Nous, Comte de Kergariou,
préfet de la Seine-Inférieure,
officier de l'ordre royal de la Légion d'Honneur.
Considérant
que des attroupements séditieux ont eu lieu dans diverses communes du département
et tendent à arrêter la circulation des grains;
Que des bandes de mendiants se répandent de nuit dans les campagnes, et y
jettent l'effroi en mettant les cultivateurs à contribution ;
Que la malveillance, profitant de la cherté des subsistances pour exciter
des troubles et porter le peuple à des désordres, il importe de prendre
des mesures promptes et énergiques pour déjouer ses coupables manœuvres
;
Vu le code pénal ;
Vu la loi du 2 octobre 1795 (10 vendémiaire an IV) sur la police intérieure
des communes ;
Les dispositions de la loi du 17 avril 1798 (28 germinal an VI) relative
aux émeutes populaires et attroupements séditieux ;
L'arrêté du gouvernement du 2 mai 1799 (13 floréal an VII) et
l'ordonnance du Roi du 27 décembre 1815 qui déterminent les cas où la
Garde nationale doit un service extraordinaire, ainsi que la nature de ce
service ;
Vu enfin l'urgence et l'empire des circonstances ,
Après nous être concerté avec les diverses Autorités et avec
l'Inspecteur des gardes nationales,
Avons arrêté
et arrêtons ce qui suit :
Police intérieure des Communes.
I. A la réception
du présent, les Maires et Adjoints procéderont au recensement des
habitants de leurs Communes.
II. Dans les Communes où le Tableau qui a dû être dressé en exécution
de la loi du 2 octobre 1795 (10 vendémiaire an IV) et de l'arrêté de
notre prédécesseur du 7 mars 1808 (inséré au n° 19, Tome XV de la
correspondance administrative) n'existait pas, il sera formé sur le
champ.
III. Les Maires ou Adjoints qui négligeront de procéder au recensement
ou à la formation du tableau dont il s'agit, demeureront personnellement
responsables des dommages et intérêts résultant des délits commis à
force ouverte ou violence sur le territoire de leur commune.
IV. Il sera procédé contre les étrangers à la Commune ou contre ceux
qui n'y ont pas acquis domicile depuis un an, ainsi qu'il est prescrit par
les art. 4, 6, 7 et 8 de l'arrêté du 7 mars 1808.
V. Tous aubergistes, hôteliers et logeurs sont tenus d'inscrire sur un
registre timbré et paraphé par le Maire, l'Adjoint ou un commissaire de
police, les noms, prénoms, âge, lieu de naissance, domicile ainsi que la
date d'entrée et de sortie de ceux qui coucheront chez eux, même une
seule nuit. Les contrevenants seront traduits devant les tribunaux ; leurs
établissements pourront être fermés par mesure de police.
VI. Les propriétaires, cultivateurs, manufacturiers, les artisans, et généralement
toutes autres personnes ne pourront, sous les peines prononcées par la
loi recevoir chez eux sous quelque prétexte que ce soit, un individu étranger
à la commune, s'il ne présente un passeport en règle ou l'extrait
certifié par le maire de la déclaration qu'il aura faite sur le registre
de la municipalité.
Voyageurs,
passeports
VII. Nul maître
de poste, nul entrepreneur de diligences et de voitures publiques, nul
voiturier ou charretier, nul maître de barque ou coche d'eau, ne pourra
conduire un voyageur s'il n'est porteur d'un passeport en forme.
VIII. Les maîtres de poste, propriétaires, entrepreneurs, directeurs et
conducteurs de diligences, coches d'eau et autres voitures publiques
seront tenus de remettre tous les jours au maire la liste des voyageurs
qu'ils auront conduits. Ces listes seront adressées aux sous-préfets qui
en feront l'envoi au préfet.
Mendiants
et vagabonds
IX. Tout
individu domicilié dans le département de la Seine-Inférieure qui sera
trouvé mendiant hors de son domicile sera arrêté et livré aux
tribunaux conformément à l'article 274 du code pénal. Les mendiants étrangers
au département seront considérés comme vagabonds et punis comme tels.
Attroupements
séditieux
X. Les
bandes de nuit et les attroupements séditieux seront réprimés par la
force.
XI. Les individus faisant partie d'une bande de nuit ou d'un attroupement
qui seront saisis, armés ou non armés, sur le lieu du rassemblement
seront livrés à la cour prévôtale.
XII. Les individus autres que ceux qui auront dirigé la sédition qui se
retireront au premier avertissement des autorités civiles ou militaires
sans opposer de résistance et sans armes seront placés sous la
surveillance de l'autorité locale. Les armes qui se trouveront à leur
domicile seront enlevées et déposées à la préfecture et à la sous-préfecture
de leur arrondissement; ils ne pourront sortir de leur commune sans une
autorisation spéciale du préfet ou du sous-préfet et seront tenus de se
présenter devant le maire lorsqu'ils en seront requis.
Cependant, si dans le nombre il en est qui aient déjà été
mis en surveillance ou qui aient été repris de justice, ils seront arrêtés
et traduits devant les tribunaux.
XII. Tout citoyen ayant connaissance qu'il se forme des projets de
rassemblement ou des complots contre l'ordre et la tranquillité publique
doit en donner avis sur lé champ aux autorités sous peine d'être
poursuivi comme complice. Il doit aussi désigner les principaux
instigateurs des révoltes et séditions qui pourraient avoir lieu dans
les halles et marchés.
Responsabilité
des communes
XIV. Chaque
commune est responsable conformément à la loi du 12 octobre 1795 (10
vendémiaire an IX) des délits commis à force ouverte ou par violence
sur son territoire par des attroupements armés ou non armés, et sera
tenue à la restitution des objets pillés ou enlevés de force, ou d'en
payer le prix double de leur valeur. Les maires et adjoints doivent, dans
les vingt-quatre heures constater sommairement le délit, en décrire les
circonstances, et en adresser procès-verbal sous trois jours au plus
tard, au procureur du roi près le tribunal civil. Un double du procès
verbal sera envoyé au préfet.
Armes et
effets militaires qui sont chez des particuliers
XV. Les
individus non compris dans la garde nationale et qui seraient détenteurs
d'armes et d'effets militaires tels qu'habits, shakos, etc. seront tenus
d'en faire le dépôt à la mairie de leur commune sous trois jours à
compter de la publication du présent ; passé ce délai, if sera fait des
perquisitions, et les délinquants seront poursuivis conformément à
l'ordonnance du 24 juillet dernier et à notre circulaire du 8 décembre
1815.
Service
de la garde nationale à pied et à cheval
XVI. Pour
donner aux maires tous moyens de dissiper les rassemblements et de
maintenir l'ordre, ils sont autorisés à mettre sur le champ la garde
nationale en état de réquisition permanente, et à l'employer à faire
des patrouilles de jour et de nuit pour assurer la circulation des grains,
la police des marchés et arrêter les malveillants et rôdeurs de nuit.
XVII. Les citoyens qui ont été désignés par les conseils de
recensement pour faire partie des brigades de cavalerie de chaque canton
seront tenus de se monter, de s'équiper, de s'armer et de se rendre sans
délai au chef-lieu du canton dans lesquels ils résident sur l'ordre qui
leur en sera donné par le maire de leur commune d'après la réquisition
du sous-préfet. Ils seront à la disposition de ce magistrat, qui les
fera diriger sur les points de son arrondissement où l'ordre serait
troublé. Les hommes de bonne volonté qui peuvent se monter, s'équiper
et s'armer doivent également se rendre au chef-lieu de leur canton pour
renforcer les brigades. Les officiers et sous-officiers de la garde
nationale à cheval seront nommés provisoirement par les sous-préfets de
concert avec les commandants d'arrondissement.
XVIII. La garde nationale à pied de chaque commune devra se porter dans
les autres communes du canton si elle en est requise par le sous-préfet ;
elle sera tenue, ainsi que la garde à cheval, de se porter au besoin dans
tout l'arrondissement.
XIX. La garde à pied sera sous les ordres de l'officier le plus élevé
en grade lorsqu'elle sera employée pour le service du canton.
XX. La garde nationale restera en service extraordinaire tant que les
circonstances l'exigeront; ce service sera dirigé par le commandant de
l'arrondissement et ne cessera que sur ordre du préfet ou du sous-préfet.
XXI. Les gardes nationaux qui n'obtempéreraient pas aux réquisitions qui
leur seraient données et ne justifieraient pas de l'impossibilité de le
faire, seront traduits devant les conseils de discipline qui prononceront
sur les cas de leur ressort ou dénoncés aux tribunaux pour être condamnés
aux peines portées par la loi du 3 août 1791.
XXII. Dans les lieux où il existe de la gendarmerie, le commandant de la
garde nationale et celui de la gendarmerie se concerteront pour porter
leurs forces sur les points où elles seraient le plus utiles.
Emplois
de la force des armes pour dissiper les attroupements
XXIII. La
force ne devant être déployée qu'à la dernière extrémité, le
sous-préfet ou le maire doit se rendre sur le lieu du rassemblement et
user de toute son influence pour déterminer les séditieux à rentrer
dans le devoir ; en cas de résistance, il leur fera, par trois fois et à
haute voix la sommation suivante "Obéissance à la loi, on va faire
usage de la force, que les bons citoyens se retirent ".
Si les personnes attroupées ne se retirent pas paisiblement,
la force des armes doit être à l'instant déployée contre les séditieux
sans aucune responsabilité des événements. Ceux qu'on pourra saisir
seront déférés à la Cour prévôtale.
Dispositions
générales
XXIV. Les
préposés aux douanes ainsi que les gardes forestiers, les gardes champêtres
seront tenus de concourir au maintien de la paix publique toutes les fois
qu'ils en seront requis par les autorités locales.
XXV. MM. les sous-préfets et maires sont autorisés à faire des réquisitions
de voitures et de chevaux pour accélérer au besoin la marche de la force
armée. Ils assureront sa subsistance, soit par des distributions, s'il
est possible, soit en faisant placer des hommes chez les habitants les
plus aisés. Au moyen des bons officiers commandants, il sera formé par
les soins des maires, faisant fonctions de commissaires des guerres, des
états totaux de subsistance dont les communes devront être indemnisées.
XXVI. MM. les sous-préfets et maires doivent mettre dans toutes leurs
mesures prudence et fermeté. Ils emploieront tous leurs moyens pour
maintenir la libre circulation et la vente des grains au prix du cours et
de gré à gré, assurer des secours aux indigents et tenir partout une
force imposante à leur disposition. Tels sont les moyens de rétablir
promptement l'ordre et de prévenir de nouveaux troubles : ils auront soin
d'informer exactement l'autorité supérieure.
XXVII. MM. l'Inspecteur des gardes nationales du département, les sous-préfets,
commandants d'arrondissement, commissaire général de police,
maires-adjoints, juges de paix, commissaires de police, officiers de la
garde nationale et de la gendarmerie sont chargés de veiller et
concourir, chacun en ce qui le concerne, à l'exécution du présent arrêté
qui sera inséré dans notre correspondance avec les autorités
administratives, adressé aux principaux fonctionnaires et sera affiché
dans toutes les communes du département.
Il en sera adressé une expédition à leurs excellences les
ministres de l'Intérieur et de la Police générale.
A Rouen, en
l'hôtel de la préfecture le 20 janvier 1817.