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Charles Joseph MINARD

(Dijon, 27 mars 1781 -
Bordeaux, 24 octobre 1870)


Français.

I
ngénieur et cartographe.



par
Michael Friendly


 

     Quelques dates :


1844,
construit ses premiers tableaux graphiques.
1845, inspecteur général à l’E.N.P.C.

 






Charles Joseph Minard est avant tout connu pour un seul et unique travail, sa poignante illustration cartographique du tragique destin de la Grande Armée napoléonienne lors de sa désastreuse campagne de Russie, en 1812. Cette " Carte figurative des pertes successives en hommes de l’Armée française dans la campagne de Russie de 1812-1813 " a été décrite comme étant " le meilleur graphique jamais produit " [13], un de ceux qui semblent " défier la plume de l’historien par sa brutale éloquence " [6].

De façon plus générale, Minard fut un véritable pionnier en matière de cartographie à thèmes, de confection de graphiques statistiques. Il a ainsi contribué au développement de nouvelles formes graphiques illustrant des données, toujours dans le but de laisser l’information parler à l’œil. L’excellente relation qu’A. H. Robinson [12] a fait de la vie de Minard et de ses contributions dans le domaine de la cartographie thématique commence ainsi : " Lorsque l’on ajoutera enfin à l’histoire de la cartographie l’histoire complète du développement de la cartographie thématique, le nom de Charles Joseph Minard retrouvera une partie de la gloire qu’il avait peu avant sa mort. Les cinquante et une cartes figuratives issues de son esprit fertile et de sa main experte traduisent un mélange d’ingéniosité cartographique et un soucis d’apporter une vision graphique de la donnée statistique, chose quasiment unique au milieu du siècle " [12, P.95].

La présente esquisse de sa carrière et de ses contributions aux progrès des techniques de représentations graphiques et statistiques s’inspire également de la notice nécrologique de Minard faite par son gendre V. Chevallier [1], de l’histoire faite par G. Palsky [11] des graphiques quantitatifs et de la cartographie thématique au XIXème siècle, de l’analyse de ses contributions aux graphiques statistiques dans une perspective moderne, ainsi que d’un catalogue interactif complet de ses travaux graphiques [2].



Charles Joseph Minard est le fils d’un officier de la gendarmerie et d’une intendante d’un collège de Dijon. A l’âge de quinze ans, il est admis dans la section « Sciences et Mathématiques » de la célèbre École polytechnique de Paris (1796-1800). Parmi ses professeurs, Fourier et Legendre lui font grande impression. En 1800, il entre à l’École nationale des Ponts et Chaussées (E.N.P.C.), la première école à former des ingénieurs chargés de la construction de ports, routes, canaux et, plus tard, de lignes de chemins de fer en France. Il demeure à l’E.N.P.C. durant toute sa carrière professionnelle (1803-1851), tout d’abord en tant qu’ingénieur de terrain, plus tard comme formateur dans le domaine de la navigation intérieure et en construction de chemins de fer. En 1830, Minard est nommé directeur, puis inspecteur de division (1839) et enfin inspecteur général à l’E.N.P.C. (1845), à l’âge de soixante-cinq ans. Même après sa retraite forcée à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire en 1851, Minard continue d’occuper son fauteuil au conseil d’administration du journal de l’ E.N.P.C., les Annales des Pont et Chaussées. Plus important encore, sa production de nouvelles formes et thèmes graphiques double en dix années et se poursuit jusqu’à sa mort à l’âge de quatre-vingt dix ans [4].

Minard passe la première partie de sa carrière en tant qu’ingénieur, sur le terrain, mais même dans ce domaine, il fait preuve d’intuition en ce qui concerne l’élaboration de nouvelles formes d’illustrations et de portraits visuels. Son rapport sur l’effondrement d’un pont sur le Rhône [13, P.39] inclus ainsi un dessin superposant l’avant et l’après, qui prouve immédiatement que le pont s’est écroulé parce que les piliers qui font face au courant de la rivière ont cédé.



Il débute sa deuxième carrière en 1844 en tant qu’ingénieur et concepteur de nouvelles formes de graphiques et statistiques, de cartographie thématique. Il construit à cette époque ses premiers tableaux graphiques [7]. Ceux-ci tendent à comparer les coûts différentiels des flux de marchandises et de personnes d’un itinéraire pris dans son intégralité avec certaines de ses parties. Afin de le démonter dans une " table graphique ", Minard invente une nouvelle forme de graphique divisé en barres, dans lequel l’épaisseur de ces barres est proportionnelle à la distance parcourue et la hauteur de leurs subdivisions proportionnelles au nombre des passagers ou aux types de marchandises. Par conséquent, la surface correspondante à chaque rectangle correspond aux prix du transport en Frs ou en kilomètres par personne. Ces tables graphiques furent d’importants précurseurs des démonstrations mosaïques modernes [3].

Très rapidement, Minard réalise qu’il serait préférable de faire figurer ces informations quantitatives à base géographique sur une carte. Il utilise alors des bandes d’épaisseur également proportionnelles à ces quantités, de façon à ce que là aussi, la superficie – qui est égale à la longueur multipliée par l’épaisseur - corresponde au nombre et aux quantités totales. A partir d’une première carte de transport de voyageurs sur un trajet donné, entre Dijon et Mulhouse [8], Minard continue à développer cette représentation graphique des flux dans l’espace en privilégiant l’esthétique, accordant toujours la priorité au portrait précis de l’information statistique dans les limites du contenu de son catalogue graphique [2]. Les plus spectaculaires sont sans doute une paire de cartes [11, Fig. 46-47] illustrant le commerce du coton en Europe en 1856 et de nouveau en 1862, peu après le déclenchement de la guerre de Sécession aux États-Unis. Un rapide coup d’œil met en évidence le fait que le blocus sur les exportations de coton brut depuis le Sud des États-Unis a permis l’essor de ce commerce avec l’Inde.

Tout au long de ses dernières années, et en particulier à partir de sa retraite, Minard continue d’étudier de nouveaux thèmes et d’inventer de nouvelles formes graphiques. Il est le premier à faire figurer des " parts de Camembert " sur une carte, en développant l’utilisation que Playfair en avait faite, afin de montrer à la fois les proportions relatives - en l’occurrence les variétés de viandes vendues à Paris : bœuf, veau ou mouton - par tranches angulaires, et la quantité totale dans la surface de chaque part de camembert [9]. En 1865, la ville de Paris entreprend de construire une nouvelle Poste centrale. Minard propose alors une carte [10] montrant la population de chaque arrondissement dans des carrés avec une surface proportionnelle à la population de façon à ce que la localisation idéale se trouve dans leur centre de gravité visuelle et géométrique.

L’influence et la contribution de Minard en matière de planning à base visuelle sont telles que, sous le Second Empire, chaque ministre des Travaux publics fait exécuter son portrait accompagné d’une des créations de Minard au second plan [1, P.17]. Lors du meeting du Congrès international de statistique de Vienne [5], en 1857, la méthode dite de « la carte graphique du chemin de fer français » (une référence évidente à Minard) est favorablement reconnue au cours des débats sur la standardisation et la classification des méthodes graphiques. En 1861, certains des travaux de Minard sont également présentés à Napoléon III (un honneur surprenant pour un ingénieur de modeste extraction), qui les reçoit avec enthousiasme.



Les travaux les plus célèbres de Minard, sa représentation de la campagne de Russie de Napoléon, méritent une mention particulière dans cette brève biographie, en partie parce qu’elle est le portrait graphique d’une défaite nationale universellement connue. V. Chevalier [1] a mis en évidence les raisons qui l’ont poussé à la réaliser. Jeune ingénieur, il est à Anvers en 1813 le témoin des horreurs de la guerre au cours du siège de la ville fait par l’armée prussienne. Durant ses dernières années, il pressent d’ailleurs la reprise de la guerre Franco-prussienne et, bien que fragile et infirme, accourt en 1870 à Bordeaux avec sa famille. Parmi ses derniers travaux, citons cet assemblage de deux cartes : celle, célèbre, de la campagne napoléonienne en Russie et une autre concernant l’offensive d‘Hannibal partant d’Espagne et gagnant l’Italie après avoir traversé les Alpes. Leur point commun : un nombre élevé de pertes humaines. « La représentation graphique est saisissante… Elle amène à d’amères réflexions sur la valeur de chaque vie face à la soif de gloire militaire » [1, P.18]. C’est peut être justement pour cette même raison que le plus célèbre graphique de Minard continue de défier la plume de l’historien.



 



Notes

 

[1] Chevallier, V. Notice nécrologique sur M. Minard, inspecteur général des ponts et chaussées, en retraite. Annales de Ponts et Chaussées, 2 (Ser. 5, No. 15) : 1-22, 1871.

[2] Friendly, M. The graphie works of Charles Joseph Minard. WWW document collection, 1999.

URL : http : / /www . math. yorku. ca/ SCS/Gal lery/minbib . html.

[3] Friendly, M. A brief history of the mosaic display. Journal of Computational and Graphical Statistics, 11(1) : 89-107, 2002.

[4] Friendly, M. Visions and Re-Visions of Charles Joseph Minard. Journal of Educational and Behavioral Statistics, 27(1) : 31-51, 2002.

[5] International Statistical Congress. Emploi de la cartographie et de la méthode graphique en général pour les besoins spéciaux de la statistique. In Proceedings, pages 192-197, Vienna, 1858. 3rd Session, August 31-September 5, 1857.

[6] Marey, E. J. La Méthode Graphique dans les Sciences Expérimentales. G. Masson, Paris, 1878.

[7] Minard, C. J. Tableaux figuratifs de la circulation de quelques chemins de fer. lith. (n.s.), May 1844. ENPC : 5860/C351, 5299/C307.

[8] Minard, C. J. Carte de la circulation des voyageurs par voitures publiques sur les routes de la contrée où sera placé le chemin de fer de Dijon à Mulhouse. lith. (700 x 650), March 1845. ENPC : Fol 10975, 4546/C249.

[9] Minard, C. J. Carte figurative et approximative des quantités de viande de boucherie envoyées sur pied par les départements et consommées à Paris. lith. (530 x 520), 1 August 1858. ENPC: Fol 10975, 10969/C590 ; P.44.

[10] Minard, C. J. Carte figurative relative au choix de l'emplacement d'un nouvel hôtel des postes de Paris. lith. (935 x 650), 19 July 1865. ENPC : Fol 10975, 10970/C589 ; BNF : Ge C 9553.

[11] Palsky, G. Des Chiffres et des Cartes: Naissance et développement de la Cartographie Quantitative Français au XIXe siècle. Éditions de CTHS, Paris, 1996.

[12] Robinson, A. H. The thernatic maps of Charles Joseph Minard. Imago Mundi, 21:95-108, 1967.

[13] Tufte, E. R. The Vtsual Display of Quantitative Information. Graphics Press, Cheshire, CT, 1983.