Fabrication
pratique du beurre
par A. Chirade, E. Moreau,
Négociants,
Vice-Présidents de la Société Française d'Encouragement à l'Industrie
Laitière
et R. Lezé,
Directeur du Journal
l'Industrie Laitière,
Professeur à l'École d'Agriculture de Grignon
La fabrication du beurre n'est pas en elle-même très-difficile
; c'est surtout une affaire de soins, de petites précautions à observer,
précautions peu compliquées, mais qui changent tout à fait le résultat.
En préparant le beurre sans grands soins, comme on le fait trop souvent
malheureusement, on obtient une marchandise de qualité médiocre et qui
ne se vend pas à un prix bien rémunérateur, ainsi que peut s'en
convaincre n'importe quel fermier qui analyse d'un peu près ses prix de
revient.
Au contraire, avec des soins un peu attentifs, sans aucune autre dépense
que celle d'un peu plus de temps peut-être, on arrive à faire sans
difficulté, sans sorcellerie, du beurre de bonne et même d'excellente
qualité. Ce beurre, toujours trop rare, fait prime sur le marché ; le
fermier gagne de l'argent à le produire, sa marque s'établit, et pour
toutes ces raisons, sans hésitation aucune, tout cultivateur doit
s'astreindre à travailler avec toutes les précautions possibles, avec
des soins qui ne lui coûteront plus grande peine quand le pli sera pris ;
il doit chercher à ne fabriquer que des produits de qualité irréprochable
parce que c'est cette bonne manière d'opérer qui seule lui donnera de légitimes
bénéfices.
Ce sont les règles de cette bonne fabrication que nous allons essayer de
tracer dans ce recueil.
Notre petit ouvrage doit, dans notre idée, être pratique, et ne
renfermer que des choses pratiques ; nous ne discuterons aucune théorie,
nous ne parlerons que très-peu de ces appareils nouveaux perfectionnés,
très-utiles, mais coûteux, et qui ne sont à leur place que dans les
grandes exploitations ou les laiteries industrielles.
Nous n'avons l'intention de traiter que de la fabrication dans la ferme
modeste de nos campagnes ; ce livre s'adresse au plus grand nombre, aux
petits cultivateurs, à la fermière qui fait elle-même le beurre qu'elle
va vendre, à cette bonne ménagère qui est toujours toute disposée à
faire bien et qui, une fois instruite et suffisamment renseignée, ne
demande pas mieux que d'apporter les plus grands soins à ce travail dont
la réussite et les bénéfices font son légitime orgueil.
C'est à la bonne fermière que nous dédions
ce petit manuel.
FABRICATION
DU BEURRE
GÉNÉRALITÉS
On peut faire du beurre avec du lait, ou avec de la
crème. La fabrication avec du lait entraîne une plus grande dépense de
force, le beurre est plus difficile à obtenir, moins régulier, le
rendement est souvent faible ; nous conseillons, jusqu'à nouvel ordre, de
renoncer à cette fabrication.
On doit faire le beurre avec de la crème ; nous supposerons donc dans la
suite que c'est cette manière d'opérer qui est adoptée.
La fabrication du beurre commence à l'étable, il faut s'astreindre à
soigner ses animaux, à les tenir propres et dans de bonnes conditions
hygiéniques, les sortir quelques heures pendant la stabulation, ne jamais
les brutaliser, éviter le froid ou les boissons trop froides ; il faut
examiner le lait de chaque vache, et isoler les malades. Ces dernières précautions
sont surtout à observer avec soin s'il se produit quelque accident dans
la fabrication.
LA
LAITERIE
L'emplacement de la laiterie est très-important à déterminer
; on doit autant que possible choisir un endroit ombreux, un flanc de
coteau exposé au Nord, ou construire des murs épais pour que la température
intérieure reste à peu près constante et basse ; il est nécessaire de
disposer de beaucoup d'eau fraîche et courante si cela est possible, et
dans tous les cas bien propre et de bonne qualité ; la laiterie sera un
peu isolée, loin des étables, des fumiers, de la porcherie, en un mot à
l'abri de toute mauvaise odeur.
L'intérieur doit être tenu très propre et pour cela il est d'une bonne
précaution de daller le sol, ou de la paver en briques cimentées ; il
faut que ce sol soit composé de matériaux imperméables, de briques très-cuites
par exemple.
Tous les matériaux poreux sont à rejeter, car le petit-lait s'infiltrerait
dans les interstices, fermenterait et donnerait à tous les produits de la
laiterie une odeur désagréable. Dans une laiterie propre, les lavages
sont fréquents, il est même bon d'entretenir si on le peut un courant
d'eau dans l'intérieur ; il faut donc penser à ménager une pente dans
le sol et une sortie facile des eaux de nettoyage. Les murs de la laiterie
doivent être eux aussi construits en matériaux imperméables ou revêtus
d'un enduit compacte ; en un mot, il faut songer que dans une laiterie, la
propreté poussée même jusqu'à la minutie est une condition capitale de
réussite, et le bâtiment doit être tel qu'il puisse facilement être
entretenu et très-fréquemment nettoyé à fond.
DISPOSITION INTÉRIEURE. -
La disposition intérieure est des plus simples ; une ou deux pièces
serviront à l'écrémage et à la fabrication du beurre et on disposera
à côté de ce bâtiment, un petit appentis dans lequel on montera un
fourneau et une marmite pour chauffer l'eau destinée au nettoyage.
LAVAGE DES USTENSILES. - Le
lavage de tous les ustensiles de laiterie est de la plus haute importance,
on doit s'astreindre à le faire à l'eau chaude, toujours et tout
d'abord, un rinçage à l'eau froide suivra ce premier lavage, mais il ne
suffit pas.
Les ustensiles métalliques sont toujours préférables aux ustensiles de
bois, qui gardent eux quelquefois malgré tous les soins un peu d'odeur désagréable.
Comme métal, on peut employer le fer étamé et le cuivre, mais le fer,
la fonte, le zinc, les vases construits avec plusieurs métaux différents,
sont d'un usage beaucoup moins à recommander.
Le verre et la porcelaine, la tôle émaillée, sont d'un excellent usage
; malheureusement la fragilité de ces matières rend leur emploi un peu coûteux.
Tous les ustensiles sont lavés à l'eau chaude comme nous l'avons dit, et
cela aussitôt après que l'on s'en sera servi et immédiatement avant
l'usage même si on le peut ; mais il faut compléter ce lavage à l'eau
chaude en brossant énergiquement tous les ustensiles ou en les récurant
avec des orties.
Dans quelques fermes, on emploie les grès pour ces nettoyages, ce n'est
pas toujours d'une excellente pratique. Le grès n'est nécessairement pas
admissible pour les ustensiles métalliques étamés par exemple, l'étain
disparaîtrait trop vite. Il a le grand inconvénient dans tous les
ustensiles en général de s'attacher quelquefois contre les parois ; des
petits grains échappent à tous les rinçages et peuvent se retrouver
dans le beurre, ce qui est on ne peut plus désagréable pour le
consommateur.
THERMOMÈTRE. - Avec tous
ces soins de propreté, on conçoit que la laiterie doit toujours être aérée
suffisamment ; il est bon d'y maintenir par un aérage approprié une température
à peu près constante ; le premier instrument à se procurer dans une
laiterie, c'est un thermomètre ; il faut le consulter très-souvent,
connaître, pour pouvoir les régler, les températures de l'air, du crémage,
du barattage.
Qu'on n'oublie jamais que la fabrication du beurre est une affaire de
soins minutieux et qu'il faut opérer toujours aux mêmes températures
qu'on étudie soi-même comme les plus favorables pour avoir des produits
réguliers.
Il va sans dire que la propreté des personnes qui travaillent dans la
laiterie doit être aussi rigoureusement exigée. Il est bon d'avoir des vêtements
ou au moins des sabots spéciaux pour la laiterie, et de se laver toujours
les mains à l'eau chaude et à l'eau froide avant chaque opération. Il
n'est peut-être pas inutile d'ajouter que, malgré les préjugés
vulgaires, une femme se tenant proprement, réussira toujours sa
fabrication quelles que soient les circonstances.
BÂTIMENTS
ET USTENSILES
Nous n'avons pas parlé des dimensions de la laiterie
; elles sont nécessairement subordonnées à l'importance de la ferme ;
mais une chambre ou deux, d'une surface totale de 12 à 20 mètres carrés,
sont presque toujours suffisantes.
La fabrication du beurre comprend deux opérations principales ; la préparation
de la crème qui est la matière première, et la fabrication du beurre
avec cette crème.
ÉCRÉMAGE. - Il est bon de
se rendre compte de ce que l'on fait, et une bonne ménagère doit savoir
si elle a bien par le procédé qu'elle a adopté, retiré toute la crème
que contenait le lait. Ce contrôle est facile : on met un peu de lait de
chaque vache si cela est possible ou du mélange de tous les laits dans
des tubes ou des éprouvettes graduées qu'on trouve partout dans le
commerce, et on regarde après 24 heures, sur la graduation des éprouvettes,
l'épaisseur de la couche de crème. Nous disons qu'on agira sagement en
soumettant à cette épreuve si simple le lait de chaque vache ; on pourra
distinguer les bons animaux des mauvais et connaître ensuite pratiquement
quels sont ceux qui réussissent le mieux dans les pâturages que l'on
possède.
L'écrémage se pratique par un grand nombre de procédés, nous
supposons, vu l'état modeste de notre fabrication, que nous n'aurons
recours qu'à l'écrémage spontané, c'est-à-dire à l'écrémage
naturel, sans appareil mécanique, sans addition d'aucune substance.
La forme du vase dans lequel se fait l'écrémage est indifférente, le
rendement est le même, quelle que soit cette forme ; il faut, de préférence,
pour la facilité du nettoyage, choisir des vases larges, facilement
accessibles dans toutes leurs parties, les vases de verre, de porcelaine,
de grès compacte sont excellents, des écrémeuses métalliques bien
construites sont aussi très bonnes ; cependant il est nécessaire, si on
les adopte, de bien examiner la qualité de l'émaillage ou de l'étamage.
Le cuivre rouge est moins à conseiller et quant au bois on devrait y
renoncer tout à fait.
Le lait doit être filtré avec très grand soin avant d'être reçu dans
les écrémeuses. Cette filtration ou ce coulage s'opère en le faisant
passer à travers un tamis métallique fin, ou une toile ordinaire
soutenue sur un petit cadre.
Une bonne filtration est indispensable pour retenir les poils, les poussières
ou petits corps étrangers qu'il est si désagréable quelquefois de
retrouver ensuite dans le beurre.
La température à laquelle se fait l'écrémage joue un très grand rôle
dans le résultat. On obtient un écrémage un peu plus rapide en
maintenant le lait à une température un peu élevée, 20° à 25° par
exemple, mais nous déconseillons radicalement cette pratique.
Pour un très faible avantage, on s'expose à des inconvénients graves,
le lait aigrit trop vite à ces températures et en outre il est bien plus
exposé à tourner.
Il faut pour un bon écrémage, maintenir le lait à la température la
plus basse possible, à 5° ou 6° si l'on peut disposer de glace sans
grande dépense ; et tout au moins à 10°, 12°, 14° ou à la température
moyenne du lieu qui est la température des puits profonds ou de l'eau des
sources.
Pour bien conserver au même degré constant cette température du lait,
le mieux est de mettre les écrémeuses dans l'eau et surtout dans l'eau
courante ; on construit une auge en béton ou matériaux hydrauliques, on
y fait courir l'eau d'une source et on place les écrémeuses dans ce
courant, noyées tout à fait si elles sont munies d'un couvercle bien étanche,
et dans tous les cas assez immergées pour que le niveau du lait soit
au-dessous du niveau de l'eau.
A défaut d'eau courante, on fera bien de construire un réservoir de
grandes dimensions pour que la température varie peu ; à défaut d'eau
en quantité suffisante enfin, on maintiendra un aérage abondant dans la
laiterie.
Le lait est d'autant moins aigri que la température de l'écrémage est
plus basse ; la crème aussi est d'autant plus douce, elle donne des
beurres plus fins et plus généralement appréciés. Si on le peut, on
fera bien de baratter séparément les crèmes de chaque traite ; cela
n'est pas toujours possible parce que la quantité de crème serait
insuffisante ; on devra, dans tous les cas, multiplier les barattages.
Ainsi, par exemple, il n'est pas très-bon de conserver toutes les crèmes
d'une semaine pour baratter un jour de marché ; il est préférable
d'avoir une plus petite baratte et de faire deux ou trois opérations dans
la semaine. C'est plus coûteux, mais n'oublions pas que nous voulons
faire bien.
BARATTAGE. - Le barattage
consiste à agglomérer par un mouvement mécanique les petits globules de
matière grasse contenus dans la crème : on obtient du beurre et du
petit-lait.
Il y a un très-grand nombre de barattes différentes. Une bonne baratte
doit être solide, facilement accessible dans toutes ses parties pour que
son entretien et son nettoyage soient faciles ; la température doit
pouvoir y être maintenue à peu près constante, c'est ce qui justifie
l'emploi presque général des barattes de bois.
Si l'on choisit des barattes métalliques, il ne faut prendre que celles
qui ont une double enveloppe ou un calfeutrage ; les régulateurs de température
adaptés à certaines barattes sont à recommander s'ils ne compliquent
pas trop l'ensemble et ne rendent pas le nettoyage plus difficile ; le
mouvement mécanique doit être actif, mais ne pas fouetter ou pulvériser
la crème.
Les barattes que l'on peut recommander comme bonnes sont : la baratte
danoise, la baratte à ribot perfectionnée, par addition d'une manivelle,
d'un petit volant et d'une bielle commandant le batteur, la baratte
polygonale et la normande.
La température du barattage est un des facteurs de la réussite : trop
basse, l'agglomération se fait mal et lentement ; trop haute, le beurre
apparaît vite mais il est poisseux, s'attache aux parois, se sépare mal
du petit-lait ; il est brûlé. Nous conseillons de n'employer pour le
barattage aucune substance accélératrice, mais de s'astreindre à
maintenir la température entre 10° et 14° centigrades.
Cette température étant importante à observer doit être obtenue par la
température de la crème ; nous conseillons de conserver la crème dans
des vases de verre ou de porcelaine, ou mieux, dans des pots étamés. Si
la température est trop basse, ce qui est rare, avec nos conditions
supposées, on réchauffera les vases en les plongeant dans une marmite
d'eau tiède ; dans l'autre hypothèse, on les rafraîchira dans l'eau.
Nous regardons comme peu à conseiller les pratiques qui consistent à
ajouter de l'eau froide, et encore moins de l'eau chaude, à la crème
pour la ramener à la température voulue. On ne doit avoir recours à ce
moyen que si l'on ne peut faire autrement. En tous cas, il vaut mieux
baratter plutôt froid que chaud. Il faut observer que la température
augmente un peu par l'agitation. La baratte ne doit être remplie qu'à
moitié, aux deux tiers au plus de la capacité totale.
Le barattage ne doit pas aller trop vite, il ne faut pas essayer de faire
le beurre en moins de vingt minutes, mais on ne doit pas non plus y mettre
plus de trois quarts d'heure. Un mouvement régulier, non précipité, est
donc indispensable. On peut compter suivant les instruments sur un nombre
de 100 à 200 barattages ou révolutions des ailes du batteur ou de la
baratte même par minute ; il est évident que ce nombre n'a rien
d'absolu, il est spécial à chaque baratte et il est presque toujours
indiqué par le constructeur. On peut ralentir un peu le mouvement au
commencement et à la fin de chaque opération.
Lorsque le beurre commence à se former, ce que l'on reconnaît à la
variation du son qu'engendre le fouettement du liquide contre les parois,
il faut suivre attentivement ce qui se passe dans la baratte. Il y a des
barattes dont la construction est telle que l'on peut prendre des preuves
sans interrompre le mouvement, telles sont la baratte Danoise, la baratte
à ribot, etc...
C'est là un avantage précieux, on peut suivre la fabrication. Dans
beaucoup d'autres instruments, il faut s'arrêter de temps à autre pour
examiner l'état d'avancement du travail. Il faut cesser le barattage
aussitôt que le beurre est formé et apparaît sous l'aspect de grains de
millet. Il est utile d'atteindre ce point d'agglomération des matières
grasses, car autrement le rendement diminuerait, il est bon de ne pas le dépasser,
car outre la dépense inutile de temps et de travail, le beurre se brûle
par l'agitation, il se défait pour ainsi dire et est en tout cas,
certainement moins bon.
On voit donc qu'il n'est pas mauvais de ralentir le mouvement du barattage
à la fin de l'opération ; c'est en saisissant précisément cet instant
que l'on arrive au maximum de rendement et de qualité.
A QUEL MOMENT DOIT-ON BARATTER
? - Il faut choisir, ou le très-grand matin, ou le soir un peu tard. Le
matin est le moment de la journée où la température est la plus basse ;
mais dans nos climats, les journées sont en moyenne un peu chaudes, le
malaxage du beurre devient difficile et le délaitage ne se fait
qu'incomplètement : nous conseillons, en été surtout, de baratter le
soir ; à la chute du jour le beurre se raffermit pendant la nuit, et
atteint la consistance favorable au délaitage complet.
Il reste maintenant à séparer le beurre du petit-lait : ici, pas plus
qu'ailleurs nous n'hésiterons sur le procédé à recommander comme le
meilleur : il faut délaiter à l'eau, c'est-à-dire laver le beurre dans
l'eau. Ce lavage peut très bien se faire dans la baratte, pour cela on
commence par y verser de l'eau froide, soit avant, soit après la sortie
du petit-lait ; on y ajoute même, si l'on peut, quelques morceaux de
glace, on redonne le mouvement pendant quelques minutes, lentement, avec
prudence, et on recueille ensuite le beurre avec un tamis de crin. Il faut
éviter à ce moment de presser le beurre, de l'agglomérer d'une manière
quelconque ; l'eau circule à travers les interstices des petits grains de
beurre, et c'est ainsi que, spontanément, le délaitage se fait le mieux.
Ainsi donc, on peut l'effectuer en majeure partie dans la baratte, en
vidant les eaux de lavage par une bonde placée à la partie inférieure
et les renouvelant à plusieurs reprises.
L'eau qui sert à ces lavages doit être fraîche et très-limpide, il
faut aussi qu'elle soit de bonne qualité, ni trop calcaire, et surtout
peu chargée de sulfate de chaux, ni ferrugineuse ou acide.
Dans les localités où l'eau ne serait pas parfaite, elle pourrait donner
un mauvais goût au beurre, diminuer sa faculté de conservation et il
faut, dans ce cas, naturellement, se résigner à délaiter à sec.
Maintenant le beurre est fait ; il s'agit d'en faire une marchandise
acceptable, de bon goût et de bel aspect, et une marchandise surtout se
conservant bien.
Nous avons donc ici trois questions à examiner.
1° La conservation, qui dépend d'un délaitage complet ;
2° Le goût, qui dépend de la marchandise recherchée : on salera plus
ou moins, on barattera des crèmes plus ou moins vieilles, plus ou moins
acides, etc...
3° L'aspect, qui dépendra du colorant et de l'empaquetage.
DÉLAITAGE ET MALAXAGE. -
Le beurre, auquel on a eu grand soin de conserver son grain, contient
encore du petit-lait interposé, qui, s'il n'est pas expulsé complètement,
détermine un rancissement rapide du beurre. Le beurre doit alors être pétri,
et ce pétrissage s'exécutera dans des sébiles ou des auges en bois ;
nous réprouvons le pétrissage aux mains nues parce que, malgré tout, il
y a là quelque chose de répugnant dans la fabrication d'un produit
alimentaire, consommé souvent sans la purification du feu, mais on peut
très bien le faire avec des mains munies de gants de toile ou de
caoutchouc.
Le mieux est encore de se servir de cuillers ou de spatules de bois
compacte. Il faut, dans cette opération, presser le beurre, le comprimer
ou le battre, mais ne pas le frotter parce qu'on en détruirait le grain
et l'aspect appétissant. Il faut, pour que cette opération soit
satisfaisante, que le beurre ne soit ni trop dur ni trop mou, une température
de 13° environ est celle qui est préférable ; à une température plus
basse, le beurre est trop sec et trop dur ; à une température plus élevée
il devient visqueux, poissant, et c'est beaucoup pour cette raison que
nous désapprouvons le travail à la main nue.
Le délaitage sera arrêté momentanément si la température s'élevait
trop ; il faut dans ce cas laisser le beurre se reposer pendant quelque
temps dans un endroit frais et aéré ; il se raffermit, et on peut
reprendre l'opération interrompue.
Pour que le beurre ne colle pas dans cette manipulation, on aura soin de
passer tous les ustensiles à l'eau très-fraîche avant de commencer, et
même de temps à autre pendant le travail.
REMARQUES. - Nous
conseillons expressément de fabriquer du beurre non salé, frais ; mais
cependant, s'il pouvait être utile, pour une cause quelconque, d'y
ajouter du sel, il faut savoir que c'est à ce moment de l'opération que
cette addition doit être effectuée. Le sel remplit deux buts différents,
par son avidité pour l'eau, il favorise le délaitage ; par son action
antiseptique, il prolonge la conservation du beurre.
Par conséquent, pour du beurre fin, bien délaité et consommé
rapidement, l'addition de sel est inutile. On n'ajoute pas de sel, par
exemple, dans ces beurres si fins, si délicats, que l'on prépare avec la
première pellicule de crème qui monte dans les premières heures du
repos.
Cette préparation est toujours préférable, mais cependant, on ajoute
assez souvent un peu de sel surtout pour que le beurre se conserve plus
longtemps.
Le sel ajouté doit être pur, blanc et sec. S'il est humide, on devra le
sécher d'abord à feu doux dans une marmite très-propre.
On ne devrait pas en employer plus de 1 ou 2 pour cent au plus,
malheureusement on est assez disposé à forcer la dose à cause
d'avantages assez faciles à saisir. Le délaitage se fait mieux et avec
moins de travail d'abord, et ensuite le sel compte dans le poids total, et
c'est autant de gagné.
Le colorant est quelquefois nécessaire, du beurre trop blanc a
l'apparence de graisse et cet aspect est désagréable à l'œil ; il faut
choisir avec soin son colorant, il est toujours préférable de l'acheter
tout préparé dans les bonnes maisons ; on peut l'ajouter avant le
barattage, dans le baratte même, ou au pétrissage, dans des proportions,
par kilogramme de beurre, que la pratique seule peut indiquer. Cette
proportion est variable suivant les saisons, la température, etc...
MALAXAGE. - Les opérations
qu'il reste maintenant à faire subir au beurre n'offrent aucune difficulté.
Après un repos d'une ou deux heures dans un endroit frais, on malaxe de
nouveau le beurre produit pour lui donner tout l'homogénéité désirable
; nous recommandons pour cette opération les malaxeurs à main ou les
plus petits modèles des malaxeurs rotatifs. Le malaxeur doit être, comme
les autres ustensiles, lavé avant l'opération avec de l'eau très-fraîche.
EMBALLAGE ET EXPÉDITION. -
Cette partie n'est qu'une affaire de soins, pour le coup d'œil de la
marchandise ; il est bon de laisser reposer quelque temps le beurre terminé,
4 à 6 heures par exemple, pour le laisser se refroidir et prendre corps.
Après cela on le pilonne, on le tasse pour qu'il n'y ait pas de vide dans
les moules qui lui donnent la forme désirée. Il faut que les pains de
beurre soient homogènes, sans trous, on les emballe dans des paniers ou
dans des caisses après avoir enveloppé chaque motte d'un linge bien
blanc ; une toile de calicot lessivé d'avance, ou du papier parchemin
imperméable, remplit bien le but.
Il reste comme résidus pour le cultivateur, le petit-lait de l'écrémage
et du barattage. Le premier est plus ou moins aigre suivant la température
de l'écrémage ; si cette température a été maintenue assez basse, le
lait est doux, assez agréable au goût et peut entrer directement dans
l'alimentation de l'homme comme boisson, ce cas est exceptionnel chez nous
; presque toujours le petit-lait est trop aigri, et les fromages que l'on
en pourrait fabriquer sont très médiocres, trop maigres et trop acides.
Il est préférable de donner ce lait écrémé aux porcs ; il est
rarement bon pour l'alimentation des veaux parce qu'il est trop acide et
occasionne des accidents, des diarrhées quelquefois mortelles ; on peut
le donner aux volailles, après l'avoir mélangé avec d'autre nourriture.
Quant au lait de barattage, il n'est réellement bon que pour les
pourceaux, et à peine acceptable pour la volaille.
Il faut bien se rappeler que le lait, dans ces conditions, est un aliment
très incomplet ; riche en azote, il ne contient qu'une quantité très
insuffisante de matières grasses ou amylacées, et il est nécessaire de
ne le donner aux animaux qu'après l'avoir additionné de graines oléagineuses
et de pommes de terre par exemple ; en d'autres termes, de lui avoir ajouté
les matières nutritives qui le complètent, et par ces additions, d'avoir
diminué la proportion d'eau qui est trop forte.
ACCIDENTS DE FABRICATION. -
En suivant rigoureusement les préceptes de ce petit recueil, il ne doit
pas arriver d'accidents dans la fabrication : S'il s'en produit, c'est que
la matière première est mauvaise, que les vaches sont mal nourries ou
malades ; il faut alors étudier le lait de chacune, et ensuite bien
s'assurer que toutes les précautions de propreté ont été
minutieusement observées. En cas d'accident il est sage de refaire un
lavage général à l'eau bouillante de tous les ustensiles de la
laiterie.
RÉSUMÉ
1° Bien soigner les vaches, les maintenir propres. Les traire à des
heures régulières.
2° Établir la laiterie dans un endroit frais, à proximité d'eau
courante, loin de toutes mauvaises odeurs de la ferme.
3° Dans la laiterie : Propreté poussée jusqu'à la minutie, nettoyage
minutieux et fréquents de tous les ustensiles, à l'eau chaude d'abord,
à l'eau froide ensuite.
4° Couler le lait très propre, dans des écrémeuses maintenues à aussi
basse température que possible.
5° Baratter la crème de 12° à 14° ; le barattage dure une demi-heure,
le soir et le matin sont les moments les plus favorables pour l'effectuer
; ajouter, si le beurre est ordinairement trop pâle, un peu de colorant
avant de commencer.
6° Délaiter le beurre à l'eau froide dans la baratte.
7° Enlever le petit-lait en malaxant le beurre dans une auge de bois avec
des spatules de bois dur.
8° Laisser reposer et malaxer de nouveau.
9° Emballer proprement et soigneusement.