Fondée au VIème siècle avant
JC par les Phocéens, Marseille est l’une des plus anciennes villes de
France, une cité qui a lié son destin à la mer. Le port connaît un
nouveau développement au XVIIIème siècle. Il bénéficie ainsi de la
croissance économique, du développement des échanges sous le règne de
Louis XV, dans le cadre rigide du système de l’Exclusif. Marseille a
ainsi le monopole du commerce avec le Levant méditerranéen, avec L’Égypte,
la Grèce et l’Asie Mineure notamment. Après une éclipse sous le
Premier Empire, la ville et le port connaissent un nouvel essor, qui s’appuie
sur l’expansion coloniale de la France ainsi que sur l’avènement de
nouveaux moyens de communication.
1. De nouvelles conditions.
Marseille et l’arrière-pays
L’axe
Marseille-Lyon-Paris est un des traits dominants de l’économie. Par
voie de terre, sur le fleuve, des tonnes de marchandises sont ainsi
acheminées dans la vallée du Rhône. Cependant, malgré la construction
des routes royales, Marseille demeure à sept jours de trajet de la
capitale. Suivant le modèle anglais, on réfléchit ainsi à la venue du
chemin de fer. Celui-ci paraît nécessaire, car la rapidité et l’abaissement
du coût des transports sont un argument décisif aux yeux des
négociants. Cependant, si la loi sur les chemins de fer, promulguée le
11 juin 1842, doit à moyen terme, amener la constitution du réseau
français, de nombreuses questions demeurent en suspend dans le cas de
Marseille et de son arrière-pays.
Le train doit-il s’arrêter à Arles, avant de gagner Avignon et
Lyon ? Se pose également le problème du coût des travaux ; à la
sortie de la ville est prévu le percement de la montagne de Rove. Toutes
ces discussions s’enveniment également, quand les rouliers et autres
bateliers dénoncent le tort que ferait la venue du chemin de fer pour
leurs professions. Enfin, le 9 janvier 1848, est inaugurée la ligne
Marseille-Arles. Suivant la relation qu’en fit Le Sémaphore, ce
jour-là, les officiels et autres notabilités locales, " s’asseyaient
dans ce formidable train de vingt-et-un wagons pouvant contenir à l’aise
chacun trente-deux voyageurs que deux locomotives devaient
emporter... ". Le trajet dure deux heures vingt-cinq minutes.
Avec le train, c’est l’arrière-pays qui se lie davantage à sa ville,
c’est également le progrès qui arrive à Marseille.
L’avènement
de la vapeur
Le 3 novembre
1818, un événement a lieu au port. Le Fernandino Ier
est à quai et c’est le premier navire à vapeur qui arrive à
Marseille. Si les armateurs saisissent rapidement l’opportunité de
cette innovation, les autorités locales sont plus réticentes à l’adoption
du steamer. Ce n’est qu’en 1838 que Marseille commence à l’utiliser
pour remorquer les navires en haute mer. Et pourtant, la ville connaît le
mistral cinquante journées dans l’année en moyenne, auquel s’ajoute
le désagrément des vents contraires. Mais la vapeur ne risque t’elle
pas de faire diminuer le nombre des marins ?
Dans les décennies qui suivent, le steamer s’enrichit de nouveaux
progrès techniques : la construction de coques en fer dès 1845, l’hélice
qui remplace la roue à aube auparavant. Ceci permet de diminuer la
dangerosité du navire, d’en réduire la voilure également. Avec le
steamer, Alger est à moins de trois journées de Marseille, Alexandrie à
deux semaines et Bombay à un mois environ. Petit à petit, la foret des
mats qui encombrent le port s’éclaircit au profit de la fumée noire
qui sort des cheminées.
La flotte du
port de Marseille
Si les voiliers demeurent plus nombreux tout au long du siècle, le nombre
des navires à vapeur est en augmentation constante, avant le triomphe
définitif dans l'entre-deux-guerres. A noter que ces derniers ont également
un plus fort tonnage.
Le développement du
commerce colonial
Depuis longtemps,
Marseille tire profit du commerce méditerranéen. Ses navires assurent ainsi
régulièrement la traversée vers les cotes du Maghreb où des négociants ont
installé leurs comptoirs. Ce trafic prend un tour nouveau sous la Monarchie de
Juillet, avec le commencement de la conquête de l’Algérie. Désormais, tout
produit en provenance de ces régions sous la domination française doivent
être transporté par des navires de la métropole. Le port français du Levant
tient là une nouvelle opportunité, qui se confirme à la fin du siècle quand
Jules Ferry décide de relancer la conquête de l’Afrique noire. Entre temps,
le Second Empire aura vu s’achever le canal de Suez.
Vers 1830, un premier projet de percement d’un canal reliant la mer
Méditerranée à la mer Rouge avait été échafaudé par les disciples du
comte de Saint-Simon. En 1854, Muhammad Sa’id, nouveau vice-roi d’Égypte,
confie l’entreprise à Ferdinand de Lesseps. Quatre années plus tard,
celui-ci fonde la Compagnie universelle du canal maritime de Suez. Les travaux
de percement commencent le 25 avril 1859, mais c’est seulement dix années
plus tard que les eaux des deux mers se joignent. Ce projet pharaonique s’est
en effet heurté à de grandes difficultés. Cependant, contrairement aux
craintes des Anglais, le canal n’est pas aussi fréquenté qu’on l’espérait
à Marseille. De plus, cette nouvelle liaison avec les Indes et la Chine, comme
l’Abyssinie, profite davantage aux ports italiens.
Nombre de
navires arrivant à Marseille par le canal de Suez
2. De nouveaux
aménagements
Le développement du
port
Pendant la
première moitié du siècle, le trafic du port augmente de manière
constante :
1825
|
11.490
navires
|
1840
|
13.380
|
1847
|
24.600 |
Des centaines de
bateaux sont parfois à quai, rangés en plusieurs lignes. Ceci ne
facilite ni le déchargement, ni la circulation dans le bassin du Vieux
Port. Au Sud, près du Fort St-Nicolas, on creuse alors le Bassin du
Carénage, entre 1830 et 1840. Mais il faut envisager des aménagements
sur une plus vaste échelle et, à la fin de la Monarchie de Juillet, de
multiples projets sont examinés par les autorités.
1837, projet
de la porte Sud
Contrairement au plan ci-dessus, c'est au Nord de la ville que sont
creusés de nouveaux bassins, agrémentés de quais : le port de la
Joliette de 1844 à 1853, le Lazaret d'Arène de 1936 à 1884, le National
de1863 à 1874.
Les nouveaux
bassins à la fin du Second Empire
L'importance
croissante du commerce avec les colonies
L'augmentation du
trafic du port de Marseille doit beaucoup au commerce colonial, en
expansion constante au cours du siècle. Celui-ci représente un volume
toujours plus important.
Le trafic avec les
colonies
A la fin du siècle, 90 % de l'activité du port
s'effectue dans le cadre des relations avec les colonies, celles d'Afrique
du Nord surtout qui comptent pour les 3/4 de l'ensemble. Ces relations
reposent sur un schéma simple : Marseille exporte ses produits
manufacturés (produits alimentaires, matériels militaires, biens
industriels...) tandis que lui arrive des matières premières (minerais et
phosphates...) ou des denrées agricoles (café, coton, arachide...). Le
prix de ces dernières cependant est fixés à Paris, ce qui enlève pour une
bonne part aux négociants marseillais leur capacité à influer sur le
trafic.
Les transformations
de l'industrie locale
L'industrie
marseillaise est étroitement liée à la nature et aux fluctuations des activités portuaires. De même que
pour l'arrière, celles-ci lui fournissent un débouché pour ses productions
ainsi qu'une matière première en abondance.
A l'origine, les huileries utilisent la production locale d'olives, avant de se
tourner rapidement vers la graine de sésame, la noix de coco ou d'arachides et
de coton. Si l'activité connaît un certain intérêt - Marseille compte 4
moulins en 1836, 43 en 1856 - , les sites de production ne dépassent pas le
stade de l'artisanat. Et à la fin du siècle, les lois protectionnistes qui
visent à favoriser la production nationale, le colza cultivé dans les plaines
du Nord, rendent l'huile marseillaise moins concurrentielle.
Huileries et savonneries sont bien souvent la propriété d'un seul et même entrepreneur, puisque l'on utilise les
déchets des premières chez les secondes. Et là également, une seule société
parvient à dépasser la centaine d'employés au cours du siècle. Ces
entreprises de petites tailles font néanmoins la renommée du savon de
Marseille et leur nombre croit dans l'agglomération.
Nombre de
savonneries
Des raffineries de sucre fonctionnent également, grâce aux arrivages du
Ponant cependant. Leur nombre décroît au cours du siècle, car se concentre la production.
De 17 en 1830, elles ne sont plus que 3 en 1871. On trouve également
d'autres industries à Marseille, en rapport avec les précédentes
(tonnellerie, cartonnerie, raffinerie...) ou avec l'activité du port
(distilleries, fabriques de pâtes, tanneries, corderie...).
3. Les transformations de la ville.
La
société marseillaise
Le développement
du port est donc à l'origine du maintien et du dynamisme des industries
locales. Suivant en cela le schéma français, Marseille ne voit
s'installer que très progressivement au cours du siècle la grande
industrie. A coté du petit peuple des matelots, ou de l'artisanat, la
population ouvrière est néanmoins de plus en plus importante. On recense
ainsi 4.185 ouvriers à Marseille en 1848, 35.510 en 1890 soit 1/10e de la
population totale de l'agglomération. La dureté de leur travail fait que
ces derniers sont mieux rémunérés que dans d'autres grandes villes,
pour une journée de travail qui bien souvent est plus courte. En 1890, un
docker peut ainsi espérer gagner 6 Frs pour dix heures de labeur
quotidien. Il doit néanmoins subir la concurrence des étrangers,
présents en nombre dans le port, et qui acceptent de s'embaucher avec de
moindres exigences. Aussi le monde ouvrier s'organise. En 1888, est
créée la deuxième Bourse du Travail de France. Celle-ci comptera
jusqu'à 15.000 adhérents.
Ceux-ci ont bien souvent pour interlocuteur l'armateur-négociant. Situé
au sommet de la hiérarchie sociale, ce personnage contrôle tous les
aspects du commerce à Marseille. Il fait construire ses propres navires,
sur lesquels naviguent son personnel. Ceux-ci assurent la liaison entre le
port et les colonies, où ils ont affaire à des représentants de
commerce. Eux aussi sont au service de cette haute-bourgeoisie. La
concentration verticale des activités à leur profit ne s'arrêtent pas
là dans sa diversification, puisque bien souvent l'armateur-négociant se
fait également industriel. Quelques grandes familles s'illustrent ainsi :
les Clot-Bey et les Pastré en Égypte, les Roux en Grèce, les Fabre au
Mozambique... A la fin du siècle, ces dynasties auront bientôt à lutter
avec la création des grandes banques d'affaires, dans un contexte
économique moins serein. Ce marasme contraint d'ailleurs le gouvernement
à imposer des lois protectionnistes. Maître de la place et privé
désormais de toute concurrence, le négoce marseillais vivotera ainsi
pendant de longues décennies.
L'aménagement
urbain
La ville de
Marseillaise connaît au cours du XIXème siècle une
croissance spectaculaire de sa population.
L'évolution
de la population
Ceci est à mettre sur le compte du développement des activités portuaires
et industrielles de la ville. Ainsi en 1886, 57 % des habitants ne sont pas
nés à Marseille, mais dans l'arrière-pays voisin ou même à
l'étranger. A l'exode rural en effet, s'ajoute une immigration importante,
italienne notamment. Et en 1906, sur 515.000 Marseillais, 102000 sont étrangers,
soit 20 % de la population totale. La cité phocéenne devient cosmopolite, un caractère
que soulignera trente années plus tard Blaise Cendrars, le "
bourlingueur ".
La ville s'étend également. Dans la banlieue, occupée pendant la
première moitié du siècle par la vigne et l'olivier, s'installent les
usines et les logements ouvriers. Une autre partie des classes populaires
demeurent dans la vieille ville en compagnie des classes moyennes, artisans
et commerçants. Aux premiers cependant, les faubourgs nauséabonds,
éloignés des lieux de travail. La haute bourgeoisie marchande, elle, trouve
place près du Vieux Port, dans la partie Sud de la Canebière. Marseille
voit ainsi ses quartiers se spécialiser en fonction de l'appartenance
sociale.
La ville quitte donc son aspect moderne et vieillot, suivant les vœux de la
bourgeoisie triomphante. Sur le modèle haussmannien, le centre-ville
est éventré au profit de larges avenues, la rue Impériale notamment
(aujourd'hui rue de la République). Des immeubles apparaissent également,
tandis que la ville s'équipe en monuments. Le palais de la Bourse est construit en 1860,
le palais de Justice entre 1856 et 1862, le palais du Pharo entre 1858 et
1862, le palais de Lonchamp entre 1862 et 1870. Sortent également de terre
l'Observatoire (1864-65), la Préfecture, Notre-Dame de la Garde (1853-64) ainsi que
trente-huit autres églises. Au cours du siècle, et
notamment sous le Second Empire, Marseille ressemble ainsi à un vaste
chantier.
Cité construite
sous le Second Empire à l'emplacement du Lazaret