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                                                                                Dans la Vienne

 

Dans la Vienne.



Lettre de propagande explicative
 du juge de paix de Chauvigny,
6 décembre 1851.



par Marc Nadaux

 






Une profession de foi bonapartiste, celle d'un notable. Une de plus en ces temps troublés. Le juge de paix cependant prend le risque de faire imprimer cette diatribe contre la Seconde République, contre cette "tour de Babel" qu'est l'assemblée. Pendant trois années, celle-ci s'est en effet opposée au Président de la République, qui comme le rappelle l'apologiste, est lui élu au suffrage universel. L'affrontement arrive avec violence, mais celui-ci était inévitable. Aussi il convient de choisir son camp, et l'intérêt du pays veut que l'on se range aux côtés de Louis-Napoléon Bonaparte. Tel est le message délivré par celui qui espère en l'avènement d'une nouvelle ère de prospérité et de gloire pour la France. 








Chauvigny, 6 décembre 1851.


MES CHERS JUSTICIABLES,


Un fait inouï vient de s'accomplir. La France, tombée jusqu'aux épaules dans le plus profond abîme, vient d'être sauvée par un effort généreux et inespéré, et, avec elle, la société européenne tout entière qui devait recevoir le contre-coup de sa chute ou de son salut.
   Mais pour que ce salut se complète, ce n'est pas tout, voyez-vous, que de vous asseoir et de vous reposer dans la béatitude et la glorification ; il vous faut, aujourd'hui, sortir d'une léthargie déjà trop funeste, et qui, maintenant, deviendrait trop coupable. Car, si vous laissez seule à l'œuvre la main généreuse qui s'est dévouée, que voulez-vous qu'elle puisse faire, sinon de s'affaisser de lassitude, de découragement et de dégoût sous la lâcheté des uns et sous l'ingratitude des autres ?
   Le jour n'est pas loin, croyez-moi, où les mauvaises passions, un moment terrifiées, essaieront de se. relever, plus furieuses et plus acharnées à ramener au précipice la proie qui leur échappe.
   Courage donc ! citoyens honnêtes et vraiment patriotes, de tout âge, de toute condition et de toute nuance politique ! Ce n'est plus le moment de marcher dans les sentiers d'un aveugle et stérile entêtement; ce n'est plus d'égoïstes calculs qu'il s'agit aujourd'hui ; ce n'est plus même de la foi des convictions, ni de la sainteté des regrets... c'est du salut commun.
   Ce qui a été fait, depuis longtemps était une nécessité pressentie et désirée, mais qu'on n'osait regarder en face, tant il fallait, pour l'accomplir, de généreuse audace, de courageux dévouement et d'habile prévision.
   Car ce qui a été fait était la seule chose à faire ;
   Et un seul homme pouvait la faire ;
   Et il fallait que Dieu menât cet homme.
   Depuis longtemps, tous les cœurs battaient, toutes les intelligences s'agitaient, tous les besoins se comprenaient, toutes les sagesses s'inquiétaient; de toute part on se disait : Il faut s'entendre, il faut se réunir.- Mais se réunir à qui ? - et s'entendre sur quoi ? C'est ce que personne ne disait. Chacun avait une idée, chacun avait son drapeau - et, partout, il n'y avait ni drapeau ni idée. - Et l'on marchait ainsi à la dérive, ou plutôt l'on ne marchait pas du tout. On attendait les événements, n'osant pas aller à leur rencontre. - Assis, l'on se sentait mal à l'aise, mais on n'osait se mouvoir de peur d'aller à pire,- et il n'y avait plus au cœur de la société qu'un dernier battement et un dernier espoir... et quel espoir, mon Dieu ! non pas celui de vaincre, mais de ne pas mourir peut-être...
   Et d'où était venu ce grand mal ? assurément de beaucoup de causes; mais la première et la plus mortelle, disons-le, venait du fiel laissé au cœur de la constitution de 1848. - Forcée de donner un président à la république, l'assemblée constituante l'avait créé pour ne pas vivre.
   Et qu'étaient-ce en effet que ces deux pouvoirs rivaux, sans cesse se prenant en défiance, se regardant de côté, se faisant des gracieusetés de parole, et nourrissant au fond du cœur la plus implacable jalousie ?
   Au palais législatif, où l'on devait faire des lois, que faisait-on ?... On recevait vingt-cinq francs par jour, et l'on jetait le trouble et la crainte dans le pays. On y suspectait le président, on l'outrageait, on le calomniait ; et après avoir pris soin de décréter que nul représentant ne pourrait renoncer à sa journée, on lui faisait, à lui, sa part, avec la plus insultante et la plus besogneuse parcimonie.
   Et ce pouvoir que l'on sapait ainsi dans la profondeur de ses fondements, ce pouvoir était au moins un pouvoir égal. - Que dis-je égal ? Six millions de voix l'avaient créé ! - et six millions de voix libres, spontanées, sans suggestion ni contrainte. Et ces voix n'étaient pas le fruit de l'intrigue et du mensonge ; elles appartenaient, pour la plus part, à l'intelligence honnête et instinctive des habitants de nos campagnes, c'est-à-dire à la partie la plus saine et la plus clairvoyante de la population, car elle est la plus utile, la plus laborieuse et la moins sujette aux ardeurs de l'égoïsme, aux rêveries de l'orgueil et aux folies de l'ambition.
   Or , le jour est venu où il a fallu que l'un cédât à l'autre, et le combat s'est livré.
   Que si l'assemblée eut été victorieuse, qu'aurait-elle fait de sa victoire, et à qui cette victoire aurait-elle profité ? - Elle en eût été embarrassée la première, car est-ce qu'il y avait véritablement une assemblée ? il y avait des bandes dans cette assemble, mais d'assemblée, point : bande légitimiste, bande orléaniste, bande régentiste , bande joinviliste, bande cavagnaquiste, bande modérée, bande montagnarde ; mais le tout ne faisant qu'une assemblée bavarde, un assemblage hétérogène et improductif de mesquines passions, de haineux ressentiments, de vœux stériles, de paroles acerbes, de poses ridiculement dramatiques ; orgueilleuse, injurieuse, besogneuse, capricieuse, entêtée, sans idée, sans gouvernail et sans boussole ; aujourd'hui reconnaissant un chef, et demain le déposant pour passer à l'ennemi - formant des coteries, faisant des complots, - mais ne faisant rien pour le pays qui, cependant, bien cher la payait !... Et chaque coterie n'apportait à la tribune que son venin, ses colères, et le cynisme doses espérances. On se promettait des rigueurs, des tortures, des représailles, et hautement l'on s'ajournait, pour se déchirer, à 1852.
   Mais nul  il faut bien le dire  n'y apportait depuis longtemps le respect du à la Franc et à soi-même; nul n'y apportait cet esprit de tolérance et de fusion dont on parlait toujours, mais dont on ne parlait que pour mutuellement se tromper et ils étaient là sept cents têtes, sept cents législateurs, grands penseurs, beaux diseurs, gens fort honorables, je le veux, puisque c'est ainsi, du reste, qu'ils daignaient s'appeler entre eux; mais, de fait, éternellement disputeurs, et depuis quatre ans n'ayant rien fait pour le bonheur et le repos du pays, qu'édifier cette incomparable Babel où se parlaient si merveilleusement tant de sortes de langues..., hormis celle de la France, car celle-ci a de la noblesse, elle a de la dignité, de l'élévation, de la pudeur, elle a de la délicatesse, et ne se montre jamais
que décemment vêtue.
   Or, ainsi marchant, où allait-on ? Chacun le pressentait, le voyait, et le disait. On allait à la guerre civile, c'est-à-dire au pillage, au meurtre, à l'incendie, et au renversement de toutes les illustrations,. de toutes les gloires, de toutes les capacités, de toutes les fortunes.
   Mais un homme et un nom étaient là.
   Le nom était glorieux, et l'on s'y est groupé.
   L'homme était le bras de Dieu, et la France a été sauvée.
   Et cet homme, dont le triomphe est si beau, que fait-il aujourd'hui de sa victoire ? il ne s'en aveugle point ; il la dépose aux pieds du peuple, et il ne lui demande point d'ouvrir ses temples et d'y brûler l'encens... Il ne lui demande que son suffrage pour le maintien de la république, à moins qu'il ne préfère croupir encore sous un gouvernement sans force et sans nom, emprunté à on ne sait quel passé, soit à quel avenir chimérique.
   Il y a trois ans que l'instinct de votre conservation vous a fait élire Napoléon.
   Et Napoléon n'a fait que grandir dans la reconnaissance et l'estime dit pays... Il y a trois ans, ce n'était de votre part qu'une heureuse sympathie c'est aujourd'hui devenu un devoir, et il y va de votre salut.
   Et sachez surtout ne pas écouter les voix perfides de la malveillance aux abois !... Repoussez avec énergie et indignation ses menteuses suggestions !
   - Napoléon sera un despote, - Napoléon étouffera la liberté , - Napoléon se fera empereur ! Napoléon ne sera point un despote, et s'il a suspendu la liberté de quelques-uns, c'était pour pouvoir la conserver à tous !... Et quand il se ferait empereur !... si l'empire seul pouvait rendre au pays sa splendeur et sa gloire, son bien-être et son repos, tout cela devenu si pâle et si déshérité sous nos dictateurs parlementaires !... Mais Napoléon ne se fera pas empereur, car il a dit qu'il voulait maintenir la république.
   Et du reste en a-t-il besoin pour sa gloire ? en a-t-il besoin pour son avenir ?
   N'ayez peur ! Louis-Napoléon sait se comprendre ; et il s'est fait pour lai une situation unique dans l'histoire. Soyez-en sur, il ne la faussera pas.
   Napoléon, général et consul, avait sauvé la France ; empereur, il l'avait conduite au sommet de toutes les gloires, mais empereur aussi, il l'a perdue...
   Et Louis Bonaparte, président de la République, aussi lui a sauvé la France ;- empereur, il pourrait la perdre, - mais président de la République, il ne la perdra pas; et c'est ainsi qu'après Napoléon le Grand, Louis Bonaparte petit être grand lui-même..., et lui aussi aura son soleil d'Austerlitz !
   Assis sur un trône, il lui faudrait répondre à tous les prétendants aux trônes.
   Président de la République française, et l'élu du suffrage universel, - salué par l'adhésion sincère de tous les cœurs reconnaissants, - qui peut venir jamais toucher à de pareils droits ?
   Et cette légitimité-là n'a-t-elle pas sa valeur ?
   Est-ce qu'un fauteuil de présidence n'est pas aussi solide que les quatre tréteaux couverts de pourpre dorée, qui font un trône?...
   Est-ce enfin que cette couronne présidentielle, spontanément donnée par la nation, pour prix de sa vie sauve, n'est pas plus chère au cœur et plus douce au front de celui qui la porte, que le bandeau surpris des rois ?...
   Non, non, louis Bonaparte ne se fera pas empereur ! ! ! Votez pour Napoléon.
   Et pourquoi n'écouteriez-vous pas ma voix ?... Est-ce que j'ai quelque intérêt à vous tromper, moi ? Est-ce que je suis un ambitieux, qui a peur de perdre sa place, ou qui en convoite une meilleure ? Ma place est modeste, cela est vrai; mais vous savez que je l'ai choisie, qu'elle suffit à mon ambition , et que, pour venir à vous, j'ai volontairement renoncé à la légitime récompense qui m'était offerte pour dix années de services de haute magistrature. Tout ce que je voulais, je l'ai obtenu, et c'était d'apporter au seuil où je suis né la justice, la paix, l'amour et la conciliation.
   Napoléon Bonaparte a sauvé la France; mais ce n'est pas tout, il faut qu'il puisse achever son oeuvre ; car la cause de Louis Bonaparte est la cause de l'ordre social, et s'il devait être abandonné après le triomphe, mieux eût valu qu'il n'eût pas triomphé.
   Car le complément de son triomphe sera le développement sage et progressif des conquêtes de 89 ; tandis que le triomphe de l'anarchie, c'est la ruine, c'est la honte, c'est le despotisme, c'est le bas-empire.
   Et pourquoi hésiteriez-vous ? Napoléon n'est pas de ceux qui ont dit : Marchez, et je vous suis; il marche et dit : Suivez-moi !
   Et avant qu'il eût marché, quel état était le vôtre ? Vous étiez sans espoir et abandonnés. Vos yeux se levaient au ciel, car la science humaine n'avait plus de remèdes pour vos maux. Mais il s'est levé ! et le sang a reparu dans vos veines, et l'espoir dans vos meurs... Ah ! ne vous aurait-il ainsi réchauffés que pour vous faire ingrats !...
   Avant les événements, tout ce qui portait une épée devait tenir la main sur sa garde ; tout ce qui portait un cœur noble devait se tenir prêt pour tous les dévouements.
   Que Napoléon soit nommé président, et toutes les épées alors se déposeront sur l'autel de la patrie. et tous les cœurs seront à l'oubli, d l'espérance et à la concorde.
   Mais il faut, sous peine d'infamie, que tout ce qui a une parole et une plume s'empresse de jeter partout la semence d'une heureuse et prochaine réconciliation !
   Et il faut surtout que ce devoir soit accompli par ceux dont la mission est de persuader, de consoler, d'éclairer et de bien faire..., par les confidents naturels de la famille, par les magistrats du foyer !..
   Et c'est avec bonheur que je vous dis en terminant : Étouffez vos haines, dissipez vos défiances. ramenez parmi vous l'union et l'harmonie, la confiance et l'amour, et alors de beaux jours luiront encore sur la France ! Nos libertés, momentanément et indispensablement restreintes, nous seront plus largement et plus utilement rendues ; et cette douce fraternité de nos rêves ne sera plus un vain mot et un mensonge... Et du moment qu'elle ne nous sera plus imposée de par la mort, nous ne serons plus forcés d'en user que sous l'unique peine de ne pas savoir bien vivre !...
   Mais point de réaction, point de représailles ; oublions 1e passé, soyons reconnaissants du présent, tendons les bras à l'avenir et disons tous ensemble : Vive Napoléon Bonaparte, président de la République française !


SÉNÉMAUD,

Juge de paix du canton de Chauvigny.