La seconde moitié
du XIXème siècle est caractérisée par l’affirmation des sentiments
nationaux en Europe. Chaque nation, reconnue ou qui aspire à l’être,
se choisit une figure représentative féminine en laquelle la population
se reconnaît.
Marianne, symbole de la jeune fille des faubourgs populaires ouvriers,
devient peu à peu le symbole des Français et de la République.
La question de la représentation de la Nation par une figure féminine
pose un problème : existe-t-il une adéquation entre l’image que
l’on veut donner de la Nation et la réalité de cette Nation ? En
effet, l’image de la nation ne dépend pas de la puissance de la Nation
mais de la politique de l’image de la Nation.
Marianne symbolise-t-elle parfaitement la puissance française ? Une
comparaison avec d’autres représentations telles Germania, Britannia et
Slavia va permettre de répondre à cette question.
La représentation.
Marianne est
souvent représentée avec un bonnet phrygien, symbole de la Révolution
française de 1789, et des attributs de paix, par exemple un faisceau,
symbole de l’unité de la nation. Sa posture se veut calme et apaisante.
En cela, elle se rapproche de Slavia, représentée coiffée de feuilles
de tilleul, arbre fragile qui symbolise la bonté, portant un disque,
symbole de l’équilibre, la science, la plénitude, une épée sur les
genoux. Par contre, Marianne ne ressemble pas à Britannia et Germania
dont les épées sont souvent en mouvement. Germania est souvent coiffée
de feuilles de chêne tressés, symbole de la vigueur.
La représentation de Marianne affirme un style art-nouveau, beaucoup plus
symboliste que les représentations de Germania ou de Britannia plus
figuratives et réalistes.
L’impact
politique.
Marianne fait
l’objet d’une représentation officielle à partir de 1882. En moins
de vingt ans, tous les établissements officiels sont pourvus de son
buste, pour enraciner la République. Les municipalités renforcent cette
politique officielle par des statues qui inaugurent les places de la République,
de la Nation, comme à Paris, en 1899. Marianne apparaît également sur
les timbres. Marianne est la seule figure nationale à être reconnue
officiellement. Elle symbolise la République et ses valeurs de liberté,
d’égalité et de fraternité. La participation de la France aux conquêtes
coloniales ne remet pas en cause le pacifisme de Marianne puisque ces
conquêtes ont officiellement pour but d’apporter les " Lumières "
aux peuples colonisés.
La représentation de Britannia apparaît dans la revue Judy à
partir des années 1840-1850, sous la forme consolatrice, guerrière…
Elle apparaît régulièrement dans la presse durant le XIXème siècle et
le lecteur sait l’identifier. Elle symbolise l’Angleterre impérialiste
et coloniale qui lutte pour assurer la domination de son empire, notamment
en Afrique du Sud. Elle s’affirme lors de la crise " jingo "
en 1878, au moment où les tensions nationalistes secouent l’Angleterre
et durant la guerres des Boers, en 1902. Bien que populaire, cette figure
n’a jamais été rendue officielle car sa représentation concurrence
celle de la dynastie royale. Durant la guerre 1914-1918, Britannia
s’identifiera avec la nation au combat. Les Irlandais, pourtant
britanniques, ne se reconnaissent pas en Britannia.
Germania apparaît vers 1813, au moment où les pays de langue allemande
luttent contre les armées napoléoniennes. Après une éclipse, elle réapparaît
sur le Rhin dans les années 1840. Germania connaît son apogée en 1870,
lors de la guerre contre la France de Napoléon III. Peu à peu, son image
s’efface. Bismarck, chancelier du nouveau Reich, proclamé à Versailles
en janvier 1871, ne s’en sert pas pour intégrer la nation allemande. La
République de Weimar la rejettera et le régime nazi l’utilisera peu.
Les Autrichiens ne se reconnaissent pas en Germania.

Germania, en armes sur les bords du Rhin.
(Gravure allemande, 1870)
Slavia apparaît
dans l’empire autrichien vers 1867. Elle représente la nation tchèque
qui réclame son indépendance au moment où le suffrage universel se généralise
et les revendications nationales s’amplifient en Bohème qui s’estime
victime du compromis de 1867 entre l’Autriche et la Hongrie, lequel
donne son autonomie au nouveau royaume de Hongrie. Slavia est en
concurrence avec Pannonia qui représente la nation hongroise. Lorsque la
Tchécoslovaquie est créée en 1918, Slavia n’est plus utilisée.
Au de-là d’une représentation féminine, il existe une grande variété
de représentation de la Nation. Marianne symbolise la France et cette
représentation de la France est en parfaite adéquation avec la politique
de la Nation. Au contraire, les représentations de Britannia et de
Germania ne correspondent pas à la réalité politique britannique et
allemande. Leur image est en de ça de la réalité de la puissance
britannique et allemande. Slavia, elle, disparaît au moment où la Nation
tchèque se dote enfin d’un système politique qui lui soit propre.