tribunal pour la faire venir avec lui, de sorte que ces
avis de la faire venir, il fallait tout autant dire qu’il fallait faire
venir le diable, et mon pére en resta là, il avertit seulement le
laboureur qui lui demandait si cela ne lui ferait pas de la peine qu’il
travaillât pour elle, travaillez-y tant que vous voudrez lui dit mon
pere, mais ne contez pas sur moi pour le payement, il avertit aussi mme Aod
a qui elle devait déjà 45 francs de ne pas lui en donner d’autre sans se
faire payer ; mais ma mere avait plus d’une boutique, en outre elle
prenait aux merciers qui passaient par son village, achetait du grain et
le revendai, elle dit a un mercier, le roux de courvaudon a qui elle
voulait prendre trois ou quatre bonnets de coton, dites à mon mari que
je vous dois douze francs et vous me donnerez le reste. cet homme ne
voulut pas lui donner ses bonnets elle dit des mêmes choses a une
marchande de boutique que j’ai perdue de vue. pendant qu’elle faisait
toutes ces choses, mon frère jean tomba malade dans le mois de juillet
d’une maladie de cerveau, il ne dura que quinze jours [14].
dans les derniers jours on resolut malgré tout d’avertir sa mére,
j’allai la trouver et elle vint le voir, il était alors sans presque
aucune connaissance, il ne la reconnut pas ; c’était le lundi, ma mére
s’en retourna et elle revint le mardi soir, pendant la nuit mon frére
fut pris de quart d’heure en quart d’heure de convulsions qui le
faisaient se debattre horriblement. cet enfant avait déjà montré plus de
société parmi le monde que moi et que mon frere prosper. il aidait deja
a toutes sortes d’ouvrages aussi mon pére l’aimait-il. on peut juger
qu’elle était sa tristesse et son abattement au pied de cet enfant.
cependant ma mére lui donna deux lettres une de mme Aod et l’autre du
percepteur pour payer ses dettes et soutint devant lui ses opinions
rapportées ci-dessus. mon pére percé de douleur s’ecria : que je suis
donc malheureux, ah seigneur m’en donnerez vous encore de plus dures, va
mon pauvre petit tu vas être bien heureux d’être retiré du monde, tu vas
aller au ciel [15]. ma g-m. presente lui
fit plusieurs reproches et puis le sang lui monta elle etait toute
enrouée. le lendemain cet enfant expira, les voisins voulurent retirer
mon pére d’auprés de lui en ce moment, non, dit-il je ne l’abandonnerai
pas, et puis le voyant mort : oh, s’ecria-t-il, mon pauvre petit jean
qui disait, non mammére, restez j’ai plus la force de faire cela que
vous, oh je vais m’echapper. ou vas-tu aller mon pauvre fils, lui dit ma
g-m, puis il se pencha sur un lit, jeta son bonnet, et s’arrachait les
cheveux ; ma soeur aimée se jette entre ses bras : votre fille ne vous
abandonnera jamais, lui dirent les voisins. ma mére s’en retourna, elle
ne manqua pas de debiter partout que mon pére avait fait périr son
enfant, et continua à faire des dettes, elle avertit le laboureur, qu’il
se fit payer comme il voulût. lorsques que les marchands lui demandaient
de l’argent elle disait : faites vous payer a celui qui a pris mon cas.
voulez-vous que je vous fasse un billier. craignant que mon pére n’allât
chercher quelque chose elle fit battre sa recolte aussitôt recoltée,
elle fit battre premierement le plus gros du blé pour l’avoir plus vite,
elle vendait a tous les marchés a aunay et a evreci, elle ne payat que
le percepteur, car on l’avertit qu’il pourrait faire saisir sur le
mobilier de son domicile, les autres créanciers demanderent de l’argent
à mon pere, qui voyant qu’il serait ruiné s’il laissait continuer tout
cela resolut d’aller quérir des meubles pour voir quel aboutissement
cela pourrait faire. ma g-m. était extremement affligée de toutes ces
choses : ah, dit-elle, en pleurant à marie Fortain, je voudrais être
dans le cimetiére, ah faut-il que j’aie eu tant de mal ma vie [16]
pour en être recompensée de la sorte, pour qui que le bon dieu en fait
donc tant souffrir, pour qui qu’il me laisse si longtemps sur la terre ;
marie Fortain la consola du mieux qu’elle put et nous partîmes mon pére
et moi un jour du marché d’evreci que nous esperions que serait ma mére,
et pour emmener la vache et un cochon qu’il y avait. étant arrivés nous
trouvons ma soeur, mais ma mere était là aussi pas loin. mon pére dit
qu’il allait prendre la vache, sur cela ma soeur se mit a crier : maman,
maman, arrive il veut emmener notre vache ; elle arrivat et voulut en
empâcher, mon pére la prit et s’enferma avec elle dans la maison, alors
elle le grima et mordit encore en quelques endroits, puis elle se mit à
lui reprocher la mort de son enfant. oui, dit-elle, si j’avais bien su
je l’aurais fait trepaner, au moins on aurait vu ta malice, il lui lacha
un soufflet, elle se mit a crier vengeance de nouveau. comme je
cherchais a prendre la vache, ma soeur, voulut en enpêcher en la faisant
echapper, alors je lui donnai plusieurs coups de manche a fouet, nous
prîmes un sac d’orge avec la vache, mon pére dit au batteur de s’en
aller, et lui demanda combien il lui était du, il dit qu’on lui devait
28 sous, nous partîmes. ma mére courut derriere nous regoinit ; mon pére
la prit alors sous le bras comme pour aller en noces, elle se laissa
tomber trois fois, et en tombant la troisieme fois, elle fit glisser son
pied le long de sa jambe, mon pére ne lui fit autre chose que de lui
dire, ma foi tu te couche et te place assez bien, pour je te jense mais
je n’en suis pas dans le train. il y eut plusieurs personnes qui virent
cette scene. ma mére s’en servait dans la suite pour demander une
separation. ouelques jours aprés elle vint trouver mon pére pour qui lui
rendit ce qu’il lui avait pris. paye tes dettes, lui dit-il, mais elle
voulait faire un arrangement comme par lequel il payerait ses dettes,
lui donnerai ce qu’il lui avait pris, et lui ferait une pension pour
qu’elle restât sur son bien. ou veux-tu que je prenne de l’argent, lui
dit-il, fais comme les autres dit ma mére prends-en à la banque. elle
alla trouver mr Foucaut a vire pour obtenir une separation de corps,
mais il manda mon pére par une lettre de venir s’arranger, mon pére fut
le trouver et porta des certificats de sa conduite des curés des deux
communes, ma mére s’y trouva et ils convinrent qu’elle viendrait
demeurer avec lui, mais qu’il la mettrai dans une maison a part avec ses
meubles et ce qu’elle avait, que ma g-m. n’entrerai pas dans sa maison,
que par sa permission, ou que si elle y entrait, qu’elle retournerai sur
ses biens a courvaudon, et que cette maison serait prête dans quinze
jours ou trois semaines du plus-tard. mon pére la rapporta de vire dans
la charette, et ils convinrent qu’il irait battre le sarazin qui était à
courvaudon sur la fin de la semaine ; mon père alla faire afficher la
terre a louer, car la saint michel etait proche ; mais ma mére ne fut
pas contente de cet arrangement, elle retourna à vire dans la semaine et
fit battre le sarazin sur le commencement sans en avertir mon pére, elle
fit ses dispositions pour que tout le grain fut vendu lorsqu’il
viendrait la chercher. il faisait apprêter la maison du plus vite qu’il
pouvait, et il apprît l’intention ou était ma mére de tout vendre en
attendit. alors il prit la charette et deux personnes du village, et fut
chercher ce qui restait de grain. il trouva encore le sarazin tout
l’autre grain était tout surbatu, il prit aussi un cochon, pendant que
nous chargions, il se tint avec elle dans la maison pour qu’elle restât
tranquille, nous fîmes deux voyages, au second ma mére n’était plus là
elle etait a faire racomoder ses souliers, en partant il voulut emporter
des draps et comme ma soeur s’y opposait, il dit qu’il faudrait qu’on
les aportât tout aussi bien dans quelques jours, non elle n’y ira pas,
dit-elle, elle va partir pour mettre les affaires en train. et en effet
elle retourna encore à vire mon pére retourna aussi trouver mr Foucaut
pour lui demander la manière de s’y prendre, il lui demanda s’il ne
l’avait pas revue, et lui dit qu’elle était revenue deux fois. je ne
l’ai pas vue, repondit-il, c’est qu’elle a été trouver un autre saint.
le soir qu’elle fut revenue d’aller faire racomoder ses souliers ma
soeur lui dit : va y si tu veux, mais pour moi je n’irai jamais avec un
cocain comme cela qui nous prend tout notre cas. cependant ma mére
voyant qu’elle serait obligée de venir fît plusieurs dispositions pour
continuer à faire mal. la maison étant prête mon pere alla la chercher,
accompagné de Quevillon notre soson et de victor domestique chez mr Grellai,
il ne trouva que peu de meubles, il n’y avait pas de marmite, quoique ma
mére eut fait toutes les dettes dont j’ai parlé, il ne leur trouva que
trés peu de toilettes. ma mére fit de nouvelles résistances, elle dit
qu’elle voulait qu’il payat ses dettes avant qu’elle vint avec lui. mon
pére dit qu’il en avait deja payé une partie et qu’il paierai les
autres. mais il ne se doutai pas d’une lettre que ma mére croyait qu’il
avait recue. mon pére pria deux femmes de venir lui montrer le bon sens.
et il parti avec une chartée, il emmena de cette fois mon frére jule,
tout le long du chemin, et ceux qui etaient avec lui pourraient le
rapporter, il prenait de temps en temps cet enfant et l’embrassait. ah,
mon pauvre petit jule, disait-il, je suis content, va c’est bien toi qui
est le plus cher meuble que j’avais envie d’emmener, a la seconde
chartée, comme les femmes conseillaient ma mére d’aller avec lui, elle
se mît à pleurer, car elle avait assez l’habitude de pleurer, elle dit :
ah fallait me faire aller, pendant que mon pauvre enfant vivait, il ne
serait pas mort et ils vinrent ma soeur et elle. le soir quoique qu’on
n’eut pas eu le temps de tout arranger elle voulut absolument coucher
avec ses deux enfans dans sa maison. mon pére étant revenu trouver ma
g-m. elle lui montra une lettre qui etait venue par la poste, et dont la
reception avait mis ma g-m dans une grande affliction ; elle s’était
roulée par terre et avait battu la terre de son corps. voyant tant de
maux je la reciterai ici.
courvaudon le... memoire de dettes faites en l’année
1833. 40 francs a un mercier de hamars, 30 frs a Goffé, 10 frs a victor
Bourse. 10 frs a un cordonnier. 10 frs de messe, 17 frs a sophie Riviére [17]
27 frs a marianne le Comte et un sac 3 frs a rose leminée 40 sous a
charles le Bas 8 sous a mr le riche 48 sous a sophie le Coc [18]
70 sous a pierre Bretoure. si ces dettes ne sont pas payées sous huit
jours on fera la requête et il faudra payer aussi celles de l’année 1834
et elles sont bien plus consequentes. toutes ces dettes etaient
inconnues de mon pére, en outre de celles dont j’ai parlé il avait payé
25 frs au laboureur à qui il avait dit de ne pas comter sur lui. mais
cet homme c’était fié a ma mére, et elle l’avait trompé ; il eut de
nouvelles peines en voyant ces dettes, cette lettre avait été ecrite par
ma soeur victoire ; mon pére s’informa de ces dettes, victor bourse, à
qui il était mis 10 frs dit qu’elle lui devait a peu prés 30 sous, il
crut que cela serai la même choses des autres, mais a l’exception des 30
frs a goffe, des 17 frs a sophie Riviére, il a été obligé de payer le
reste ; je dirai que ce goffe, et le comte frere de cette marianne dont
il est parlé, et en outre un maçon de hamars, que tous ces gens là que
ma mére allait consulter étaient des celibataires, et peu delicats sur
la pureté ; quelques jours aprés son arrivée, ma mére et ma soeur
victoire et mes deux fréres mon pére et moi, nous fûmes ramasser des
pommes à courvaudon, et au midi la dispute recommenca, mon pére parla de
la lettre, il n’en avait pas encore parlé à ma mére, il lui demanda
pourquoi elle le persecutait tant, pourquoi elle voulait lui faire payer
des choses qui n’etaient pas mêmes de cas, ce qu’il lui avait donc fait,
mais elle repondit en le narguant, que pour n’avoir pas voulut la
laisser tranquille il n’y gagnerait pas tant comme il croyait. et elle
s’en alla chez sa cousine avec ma soeur et mon frere jule, comme mon
frére jule pleurait, car quoique cet enfant penchat un peu du côté de ma
mére, il aimait aussi mon pére et était content lorsqu’il les voyait
d’accord, mon pére voulut le retenir par ses caresses il ne le put.
alors il dit a mon frére prosper : vas-tu aussi me laisser et t’en aller
avec eux ? non, dit-il, et nous restâmes tous trois. mon pére parla
aussi à la femme de jacques le comte qui etait là et lui dit : mais que
me demande-t-elle donc de vouloir me ruiner ainsi, aprés que j’ai eu
tant de mal pour acquerir ce que j’ai pour mes enfans, je serait obligé
de vendre de la terre et après que j’en aurai vendu un morceau, cela ne
suffira pas encore, si elle continue il faudrat que j’en vende encore
d’autres, il avait la larmes aux yeux en disant cela cette femme lui
repondit, qu’elle ne pouvait penser autre chose que de voir qu’elle
avait toujours eu l’idée de maîtrîser et de se faire une bourse a part.
le soir, ma mére et tous revinrent a la fauctrie. un dimanche mon pére
alla à hamars pour parler le mercier, il lui était du les 40 frs mon
pere les paya le samedi d’aprés et retira une quitance de cet homme
comme il le tenait quite et comme il ne donnerai jamais rien a credit à
ma mére ni a ma soeur victoire. le dimanche qu’il fut le trouver etant
revenu a vepres a aunay, et accablé de toutes ces choses il se trouva
malade, il fut obligé de sortir de l’eglise, et se retira chez la veuve
guernier. ma mére voulut que les enfans ma soeur victoire et mon frére
jule, couchât dans la même maison ou elle était. mon pére lui
representat qu’il se serait pas bien de mettre tant de lits dans la
maison et qu’il y avait un cabinet et d’autres endroits pour les
coucher, ma mére ne le voulut pas et ces deux enfans couchaient dans le
même lit avec elle. quelqu’uns dirent à mon pére : je voudrais coucher
avec elle quand cela ne serait que pour la faire enrager. mon pére mît
un autre lit dans la maison, ma soeur y coucha, et il coucha avec ma
mére, et comme elle ne voulait pas envoyer jules coucher autre part, ils
couchaient tous les trois ensemble. mon pére depuis leurs grands
differents n’avait pas eu de commerce charnel avec elle. cependant
suffit de la faire enrager il voulut essayer la premiere ou seconde
nuit. ma sieur victoire entendit. alors elle dit : ah mon dieu mon dieu
qu’est-ce que vous lui faites ? vois-tu, lui dit-il, qu’est-ce que cela
te regarde, je lui fais ce que les hommes font a leurs femmes, ah,
dit-elle, laissez-la puisqu’elle ne veut pas. va, lui dit mon pére, je
vais bien la laisser aussi. ll coucha avec elle quelques nuits et puis
voyant qu’elle ne laissait pas de couéte de son côté ni de plume dans l’oreillier,
et qu’elle faisait tout pour faire mal, il prefera coucher dans l’autre
lit, et ma soeur et mon frere ont toujours depuis couché avec ma mére,
elle faisait la cuisine, nous allions tous vivre avec elle, a
l’exception de ma g-m. a qui il était deffendu d’entrer dans sa maison ;
cette femme qui avait donné l’amortissement de sa rente pour racheter
les biens de ma mére [19], ainsi elle
restait a manger seule ce qui lui était extremement sensible. un jour
que ses ressentiments la devoraient, et elle venait de nous donner une
chemise a prosper et a moi, nous etions couchés dans un cabinet a côté,
et elle dit : ah oui je me suis donnée bien du mal pour les soigner
tous, et pour les élever du mieux que j’ai pu, et j’en suis bien
recompensée. et puis j’entendit qu’elle se frappa deux ou trois la tête
contre la table ou contre terre, oui, dit-elle, je veux battre la terre
de mon corps, ah faut-il que le bon dieu me laisse si longtemps
souffrir, s’il y avait là un eau je me jetterais dedans. ma soeur aimée
qui etait avec elle lui dit : couchez-vous mammére ah je vous prie ; et
elle se coucha. ma mére continuait toujours à faire mal, elle disait
qu’on l’avait fait venir pour la faire périr, que sa fille mourait de
chagrin tous les jours, elle portait des plotons de fil, et des ballots
de filase dans les boutiques, disant qu’elle était obligée de vendre
cela pour se nourrir, témoin mme le gouix dit leminée, mon pére etait
désespéré de toutes ces choses, il prit l’habitude de lui parler a haute
voix lorsqu’elle l’accablait de ses raisons ; alors on le voyait le
visage plein de tristesse parler a elle, crier haut, parler bas sans
pouvoir rien y gagner, ma mére s’en moquait, elle etait bien contente de
le voir accablé. comme il disputait avec elle un samedi que les gens
passaient, la femme de hehert vint lui dire qu’il se tût. tous ceux qui
passent, dit-elle, en parlent j’en ai entendu qui disaient : ah mais
elle ne s’accoutume pas je crois, et d’autres mais elle n’a pas encore
tant de tort que vous croyez on dit qu’il la bat comme une chair de
boeuf. quelque temps aprés elle fit plusieurs préparatifs. elle blanchit
du linge et mit des souliers en état, nous étions en train de faire du
cidre, et elle voyait mon pére embarassé,
Un matin donc elle parti sans le dire a personne
emportant des habits et plusieurs choses, ma soeur victoire et mon frére
jule la suivaient ma soeur emportait son metier à dentelle, on avertit
mon pére qui etait au pressoir, et il courut aprés eux j’allai aussi
voir ce qui en allait devenir, et je le trouvait qui revenait avec le
petit sur son dos, ma mére le suivait, mon pére avait un visage et un
air desespéré, il semblait vouloir dire : je renonce a tout j’abandonne
tout ce que j’ai, il n’y a que ce pauvre petit qu’on ne m’enlevera pas,
je veux le tenir et l’emporter toujours avec moi ; dans le chemin je lui
dit : laisse les aller ou ils voudront et fais afficher qu’onne leur
donne rien. il ne me repondait pas il etait tout absorbé, lorsque nous
fûmes au village ma mére dit a jule ; ne crains pas je vais revenir ce
soir et elle s’en alla. en dinant mon pére dit à jule : ne va plus avec
elle elle n’est dans le cas que de te faire du mal mon pauvre petit. et
il l’embrassait. ma mére revint le soir avec ma soeur, on ne sait pas ce
qu’ils avaient été faire, mais mere continua ses niarges envers mon pere,
et se moquait de la tristesse dont il etait accablé. le lendemain il fut
beaucoup occupé dans le pressoir, et comme il devait aller labourer le
lendemain pour ouevillon, je lui demandai s’il ne fallait point aller
lui dire que cela ne se pouvait pas, mais il disait que non, et il etait
reveur, a la fin il dit : tiens, j’abandonne tout je laisse tout, je
vais me jeter dans notre puits, il s’en alla je le suivit, et ma g-m.
s’y trouvant aussi, il ne le fit pas, il prît un verre d’eau et retourna
au pressoir ; il consentit que j’avertit Quevillon qu’on ne aller le
lendemain pour lui ; au matin nous epluchons le marc, nous etions à
trois, mon pére ma g-m. et moi. nous parlions de ces démarches que ma
mere faisait, et ma g-m. et moi nous conseillions a mon pére de faire
afficher craignant qu’elle n’achevât de le ruiner, mon pére disait qu’il
ne voulait pas faire cela, tu la laisse faire comme elle veut aussi, lui
disions nous, tu la jirote. ah dit-il, je ne la jiroterai pas mais
long-temps vous etes bien sure que cela sera bientôt fini. ah, lui dit
ma g-m., tu menace de cela donc, c’est bien pour que j’en menace moi ;
et elle s’en alla. mon pére prît alors son bonnet et il s’arrachait les
cheveux, il etait comme dans un accés de rage et de desespoir. oh, oh,
oh, oh, disait-il ; je me jettai à lui, ah mon pauvre papa lui dis-je,
dure donc. un moment après ma soeur aimée arriva pleurant, qu’est-ce
qu’il y a donc eu de nouveau, dit-elle, mammére est la haut qui pleure
et se desole qu’est-ce qu’il y a donc eu, je me penchai a son oreille et
lui dit : va t’en chercher mr le curé, il veut se tuer. ma soeur s’en
alla. et ils revinrent ma g-m. et elle un peu aprés. ma g-m. dit a mon
pére : il a dit a aimée d’aller chercher mr le curé, veux-tu que j’aille
le trouver moi. mais il était plus calme. et on n’y alla pas. cependant
il fut encore repris de ces idées je ne sais si c’était cette journée là
ou quelque jours aprés qu’il dit ces paroles : quoi n’aije pas la force
de me soustraire a tant de persecutions, il y en a qui le font pour bien
moins de raisons. quelque temps aprés cette marianne le comte a qui ma
mére disait qu’elle devait un sac de blé se presenta pour être payée.
c’était assurement un arrangement que ma mére et cette femme avaient
fait ensemble elle pouvait lui en avoir donné une bartée, car mon pére
ayant demandé comment elle le lui avait donné, elle dit qu’elle lui
avait donné bartée à bartée que les trois premiéres bartées, elle les
avait emportées une a la fois, sur son dos dans une pouche, et que la
derniere elle avait le cheval du meunier, et qu’elle lui avait donné
cette bartée avec un sac pour la mettre qu’elle avait emporté. mon pére
demanda à ma soeur si elle n’avait point aidait a sa mére a aller querir
ce grain elle dit que non mais qu’elle avait aidait a le manger. mon
pére dit à cette femme qui passe dans le pays pour une friponniére,
qu’il ne la pairai pas. ma mére lui dit de le poursuivre et qu’elle
leverai le pied et la main s’il le fallait comme elle le lui devait.
cette femme le fit venir en conciliation. ma mére alla avec elle. mon
pére avait pour raison que quelqu’un auraient du lui voir emporter le
grain qu’elle avait emporté sur le dos et que ma soeur aurait du lui
aider, le juge de paix demanda a cette femme si elle voulait affirmer
sur la foi de son âme que cela lui etait legitimement du. comme cela
avait un air de la repugner, ma mére dit : que vous êtes innoncente, si
c’etait moi j’afirmerais bien. le juge conclut en disant je vois que
cette femme a la delicatesse de ne pas vouloir affirmer ainsi payez la
et allez vous en paix, et mon pere la paya. le batteur à qui mon pere
avait deffendu d’y travailler davantage et etait arrêté avec lui pour 28
sous y avait travaillier depuis et voulut se faire payer le surplus, le
juge dit encore qu’il fallait le payer et mon pere le paya [20].
lorsques que mon pére parlait quelque fois au juge de ma mere il
disait : voyez-vous votre femme est faible il faut la menager. ma mére
eut aprés ces jugemens encore plus de force de rire de mon pére et de
soutenir ses raisons. j’ai oublié une autre circonstance de dispute
arrivée avant ses derniéres. un homme qui allait se marier vint a l’epoque
que ma mére vint avec mon pere, il lui demanda a louer une des maisons
pour s’y loger avec sa femme, cette maison fut une de celles qui
n’avaient pas été louée au fermier dont j’ai parlé, il y a un jardin
dépendant de cette maison. ma mére ne voulait rien louer. et la terre
qu’il avait affichée n’a pas été louée soit parce que les gens ne s’en
souciaient pas vu les changemens qui arrivaient à tous moment, soit
qu’il fût trop tard parce que la saint michel etait passée, mon pére l’a
faite valoir cette année. pour la maison dont je parle qui etait la
boutique a charpentier et la cave elle fut louée dix ecus, et il fut dit
que le fermier aurait tout ce qu’il y avait de legumes dans le jardin,
et que mon pere jouirait de la cave jusqu’au premier jour de l’an. ce
marché ne convenait pas a ma mére, non plus que tout autre, elle dit que
cet homme ne jouirait pas et qu’elle arracherai tous les legumes du
jardin. un jour donc qu’elle y etait retournée que mon pére y était
aller travaillier, au soir elle dit a ma soeur de plumer les choux, elle
obéit. mon pére lui dit : mais que fais-tu donc je te defends de les
plumer puisqu’ils sont loués, ma soeur dit : ah ma foi ils sont bien
trop touffus, il l’a fît retirer. mais ma mére voyant cela se mît a les
plumer elle même, mon pére le lui défendant elle dit : en parle-tu, je
vais tous les etêter, il lui donna un soufflet, alors elle se mît à
crier : vengeance mon dieu il me tue, ma soeur victoire y courut, moi
aussi et je vis que mon pére, cherchait a la faire sortir du jardin ;
elle le frappait a coups de pied, et lui donna aussi des coups de poing,
aprés qu’elle fut sortie. faut-il que je sois si malheureuse, dit-elle,
d’un cocain qui me tue la nuit, mais je reviendrai les prendre nos choux
je les prendrai au beau jour. je revins avec mon pére et Quevillon par
un chemin, et ma mére et ma soeur s’en allerent par un autre. lorsques
qu’on fît le dernier cidre, ma mére ne voulait pas qu’on apportât un
tonneau qui etait restait a courvaudon, et voyant qu’on l’aportait elle
fut consulter un maçon a hamars pour voir comment elle pourrait obtenir
une séparation, et depuis elle à toujours été souvent en consulter de
part et d’autre et debiter que son mari la faisait perir et qu’il la
battait journalement ; il y avait quelques temps qu’on avait fait la
lesive que ma mére demanda a blanchir des draps ; elle devait encore en
avoir. mon pére lui demanda ce qu’elle en avait fait. elle dit peu de
chose mais ma soeur dit ; qu’il n’y en avait pas temps comme il disait.
il parait que ma mére avait pris tout son meilleur linge et qu’elle
l’avait caché chez ses cousins à courvaudon, car elle savait que mon
pére était obligé de lui fournir ce qui lui etait necessaire et ses
cousines passaient le samedi et s’entretenaient avec elle, une
d’entre-elles avait dit à une personne dans le temps que ma mére etait
encore a courvaudon et qu’elle faisait des dettes ; qu’on disait que
Riviére était un si bon homme par ci et par là, et elle ajoutait : je ne
le prends pas pour un si brave homme, pourquoi qu’il ne laissait pas sa
femme tranquille sans lui prendre ce qu’elle avait, ils l’avaient fait
venir autrefois avec eux, ils ne purent la souffrir, fallait continuer a
lui faire son labourage comme il faisait sans la tracaser, n’etait-elle
pas attachée a son bien comme il est attaché au sien. cette cousine
faisait bonne mine à mon pére quand elle le voyait, et elle disait dans
le boug d’aunay que ma mére etait une mauvaises femme et qu’elle faisait
souffrir son mari. nous fûmes ecouter mon pére et moi par un endroit du
plancher les discours que ma mére et ma soeur disaient ensemblent. j’y
allai le plus souvent mais on ne les entendait que lorsqu’ils parlaient
un peu haut. un jour que mon pere avait dit a ma soeur victoire, que ma
g-m. ne pourrait mais guere plus travailler, qu’il faudrait aider à
soigner les vaches, et aller a la mengaille chacun a son tour, mon autre
soeur et elle ; lorsque que ma mére fut revenue elle lui dit en repetant
les paroles de mon pére d’un ton moqueur : ah il a dit qu’il faudrait
aller a la mengaille, que sa mére ne serait plus capable de travailler,
ma mére en faisant la cuisine faisait du plus mal qu’elle pouvait elle
mettait des herbes à la soupe qu’elle savait que mon pére n’aimait pas
et les mettait avec d’autres qu’il aimait. mon pére s’entretenait
quelque fois avec ses voisins de tous ses maux, il parlait des linges
qu’elle avait soustrait, et il disait : ils ont sans doute envie de s’en
retourner, qu’ils s’en retournent ou ils voudront mais ils n’emmeront
pas le petit jule avec eux, je ne veux qu’il les suivent, je veux qu’il
reste avec moi, d’abord on ne peut pas le hair. ma mere alla consulter
mr Blain a beauquay, elle lui debita ses calomnies contre mon pére, elle
lui dit aussi qu’elle était grosse. ll y avait d’autres personnes chez
mr Blain, cela fut bientôt repandu dans aunay, et un homme parlant a un
de nos voisins dit : il paraît que vous avez un voisin qu’il faut qu’il
maltraite etrangement sa femme, car elle en dit de belles choses. mon
pére sachant qu’elle avait dit qu’elle était grosse, ne put croire
qu’elle le fût car, disait-il, comme elle sait ce qui en est avec moi,
elle se pense, il tient à l’honneur, mais qu’il voie une pareille
affaire, il dira : comment est-il possible, il ne pourra se contretenir,
il me battra et je pourrai obtenir une séparation. je suis sur,
continuait-il, quelle se met de quoi sur le ventre pour le faire
grossir, il faudra que j’y regarde ; il tint ce raisonnement devant
quantité de personnes entrautres, Hebert et sa femme, la veuve Quesnel,
victor domestique chez mr Grellai, une de cousine de ma mére de
courvaudon Guérin garde-champêtre, un remonteur qui est a aunay, mr le
curé d’aunay ; mr le curé lui dit de n’y pas regarder. mon pére disait
encore : elle dit que j’ai fait perir l’autre, mais je lui dirai qu’il
faudra qu’elle me rende compte de celui qu’elle a dans le corps.
cependant craignant qu’il ne se trompât je resolut de m’eclaircir de
cette affaire en ecoutant ; une fois j’entendis que ma mere et ma soeur
calculaient le temps qu’elle serait dans cette couche en examinant le
temps qu’elle avait été dans les autres. ma soeur dit en outre : il ne
faut pas lui faire aucun habit, au moins mais qu’il soit fait, et qu’il
vienne a demander le bonnet, que les gens soient là tu diras : ma foi,
il n’y en a pas, m’as-tu donné de l’argent pour en avoir. c’est là,
ajoutait ma soeur, qu’il y aura a rire ; ensuite elle supposa et dit
d’un ton de moquerie les paroles que mon pére pourrait dire alors : ah,
continua-t-elle, il te dira, ah tu as encore fait cela pour me faire
honte, tu est toujours de même, si c’eût été pour autre chose tu en
aurais bien trouvé ; ma mére se mefiant des ecoutes lui dit : tais-toi
donc. ma soeur dit d’un ton plus bas : n’en fais pas toujours. une autre
fois ma soeur avait été porter sa dentelle a villers, elle revint sans
avoir été payée. ma mére dit alors : que je suis malheureuse d’être dans
cette position, que nous ne resterions donc pas là long-temps mon dieu.
puis elle ajouta : as-tu pris garde si le marchand payait les autres qui
en portaient comme toi. c’est peut-être lui qui lui a deffendu de te
payer. je n’eût garde de dire toutes ces choses que j’avaient entendues
à mon pére vu les pensées qu’il avait. une autre fois que mon pére était
parti a un voyage, j’entendis que ma mére et ma soeur supposaient qu’il
etait peut-être a tenter ceux chez qui elle avait rétiré ses linges, et
ies contrats d’aquets de ses terres : il est chez julie, disaient-ils,
ou bien chez la pinote, il va lui demander des contrats ou d’autres
choses, oh mais ils ne vont pas lui en donner, il faudrait qu’ils
fussent bien lâches toujours s’il le faisaient ; quoique ma mére fut
grosse elle pensa qu’elle pourrait cepandant commencer a intenter un
procés pour avoir une séparation, alors elle ne voulut plus faire de
cuisine que pour les deux enfans qui etaient avec elle, ni prendre de
pain chez ma g-m. ou on le mettait, et aprés avoir été chercher des avis
pendant trois ou quatre jours, un matin elle fut chez sa cousine sans
doute pour avoir son argent. et l’autre matin elle parti pour vire ; je
remarquai qu’en partant, un homme se trouva avec elle, c’etait sans
doute un de ses avocats du pays ; pendant son absence ma soeur victoire
et mon frére jule resterent dans la maison à manger du pain qu’elle leur
avait acheté, sans vouloir venir avec nous autres qui depuis avons été
vivre avec ma g-m. le soir mon pére demanda a ma soeur pourquoi qu’elle
laissai perdre le pain qui etait chez lui pour en aller chercher
d’autre, ah, repondit-elle, puisque nous avons moyen d’en acheter. paye
donc tes dettes, lui dit-il, chez Rabâche et ailleurs que tu disais que
tu payerais lorsques tu eût de l’argent. pourquoi empêche-tu a ton petit
frere de venir manger avec nous ? je ne l’en empêche pas dit-elle ; tu
mens, lui dit-il, tu lui en empêche. ma mére revint avec une ordonnance
de mr le president pour paraître en conciliation. ce fut mr le valois
huissier à saint-georges qui apporta cette ordonnance à mon pére. tout
le monde etait touché de voir un homme d’une conduite irreprochable si
malheureux et persecuté si cruellement par une femme. le dimanche
lorsqu’il entonna l’eau bénite, car mon pére chantait a la messe, prés
de cinquante personnes pleurérent. pendant la semaine mon pére obtint
des certificats, un du maire d’aunay dans lequel il etait fait mention
de sa conduite et de l’estime dont il jouissait ; un de celui de
courvaudon qui contenait la même chose et en outre quelques choses sur
la conduite de ma mére et un autre écrit par mr le curé et signé de
plusieurs habitans de la commune qui exposaient qu’elle conduite mon
pére avait tenue avec ma mére, plusieurs des sacrifices qu’il avait
faits pour vivre en paix avec elle. mon pére prît aussi son contrat de
mariage. l’arrangement fait devant mr Foucaut, qu’il perdit en chemin et
qui fut retrouve et lui fût rendu, le bail qu’il avait cassé, la lettre
des dettes qu’on lui avait envoyée, et comparu le lendemain de
l’ascension. il trouva mr le president disposé en faveur de ma mére, ses
certificats ne furent regardés qu’avec indiférence. mr le president dit
même en voyant celui de courvaudon : mais c’est contre votre femme que
vous en avez fait faire un a courvaudon. mon pére dit que le maire
l’avait fait comme il avait voulût. ma mére commença a lui reprocher de
nouveau qu’il avait fait périr son enfant. mon pére en pleurant explica
a mr le president ce qui en etait. il lui montra aussi l’arrangement
fait par devant mr Foucaut. mr le president demanda a mére pourquoi elle
ne voulait pas tenir a cet arrangement et lui dit qu’elle avait trois
partis a choisir. ou de tenir a cet arrangement, ou de retourner sur ces
biens a courvaudon, ou de plaider. ma mére dit qu’en retournant dans son
bien elle voulait que son mari lui rendit ce qu’il lui avait pris, ses
meubles, son argent, ses vaches, ses tonneaux, et plusieurs choses
qu’elle nomma dont il y en avait beaucoup qu’il n’avait pas eues. mon
pére lui dit : je te rendrai tout. on demanda a qui seraient confiés les
enfans. mr le prt dit qu’ils iraient ou ils voudraient. mon pére dit :
mais mr elle se dit grosse [21], a qui
sera confié cet enfant ? il repondit ce sera plutôt à votre femme qu’a
vous, c’est elle qui l’alaitera. mais ce n’etait pas là ce qui arrangait
ma mére qui comme on la vu avait l’intention de faire cet enfant et de
ne pas y mettre les doigts en aucune maniére que ce fût. arrange-t-en
comme tu voudras. elle ne dit rien a ce que mr le président disait la
dessus. ce juge dit aussi que si elle voulait plaider qu’il ne refusait
pas de l’autoriser mais que ce serait une affaire a depenser bien de
l’argent. c’etait bien là ce qui contentai ma mére qui savait que mon
pére serait obligé de lui en fournir pour plaider contre lui. en venant
à vire mr auguste grellay lui avait démandé pourquoi elle voulait ruiner
son mari. il faut bien, lui avait-elle répondu, que l’on donne de
l’argent a tout le monde. cepandant elle ne fit pas d’assignation ce
jour-là. en revenant mon pére la raporta derriére lui sur le cheval
depuis cadeholle jusqu’à aunay. arrivée elle ne montra pas de meilleures
intentions. comme mon pére lui parlait du voyage ; que tu avais bel air
là, lui dit-elle, tu avais l’air d’un galerien. et elle continua a aller
faire des nouvelles consultations les jours suivans, et a prendre du
pain chez les boulangers, comme elle en prenait le boulanger lui demanda
si son mari n’en avait point. oui, dit-elle, mais quand on va pour
chercher un pain, il y a là une vielle bonne femme qui vous allonge la
mine. je n’ai pas mangé avec ma mére ni avec ma soeur victoire depuis le
jour que ma mére intenta la separation. mon frére jule ne recherchait
pas tant la compagnie de mon pére, de moi, et de mon frére prosper, il
n’avait pas tant d’idée d’aller a cheval comme auparavant [22].
cepandant il est pourtant revenu avec moi, il est venu plusieurs fois à
la maison de ma g-m. manger avec nous autres cinq personnes, et il nous
faisait assez d’amitié, mais il etait plus porté pour ma mére que pour
mon pére. le samedi lendemain du retour de vire ma soeur victoire ouvrit
l’armoire et donna de nouveaux paquets a emporter a sa cousine qui
passait. le dimanche après vepres, mon pére eut de la visite plusieurs
personnes d’aunay vinrent et firent la colation dans la maison de ma
g-m. ensuite ils s’en alla une partie ; d’autres restérent. il vint un
menuisier de courvaudon qui demeure au village du bouillon ou demeurait
ma mére, il entra premiérement chez elle et se mît a l’embrasser et a
lui faire plusieurs cajoleries [23]
ensuite il fut dans l’autre maison et but avec mon pére et les autres
qui y etaient, on parla des outils a charpentier que ma mére lui avait
donné, mon pére dit qu’elle disait les lui avoir demandés et qu’il
n’avait pas voulut les lui donner, et ils allérent tous deux la trouver.
mais elle dit comme le menuisier, et mon pére consterné commença a crier
un peu haut avec lui. pendant cela les autres gens avec qui jetais resté
dirent : ma foi il n’est pas en sureté de sa vie avec tous ces gas la
qu’elle va courir de tous côtés. puis hebert s’adressant a moi me dit :
n’abandonne jamais ton pére toi, il ne te laissera pas aller a la
republique. helas j’avais bien d’autres idées. mon pére revint et le
menuisier aussi. les gens avaient sorti dans la cour a la fraîche, le
menuisier dit : ah je suis brouillé avec Riviére ; ma mére et ma soeur
etaient qui guetaient par sur la porte, ils avaient un air de tant se
moquer de l’abattement dans lequel mon pére était plongé. le menuisier
s’assit et but, puis il dit qu’il allait dire une chanson, eh bien, dit
françois senecal, dites-nous en donc deux mots, le menuisier commença et
dit une chanson qui s’adonnait a niarguer mon pére et a rire de sa
duplicité. la fin du premier couplet etait : que tout entre et que rien
ne sorte ; dans le second couplet il etait dit : que lise a fin de force
d’avoir toujours laissé entrer par la même porte au bout de neuf mois il
fallait bien que quelqu’uns sorte. mon pére dit alors : rentrons nous
sommes plutôt dans une position de pleurer que de chanter. le menuisier
rentra avec nous, il se mit encore a parler des outils et dit : j’ai
aidé à votre femme a entrer son grain et elle me disait : tenez
menuisier vous prendrez les outils et cela ira pour cela. françois
senecal lui dit : que voulez-vous donc nous hebeter ; et aprés avoir
resté encore quelque temps il s’en alla. quelques femmes qui etaient là
parlerent a mon pére et a ma g-m. des peines qu’ils avaient, et ils les
voyaient accablés, ces gens là, dirent-ils, en s’en allant, font bien
leur purgatoire sur terre. le lendemain au matin mon pére partit pour
tessel, ma g-m l’attendait pour l’aprés-midi ; mais il ne revint que le
mardi sur les trois heures du matin, ah, dit-elle, que fais-tu depuis
tout le temps que je t’attends et que je suis dans la peine, il dit qu’etant
parti pour s’en revenir sur les six heures du soir, il s’etait reposé un
peu sur le chemin, qu’il s’était endormi, et qu’à son reveil il avait
pris le chemin a contresens, qu’il avait fait prés d’une lieue, qu’il
s’était reconnu et s’en etait revenu. et cette journée là il fut malade.
ma g-m. dit ces choses a une des voisines et cette femme lui dit : ce
sont toutes ses peines qui le tourmentent et qui l’accablent ainsi. il
n’avait pas grand courage de travailler, il se couchait et se reposait,
et il etait toujours accablé, reveur et pensif ; plusieurs personnes
disaient : s’il faut qu’il soit pris d’une maladie il ne s’en relevera
pas.
Fin du résumé des peines de mon pére.
Ayant promis d’expliquer mon caractére, les pensées que j’ai eues avant
cette action et aprés, je ferai comme un abregé de ma vie particuliére
et des pensées qui m’ont occupé jusqu’a ce jour.
Dans mon jeune age c’est-à-dire vers 7 à 8 ans j’eut une grande
devotion. je me retirais a l’ecart pour prier dieu et dans les voyages
des rogations je me refusais les rafraichissemens que lon prenait
pendant un quart d’heure ; je pensais que je serais prêtre et mon pére
disait qu’il m’y ferait parvenir. j’appris des sermons et je prechais
devant plusieurs personnes entr’autres nicolas Riviére de notre village,
et chez son frére aubergiste à aunay devant plusieurs messieurs qui
etaient chez lui. je fit cela pendant deux ou trois ans. c’était ce que
j’avais déja lu qui m’inspirait cela. plus tard mes idées se changérent
je pensai que je serais comme les autres hommes. cepandant je montrais
des singularités. mes compagnons d’ecole s’en apercevaient ils se
moquaient de moi, j’atribuais leur mepris a quelques actes de bétise que
je pensais avoir fait des les commencemens, et qui suivant moi m’avaient
decredité pour toujours. je m’amusais seul j’allais dans notre jardin,
et comme j’avais lu quelques choses sur les armées je supposais nos
choux verds rangés en bataille, je nommais des chefs, et puis je cassais
une partie des choux pour dire qu’ils etaient tués ou blessés, ma g-m
disait : c’est etonnant, il aime les choux et il les casse, je me suis
amusé longtemps a cela, quoique je n’en cassât pas tant. le fils aîné de
riviere, dit cadet, passant me vit, et presque toutes les fois qu’il me
voyait depuis te bats tu encore avec tes choux, me disait-il ; j’apprît
bien à lire et faire l’aritmetique, pour l’écriture je n’avancait pas
tant. lorsques que je n’allai plus à l’ecole je travaillai a la terre
avec mon pére ; mais ce n’etait pas là bien mon penchant, j’avais des
idées de gloire, je me plaisais beaucoup à lire ; a l’école on lit la
bible de royaumont, j’ai lu dans les nombres et le deuteronome, dans l’evangile
et le reste du nouveau testament, je lisais dans les almanachs et le
géografie, j’ai dans le musée des familles et un calendrier du clergé,
dans quelques histoires celle de bonaparte, l’histoire romaine, une
histoire des naufrages, la morale en action, et plusieurs autres choses,
je n’aurais trouvé qu’un fragment de journal qui eût servi à torcher le
derriére, je le lisais, j’ai lu aussi dans le bon sens du curé melier,
dans le catéchisme philosophique de Ffeller et dans le catéchisme de
Monpellier. ce que j’avais lu sur l’astronomie et sur quelques autres
choses que j’avais examinées me rendit irréligieux il y trois ans. a
cette epoque et avant j’étais devoré des idées de grandeurs et
d’immortalité, je m’estimai bien plus que les autres, et j’ai eu honte
de le dire jusque ici, je pensais que je me eleverais au dessus de mon
état. dans ce temps la passion charnelle me genait. je pensai qu’il
etait indigne de moi de jamais penser à m’y livrer. j’avais surtout un
horreur de l’inceste cela faisait que je ne voulais pas approcher des
femmes de ma famille, quand je pensais en avoir approché trop prés, je
faisais des signes avec ma main comme pour reparer le mal que je croyais
avoir fait. mon père et ma g-m. étaient desolés de ces choses qui ont
duré l’espace d’un an. mon pére disait c’est peut être des scrupules [24]
mais c’est étonnant car il n’a plus de religion. comme on me demandait
pourquoi je faisais ces signes, je cherchais a eluder les questions en
disant que c’etait le diable que je voulais chasser ; on disait aussi
que j’avais horreur des autres femmes, car lorsqu’il se placaient
quelque-fois à côté de ma g-m. et de ma soeur, je me retirais d’un autre
côté, marianne renaut qui était alors servante chez nous, ouvrant un
jour la porte du jardin, je jettai promptement la main à ma culotte,
quoique je fût très eloigné ; ah oui, dit-elle, marche tient bien ton
pantalon ; mais ce n’était pas elle que j’aprehendais, quand elle ouvrit
la porte je craignais que ce ne fût ma g-m ou ma soeur. ces idées se
dissipérent. mais j’étais toujours occupé de mon excelence, et en allant
seul je faisais des histoires ou je me supposai jouant un rôle, je me
mettais toujours en tête des personnages que j’imaginais. je voyais
pourtant bien comme le monde me regardait, la plupart se moquaient de
moi. je m’apliquai un voir la maniére de m’y prendre pour faire cesser
cela et vivre en société, mais je n’en avais pas le tac, je ne pouvez
trouver les paroles qu’il fallait dire, et je ne pouvais avoir un air
sociable avec les jeunes gens de mon âge, c’etait surtout lorsqu’il se
rencontrait des filles dans la compagnie, que je manquais de paroles
pour leur adresser, aussi quelqu’unes pour en rire ont courut aprés moi
pour m’embrasser, je ne voulais pas aller voir mes parens c’est-a-dire
des cousins, ni les amis de mon père car javais peur des complimens
qu’il fallait faire. voyant que je ne pouvais reussir à ces choses je
m’en consolai. et je meprisai dans moi ceux qui me méprisaient. je
voulut me venger de la fille de nicolas margrie qui avait forcé a
m’embrasser en faisant une chanson sur son honneur que j’avais resolu de
semer dans les chemins, je prétendit ensuite pouvoir me venger de mes
autres moqueurs en faisant des chansons sur tous eux, je dit a un de mes
amis Fortain, que je pourrais me venger de tous ces gens là en faisant
des cents sur tous eux, que je pourrais les diffamer et les faire bannir
du pays. plus tard je fut tenté plusieurs fois d’en appeler quelqu’un en
duel. je resolut aussi de me distinguer en faisant des instrumens tous
nouveaux je voulais qu’ils fussent crées dans mon imagination. je
resolut 1erment de faire un outil pour tuer les oiseaux comme
on n’en avait pas vu j’y donnai le nom de calibene j’y travaillai
pendant long-temps les dimanches et au soir, et voyant qu’il ne
reussissait pas comme j’avais cru j’allai l’enterrer dans un prai et par
la suite je le deterrai et il est encore sur le plancher d’une des
maisons. j’avais aussi resolut de faire un instrument pour barter du
beurre, tout seul, et une voiture pour aller toute seule, avec des
ressorts que je ne voulais prendre que dans mon imagination. je contai
ces choses à Fortain mon camarade, et à jean buot, qui travaillait avec
nous. j’avais plus de société avec les enfans de neuf à dix ans qu’avec
les gens de mon âge, je leurs faisais des albalêtres, et moi-même je
m’occupais a en faire partir ; on m’a arrêté avec un et quoique j’aye
dit que c’était pour passer pour fou que je l’avais fait, ce n’était pas
encore tout-a-fait pour cela. chez nous j’en faisais partir mais j’avais
soin de me cacher du mieux que je pouvais. dans moi je trouvais que ce
n’etait pas une nécessité, j’avais lu qu’autrefois on se servait de cela
pour aller a la chasse et même pour se battre à la guerre. il y a
quelque temps qu’en faisant partir cela, je cassai un carreau de vitre
pour Nativel, j’eut honte qu’on dit que ce fût moi ; mes deux frères y
etaient. on leurs demanda qui l’avait cassé. ils dirent qu’ils n’en
savaient rien, et ils n’ont jamais dit que c’etait moi. comme bientôt on
s’en douta, mon pére demanda a jule si ce n’était pas moi. cet enfant
soutint toujours que non. je crucifiais des grenouilles et des oiseaux,
j’avais aussi imaginé un autre suplice pour les faire perir. c’était de
les attacher avec trois pointes de clou dans le ventre contre un arbre.
j’appelais cela enuepharer, je menais les enfans avec moi pour faire
cela et quelques fois je le faisais seul. il y a deux ans que j’allai a
la saint clair a sainte honorine tout seul pour observer les discours
que les maîtres et les domestiques diraient ensemblent, et par la
m’instruire et en dire autant si l’occasion s’en presentait. j’observai
plusieurs personnes entr’autres mr Viel de guiberville, je lui vit
parler a plusieurs domestiques et en louer un ; je regardais les gens
sans leur parler, sans les connaître et sans qu’ils me connussent. j’ai
été plusieurs fois me promener sans aucune compagnie dans les assemblées
et les marchés. j’avais toujours les idées de m’instruire et de m’elever.
je pensais que si quelque fois je me voyais de l’argent j’acheterais des
livres et le cour complet d’instructions de l’abbé gaultier [25]
concernant la lecture, l’ecriture, l’arihtmetique, la geométrie, la
geografie, l’histoire, la musique, les langues françaises latines et
italienne etc. le tout coutant 60 frs. je pensais que m’eleverais.
malgré ces desirs de gloire que j’avais ; j’aimais beaucoup mon pére,
ses malheurs me touchaient sensiblement. l’abbattement dans lequel je le
vis plongé dans les derniers temps, sa duplicité, les peines
continuelles qu’il endurait, tout cela me toucha vivement. toutes mes
idées se portérent sur ces choses et s’y fixérent. je concut l’affreux
projet que j’ai exécuté, je pensai a cela a peu-prés un mois auparavant.
j’oubliai tout-a-fait les principes qui devaient me faire respecter ma
mére et ma soeur et mon frére, je regardé mon pére comme étant entre les
mains de chiens enragés ou de barbares, contre lesquels je devais
employer les armes, la religion defendait de telles choses mais j’en
oubliai les regles, il me sembla même que dieu m’avait destiné pour
cela, et que j’exercerais sa justice, je connaissais les lois humaines
les lois de la police, mais je prétendit être plus sages qu’elles, je
les regardait comme ignobles et honteuses. j’avais lu dans l’histoire
romaine, et j’avais vu que les lois des romains donnaient au mari, droit
de la vie et de mort sur sa femme et sur ses enfans. je voulut braver
les lois, il me sembla que ce serait une gloire pour moi, que je
m’immortaliserais en mourant pour mon pére, je me representai les
guerriers qui mouraient pour leur patrie et pour leur roi, la valeur des
eleves de l’ecole polithecnique lors de la prise de paris en 1814 je me
disais : ces gens la mouraient pour soutenir le parti d’un homme qu’ils
ne connaissaient pas et qui ne les connaissait pas non plus, qui n’avait
jamais pensé a eux ; et moi je mourrai pour delivrer un homme qui m’aime
et qui me cherit. l’exemple de chatillon qui soutint seul jusqu’à la
mort, un passage d’une rue par ou les ennemis abondaient pour prendre
son roi ; le courage d’eleazar frére machabées qui tua un elephant ou il
pensait que le roi ennemi etait ; quoique qu’il sut qu’il allait être
étouffé sous le poids de cet animal, l’exemple d’un général romain dont
je ne me rappelle pas le nom, qui dans la guerre contre les latins se
devoua a la mort pour soutenir son parti. toutes ces choses me passaient
par l’esprit et m’invitaient à faire mon action. l’exemple de henri de
la roquejacquelain que je lut dans les derniers temps me sembla avoir un
grand rapport avec ce qui me regardait. c’etait un des chefs des
vendeens, il mourut a la vingt-unieme année de son age pour soutenir le
parti du roi. je considerai sa harangue a ses soldats au moment d’un
combat : si j’avance, dit-il, suivez-moi, si je recule tuez-moi, si je
meurs vengez-moi. le dernier ouvrage que j’ai lu etait une histoire des
naufrages, que m’avait prêté lerot. j’y vit que lorsques que les marins
manquaient de vivres. ils faisaient un sacrifice de quelqu’un d’entreux,
qu’ils le mangeaient pour sauver le reste de l’equipage, je me pensais :
je me sacrifierai aussi pour mon père ; tout semblait m’inviter a cette
action. même jusqu’au mistere de la redemption, je pensais même que c’etait
plus facile a comprendre, je disais : notre seigneur jesus-chrit est
mort sur la croix pour sauver les hommes, pour les racheter de
l’esclavage du demon, du peché, et de la damnation eternelle, il était
dieu, c’etait lui qui devait punir les hommes qui l’avaient offensé ; il
pouvait donc leur pardonner sans souffrir ces choses ; mais moi je ne
peux délivrer mon pére qu’en mourant pour lui. lorsques j’entendit dire
que prés de cinquante personnes avaient pleuré lorsques mon pére avait
chanté l’eau bénite, je dit en moi-même : si des etrangers qui n’y sont
pour rien pleurent, que ne dois-je pas faire moi qui suis son fils. je
pris donc cette affreuse resolution, je me déterminai à les tuer tous
trois ; les deux premiéres parce qu’ils s’accordaient pour faire
souffrir mon pére, pour le petit j’avais deux raisons, l’une parce qu’il
aimait ma mére et ma soeur l’autre parce que je craignais qu’en ne tuant
que les deux autres, que mon pére quoique en ayant une grande horreur ne
me regrettât encore lorsqu’il saurait que je mourut pour lui, je savais
qu’il aimait cet enfant qui avait de l’intelligence, je me pensai il
aura une telle horreur de moi qu’il se rejouira [26]
de ma mort, et par là exempt de regrets il vivra plus heureux. ayant
donc pris ces funestes resolutions je resolut de les mettre en execution.
j’eut d’abord l’intention d’ecrire toute la vie de mon pére et de ma
mére a peu prés telle quelle est ecrite ici [27]
de mettre au commencement un annonce du fait, et à la fin mes raisons de
le commettre, et les niarges que j’avais intention de faire à la
justice, que je la bravais, que je m’immortalisais, et tout cela ;
ensuite de commettre mon action, d’aller porter mon ecrit a la poste, et
puis prendre un fusil que j’aurais caché d’avance et de me tuer ; je m’etais
lévé quelques nuits pour lire le catechisme de Monpellier ; sous
pretexte de faire la même chose je me levai et je commençai a ecrire
l’annonce du commencement, mais des le lendemain ma soeur s’en aperçut,
je lui dit alors que j’ecrivai la vie de mon pére et de ma mére pour la
presenter aux juges ou bien a un avocat que mon pére irait consulter
pour faire voir la maniére dont il etait traité avec ma mère ou bien
même qu’on se contenterai de lire cela devant ceux de notre
connaissance. ma soeur et c’etait aimée voulut voir ce qu’il y en avait
deja d’ecrit, je me gardait bien de lui montrer, car c’était l’annonce
du commencement. elle revint un peu après avec mon pére et Quevillon, je
le cachai, elle dit : il est donc impossible que l’on voie cela ? je dit
qu’il fallait attendre qu’il y en eut plus d’ecrit. mais craignant qu’on
ne lût cette annonce je la brullait et je pensai que j’ecrirais la vie
sans me cacher de personne et que je mettrais secretement les raisons de
la fin et du commencement après que cette vie serait ecrite. je me levai
donc une nuit ou deux pour ecrire mais je dormit presque toujours et je
ne put ecrire que peu de chose. alors je prit une autre résolution, je
renoncai a ecrire, et je pensai qu’après le meurtre je viendrais a vire,
que je me ferais prendre par le procureur du roi ou par le commissaire
de police ; ensuite que je ferais mes declarations que je mourrais pour
mon père, qu’on avait beau soutenir les femmes, que cella ne
triompherait pas, que mon père serait desormais tranquille et heureux ;
je pensais que je dirais aussi : autrefois on vit des jael contre des
sisara, des judith contre des holophernes, des charlotte corday contre
des marat ; maintenant il faudra que ce soient les hommes qui emploient
cette manie, ce sont les femmes qui commandent à present, ce beau siecle
qui se dit siecle de lumiére, ce nation qui semble avoir tant de gout
pour la liberté et pour la gloire, obéit aux femmes, les romains étaient
bien mieux civilisés, les hurons et les hottentots, les alquongins, ces
peuples qu’on dit idiots, le sont même beaucoup mieux, jamais ils n’ont
avili la force, ce sont toujours été les plus forts de corps qui ont
toujours fait la loi chez eux. je pensais que ce serait une grande
gloire pour moi d’avoir des pensées opposées à tous mes juges, de
disputer contre le monde entier, je me représentais bonaparte en 1815.
je me disais aussi : cet homme a fait périr des milliers de personnes
pour satisfaire de vains caprices, il n’est donc pas juste que je laisse
vivre une femme qui trouble la tranquillité et le bonheur de mon pére.
je pensai de l’occasion était venue de m’elever, que mon nom allait
faire du bruit dans le monde, que par ma mort je me couvrirais de
gloire, et que dans les temps à venir, mes idées seraient adoptées et
qu’on ferait l’apologie de moi. ainsi je pris donc cette funeste
resolution. cepandant je craignais encore que mon pére, qui suivant moi
n’avait pas des idées aussi sublimes que les miennes, ne se suicidât
lorsqu’il verrait cela ; mais je pensai que je le ferais en son absence
et que j’avertirais des gens de le retenir et qu’une fois qu’il aurait
supporté la première vue, il n’y aurait plus de danger par la suite. je
pensai aussi que comme je devais venir devant les juges soutenir mes
opinions, qu’il fallait que je fît cette action avec mes habits du
dimanche pour partir pour vire aussitôt qu’elle serait consommée.
j’allai faire rafiler la serpe le dimanche 24 mai chez gabin laforge
marechal a aunay, et qui a coutume de nous servir ; ce jour là je ne fit
rien, je pensai que je le ferais dans la semaine et que je prendrais mes
habits du dimanche avant cela ; le samedi d’aprés voyant mon père et ma
g-m. partis au boug d’aunay, et les trois que j’avais resolut de tuer
réunis dans la maison, je pris promptement mes habits du dimanche, mais
lorsques que je fut prêt, je vis que ma mére et mon frére étaient partis
au boug ; voyant cela je pensais qu’ils allaient revenir, et comme ma
soeur aimée me demandait pourquoi je m’habillais ainsi, je dit que
j’allais au boug, et je m’y en allai en attendant que ma mére fût
revenue ; l’ayant rencontrée sur le chemin qui revenait, je ne fît
qu’aller au boug et puis revenir, a mon rétour je les trouvai tous trois
dans la maison, mais je ne put me decider a les tuer ; je me dit alors :
je ne suis qu’un lâche et je ne pourrai jamais rien faire, j’allai dans
le jardin ; et je vit revenir mon pére ; alors je fut changer d’habits ;
mon pére et ma g-m me demanderent pourquoi je m’étais si bien habillé
pour aller au boug, que je n’aurais bien plus prendre que ma blouse par
dessus mes autres habits ; je dit, que mes autres habits,
particuliérement mon pantalon etaient trop deguenillés ; on ne me fit
pas d’autres questions ; je pensais que je ferais cette action le
lendemain tout a mon aîse ; mais il ne se presenta pas d’occasion ou
s’il s’en presenta je ne les saisit pas ; le soir je fut pour le faire
pendant qu’il y avait de la société avec mon pére, car je pensais que
tous ces gens là allaient l’empêcher de se faire du mal. lorsqu’il vit
cela, je n’étais pas a faire la colation avec eux, j’etais à roder dans
les jardins en m’occupant de mes idées ; j’en avais dis-je l’occasion,
mais je fut retenu par ce que j’appelais alors ma lacheté. ne pouvant
donc m’y décider et voyant qu’il n’y avait plus moyen de le faire cette
journée la, je m’en allais avec mon pére et ceux qui etaient encore avec
lui, le menuisier, et les autres dont j’ai parlé. je pensai que je
ferais cette action dans la semaine et que je me cacherais pour prendre
mes habits du dimanche, je savais que le lendemain cela ne se pouvait,
on devait aller à la charrue pour Quevillon, c’etait moi qui y allais ;
mais il devait venir le lendemain pour nous, et c’etait ordinairement
mon pére qui y allait quand c’était pour nous, je pensai que pendant que
mon pére serait à la charrue, j’executerais ce projet ; j’allais donc le
lundi pour Quevillon, il me dit qu’il n’était pas sur qu’on pût aller le
lendemain pour nous, parce qu’il devait avoir un cheval d’enprunt pour
aller le mercredi dans un prai ou il en fallait trois, que si l’on
pouvait achever de labourer le champs ou nous étions, pour aller l’aprés
midi herser le pray afin qu’il fût tout prêt ; qu’il viendrait pour nous
le mardi, mais que sans cela qu’il ne pourrai pas. lorsques j’entendit
ces choses je fît aller les chevaux du plus vite que je pus, et nous
finîmes le champs ou nous étions, et l’après midi nous fûmes herser ce
qu’il disait. le lendemain il vint pour nous, mais comme mon pére etait
revenu malade ayant passé la nuit dehors, il ne put aller avec lui, et
je fut obligé d’y aller. au midi mon pére etant un peu mieux me demanda
si je voulais fouir dans le jardin, ou bien retourner a la charrue, je
dit que j’allais fouir, après diner comme j’etais dans la cour, je dit à
ma soeur aimée : chante-nous donc le cantique : jour heureux, sainte
alegresse, pourquoi, me dit-elle ; c’est, lui repondis-je pour en
apprendre l’air, et pourquoi me dit-elle que tu veux en apprendre l’air,
je dit : je serai bien aise de le savoir, et alors elle se mit à le
chanter, et Quevillon dit : ah mais cela va bien faire je crois, et il
alla plaisanter ma soeur ; ensuite il s’en fut avec mon père a la
charrue. mais je ne fit encore rien cette journée lá, il ne se presenta
pas grande occasion, et puis je pris une autre résolution, je devais
aller le lendemain pour Quevillon, je pensai qu’au matin je ferai le
malade pour que mon pére y allât. le matin donc lorsqu’il fut temps de
se lever, je fit semblant de vomir, ma g-m vint. je lui dit que j’avais
mal au coeur, et que je n’allais pas pouvoir aller à la charrue et mon
pére y alla quoique qu’il fût aussi un peu malade ; un heure environ
aprés je me levai et dit que j’etais un peu mieux, je dis que j’allais
travailler dans le jardin, ensuite je saisit secretement mes habits du
dimanche, je les portait dans une des autres maisons appelée la maison à
clinot, ensuite je m’habillai a mon dimanche ils etaient dans le moment
tous trois dans la maison, mais lorsques que je fut habillé, je vit que
mon frére jule venait de s’en aller à l’ecole ; alors je resolut de
remettre a un autre moment ; j’etais dans le jardin et j’allai pour
rentrer dans la maison que je dit et reprendre mes vieux habits, ma
soeur aimée me vit ; et voyant qu’elle me voyait je m’en allai, j’allai
du côté de beauquay et je resolut de ne pas revenir qu’à midi où ils
allaient etre tous les trois reunis. mais il avait trop de temps a
attendre, je revins à la maison résolu de reprendre mes vieux habits et
de faire l’action sans en prendre d’autres. je me pensai : qu’importe
que je sois habillé bien ou mal, je m’expliquerai tout aussi bien sans
avoir des beaux habits, alors je revins à la maison ; la veuve Quesnel
était dans la cour ; ah, dit-elle, a ma g-m voila pierre qui est revenu,
j’allai voir dans ta maison ou j’avais laissé mes vieux habits je vis
qu’ils en avaient été rétirés. j’entrai dans la maison de ma g-m ou je
la trouvai qui pleurait ; ou as-tu envie d’aller, me dit-elle, si tu ne
trouve pas que tu gagne assez avec ton pére et que tu veuille aller
autre part, dis le, sans t’en aller comme cela sans le dire a personne,
et avec cela tu n’as pas d’argent, qu’elle est ton intention, as tu
envie d’abandonner ton pére, tu vois pourtant comme il est. ah, dit la
veuve Quesnel, tu lui donne la mort a ta pauvre g-m qui t’aime tant,
jette-toi a son cou et l’embrasse. ma g-m continua de me dire : pourquoi
fais-tu donc cela, ton pére te proposait tous les avantages possibles,
quand tu étais petit il disait qu’il sacrifierai une partie de son bien
pour te faire prêtre, il te proposait de te faire apprendre un metier si
tu voulais, si tu veux t’en aller d’avec lui, il ne te laissera pas
encore aller sans argent ; la veuve Quesnel dit : ah il n’est pas de
trop pour vous aider a faire votre ouvrage, il peut être heureux avec
tous vous autres s’il veut. ma g-m dit : ah il aurait bien mieux fait
d’aller ce matin a la place de son pére, qui est malade, il voit sa
position, s’il se retire ainsi d’avec lui, ce sera encore une force que
sa mére aura pour plaider son pére, elle dira aux juges : il est si
mauvais que ses enfans ne veulent pas rester avec lui ; cependant s’il
veut s’en aller, son pére ne le retiendra pas ; qu’il le dise et on ne
sera pas embarassé ou il est.
j’eludai toutes les questions que ma g-m me faisait
en disant que cela n’était rien, que lon faisait des grands etalages
pour trés peu de choses, et je m’en allai dans le cabinet ou je répris
tous mes vieux habits, ensuite j’allai fouir dans le jardin en attendant
le midi. ma g-m y vint aussi faire une érie de pois, elle me fit des
nouvelles questions, a quoi je repondit toujours, que cela n’était rien
qu’elle ne s’en genât pas. mais si, dit-elle, c’est quelque chose, mais
que ton pére soit revenu je vais vouloir que tu t’en explique ; eh bien,
répondis-je, je vais m’en expliquer devant lui ce soir. ma g-m cessa de
me questionner. le midi vint et elle s’en alla traire les vaches avec ma
soeur aimée. mon frére jule était revenu de l’école. profitant de cette
occasion je saisit la serpe, j’entrai dans la maison de ma mére et je
commis ce crime affreux, en commencant par ma mére, ensuite ma soeur et
mon petit frére, après cela je redoublai mes coups, marie, belle-mére de
Nativel entra, ah que fais-tu, me dit-elle, otez vous de là, lui dis-je,
ou je vous en fais tout autant. ensuite je sortit dans la cour et
m’adressant a Nativel je lui dit : miché allez prendre garde que ma g-m.
ne se fasse du mal, elle peut être heureuse maintenant, je meurs pour
lui rendre la paix et la tranquillité, je m’adressai aussi a aimée lerot,
et a pôtel domestique chez lerot, prenez garde, leurs dis-je, que mon
pére et ma g-m ne se fasse du mal, je meure pour leur rendre la paix et
la tranquillité. ensuite je me mis en route pour venir à vire, comme je
voulais avoir la gloire d’y annoncer le premier cette nouvelle je ne
voulut pas aller par le boug d’aunay, craignant d’y être arrété. je
resolut d’aller par les bois d’aunay, par un chemin ou j’avais été
plusieurs fois qui passe prés d’un endroit appélé les vergées, et pour
me rendre sur le chemin de vire au dessus du village des pieds du bois
d’aunay, je pris donc ce chemin là et je jettai ma serpe dans un blé
prés la fauctrie et m’en allait. en m’en allant je sentis s’affaiblir ce
courage et cette idée de gloire qui m’animait, et quand je fut plus
loin, j’arrivais dans les bois je reprit tout-a-fait ma raison, ah,
est-il possible, me dis-je, monstre que je suis ! infortunées victimes !
est-il possible que j’aye fait cela, non ce n’est qu’un rêve ! ah ce
n’est que trop vrai ! abîmes entrouverez-vous sous mes pieds, terre
engloutisez-moi ; je pleurai, je me roulai par terre, je me couchai, je
considerai les lieux les bois, j’y étais venu d’autre fois. helas, me
dis-je, pensai-je que je m’y trouverais un jour dans cet etat : pauvre
mére, pauvre soeur, coupables, si on le veut en quelque sorte, mais
ont-ils jamais eu des idées aussi indignes que les miennes, pauvre
malheureux enfant, qui venait avec moi à la charrue, qui menait le
cheval, qui hersait déjà bien tout seul, ils sont aneantis pour toujours
ces malheureux ! jamais ils ne reparaîtrons ! ah ciel, pourquoi m’avez
vous donné l’existence, pourquoi me la conservez-vous encore plus
long-temps. j’ai ne restai pas long-temps dans cette endroit, je ne
pouvais rester posé à la même place, mes regrets se dissipaient plutôt
en marchant. on pense bien que je n’étais plus resolut de venir a vire
soutenir les idées que j’ai dit plus haut. dans le mois qui s’est ecoulé
depuis ce crime jusqu’a mon arestation mes idées ont changés plus d’une
fois, je les raporterai avec les endroits ou j’ai passé. comme je le dis
je fus premiérement dans les bois d’aunay, ou brisé de regrets je m’en
allai sans savoir ou j’allais, arrivé sur le haut du bois d’aunay,
j’allai je crois du côté de danvou ; mais je ne sais pas si j’en ai
passé loin : au soir je me trouvai dans un petit bois prés de cadehol,
je me couchai et je me livrai a mes pensées desespérées, je me levai, et
j’allai gagner la route, je passai dans cadehol et un peu plus loin je
quittai la route a droite, j’allai par des chemins de traverses, je me
reposai sous une haie, et le jeudi je passai par des endroits que je ne
connais pas tous, je n’avais diné le mercredi, le jeudi j’ai mangé
plusieurs sortes d’herbes, telles que du pain de coucou, de l’oseille
sauvage, je pris aussi du champignon, je n’avais d’autre argent que
quatorse sous qui se trouvaient dans ma poche au moment de mon départ,
j’arrivai au tourneur ou je pris une livre de pain, je suivit le chemin
vicinal. comme je passais dans un boug, qu’on me dit être saint pierre,
j’entendis une femme qui dit à une autre : ... as-tu entendu parler du
malheur qui s’est arrivé à aunay ? oui, repondit l’autre, mais je ne
sais si cela est bien vrai ; ah oui, dit la prémiére, cela n’est bien
que trop vrai. le soir me trouvant dans des champs prés de la grande
route entre le mesnil au souf et cadehol, je resolut de me tuer, la
représentation de mon crime m’était insuportable. craignant que l’on
accusât peut-être encore mon pére de complicité, de m’avoir caché, ou
retiré d’une maniére ou de l’autre ; je me pensait qu’il fallait qu’on
rétrouvât mon corps, et comme je portais ordinairement de la ficelle et
que j’en avais sur moi, je resolut de me pendre dans un arbre, j’en
examinai quelqu’uns qui pourraient me servir, mais lorsque je fut pour
le faire, la crainte des jugements de dieu me retinrent, je passé la
journée du vendredi dans ces agitations, enfin je resolut de me
conformer a mon état vu que le mal etait irréparable, je resolut de
vivre d’herbes et de racines jusqu’au evenemens qu’il en pourrait
survenir ; en attendant que les freses, les moreaux, et les mures, fut
murs, je resolut d’aller sur les bords de la mer, pour y vivre de
crables, de moules et d’huitres, je parti le vendredi soir, le samedi au
matin je m’ecartai un peu de la route, et je passai la journée dans des
bois prés du mesnil au souf à la gauche en allant de vire a caen, je
voyageait les nuits suivantes à l’exception du mardi que je marchait au
jour, et j’arrivai a port. ce jour lá, j’avais trouvé le lundi au matin
prés du bois de juvigni, un homme qui m’avait demandé ou j’allais et si
j’avais des papiers, j’avais repondu que j’allais à fontenay, et il ne
m’en avait pas demandé davantage ; j’etais dans l’aprés midi a port le
mardi comme je dis ; je mangeai quelques crables, et puis je vis que
cela ne faisait pas un bon effet, je resolut de revenir aux racines et
aux genottes dans les bois ou j’avais été prés du mesnil au souf, je
repassait bayeux le soir du mardi et je couchai dans un creux de fossé
prés de cremel, je ne me souciais plus beaucoup que l’on m’arrêtât ou
pas, et le mercredi je voyageait au jour, je demandait pour deux liards
de raves sur le pont de juvigni, il n’y en avait pas, je m’en allait.
marianne beauvais qui a été un an servante chez nous et qui l’est
maintenant chez dupont aubergiste à juvigni, m’apercut comme je passais,
et sans doute qu’elle le dit a ceux qui etaient avec elle, car
j’entendit crier derriére moi : ah, ah, voila aller les gendarmes, comme
je ne me retournais pas, elle cria par deux ou trois fois : pierre, ah
pierre, j’arrivai a la tournée de la route et je rencontrai le même
homme qui m’avait interrogé le lundi, on ne criait plus après moi, il ne
me dit rien, je bus et mangé un peu de cresson, a un ruisseau ou il y a
un pont prés de juvigni et je continuait ma route. je passai villers de
nuit et le jeudi j’étais de retour dans les bois du mesnil au souf ; je
pensai que je ne pourrais reussir de cette maniére, et sentant que ce ne
pouvait être qu’une extravagance qui m’avait porté à commettre ce crime,
je resolut de venir me rendre à la justice et de me faire arrêter a
vire, mais je craignit de dire tout-a-fait la vérité ; ma prémiére
intention fut pourtant de dire que je me repentais mais j’avais idée de
dire que j’avais été porté a cela par des visions, qu’absorbé de toutes
les peines de mon pére, j’avais vu des esprits et des anges qui
m’avaient dit de faire cela par l’ordre de dieu, que j’y avais été
destiné de tous temps, et qu’ils m’enleverais au ciel aprés que j’aurais
fait cette action, que je l’avais fait dans ces idées ; mais qu’aussitôt
aprés je m’etais reconnu, et m’etais repentu ; comme cela est en effet
arrivé pour les autres choses que j’ai dites. ainsi dans la nuit du
vendredi au samedi je partis des bois du mesnil au souf, la nuit, car je
ne voulais être arrêté qu’a vire, et j’arrivai le samedi au matin, je
n’avais pas la force de me denoncer, j’aurais préféré qu’on m’eut
demandé mes papiers. en arrivant je me couchai dans un creux de fossé,
et voyant que personne ne me disait rien, j’allait dans le haut de la
rue du calvados, je me promenait un peu, et voyant qu’on ne m’arrêtait
pas, je demandai la route de cherbourg, j’avais lu qu’un soldat pour
porter les ordres de thoiras, au cardinal de richelieu, avait passé deux
lieues de mer a la nage, et je pensais que je pourrais aussi nager pour
me rendre à quelqu’unes des îles appartenant aux anglais telles que les
îles de jersai de grenesai d’aurigni et de vig que je vu dans la
géografie et sur les cartes êtres peu éloignées du continent de la
france, ou que je perirais en nageant, qu’il fallait risquer, je
retournai donc à la papillonniére, et j’allai un peu sur la route que
l’on m’avait enseignée. mais voyant que ce que je pensais était
impossible et que quand même je passerais je ne serais pas sauvé pour
cela, je resolut de revenir à vire, c’était dans la matinée que j’y
étais venu, j’y revins dans l’après midi. je m’assis au haut de la rue
du calvados ou il y avait des gendarmes et plusieurs messieurs, voyant
qu’ils ne me disaient rien, j’allai dans une rue et je demandai a une
femme la demeure du commissaire de police, elle me dit : c’est chez le
grand maître je crois bien, que vous voulez aller ? elle me dit dans
qu’elle rue qu’il demeurait, un mr qui se trouva la, me l’enseigna
aussi. j’allai du côté qu’ils m’avaient dit ; mais ne connaissant pas la
maison, et puis repugnant, je m’assit sur des arbres la prés d’une
eglise qui est sur la hauteur ; ensuite je resolut de me déclarer a un
gendarme, je revins ou ils étaient ; je m’assit de nouveau devant eux,
et les voyant toujours indifférents a mon égard ; je resolut de
retourner dans les bois continuer la vie que j’avais ménée jusqu’alors ;
j’ai toujours couché dehors, et je n’ai demandé l’aumone qu’a trois
maisons prés la papillonière et a une maison en revenant de bayeux, et
tous m’en ont refusés. je rétournai de vire ou j’etais le samedi dans un
petit bois au déla de la chapelle de l’ave maria, ou je passai la
journée du dimanche, j’y mangé des genottes et la nuit suivante je
retournai dans les bois du mesnil au soufi la je mangé encore des
herbes, des racines, je tachais encore de me distraire de mes malheurs,
la recitation de mes prières m’occupait, en outre je considerais la
nature, j’examinais les astres, je pensais que je verrais la cométe de
hallay, je passai quelques jours dans ces bois, et puis voyant de
nouveau que je ne pourrais réussir je resolut de me faire prendre par la
justice. mais je resolut de déguiser encore plus la vérité que je
n’avais eu intention de la deguiser la prémiére fois et je concut le
dessein de jouer le rôle que j’ai joué au commencement de mon
emprisonnement. je pensai qu’il y avait des folles, et j’ai vu cela dans
le musée des familles, des folles qui se disaient : l’une reine de
france, l’autre reine de tous lieux, l’autre papesse et se pretendant
inspirée de dieu pour prêcher par toute la terre. je pensai donc qu’il
ne fallait pas dire que je me repentais, qu’il fallait dire que j’étais
suscité de dieu, que j’étais son instrument et obeissais à ses ordres ;
que je l’avais vu ainsi que ses anges. c’était bien a regret que
j’embrassais ce moyen de defense, mais je crut qu’il m’était utile. je
quittai les bois et je retournai a vire resolut de faire des gestes sur
les routes. cepandant comme j’apprehendais le resultat qui pourrait
survenir de tout cela, j’attendit encore, je resolut d’employer avant le
peu d’argent que j’avais, jusqu’ici a l’exception d’une livre de pain et
de deux liards de noix, je l’avais gardé craignant d’en avoir affaire
pour quelque choses encore plus nécessaire que la nourriture ; j’avais
le ventre si vide que le liais avec mon mouchoir de cou pour que cela
fut plus facile a marcher, je passai cette seconde fois a vire un jeudi
matin et en passant j’achetai deux livres de pain et un garreau je
suivit la route de condé, je ne la connaissais pas, mais il se rencontra
que ce fût cella. le vendredi je passai par vassi, je me couchai sur le
bord d’un blé proche vassi, pour voir si on allait m’arreter, quelques
personnes vinrent me voir et en furent étonnés, mais ils ne m’arretèrent
pas, au soir j’arrivai à condé, et je pris deux garreaux chez un
boulanger, je couchai dans un creux de fossé et le lendemain je suivit
la route de fler, je rencontrai un marchand d’aunay que je reconnu pour
l’avoir vu, il me reconnu bien aussi et il me dit : te vla garcon, ou
que tu t’en vas par là, ah vous allez vous faire arrêter par là, tu as
fait un mauvais coup, mon fils, oh qu’il est mauvais. je n’eut pas l’air
de prendre garde a ce qu’il me disait et je m’en allai, je n’avais plus
d’argent et je recommencai a manger des genottes, le lendemain dimanche
au matin je trovai prés de fler, laurent Grellay, dit ficet, qui
emmenait des boeufs et il me dit : ah Riviére tu vas te faire arrêter ;
je me pensai en moi-même, ce c’est ce que je demande, et sans lui
repondre je continuait mon chemin, j’arrivai a fler, je traversai le
marché et arrivé de l’autre côté du boug prés des derniéres maisons je
me couchai au soleil sur le bord de la route, j’allai plus loin, et l’aprés-midi
je revint au même endroit ou je m’etais couché la matinée. et afin
d’exciter l’attention publique, ainsi que pour me nourrir je me mit à
fouir des genottes dans un fossé qui est sur les bords de la route, tous
ceux qui passaient me regardaient et etaient étonnés, mais personne ne
cherchait a m’arreter, a la fin il vint deux hommes dont l’un dit à l’aûtre :
voilà un homme qui est la depuis ce matin. l’autre s’approcha ainsi que
son compagnon il me demanda ce que je faisais la ; la dessus je lui
repondit suivant le sistème que j’avais adopté, que j’etais de partout,
enfin je lui dit que j’avais parti d’aunay, mais cet homme ne se doutait
pas de ce que je pouvais être, il me dit de venir chez lui et qu’il
allait me donner a manger, il fallut qu’il me le dit plus d’une fois,
enfin j’y allait et il me donna du pain et du cidre, ensuite je le
quittai, je repassai le boug, et je resolut de revenir a vire et de
faire des nouvelles gestes sur la route, je repassai condé au soir comme
les gens se promenaient, et je couchai prés d’un four à chaux un peu au
dessus de condé, le matin je parti et je trouvai un reste de cartouche
50 sous prés d’un pétit boug qui est sur une hauteur, voyant cela je
resolut d’attendre encore a me faire prendre exprés, je repassai vassi,
et je m’arrêtait dans une auberge un peu plus loin, la même ou les
gendarmes ont arrêtés lorsqu’ils m’emmenaient a vire, je m’y fit servir
du pain et des oeufs et du cidre, j’y depensait 14 sous et le soir je
repassai par vire, je pris pour 3 sous de noix et j’allai chez un
boulanger ou j’achetai six garreaux, ce boulanger me dit, ainsi que me
l’avait dit la marchande de noix, que si j’en avais affaire d’autres
fois que je vins le retrouver, je m’en allait la nuit dans les bois du
mesnil au souf, ou je passai trois jours, dans la nuit du jeudi au
vendredi je partit et j’allai du mesnil au souf, par des chemins de
traverses et a travers les champs et j’arrivai le matin entre le messis
et les forges Viret, je passai la journée sur le bord d’une riviere et
je me mit a l’abri sous les roches car il pleuvait, la nuit suivante je
suivit le chemin vicinal, je passait par les forges viret, j’allai tout
droit et j’arrivait dans la route qui a ce que je crois va de condé à
halcour, je marchait toute la journée du samedi, je pensais toujours
qu’on m’aresterait en attendant comme je n’avais mais guére d’argent, je
resolut de faire un albalêtre pour tuer des oiseaux et m’en nourrir, ou
pour me distraire en cherchant a en tuer, et qu’au cas qu’on m’arrêtât
avec cela, que cela pourrait plutôt servir que de nuire au rôle que
j’avais envie de jouer ; mais comme si je pouvais en tuer quelqu’uns
qu’il fallait que les fît cuires, en passant par halcour j’achetai une
verine de montre qui me coûta 4 sous pour allumer du feu au soleil,
croyant qu’elle ferait le même effet des lunettes, mais l’ayant essayée
et voyant qu’elle ne faisait rien je la cassais. j’avais pris la route
de halcour a caen, j’arrivai dans un boug, j’entrai dans une boutique,
je pris pour deux liard d’amadou, un sou de soufre, j’avais des pierre a
feu que j’avais ramasées sur la route et avec mon couteau je pouvais
faire du feu, j’avais des feuilles d’heures, et un almanach, qui
s’étaient trouvés sur moi a mon depart, cela pouvait me servir
d’allumettes. je pris aussi pour un sous de noix, j’entrai chez un
boulanger et j’achetai deux livre de fouasse, dans l’aprés midi je me
reposai dans des prais le long des haies, et je pris un jeune meauvis,
je mis cet oiseau dans ma poche et je continuai ma route, je n’avais
plus que quatres sous je les depensai le soir dans une auberge en
prenant une quarte de cidre, et une petite fouasse au beurre, et je
passait la nuit couché dans un blé ; le matin je passai par caen, je
pris la route de falaise et je me rendit dans des bois prés de languanri,
je cherchait des morceaux de bois sec, j’allumai du feu au pied d’un
arbre, qui empêchait le vent de l’eteindre, et je fît rotir le meauvis ;
on dira peut-être que je prenais aussi des poules et des boures ou
quelque autre chose, ainsi que de prendre des bourées à des piles de
bois ; mais on peut encore voir dans ce bois ou j’ai été, l’atissée qui
y est ainsi qu’un peu de bois ramassé, ou si il n’y est plus consulter
ceux qui l’on prise, on n’y verra dis-je que des morceaux de bois sec
ramassés dans le bois, on n’y verra aussi que les plumes du meauvis.
j’arrivai donc dans ces bois le dimanche, aprés avoir mangé le meauvis,
je fit un albalêtre et plusieurs fleches. j’avais trouvé un long clou
sur la route, a force de le limer avec mon plus mauvais couteau je
parvint à en couper la tête, et je le mit au bout d’une des fleches (les
autres fleches sont encore s’ils n’en ont étés retirées ils sont dans
l’arbre prés duquel j’avais fait le feu) ensuite je me servit de cette
arme pour tacher de tuer des oiseaux, mais je n’y ait pu reussir ; si
j’eut aussi trouvé des grenouilles, je leurs aurais coupé les cuisses
pour les faires rôtir, mais je n’en rencontrai point. je passai quatre
jours dans ces bois, ce sont trois petits bois peu eloignés l’un de
l’autre, dans l’un desquels il vient beaucoup de fréses, j’en mangais,
et je me pensais, ou je serait arrété, ou je vivrai de cette maniére, ou
je mourrai. comme j’apercevais d’autres bois, plus loin sur la route, je
resolut d’aller voir s’il n’y avait point quelque chose à manger en
attendant qu’il y eut d’autres fruits de murs dans les bois ou j’étais ;
et je pensai qu’en attendant qu’on m’arrêtât, j’irais et je viendrais
d’un bois à l’autre pour m’y nourrir. je parti donc le jeudi au matin,
et j’arrivai dans le boug de languanri avec mon albalêtre sous mon bra,
comme je passais, quelqu’un dit : ah vois-tu, en voila un qui porte un
albalêtre. j’avais bientôt passé le boug et j’etais aux dernières
maisons, lorsques qu’un gendarme qui n’avait pas ses habits, passant
prés de moi, me considera, et me dit : d’ou êtes vous mon ami ? je
repondit suivant mon sistême, je suis de partout. — avez vous des
papiers — non — qu’allez-vous faire par là — c’est dieu qui me conduit,
et je l’adore — tenez je crois que je affaire à vous, d’ou etes vous —
j’ai parti d’aunay — comment vous appelez vous — Riviére. — ah oui venez
avec moi j’ai quelque chose a vous dire — que me voulez vous donc —
venez venez je vais vous le dire. et puis s’adressant à une femme qui
etait je crois de sa maison, ah, dit-il, c’est l’homme d’aunay. il
m’entra dans un apartement me fouilla et se saisit de tout ce que
j’avais. lorsqu’il fut pour me mettre au cachot, c’est vous, dit-il, qui
avez tué votre mére ? oui, lui repondis-je, c’est dieu qui m’a suscité,
il me l’a commandé, j’ai obéit à ses ordres, et il me protège. ah oui
c’est cela, dit-il, en ouvrant la porte du cachot, marchez toujours mon
garçon, entrez la dedans. j’ai depuis soutenu ce moyen de defense a
falaise et a condé, il m’était bien penible de soutenir de telles choses
et de dire que je ne me repentais pas ; en arrivant a vire je pensais
que je déclarerais la vérité, cependant lorsques que je comparu devant
mr le procureur du roi, je soutint la même chose. lorsques qu’on m’eut
laissé seul, je me resolut de nouveau a dire la vérité, et je m’avouait
à mr le geolier qui était venu me parler, et je lui dit que j’avais
intention de tout declarer devant mes juges ; mais lorsques que j’allai
prêter mon premier interrogatoire devant mr le juge d’instruction, je ne
put encore m’y décider et je soutint le sistême dont j’ai parlé jusqu’à
que mr le geolier parlât de ce que je lui avais dit. je fus trés
satisfait de sa declaration, il me dechargea d’un grand poids qui
m’accablait. alors sans rien déguiser, je déclarai tout ce qui m’avait
porté à ce crime. on me dit de mettre toutes ces choses par écrit, je
les y ait mises ; maintenant que j’ai fait connaître toute ma
monstruosité, et que toutes les explications de mon crime sont faites,
j’attends le sort qui m’est destiné, je connais l’article du code penal
a l’egard du parricide, je l’accepte en expiation de mes faûtes ; helas
si je pouvais voir encore révivre les infortunées victimes de ma
cruauté, s’il ne fallait pour cela qu’endurer tous les supplices
possibles ; mais non c’est inutile, je ne puis faire que les suivres ;
ainsi j’attends donc la peine que je merite, et le jour qui doit mettre
fin a tous mes ressentimens.
FIN
Le present manuscrit commencé le 10 juillet 1835 dans la maison d’arrêt
de Vire, et fini au même lieu le 21 du même mois.
Pre RIVIÉRE.
. 1.
je ne repeterai plus ces mots de grand-pére et
grand-mere paternel maternel je les designerai par ces
marques grand-père paternel g-p-p. grand-mere paternel
g-m-p. grand-père maternel g-p-m. grand-mere maternelle
g-m-m.
. 2.
un mercier.
. 3.
il est honteux de dire de pareilles rauisons, cependant les juges et les
avocats ont dit dans la suite que ma mère était bien malheureuse, voyez
l’ordonnance de monsieur le président, obtenue par ma mère pour avoir
une separation, la lettre de m. le juge de paix de villers, plusieurs
personnes dans courvaudon disaient aussi que mère était une femme bien
malheureuse.
. 4.
elle voulait dire une femme du village de mon pére, qui est restée veuve
avec trois enfants, c’est une três honnête personne, elle possède
quelques vergées de terre et les faisait labourer par mon pére en le
payant.
. 5.
lorsques que mon pére allait travailler à courvaudon il portait tous les
équipages dans une charette le temps d’arranger toutes ces choses et
puis faire une lieue de chemin, faisait qu’il n’arrivait pas des le
point du jour.
. 6.
j’ai toujours eu l’habitude de tutoyer mon pére et ma mére.
. 7.
c’était son expression ordinaire.
. 8.
ce mot veut dire s’entreprêter des chevaux.
. 9.
il voulait dire mon frère jule.
. 10.
il est certain que ma mère avait quantité d’argent il ne lui en coutait
rien pour faire son ouvrage, et elle avait toujours vendu plusieurs
choses.
. 11.
ce juge s’entretenant un jour avec mon père lui demanda si sa femme
n’était point d’une mauvaise vie. si elle n’aimait point d’autres hommes
que lui. mon père dit : non. je ne la soupçonne pas de cela. cela
m’étonne, dit le juge que vous me dites qu’elle n’a pas de religion,
quelle est comme cela qu’elle ne vous aime pas, et qu’elle ne soit pas
d’une mauvaise vie, mon pére dit : je ne le pense pas, elle ne dit
pourtant pas la même chose de moi : ah c’est cela, dit le juge, elle est
jalouse.
. 12.
quelques jours avant cela, comme ma mére menaçait de faire des dettes,
mon père, étant allé au bouillon, il avait parlé à ma sœur qui lui avait
dit : que puisqu’il les laissait ainsi que ma mére lui ferait une
infinité de dettes, qu’elle emprunterait à main, et a demain et tout ce
dont elle aurait besoin a crédit. mon père lui dit : mais pourquoi
qu’elle ne venait pas quand je le voulais, elle repondit elle ne veut
pas être avec une belle-mére, elle veut être dans une maison a-part,
pour y mettre tout notre cas.
. 13.
voyez le sieur Fouchet.
. 14.
j’ai oublié de dire que quelque temps avant cela, ma sœur victoire vint
à aunay acheter un habit pour sa seconde communion, craignant que
mme Aod ne voulut pas lui en donner, elle le prit chez Rabâche, elle en
prit pour 29 francs et lui dit qu’elle n’allait pas le payer. il lui
demanda qui elle était, la couturiére qui était avec elle dit : c’est la
fille a Riviére de le fauctrie. oh, eh bien, dit-il, marchez toujours.
mon pére ayant sut cela parla a ma sœur en passant, et lui demanda qui
est-ce qui payerait cet habit : ah, dit-elle, c’est moi mais que j’ai de
l’argent. puis elle ajouta : si vous ne nous eussiez pas pris ce que
nous avions, nous aurions de quoi avoir des beaux habits.
. 15.
témoin les voisins.
. 16.
elle a passé une vie continuellement laborieuse, elle a eu son mari
pendant 20 ans demeuré d’une maladie sans pouvoir marcher ; de quatre
enfants qu’elle avait élevés, et aimés, il ne lui en restait plus qu’un
et elle le voyait traité de cette maniére.
. 17.
la maîtresse qui avait appris à ma sœur victoire.
. 18.
leur couturière à faire la dentelle.
. 19.
dans le temps qu’on amortit cette rente, ma mére disait même, que mon
pére était un mangeard, qu’il ne laissait rien a ses enfans, et qu’il
vendait ses rentes pour soutenir le cul de ses menagiéres.
. 20.
il est probable que ce juge pour ne pas être hebété de ma mére, finit
par dire comme elle. d’ailleurs il ne compromettait pas son devoir en
observant les régles, ainsi le malheureux fut abandonné et l’on ceda au
fort.
. 21.
mon pére ne soutenait plus les raisonnements que j’ai dit plus haut, il
disait devant ceux a qui il en avait parlé, qu’il etait possible qu’elle
fût grosse et que ce fut pour lui. mais il n’a jamais pu se persuader
qu’elle le fût reelment ; lorsqu’il vit que sa grossesse continuait il
disait que comme elle faisait souvent des vovages, qu’elle avait
peut-être envie de dire qu’elle était accouchée dans ses voyages, et de
lui presenter un autre enfant, que si elle accouchait hors de chez lui
qu’il la ferait visiter. il disait aussi qu’elle faisait cela pour
emporter des effets, sans qu’on s’en aperçût et les cacher chez ses
comméres, lorsqu’elle fut revenue de vire il dit : c’est tout foutu elle
n’etait pas si grosse à vire comme elle est tous les jours.
. 22.
ce pauvre petit quand j’y repense il hersait deja bien tout seul.
. 23.
ce menuisier était venu faire la même chose plusieurs fois depuis que ma
mére était venue avec mon pére.
. 24.
avant mon incredulité, j’avais eu d’autres scrupules, je craignais
d’avoir des distractions dans mes prières, cela faisait que je repetais
les paroles un infinités de fois ; et que je faisais des gestes et des
contorsions ridicules.
. 25.
j’ai vu cela dans sa géografie.
. 26.
dans les conversations quand on parlait des voleurs qui etaient en
jugement comme de lemaire, par exemple, quelqu’uns avaient dit : il ne
sera peut être pas fait mourir, car sa famille et tout cela. mon père
avait dit : si j’avais un voleur dans ma famille moi, je serais bien
aise qu’on le fît mourir.
. 27.
comme j’ai eu l’intention d’ecrire cette histoire avant le crime et que
j’avais examiné la plupart des paroles que j’y mettraie il ne sera pas
etonnant d’y trouver des expressions dures, et qui sembleraient marquer
que j’aurais encore de la haine contre mes malheureuses victimes.
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