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                                 La redécouverte de la littérature médiévale en France au XIXème siècle

 

La redécouverte
de la littérature médiévale
en France au XIXème siècle.



par
Jean-Marc Goglin

 



 

1. La transmission des textes médiévaux du Moyen Age au XIXème siècle.
2.
Les lieux de redécouverte.
3.
Les publications.

4. L’essor de l’enseignement de la littérature médiévale.

 
 






Il est souvent dit que le XIXème siècle a découvert le Moyen Âge. Il s'agit souvent d'un Moyen Age de fantaisie mis en valeur, notamment, par les écrits des romantiques.

Pourtant, cette période voit aussi la redécouverte réelle de la littérature médiévale. Cette période, antérieure à l'essor de la philologie romane à partir de 1870, est connue sous le nom de " période empirique ".

Cette période voit apparaître les cadres institutionnels et scientifiques nécessaires à la redécouverte et à l’enseignement de ces textes.



          1
. La transmission des textes médiévaux du Moyen Age au XIXème siècle.


La littérature du Moyen Âge n'est jamais tombée dans un oubli complet. Elle s’est transmise par la tradition populaire et l’intérêt que lui ont toujours porté certains érudits. Cependant, les travaux savants sont fragmentaires et très centrés sur le droit et sur l'histoire, plutôt que sur la littérature.
Le XVIII
e siècle, grâce à l'affirmation de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, offre un cadre de travail à des érudits ambitieux comme Camille Falconnet (1671-1762) et surtout Jean-Baptiste Lacurne de Sainte Palaye (1697-1781). Ce dernier dessine les grandes lignes de ce qui formera le programme de redécouverte de la littérature médiévale au cours du XIXème siècle. Son œuvre est riche d'un projet de Glossaire de l'ancienne langue française, de notices de manuscrits médiévaux, d'un corpus très important de transcriptions faites sur les manuscrits français et étrangers et même de quelques éditions de textes. Cependant, il ne fait qu'effleurer le travail de fouilles des collections de manuscrits à la recherche des monuments littéraires oubliés.

Le poids des préjugés négatifs à l'encontre de la littérature médiévale ne se dissipe que lentement.



          2. Les lieux de redécouverte.


L'Académie des Inscriptions reste, pendant la première moitié du XIXème siècle, le principal lieu de redécouvertes des textes médiévaux. Sans être jamais impliquée directement dans des entreprises de réédition systématique de textes médiévaux, elle en favorise la connaissance et la mise en valeur par la mise en place d'une commission pour l'Histoire littéraire de la France destinée à prendre le relais de celle des Bénédictins de Saint-Maur, qui publie dix volumes de 1814 à 1852, et l'organisation de concours sur des sujets d'érudition ainsi que l'attribution de médailles à des ouvrages particulièrement remarquables.

Comme au XVIII
ème siècle, gravitent autour d'elle les érudits qui sont les moteurs de l'exhumation des anciens textes, au premier rang desquels se trouve Paulin Paris, membre de la commission de l'Histoire littéraire de la France, de 1838 à sa mort en 1881.
Malgré ses ambitions, l'Académie n'a pas toujours les moyens humains et matériels de les mettre en œuvre. Son rôle concret en matière de mise en valeur des textes de littérature médiévale reste négligeable, bien que l'Histoire littéraire de la France offre tout au long de la période une bonne synthèse de connaissances qui s'accroissent sur le sujet.

Au cours du XIX
ème siècle, les sociétés savantes se développent. Elles rassemblent, à Paris, mais aussi en province, des érudits, notables et autres curieux à la reconquête de l'histoire à travers la connaissance des vestiges du passé. L’intérêt pour la littérature médiévale n'y est pas négligeable.
De 1800 à 1870, il n'existe pas de société qui se destine spécifiquement à publier des textes littéraires médiévaux, comme le sera en 1873 la Société des anciens textes français. Toutefois, deux sociétés particulières fondent des collections destinées à accueillir des textes inédits. La Société de l'histoire de France, créée en 1834, décide de publier une Collection de documents relatifs à l'histoire de France qui intègre les textes littéraires. Sa démarche éditoriale, rigoureuse mais accessible, diffère des publications de Buchon ou Monmerqué qui se contentent le plus souvent de reprendre les éditions du XVI
ème siècle disponibles ou celles faites par Du Cange au XVIIème siècle.
Les sociétés de bibliophiles se développent également. La plus importante d'entre elles est la Société des bibliophiles français. Celle-ci accueille, dans ses Mélanges, l'édition princeps de plusieurs jeux d'Adam de la Halle et de Jean Bodel. Son président, Jérôme Pichon, publie la première édition du Ménagier de Paris en 1846. Sur son modèle, la Société des bibliophiles de Reims apporte, elle aussi, de 1843 à 1845, sa modeste contribution à la publication d'œuvres littéraires médiévales inédites.

Le Comité des travaux historiques et scientifiques, créé par François Guizot en 1834, joue également un grand rôle dans la publication de textes littéraires médiévaux, mais aussi dans l'émergence de la philologie comme champ d'étude à part entière. La Collection des Documents inédits de l’Histoire de France peine à accueillir des textes littéraires du Moyen Age peine durant toute la période allant de 1835 à 1858. Les textes publiés sont majoritairement documentaires. Pourtant, des sections spécifiques existent mais elles manquent et d'objectifs bien définis et de méthodes de travail. Ces défauts s'atténuent progressivement, alors que progresse le nombre d'éditions de textes dans toute l'Europe. En 1853, le Comité diffuse des instructions de Victor Leclerc qui peuvent être considérées comme un véritable discours de la méthode philologique naissante, à la fois bilan de la période précédente et pierre d'attente pour les travaux à venir.
L’action du Comité est surtout importante par la sensibilisation de ses correspondants à la recherche de textes littéraires médiévaux inédits dans les bibliothèques de leurs départements ou encore par l'envoi de nombreuses missions à l'étranger à la découverte de nouveaux textes.



          3. Les publications.


Lentement, dans une succession de textes officiels, se dessine la nécessité de conserver et décrire les collections de manuscrits tombées sous la responsabilité publique après la Révolution.

En 1840 est décidée la publication du Catalogue des manuscrits des bibliothèques de France. L'entreprise est lente, et longtemps trop incomplète pour servir aux éditeurs de textes. Une place à part est consacrée à l'initiative quasi privée de Paulin Paris d'un Catalogue des manuscrits françois de la bibliothèque royale, qui rencontre de nombreuses difficultés à obtenir le soutien des autorités. Ce catalogue paraît en sept volumes de 1832 à 1847 et décrit de manière raisonnée neuf cent quatre-vingt-treize manuscrits. Il propose de larges extraits des textes littéraires médiévaux les plus intéressants et constitue la première vitrine des richesses littéraires conservées à la Bibliothèque nationale.
D'autres instruments nécessaires à une meilleure connaissance des textes médiévaux inédits sont créés : manuels de paléographie comme celui de Natalys de Wailly, paru en 1838, glossaires, grammaires, histoires littéraires et premières traductions.

De 1800 à 1870, plus de quatre cents textes médiévaux sont portés à la connaissance du public.

La période 1800-1830 est un moment de préparation, avant que des institutions gouvernementales ou d'enseignement ne viennent appuyer la recherche. Les érudits tels, Barbazan, Roquefort, Méon, Pluquet, Crapelet, Robert, Raynouard, abbé de la Rue, sont des empiriques. De 1803 à 1829, quarante-trois éditions de textes médiévaux voient le jour. Parmi ces publications, quinze sont des éditions princeps faites sur des manuscrits.
La période 1830-1845 est la plus féconde. Le champ des découvertes encore à accomplir est immense. Par rapport à la période précédente, il se publie environ quatre fois plus de textes du Moyen Âge, sans tenir compte de la multitude d'opuscules de quelques pages, en fac-similé lithographique ou imprimés en caractères gothiques à destination des bibliophiles et destinés à être rassemblés en recueils. Le Roland d'Oxford est ainsi publié pour la première fois en 1837, le Roman de Berte aus grans piés en 1832, ainsi que de nombreuses autres œuvres majeures.
La troisième période, allant de 1845 à 1870, voit la mise en place d'une production plus organisée mais moins foisonnante, menée par les protagonistes vieillissants de la période précédente. On compte quatre-vingt-quinze publications, pour les trois quarts d'entre elles, dans le cadre de collections suivies et seulement vingt-cinq textes complètement inédits : la Bibliothèque elzévirienne de Pierre Jannet qui se destine à publier des “ classiques ” de la littérature française et fait la part belle aux textes médiévaux ; la Collection des poètes champenois antérieurs au XVI
ème siècle de Prosper Tarbé, la Collection des poètes français du Moyen Âge publiée par les soins de M.-C. Hippeau. Le cas de la Collection des anciens poètes français, collection conduite par François Guessard sous les auspices du ministère de l'Instruction publique, est un bon exemple d'un projet ambitieux venu un peu trop tôt, avant que le tissu institutionnel et intellectuel ne soit re-dynamisé par l'apport de nouvelles personnalités.
Pour l'ensemble de la période, les tirages sont faibles et en moyenne inférieurs à 500 exemplaires, les prix élevés, ce qui explique en partie la faible diffusion de ces textes. Cette situation économique peut être aussi le fruit d'une stratégie bibliophilique, très importante de 1830 à 1845, qui voit une floraison d'opuscule en fac-similé gothique de textes manuscrits inédits ou d'éditions incunables. Objets d'érudition ou de curiosité, les textes médiévaux ne sont assurément pas des objets d'une activité éditoriale rentable.



          4. L’essor de l’enseignement de la littérature médiévale.


Entre 1810 et 1860, la littérature médiévale ne s'impose jamais comme un contenu à destination du public scolaire. Elle n’est au mieux qu'une annexe de l'histoire. Seuls quelques chroniqueurs comme Froissart et Joinville apparaissent après 1860 sous la forme de lectures prescrites, destinées à illustrer les leçons d'histoire nationale.
La reconnaissance universitaire de la discipline n'est guère plus brillante. La philologie romane n’est pas reconnue. L’étude de l'ancienne littérature reste marquée d'exotisme.

C'est en marge de l'Université que s'impose la littérature française médiévale comme matière à part entière. A l'instigation de Paulin Paris, qui en réclame la création depuis les années 1830, H. Fortoul crée une chaire de " Langue et littérature française au Moyen Âge ", le 11 janvier 1853, au Collège de France. Paulin Paris en est le premier titulaire.
L'établissement le plus spécifique pour l'enseignement de l'ancienne littérature va être l'École des chartes. D’abord considérée par Champollion comme une science auxiliaire de l'Histoire, la littérature médiévale devient un objet d'étude à part entière sous l'impulsion de François Guessard. C’est l’Ecole des Chartes qui forme la nouvelle génération de philologie.


La première moitié du XIX
ème siècle voit la redécouverte de la littérature médiévale. Si cette redécouverte est d’abord empirique, les outils permettant de mettre aux mieux en valeur ces textes se forgent. La littérature médiévale peut alors être enseignée comme une matière à part entière.