Lourches, le 13 septembre 1893.
J'ai l'honneur de vous transmettre ci-après les renseignements que j'ai
pu recueillir sur la situation des mines de l'Escarpelle, Dorignies et
Aniche.
1. L'Escarpelle, Dorignies.
Le groupe de l'Escarpelle, qui compte 1.500
mineurs environ et est très rapproché du Pas-de-Calais, paraît décidé
à suivre le mouvement, si la grève éclate. Les mineurs de cette agglomération
ont d'ailleurs déjà donné des exemples de solidarité même lorsqu'ils
ne formulaient aucune revendication pour leur propre compte.
En cas de grève, ils seraient pacifiques et n'interviendraient en aucune
façon auprès des groupes voisins pour les forcer à la grève le cas échéant.
Ils se montrent mécontents du retrait déguisé de l'augmentation de 20 %
qui leur avait été accordée par la Compagnie et qui n'existe plus en
fait. Cette augmentation avait été répartie entre les différentes catégories
de travaux tandis que les mineurs voudraient qu'elle fût indépendante du
prix de la journée. Quelques mineurs actifs étaient parvenus à gagner
de très fortes journées. La Compagnie se basant sur ces exceptions a
diminué le prix de main-d'œuvre sur la catégorie de travail qui n'avait
été l'objet d'aucune augmentation.
Néanmoins, et même s'il leur était donné satisfaction sur ce point,
ils suivraient le mouvement par pur esprit de discipline.
Une réunion publique aura lieu à Dorignies ce soir. L'ordre du jour est
« Réponse de la Compagnie ». Il est à supposer qu'une résolution y
sera décrétée sur l'attitude à prendre. Il n'y a encore aucune
effervescence apparente, mais on se montre en général assez inquiet sur
les conséquences de la grève que l'on considère comme inévitable si
l'exemple est donné par le Pas-de-Calais.
2. Aniche.
Les différents groupes de cette agglomération
qui compte plus de 2.000 mineurs sont disséminés sur une assez grande
superficie et les localités habitées par les mineurs se trouvent à des
distances qui ne m'ont permis de recueillir que des renseignements un peu
superficiels. Dans le rayon d'Aniche, mineurs semblent peu disposés à
s'unir à ceux du Pas-de-Calais, et tout est absolument tranquille jusqu'à
présent. D'ailleurs, leur salaire est relativement élevé et varie de
5,50 F à 7 F, le minimum le 5,50 F leur est assuré de fait.
D'un autre côté, ce sont en général d'anciens ouvriers qui habitent
des logements séparés et chacun a sa parcelle de terre qu'il fait
produire de sorte que leur situation est bien supérieure à celle de
leurs voisins de l'Escarpelle.
Dans tous les cas, les tentatives faites par les meneurs ne pourraient
aboutir qu'à une grève partielle qui ne serait que de peu de durée,
attendu que les fonds de caisse des syndicats sont, paraît-il, très bas
et que les commerçants d'Aniche et environ ne seraient nullement disposés
à favoriser la durée de la grève au moyen du crédit qu'ils pourraient
accorder aux mineurs dont ils ont déjà été victimes dans des
circonstances analogues.
En résumé, il n'y aurait rien à craindre pour le moment à Aniche et
dans le cas contraire, les grévistes seraient également pacifiques.
D'après d'autres renseignements la question de la grève serait tranchée
vendredi prochain, date à laquelle les syndicats pensent qu'ils auront reçu
la réponse des Compagnies.
On paraît aussi avoir exagéré la quantité de charbon que les
Compagnies auraient en réserve et qui seraient encore vite épuisées à
en juger par les Compagnies de Lens qui, parait-il, expédient
journellement 700 wagons de charbon.
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Secrétaire général, l'assurance de
mon respectueux dévouement.
Pétrequin.