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                                 La grève. Rapport du commissaire de police de Lourches, 1893

 

La grève.

Rapport du commissaire de police
de Lourches (Nord)
au Secrétaire général de la Préfecture,
1893.




par Marc Nadaux







En cette fin de siècle, les grèves se multiplient au sein du monde ouvrier. Celui-ci peut désormais se mobiliser car des syndicats fédèrent les énergies et motivent les troupes. La lutte sociale s'est d'ailleurs politisée, le socialisme imprégnant maintenant les mentalités au sein des entreprises. Aussi les mouvements de grève se font plus violents. L'arrêt du travail est également de plus longue durée grâce à la création de caisse de secours.

En 1893, inquiet de l'agitation qui règne dans la Belgique voisine, le Préfet du Nord diligente une enquête sur l'état d'esprit des mineurs des Compagnies de l'Escarpelle, de Doignies et d'Aniche. Le commissaire de Police de Lourches lui rend alors un rapport détaillé sur la question. Au delà des renseignements sur la condition des mineurs des différents corons et de leurs revendications, il s'attache également à décrire les relations que ceux-ci entretiennent avec les commerçants, personnages clé d'un éventuel mouvement. 








Lourches, le 13 septembre 1893.


 

J'ai l'honneur de vous transmettre ci-après les renseignements que j'ai pu recueillir sur la situation des mines de l'Escarpelle, Dorignies et Aniche.


1. L'Escarpelle, Dorignies.

Le groupe de l'Escarpelle, qui compte 1.500 mineurs environ et est très rapproché du Pas-de-Calais, paraît décidé à suivre le mouvement, si la grève éclate. Les mineurs de cette agglomération ont d'ailleurs déjà donné des exemples de solidarité même lorsqu'ils ne formulaient aucune revendication pour leur propre compte.
En cas de grève, ils seraient pacifiques et n'interviendraient en aucune façon auprès des groupes voisins pour les forcer à la grève le cas échéant.
Ils se montrent mécontents du retrait déguisé de l'augmentation de 20 % qui leur avait été accordée par la Compagnie et qui n'existe plus en fait. Cette augmentation avait été répartie entre les différentes catégories de travaux tandis que les mineurs voudraient qu'elle fût indépendante du prix de la journée. Quelques mineurs actifs étaient parvenus à gagner de très fortes journées. La Compagnie se basant sur ces exceptions a diminué le prix de main-d'œuvre sur la catégorie de travail qui n'avait été l'objet d'aucune augmentation.
Néanmoins, et même s'il leur était donné satisfaction sur ce point, ils suivraient le mouvement par pur esprit de discipline.
Une réunion publique aura lieu à Dorignies ce soir. L'ordre du jour est « Réponse de la Compagnie ». Il est à supposer qu'une résolution y sera décrétée sur l'attitude à prendre. Il n'y a encore aucune effervescence apparente, mais on se montre en général assez inquiet sur les conséquences de la grève que l'on considère comme inévitable si l'exemple est donné par le Pas-de-Calais.


2. Aniche.

Les différents groupes de cette agglomération qui compte plus de 2.000 mineurs sont disséminés sur une assez grande superficie et les localités habitées par les mineurs se trouvent à des distances qui ne m'ont permis de recueillir que des renseignements un peu superficiels. Dans le rayon d'Aniche, mineurs semblent peu disposés à s'unir à ceux du Pas-de-Calais, et tout est absolument tranquille jusqu'à présent. D'ailleurs, leur salaire est relativement élevé et varie de 5,50 F à 7 F, le minimum le 5,50 F leur est assuré de fait.
D'un autre côté, ce sont en général d'anciens ouvriers qui habitent des logements séparés et chacun a sa parcelle de terre qu'il fait produire de sorte que leur situation est bien supérieure à celle de leurs voisins de l'Escarpelle.
Dans tous les cas, les tentatives faites par les meneurs ne pourraient aboutir qu'à une grève partielle qui ne serait que de peu de durée, attendu que les fonds de caisse des syndicats sont, paraît-il, très bas et que les commerçants d'Aniche et environ ne seraient nullement disposés à favoriser la durée de la grève au moyen du crédit qu'ils pourraient accorder aux mineurs dont ils ont déjà été victimes dans des circonstances analogues.
En résumé, il n'y aurait rien à craindre pour le moment à Aniche et dans le cas contraire, les grévistes seraient également pacifiques.


D'après d'autres renseignements la question de la grève serait tranchée vendredi prochain, date à laquelle les syndicats pensent qu'ils auront reçu la réponse des Compagnies.
On paraît aussi avoir exagéré la quantité de charbon que les Compagnies auraient en réserve et qui seraient encore vite épuisées à en juger par les Compagnies de Lens qui, parait-il, expédient journellement 700 wagons de charbon.


Je vous prie d'agréer, Monsieur le Secrétaire général, l'assurance de mon respectueux dévouement.



Pétrequin.