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                                                   Marseille au XIXème siècle : la ville et le port

 

Marseille au XIXème siècle : la ville et le port.


par
Marc Nadaux

 



1. De nouvelles conditions.
2. De nouveaux aménagements
3. Les transformations de la ville.


 






Fondée au VIème siècle avant JC par les Phocéens, Marseille est l’une des plus anciennes villes de France, une cité qui a lié son destin à la mer. Le port connaît un nouveau développement au XVIIIème siècle. Il bénéficie ainsi de la croissance économique, du développement des échanges sous le règne de Louis XV, dans le cadre rigide du système de l’Exclusif. Marseille a ainsi le monopole du commerce avec le Levant méditerranéen, avec L’Égypte, la Grèce et l’Asie Mineure notamment. Après une éclipse sous le Premier Empire, la ville et le port connaissent un nouvel essor, qui s’appuie sur l’expansion coloniale de la France ainsi que sur l’avènement de nouveaux moyens de communication.



          1. De nouvelles conditions.



     Marseille et l’arrière-pays


L’axe Marseille-Lyon-Paris est un des traits dominants de l’économie. Par voie de terre, sur le fleuve, des tonnes de marchandises sont ainsi acheminées dans la vallée du Rhône. Cependant, malgré la construction des routes royales, Marseille demeure à sept jours de trajet de la capitale. Suivant le modèle anglais, on réfléchit ainsi à la venue du chemin de fer. Celui-ci paraît nécessaire, car la rapidité et l’abaissement du coût des transports sont un argument décisif aux yeux des négociants. Cependant, si la loi sur les chemins de fer, promulguée le 11 juin 1842, doit à moyen terme, amener la constitution du réseau français, de nombreuses questions demeurent en suspend dans le cas de Marseille et de son arrière-pays.

Le train doit-il s’arrêter à Arles, avant de gagner Avignon et Lyon ? Se pose également le problème du coût des travaux ; à la sortie de la ville est prévu le percement de la montagne de Rove. Toutes ces discussions s’enveniment également, quand les rouliers et autres bateliers dénoncent le tort que ferait la venue du chemin de fer pour leurs professions. Enfin, le 9 janvier 1848, est inaugurée la ligne Marseille-Arles. Suivant la relation qu’en fit Le Sémaphore, ce jour-là, les officiels et autres notabilités locales, " s’asseyaient dans ce formidable train de vingt-et-un wagons pouvant contenir à l’aise chacun trente-deux voyageurs que deux locomotives devaient emporter... ". Le trajet dure deux heures vingt-cinq minutes.

Avec le train, c’est l’arrière-pays qui se lie davantage à sa ville, c’est également le progrès qui arrive à Marseille.


     L’avènement de la vapeur


Le 3 novembre 1818, un événement a lieu au port. Le Fernandino Ier est à quai et c’est le premier navire à vapeur qui arrive à Marseille. Si les armateurs saisissent rapidement l’opportunité de cette innovation, les autorités locales sont plus réticentes à l’adoption du steamer. Ce n’est qu’en 1838 que Marseille commence à l’utiliser pour remorquer les navires en haute mer. Et pourtant, la ville connaît le mistral cinquante journées dans l’année en moyenne, auquel s’ajoute le désagrément des vents contraires. Mais la vapeur ne risque t’elle pas de faire diminuer le nombre des marins ?

Dans les décennies qui suivent, le steamer s’enrichit de nouveaux progrès techniques : la construction de coques en fer dès 1845, l’hélice qui remplace la roue à aube auparavant. Ceci permet de diminuer la dangerosité du navire, d’en réduire la voilure également. Avec le steamer, Alger est à moins de trois journées de Marseille, Alexandrie à deux semaines et Bombay à un mois environ. Petit à petit, la foret des mats qui encombrent le port s’éclaircit au profit de la fumée noire qui sort des cheminées.


 

La flotte du port de Marseille




 

Si les voiliers demeurent plus nombreux tout au long du siècle, le nombre des navires à vapeur est en augmentation constante, avant le triomphe définitif dans l'entre-deux-guerres. A noter que ces derniers ont également un plus fort tonnage.


     Le développement du commerce colonial


Depuis longtemps, Marseille tire profit du commerce méditerranéen. Ses navires assurent ainsi régulièrement la traversée vers les cotes du Maghreb où des négociants ont installé leurs comptoirs. Ce trafic prend un tour nouveau sous la Monarchie de Juillet, avec le commencement de la conquête de l’Algérie. Désormais, tout produit en provenance de ces régions sous la domination française doivent être transporté par des navires de la métropole. Le port français du Levant tient là une nouvelle opportunité, qui se confirme à la fin du siècle quand Jules Ferry décide de relancer la conquête de l’Afrique noire. Entre temps, le Second Empire aura vu s’achever le canal de Suez.

Vers 1830, un premier projet de percement d’un canal reliant la mer Méditerranée à la mer Rouge avait été échafaudé par les disciples du comte de Saint-Simon. En 1854, Muhammad Sa’id, nouveau vice-roi d’Égypte, confie l’entreprise à Ferdinand de Lesseps. Quatre années plus tard, celui-ci fonde la Compagnie universelle du canal maritime de Suez. Les travaux de percement commencent le 25 avril 1859, mais c’est seulement dix années plus tard que les eaux des deux mers se joignent. Ce projet pharaonique s’est en effet heurté à de grandes difficultés. Cependant, contrairement aux craintes des Anglais, le canal n’est pas aussi fréquenté qu’on l’espérait à Marseille. De plus, cette nouvelle liaison avec les Indes et la Chine, comme l’Abyssinie, profite davantage aux ports italiens.


 

Nombre de navires arrivant à Marseille par le canal de Suez


 



          2. De nouveaux aménagements


     Le développement du port


Pendant la première moitié du siècle, le trafic du port augmente de manière constante :

1825 11.490 navires
 1840 

13.380

1847 24.600

Des centaines de bateaux sont parfois à quai, rangés en plusieurs lignes. Ceci ne facilite ni le déchargement, ni la circulation dans le bassin du Vieux Port. Au Sud, près du Fort St-Nicolas, on creuse alors le Bassin du Carénage, entre 1830 et 1840. Mais il faut envisager des aménagements sur une plus vaste échelle et, à la fin de la Monarchie de Juillet, de multiples projets sont examinés par les autorités. 


 

1837, projet de la porte Sud




 

Contrairement au plan ci-dessus, c'est au Nord de la ville que sont creusés de nouveaux bassins, agrémentés de quais : le port de la Joliette de 1844 à 1853, le Lazaret d'Arène de 1936 à 1884, le National de1863 à 1874.


 

Les nouveaux bassins à la fin du Second Empire




     L'importance croissante du commerce avec les colonies


L'augmentation du trafic du port de Marseille doit beaucoup au commerce colonial, en expansion constante au cours du siècle. Celui-ci représente un volume toujours plus important.


 

Le trafic avec les colonies




 

A la fin du siècle, 90 % de l'activité du port s'effectue dans le cadre des relations avec les colonies, celles d'Afrique du Nord surtout qui comptent pour les 3/4 de l'ensemble. Ces relations reposent sur un schéma simple : Marseille exporte ses produits manufacturés (produits alimentaires, matériels militaires, biens industriels...) tandis que lui arrive des matières premières (minerais et phosphates...) ou des denrées agricoles (café, coton, arachide...). Le prix de ces dernières cependant est fixés à Paris, ce qui enlève pour une bonne part aux négociants marseillais leur capacité à influer sur le trafic.


     Les transformations de l'industrie locale


L'industrie marseillaise est étroitement liée à la nature et aux fluctuations des activités portuaires. De même que pour l'arrière, celles-ci lui fournissent un débouché pour ses productions ainsi qu'une matière première en abondance. 

A l'origine, les huileries utilisent la production locale d'olives, avant de se tourner rapidement vers la graine de sésame, la noix de coco ou d'arachides et de coton. Si l'activité connaît un certain intérêt - Marseille compte 4 moulins en 1836, 43 en 1856 - , les sites de production ne dépassent pas le stade de l'artisanat. Et à la fin du siècle, les lois protectionnistes qui visent à favoriser la production nationale, le colza cultivé dans les plaines du Nord, rendent l'huile marseillaise moins concurrentielle.

Huileries et savonneries sont bien souvent la propriété d'un seul et même entrepreneur, puisque l'on utilise les déchets des premières chez les secondes. Et là également, une seule société parvient à dépasser la centaine d'employés au cours du siècle. Ces entreprises de petites tailles font néanmoins la renommée du savon de Marseille et leur nombre croit dans l'agglomération.


 

Nombre de savonneries




 

Des raffineries de sucre fonctionnent également, grâce aux arrivages du Ponant cependant. Leur nombre décroît au cours du siècle, car se concentre la production. De 17 en 1830, elles ne sont plus que 3 en 1871. On trouve également d'autres industries à Marseille, en rapport avec les précédentes (tonnellerie, cartonnerie, raffinerie...) ou avec l'activité du port (distilleries, fabriques de pâtes, tanneries, corderie...). 


          3. Les transformations de la ville.


     La société marseillaise


Le développement du port est donc à l'origine du maintien et du dynamisme des industries locales. Suivant en cela le schéma français, Marseille ne voit s'installer que très progressivement au cours du siècle la grande industrie. A coté du petit peuple des matelots, ou de l'artisanat, la population ouvrière est néanmoins de plus en plus importante. On recense ainsi 4.185 ouvriers à Marseille en 1848, 35.510 en 1890 soit 1/10e de la population totale de l'agglomération. La dureté de leur travail fait que ces derniers sont mieux rémunérés que dans d'autres grandes villes, pour une journée de travail qui bien souvent est plus courte. En 1890, un docker peut ainsi espérer gagner 6 Frs pour dix heures de labeur quotidien. Il doit néanmoins subir la concurrence des étrangers, présents en nombre dans le port, et qui acceptent de s'embaucher avec de moindres exigences. Aussi le monde ouvrier s'organise. En 1888, est créée la deuxième Bourse du Travail de France. Celle-ci comptera jusqu'à 15.000 adhérents.

Ceux-ci ont bien souvent pour interlocuteur l'armateur-négociant. Situé au sommet de la hiérarchie sociale, ce personnage contrôle tous les aspects du commerce à Marseille. Il fait construire ses propres navires, sur lesquels naviguent son personnel. Ceux-ci assurent la liaison entre le port et les colonies, où ils ont affaire à des représentants de commerce. Eux aussi sont au service de cette haute-bourgeoisie. La concentration verticale des activités à leur profit ne s'arrêtent pas là dans sa diversification, puisque bien souvent l'armateur-négociant se fait également industriel. Quelques grandes familles s'illustrent ainsi : les Clot-Bey et les Pastré en Égypte, les Roux en Grèce, les Fabre au Mozambique... A la fin du siècle, ces dynasties auront bientôt à lutter avec la création des grandes banques d'affaires, dans un contexte économique moins serein. Ce marasme contraint d'ailleurs le gouvernement à imposer des lois protectionnistes. Maître de la place et privé désormais de toute concurrence, le négoce marseillais vivotera ainsi pendant de longues décennies.     


     L'aménagement urbain


La ville de Marseillaise connaît au cours du XIXème siècle une croissance spectaculaire de sa population. 


 

L'évolution de la population




 

Ceci est à mettre sur le compte du développement des activités portuaires et industrielles de la ville. Ainsi en 1886, 57 % des habitants ne sont pas nés à Marseille, mais dans l'arrière-pays voisin ou même à l'étranger. A l'exode rural en effet, s'ajoute une immigration importante, italienne notamment. Et en 1906, sur 515.000 Marseillais, 102000 sont étrangers, soit 20 % de la population totale. La cité phocéenne devient cosmopolite, un caractère que soulignera trente années plus tard Blaise Cendrars, le " bourlingueur ".

La ville s'étend également. Dans la banlieue, occupée pendant la première moitié du siècle par la vigne et l'olivier, s'installent les usines et les logements ouvriers. Une autre partie des classes populaires demeurent dans la vieille ville en compagnie des classes moyennes, artisans et commerçants. Aux premiers cependant, les faubourgs nauséabonds, éloignés des lieux de travail. La haute bourgeoisie marchande, elle, trouve place près du Vieux Port, dans la partie Sud de la Canebière. Marseille voit ainsi ses quartiers se spécialiser en fonction de l'appartenance sociale.

La ville quitte donc son aspect moderne et vieillot, suivant les vœux de la bourgeoisie triomphante. Sur le modèle haussmannien, le centre-ville est éventré au profit de larges avenues, la rue Impériale notamment (aujourd'hui rue de la République). Des immeubles apparaissent également, tandis que la ville s'équipe en monuments. Le palais de la Bourse est construit en 1860, le palais de Justice entre 1856 et 1862, le palais du Pharo entre 1858 et 1862, le palais de Lonchamp entre 1862 et 1870. Sortent également de terre l'Observatoire (1864-65), la Préfecture, Notre-Dame de la Garde (1853-64) ainsi que trente-huit autres églises. Au cours du siècle, et notamment sous le Second Empire, Marseille ressemble ainsi à un vaste chantier.


 

Cité construite sous le Second Empire à l'emplacement du Lazaret