Introduction.
La première Guerre
Mondiale ou la fin d'un monde. Avec l'été 1914, s'achève le
siècle, le XIXème siècle, et les historiens s'interrogent encore
au sujet de ce moment particulier qui a vu le continent
s'embraser.
Car cette question
est
loin d’être négligeable.
On peut
légitimement se demander ce qui a pu pousser à l’affrontement
les principales puissances européennes et mondiales ? Celles-ci
se connaissent, savent les risques encourus, c’est-à-dire jeter
des millions d’Hommes face à face sur les champs de bataille.
Elle est aussi
fondamentale.
Ainsi, en 1919, au
terme du conflit, les Alliés, vainqueurs, ont affirmé la
responsabilité de l’Allemagne de Guillaume II dans le
déclenchement de la guerre. L’article 231 du Traité de
Versailles dit ainsi : " L’Allemagne reconnaît qu’elle et ses
alliés sont responsables de toutes les pertes et de tous les
dommages subis par les gouvernements alliés ".
De fait,
l’Allemagne est déclarée coupable de la catastrophe, ceci
justifiant le paiement d’énormes indemnités de guerre, à la
France notamment, le démantèlement de sa force militaire, la
cession de ses brevets industriels... Ici, la question des
responsabilités dans le déclenchement du conflit est
instrumentalisée.
Enfin, l’entrée en guerre des puissances européennes s’est
décidée en l’espace d’un long mois de tractations et d’annonces
entre États, en quelques semaines d’un drame diplomatique.
Celle-ci a surpris les contemporains. A t-elle point que la
question de savoir qui sont les responsables du déclenchement du
conflit a pu paraître obscure.
Il est commode de distinguer :
. des causes globales, l’époque en elle-même et ses enjeux,
autrement dit les rivalités européennes.
. de la chronologie du déclenchement du conflit.
1. Un
contexte de grande tension internationale.
Les puissances
européennes sont en lutte à cette époque au sujet des quelques
territoires, africains notamment, qui demeurent encore à
coloniser. Ici, la première Guerre mondiale rejoint un des
autres grands phénomènes de l’histoire contemporaine : la
colonisation.
L'Affaire de Fachoda
(1898).
Dans ce domaine, et concernant la France, l’antagonisme
franco-anglais, s’est éteint et a laissé place à la fin du
XIXème siècle à un profond différent franco-allemand.
La France et la Grande-Bretagne ont des ambitions contraires qui
nourrissent un très fort antagonisme. Depuis qu’elle occupe
l’Égypte, en 1882, l’Angleterre rêve de constituer à son profit
un axe Nord - Sud Le Caire - Le Cap. De son côté, la France veut
relier ses possessions de Dakar, en Afrique occidentale, avec
Djibouti, sur les bords de l'Océan indien, suivant un axe Ouest
- Est. En 1898, la crise de Fachoda, une ville située sur le
Haut-Nil, constituera un paroxysme dans cette lutte impérialiste
des deux puissances colonisatrices.
En 1896, la France
décide d’envoyer de nouveau une mission d’exploration en
Afrique. Baptisée " Congo - Nil ", celle-ci est placée sous les
ordres du capitaine Jean-Baptiste Marchand. L'objectif du
gouvernement français est double : se porter avant les
Britanniques sur le Haut-Nil (l'actuel Soudan) depuis les
territoires d’Afrique occidentale sous contrôle français afin
d'y implanter un nouveau protectorat, mais aussi contester
l’hégémonie britannique sur le fleuve et contraindre le
gouvernement de Lord Salisbury à rouvrir les négociations à
propos de l'Egypte, du contrôle du canal de Suez notamment.
Pour réaliser ce périple, d'Est en Ouest à travers l'Afrique, le
capitaine Marchand est accompagné de huit autres officiers et
sous-officiers, d'environ deux cent cinquante tirailleurs
sénégalais et de plusieurs milliers de porteurs. Il lui faut
également se charger de plus de six cents tonnes de matériel,
dont des kilomètres de textile et seize tonnes de perles
vénitiennes afin de séduire les chefs africains ... Partie le 24
juillet 1896 de Loango, un poste français sur le littoral
atlantique, au nord de l’estuaire du fleuve Congo, l’expédition
remonte le grand fleuve, puis le Bahr-el-Ghazal avant de
parvenir sur le Nil.
Après avoir parcouru le continent africain sur plus de 5.500
kilomètres, la Mission " Congo - Nil est à Fachoda, le 10
juillet 1898. Précisons que cette ville du Soudan se nomme
aujourd’hui Kodok et est située sur la rive droite du Nil Blanc,
à huit cent km au Sud de la capitale Khartoum.
Trois mois après le capitaine Marchand, le 18
septembre 1898, une armée anglo-égyptienne de trois mille hommes
de troupe commandée par Lord Kitchener - et sest 3.200 hommes de
troupe, ses 20 canonnières - parvient à Fachoda, après avoir
remonté le Nil. Celui-ci ne compte pas laisser des " Européens
quelconques " lui interdire de contrôler le cours du fleuve, de
son delta jusqu’à ses sources ... Après quelques négociations,
les Britanniques établissent un blocus autour de la place de
Fachoda et la crise, de locale, devient très vite
internationale. Les relations entre la France et le Royaume-Uni
se tendent à un point qui fait craindre, l’espace d’un instant,
qu’une guerre est possible. Après l’ultimatum anglais cependant,
Théophile Delcassé, nouvellement nommé au Quai d'Orsay, donne
l’ordre à l’officier français de se retirer, le 4 novembre
suivant.
A cette occasion, la France recule. Pourtant l’habile
négociateur qu'est Théophile Delcassé, ministre des Affaires
étrangères, transforme cette renonciation sans gloire en succès
diplomatique. La crise de Fachoda permet en effet de réconcilier
les deux puissances coloniales, puisqu’un accord est conclu dès
le 21 mars 1899 qui fait disparaître les points de friction sur
le continent africain. Celui-ci offre la totalité du bassin du
Nil à l'Angleterre, qui renonce en échange à ses ambitions
marocaines. Sont alors jetés les prémices d'une " Entente
cordiale " entre les deux nations. Celle-ci se concrétise le 8
avril 1904 sous le ministère que dirige Émile Combes.
Les deux crises
marocaines (1905 -1911) et le contentieux franco-allemand.
Depuis le début du XXème siècle, l'affrontement entre la France
et l'Allemagne à propos du Maroc conduit à une multiplication
des incidents diplomatiques. Cette dernière, au nom de la
Weltpolitik initiée par son empereur Guillaume II, souhaite
prendre pied au Maghreb, qui est également un objectif français
depuis Fachoda.
Ainsi, au mois de novembre 1904, la France accorde un prêt
énorme au sultan, ce qui équivaut à une mise sous tutelle de ses
finances. 1905 : Guillaume II, l’empereur allemand, effectue une
visite au Maroc et y affirme son indépendance. 1906 : pour
dénouer la crise, une conférence est réunie à Algésiras en
Espagne. L’entente franco-anglaise fonctionne, l’Allemagne est
isolée et l’Empereur cède. Le 1er juillet 1911, une canonnière
allemande, la Panther, est envoyée au large du Maroc, pour
tenter de s'opposer au coup de force français. A cette époque,
des troupes françaises occupent des territoires marocains pour
résoudre notamment des problèmes frontaliers - d’avec l’Algérie.
Le 4 novembre
suivant, un accord de troc entre les deux puissances rivales est
signé : l’Allemagne accepte de se désintéresser de l’Afrique du
Nord en échange de la concession d’une part importante du Congo,
entre le Cameroun et les possessions belges. L’incident d’Agadir
se révèle ainsi favorable à la France. Mais cette fois-ci, en
France, les autorités décident le rappel des réservistes, la GB
met sa flotte en alerte. Si l’Allemagne recule de nouveau à la
suite de longues tractations, on sait que le recours à la guerre
pour régler un éventuel contentieux entre états européens est
possible.
Hors, au-delà des affaires marocaines, il existe bien un
contentieux – ancien en 1914 – entre la France et l’Allemagne :
la question de l’annexion par cette dernière de
l’Alsace-Lorraine. Celle-ci remonte en effet à 1871 et au traité
de Francfort, à la défaite française face aux armées allemandes.
A cette occasion d’ailleurs, autour du chancelier prussien
Bismarck – qui est à l’origine du déclenchement du conflit – et
de son roi Guillaume Ier est proclamé l’Empire allemand. Hors
celui-ci repose sur l’idée de communauté allemande, de peuple
allemand, de nation allemande, dont le fondement est ethnique.
Est Allemand celui qui parle allemand. En ce sens,
l’Alsace-Lorraine est proclamée Terre d’Empire et annexée en
1871.
L’annexion entretient l’esprit de Revanche chez les Français. A
la défaite et à l’occupation du territoire français par les
armées ennemis, pendant le conflit – assez court – mais aussi
jusqu’en 1873, s’ajoute l’humiliation, ce sentiment que la
France est amputée de ces régions de l’Est qui sont siennes. Le
souvenir doit en demeurer d’ailleurs. Et l’historien décrit
souvent cette image de l’instituteur dans sa salle de classe qui
montre à ses élèves sur une carte murale les provinces perdues
coloriées en noir. C’est aussi Georges Clemenceau qui en 1885
accuse le président du Conseil Jules Ferry de détourner le
regard des Français de " la ligne bleue des Vosges " - donc de
l’Alsace-Lorraine et de la Revanche – avec sa politique
coloniale, cette expédition militaire au Tonkin. Ce désir de
Revanche entretient d’ailleurs chez les Français dans le culte
de l’armée en cette fin de XIXème siècle. C’est l’Arche sainte,
l’instrument de la Revanche.
Ce désir, cette passion nationaliste est un des traits
fédérateurs du nationalisme français sous la troisième
République. On peut néanmoins s’interroger sur ce désir de
laver l’affront de 1871 et de récupérer les provinces perdues.
S'il est bien présent au cours des deux premières décennies qui
suivent le conflit, la génération de ceux qui y ont participé -
songeons à Paul Déroulède - tend à disparaître avec le nouveau
siècle. Les Français sont clairement patriotes et le montrent
chaque année, où le 14 juillet est l’occasion de grands
rassemblements populaires. Mais est-on encore prêt, quarante
années plus tard, à mourir pour l’Alsace-Lorraine ?
L’historien là ne
peut que faire des conjonctures en multipliant les signes, par
exemple ces documents issus du Petit Journal et qui
courent sur une vingtaine d'années, car le sondage d’opinion
n’existe pas encore. Ceux-ci montrent l'hostilité des
Alsaciens-Lorrains à l'annexion, l'amour de la France qui
demeure chez eux, l'oppression qu'ils subissent de la part des
autorités allemande...
2. Le nationalisme et la guerre
prochaine.
L’opinion justement. Car, au cours
de ces années, à chaque événement qui concerne la vie de la
nation, il faut compter avec l’opinion publique, avec l’ensemble
des Français. Et ceux-ci sont nationalistes.
Les opinions publiques sont nationalistes.
Il faut d'ailleurs, avant d'en
venir proprement au nationalisme des Français de la Belle
Epoque, différencier cette passion nationale du patriotisme.
Car celui-ci est un noble sentiment, le fait d'aimer sa patrie,
la terre de ses ancêtres, la France ou tout simplement son
clocher. C'est ce que l'on enseigne aux petits Français à
l'école primaire, devenue obligatoire aux débuts des années 1880
avec les lois Ferry. Ce sentiment s'incarne dans l'histoire de
France, ses héros, dont on entend le récit des hauts faits, dans
le régime politique si généreux et si bénéfique pour tous, la
République. Il se montre également chaque année, le 14 juillet,
devenu " fête nationale " en 1880, à l'heure où rententit la
Marseillaise, ce chant qui signifie liberté jusqu'à l'autre bout
de la Terre...
Mais en ces décennies qui vont clore le siècle des révolutions,
ce patriotisme se teinte bien volontiers de nationalisme,
autrement dit d'un appétit, d'une exaltation de la puissance
nationale. Comme nous le montre Le Petit Journal, aimer son
pays, c'est aussi, en 1900, être prêt à le défendre contre les
agressions extérieures, celles de l'Allemagne de Guillaume II,
l'empereur belliciste. En 1870, déjà, la France avait dû faire
face à l'agression allemande et l'année suivante, à cette
monstruosité, l'annexion de l'Alsace-Lorraine. En ces années
d'ailleurs, les rivalités internationales autour des derniers
territoires à coloniser, africains notamment, exacerbe ce
sentiment national.
Le 16
mai 1899, presque trois ans après avoir quitté la côte
atlantique, l'expédition Marchand atteint, après Fachoda et le
Haut-Nil, le second objectif qui lui a été assigné, l’Océan
Indien, réalisant ainsi la grande traversée Ouest-Est de
l’Afrique. Quelques mois plus tard, le commandant Marchand
reçoit un accueil triomphal à son débarquement à Toulon.
A Paris, il
est un nouveau héros national, son cortège étant suivi d’une
foule qui le porte à travers la capitale jusque sous l’Arc de
Triomphe. Son effigie s’achète sur des gravures, vignettes,
cartes postales, assiettes…
Et le début du siècle suivant est fait de ces événements
fédérateurs pour le nationalisme, les deux crises marocaines
notamment. Car c’est aussi l’âge d’or de la presse. On connaît
les « Supplément illustrés » du Petit Journal qui tire à
plus de 2 millions d’exemplaires. C’est l’occasion pour ces
journaux populaires de montrer les événements et de stigmatiser
l’odieux Guillaume.
Venons en à l’Angleterre et à l’Allemagne à présent. Car elle
aussi connaît le nationalisme, qui s’inscrit chez les Anglais
dans le passé glorieux de la monarchie, la personne de Victoria,
l’Empire, la Royal Navy, la puissance économique. Hors, en ce
début du XXème siècle, et après des décennies de domination
absolue, l’Angleterre , « l’atelier du monde » subit de plus en
plus la concurrence de l’Allemagne de Guillaume II. Celle-ci est
dans les années 1890
la puissance
montante sur le
continent européen. Sa population a connu une forte croissance
en ces dernières décennies. Avec ses 60 millions d’habitants,
elle dépasse et de loin à présent les 40 millions d’Anglais ou
de Français. Ses firmes géantes dans les domaines de la chimie,
de l’électricité ou de la mécanique concurrencent à présent les
fleurons de l’industrie britannique.
L’Empereur allemand tire d’ailleurs bientôt les enseignements de
cette nouvelle place de l’Allemagne dans le monde en développant
une nouvelle politique de grandeur nationale : la Weltpolitik.
Son credo l’Allemagne doit avoir " sa place au soleil " aux
cotés des puissances coloniales : France et Angleterre.
Là aussi, les
Allemands sont nationalistes.
Celui-ci prend également la
forme de l'impérialisme, le pangermanisme qui est un des
soutiens dans l’opinion allemande des ambitions nouvelles de
l’empereur Guillaume II, sa Weltpolitik, sa politique mondiale.
Déjà dans les géographes allemands développent le concept
d’espace vital, de Mitteleuropa – une Europe centrale dominée
par l’Allemagne et son allié autrichien. Ces projets et autres
ambitions s’affichent au grand jour et sont même porté par des
ligues très influentes - aujourd’hui on dirait des groupes de
pression, des lobbies – comme la Ligue pangermaniste (20.000
adhérents), la Société coloniale (42.000), la Ligue navale
(1.300.000), la Ligue militaire (1.500.000). Cette forme de
nationalisme est donc un phénomène de masse dans l’Allemagne du
début du XXème siècle.
Ajoutons que cette politique nouvelle s'illustre notamment au
Maroc pour lequel France et Allemagne sont en lutte, ce qui
multiplie le risque du déclenchement d'un conflit. Politique
nouvelle, risque de guerre... Il faut donc s'armer
La
" course aux armements ".
Voyons le cas allemand. En
Allemagne, Guillaume II succède au pouvoir à son père, mais
surtout au chancelier Bismarck en 1890. Ce dernier, après avoir
réalisé son objectif de l’unification allemande a cherché sur le
plan diplomatique a isolé la France. Pour cela, il multiplie les
alliances en Europe. Sa politique est donc essentiellement
continentale. Guillaume II lui a d’autres ambitions. Avec lui,
l’Allemagne a à présent des intérêts en Turquie, au delà donc de
l’Europe ce qui nécessite l’entretien d’une marine de guerre.
Avec l’Amiral Tirpiz, il développe le projet d’une Kriegsmarine
en 1898 : 36 cuirassés et 38 croiseurs doivent être lancés en 16
ans. Les dépenses d’armement explosent et en Angleterre, où la
marine de guerre est un des attributs de la souveraineté –
souvenons nous des guerres napoléoniennes et de Trafalgar – on
s’inquiète. D’ailleurs chaque lancement nouveau de ces navires
de guerre, les cuirassés, ces nouveaux rois des mers,
est en Allemagne un événement.
En France, après
l'affaire Dreyfus, l'affaire des Fiches et les différentes
expéditions jalonnant la pénétration française sur les
continents africains et asiatiques, la chose militaire revient
sur le devant de la scène politique. Les crises marocaines - de
1905 et 1911 - signalent en effet aux dirigeants au pouvoir
qu'un conflit ouvert avec l'Allemagne de l'Empereur Guillaume
II, est de nouveau possible. Le désir de réintégrer à la Nation
les provinces d'Alsace-Lorraine perdues en 1871 rend la guerre
inévitable et entretient
les Français dans le culte de
l’armée. C’est l’Arche sainte, l’instrument de la Revanche.
Ceci justifie la course aux armements, autrement dit un effort
financier conséquent pour mettre l'outil militaire à un haut
niveau de technicité et d'équipement. L'état-major lui-même
entreprend un grand effort de réflexion stratégique, tandis que
le service militaire universel lui permet d'envisager " un rôle
social " pour l'officier.
En 1913, à l’Assemblée nationale, les parlementaires débattent
de nouveau à son propos au sujet de la " loi des 3 ans ",
autrement dit le passage du service national - qui est
obligatoire pour tous les Français au lendemain de la défaite de
1871 depuis les lois de 1872 et 1875 - d'une durée de deux à
trois ans. Cette nouvelle disposition, voulue par le général
Joffre, alors chef d’état major des armées, s’explique par une
logique comptable et un raisonnement évident aux yeux de
beaucoup de ses contemporains. L’ennemi futur est allemand, il
est plus nombreux et pour pouvoir lui résister il faut aligner
un nombre suffisant de fantassins rapidement, autrement dit
compter dans un premier temps sur les conscrits qui sont en
casernes. Et si le service militaire de ces derniers dure
davantage – une année supplémentaire - , leur nombre total sera
suffisant à résister au premier choc de l’invasion ennemi.
Puisqu’il il y a risque de guerre, et les opinions publiques
aussi bien que les hommes au pouvoir en sont convaincus, on
s’arme et on se prépare en créant également des alliances
militaires.
Les systèmes d’alliance en Europe.
La Triplice est la plus ancienne.
Elle est l’œuvre du chancelier prussien Otto von
Bismarck. Ce dernier
est le grand homme politique dans l'Europe du second XIXème
siècle. Son œuvre principale : l'unité allemande. Par quel
moyen : " par le fer et par le sang ". A quel prix : au
détriment de l'Autriche-Hongrie et de la France du Second
Empire, et avec l'annexion de l'Alsace-Lorraine. Désormais les
Français ont la haine de l'Allemand, le souvenir de ces
provinces perdues les hantent et leur horizon doit être celui de
la " ligne bleue des Vosges ". Aussi le chancelier allemand
cherche sur le plan diplomatique à isoler la France de la
Troisième République. En 1879, sous son impulsion, un premier
rapprochement a lieu entre l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie.
Treize années seulement après Sadowa ! En 1881, les Français
ayant pris pied en Tunisie, l'Italie demande son intégration
dans l'association germano-autrichienne. Le 20 mai, un accord
tripartite, la Triplice ou Triple Alliance, voit donc le jour.
En France, les manœuvres diplomatiques italiennes sont vécues
comme une trahison, comme nous le montre cette une du Supplément
illustré du Petit Journal. Comment oublier Magenta et Solferino,
le sang versé par les soldats français pour le peuple italien et
son unité !
Fort heureusement pour la
diplomatie française, le système bismarckien s'effrite dans la
décennie suivante, avec l'alliance militaire franco-russe. Le 27
août 1891, une convention militaire secrète est signée entre la
France et la Russie. Après le lancement du premier emprunt russe
sur la place de Paris, au mois de décembre 1888, la Troisième
République choisit de se rapprocher du tsar Alexandre III, un
autocrate ! Ce choix diplomatique contre-nature est dicté par
les impératifs de la politique internationale. La France,
esseulée par l'action énergique du chancelier allemand Bismarck,
se cherche un allié. Ce sera la Russie et cet accord,
officialisé le 27 décembre 1893, après que la flotte russe ait
séjournée dans la rade de Toulon, suscite l'enthousiasme de
l'opinion publique. La détestation de l'Allemagne et de
l'Angleterre avant tout !
Français et Anglais. En cette fin de siècle, l'antagonisme
demeure, alors que l'opinion publique en France vient de
soutenir les Boers pendant la guerre en Afrique du Sud (1899 -
1902). La crise de Fachoda cependant permet de réconcilier les
deux grandes puissances coloniales, puisqu’un accord est conclu
dès le 21 mars 1899 qui fait disparaître les points de friction
sur le continent africain. Théophile Delcassé, alors ministre des
Affaires étrangères, donne l’ordre à l’officier français de se
retirer. En France, cette reculade choque l'opinion, gagnée au
nationalisme. Pourtant l’habile négociateur transforme ce départ
sans gloire en succès diplomatique. Sont alors jetés les
prémices d'une " Entente cordiale " entre les deux nations.
Celle-ci se concrétise le 8 avril 1904 sous le ministère que
dirige Émile Combes, lorsqu'un accord signé à Londres par le
secrétaire au Foreign Office, Lord Lansdowne, et l'ambassadeur
de France, Paul Cambon. Celui-ci a pour objectif de rompre
l’isolement de la France et de bouleverser l’équilibre européen
au détriment de l’Allemagne. L'initiative en revient au roi
d'Angleterre, Edouard VII, qui se décide à entreprendre un
voyage officiel à Paris. En ce mois de mai 1903, le souverain
réussit le tour de force de séduire les Parisiens et, bientôt,
la France entière. Cette visite précède de quelques mois le
traité diplomatique qui rompt avec des décennies, voire deux
siècles, de guerres, de brouilles, d'inimitié
franco-britannique.
Avec le nouveau siècle, se crée
donc un autre système d'alliances en Europe, concurrent de celui
qui lie l'Allemagne et l'Autriche à l'Italie.
Sur
le plan stratégique, l’œuvre de Théophile Delcassé oblige même
le haut état major allemand a élaboré un nouveau plan militaire
entre 1898 et 1905, l’œuvre de von Schlieffen, qui prend acte de
cette nouvelle donne diplomatique de l'Europe. Contrainte de
combattre sur deux fronts, l’Allemagne choisit en conséquence de
faire porter tous les efforts sur une rapide victoire à l'ouest.
Ce n'est qu'une fois la France vaincue qu'elle prévoit de se
retourner contre la Russie, dont la mobilisation sera
nécessairement plus lente. Ce plan pour être appliqué obligerai
cependant l’Allemagne de Guillaume II à l’initiative. Ajoutons
que dans le Reich, la psychose de l’encerclement est très
présente. Le contexte est on le voit donc pour toute ces raisons
explosif. La rivalité est bien présente entre les peuples
européens, qu’exacerbent leur nationalisme respectif. Et 1914
ressemble fort à une veillée d’armes. Pourtant, s’il y a risque
de guerre, il faut aussi bien se garder de la croire comme à
cette époque comme inévitable. Plus tard en effet, au sortir de
la seconde Guerre mondiale, Russes et Américains vont aussi
s’armer, créer des alliances militaires, diviser le monde en
deux camps. Pourtant ce conflit inévitable les opposants
directement n’aura pas lieu.
3. Le
déclenchement du conflit.
Guerre et impérialisme.
A partir de 1908, le continent
européen connaît deux guerres en cinq ans, dans les Balkans.
Cette région du Sud de l’Europe s’embrase du fait de
l’affaiblissement de l’Empire ottoman. Celui-ci est ébranlé par
la révolution des Jeunes-Turcs en 1908 et son voisin autrichien
en profite pour mettre la main sur la Bosnie voisine.
Les Etats balkaniques croient également le
moment venu de chasser définitivement les Ottomans de la
péninsule. Une Ligue les rassemble en 1912 et la Turquie, dont
les troupes sont décimées par le choléra, doit céder face à la
Grèce, la Serbie, la Roumanie et la Bulgarie coalisées. Ces
alliés de circonstance se déchirent ensuite, l’année suivante,
se liguant contre la Bulgarie. Ces conflits sont
localisés et ne durent que quelques semaines, mais il révèle des
ambitions territoriales et nationalistes.
L’instabilité chronique de la région en effet
nourrit l’impérialisme des grandes puissances européennes, leur
désir d’étendre leurs zones d’influence respectives. Depuis
longtemps, la Russie nourrit des ambitions face à l’Empire
ottoman. Déjà de 1854 à 1856, France et Angleterre s’étaient
alliés afin de limiter l’avancée russe en Crimée. La Russie n’a
plus alors qu’à regarder vers l’Asie pour trouver un terrain
d’expansion. Mais celui-ci se referme en 1905, suite à sa
défaite face au Japon. Dans les Balkans, elle trouve un allié de
poids en la Serbie, qui a l’ambition d’unifier les Slaves du
Sud. Le nationalisme serbe se teinte donc d’une volonté
impérialiste, le panserbisme. Et il rejoint le panslavisme
russe, l’appui du Tzar à ces mêmes Slaves du Sud. Les puissances
centrales – Autriche-Hongrie et Allemagne – cultivent également
des ambitions dans la région. L’Autriche-Hongrie qui annexe la
Bosnie, mais aussi l’Allemagne qui a des intérêts dans l’Empire
ottoman. Ce pangermanisme est un des soutiens dans l’opinion
allemande des ambitions nouvelles de l’empereur Guillaume II, sa
Weltpolitik, sa politique mondiale.
Pour les hommes de ce temps, la guerre n’est pas seulement un
horizon plus ou moins proches, elle est véritablement présente
au quotidien, dans l’actualité que diffuse la presse,
elle nourrit les réflexions, orientent la pensée
des hommes politiques. Autrement dit, ces guerres
balkaniques pèseront d'un poids très lourd dansles choix
diplomatiques des uns et des autres au cours de l'été 1914. Loin
d'être un événement localisé, elles sont l'histoire européenne.
La guerre présente
et récurrente nourrit les réflexions, orientent la pensée des
hommes politiques. Ainsi chez l’empereur d’Allemagne Guillaume
II. Déjà chez son prédécesseur à la tête de l’Allemagne, le
chancelier Bismarck, la guerre était un élément, une possibilité
d’action. Il avait fait sienne la maxime du théoricien
Clausewitz : " la guerre n’est que la continuation de la
politique par d’autres moyens ". C’est ainsi que Bismarck
réalise l’unité allemande " par le fer et par le sang ".
L’entourage de l’empereur Guillaume II, la cour, est largement
militarisé. C’est le milieu des officiers prussiens, garant de
la solidité de l’Empire, tout auréolé de ses succès décisifs du
milieu du XIXème siècle et qui ont forgé l’unité allemande face
à l’Autriche et à la France. Pour l’Empereur, la guerre, un
conflit localisé dans les Balkans notamment, peut être une
solution, peut permettre de résoudre les problèmes territoriaux.
Après tout, le plus fort l’emporte et fait taire les autres.
C’est une forme de darwinisme appliqué aux relations entre les
Etats et popularisé à cette époque par l’ouvrage du général von
Bernhardi. Publié en 1912, L’Allemagne et la prochaine guerre
est d’ailleurs un grand succès d’édition.
Un certain 28 juin 1914, à Sarajevo.
L'événement déclencheur va venir
de cette région des Balkans. Le 28 juin, en visite en Bosnie
annexée, l’héritier du trône d’Autriche, François Ferdinand, est
assassiné.
La coupable, un nationaliste serbe
de Bosnie. Les autorités autrichiennes soupçonnent immédiatement
la Serbie voisine, l’Allemagne de son coté apporte son soutien à
son seul allié. A Berlin, on conseille en effet
à la couronne d’Autriche la fermeté. Si l’on sait qu’il y a
risque de guerre, on le pense limité. C’est la politique dite
« du risque calculé » défini avec son chancelier Bethman-Ollweg.
Car on ne croit pas à un soutien inconditionnel de la Russie.
D’ailleurs l’Autriche pourrait profiter de l’occasion pour
éliminer la Serbie en tant que puissance dans les Balkans.
Du 6 au 25 juillet, l’empereur allemand est à bord de son yacht,
en croisière sur la mer Baltique. A Berlin, von Moltke, son chef
d’état-major lui multiplie les télégrammes de soutien en
direction de Vienne. Le 23 juillet, l’Autriche adresse un
ultimatum à la Serbie, avant le 25 de mobiliser ses troupes à la
frontière. Le même jour, la Serbie fait savoir qu’un des 10
points du texte autrichien est inacceptable, soit l’ingérence de
la police autrichienne dans l’enquête serbe sur l’assassinat de
Sarajevo. De son coté, l’Angleterre multiplie ses propositions
de médiations, 3 du 25 au 27 juillet, une chaque jour jusqu’à la
déclaration de guerre de l’Autriche à la Serbie, le 28 juillet.
Le mécanisme des alliances se met en marche et aucun chef d’état
ne l’arrêtera. La Russie, assuré du soutien français, mobilise
ses troupes sur la frontière occidentale le 29 juillet. Deux
jours plus tard, l’Allemagne, qui doit prendre l’initiative
suivant le plan Schlieffen de campagne, déclare la guerre à la
Russie le 1er août, puis à la France le 3 août. La veille, les
troupes allemandes pénètrent en Belgique neutre. Dès lors, le
Royaume-Uni entre aussi en guerre. Le bellicisme autrichien et
allemand peut donc être sans conteste mis en cause. Dans ces 2
pays, on pense d’ailleurs la guerre inévitable. Au cours de cet
été 1914, il faut également faire vite et profiter de la
situation suivant une logique toute militaire. C’est faire
preuve d’aveuglement et sous-estimer la force de l’alliance
franco-russe.
En France...
En France, au cours de ce bel été
14, la déclaration de guerre sonne comme un coup de tonnerre.
" C’était la
peine moisson. Quand on a entendu les cloches sonner, on s’est
demandé pourquoi elle sonnaient comme ça. C’est le garde
champêtre qui nous a annoncé la nouvelle. Ils disait à tous ceux
qu’il croisait : C’est la guerre, c’est la guerre ! Vraiment ça
n’avait pas l’air vrai, le mot lui-même ne semblait pas réel…
Ce n’est que le lendemain, ou le surlendemain,
que la guerre a commencé a montré son vrai visage. Quand les
ordres de mobilisation générale et les feuilles de route sont
arrivés dans les familles, les gens ont commencé à se rendre
compte que la guerre était bien réelle. Tous les hommes valides
recevaient leur feuille, la guerre c’était d’abord cela, la
séparation. Il y en avait qui prenait cela à la rigolade : « Ca
va nous faire des vacances en plein été ». Mais il y avait les
autres, les inquiets qui voyaient tout en noir. Pour ceux-là, la
guerre, ou tout simplement s’en aller en quittant les moissons,
c’était la fin de tout. Finalement, ils sont tous partis. En
l’espace d’une semaine, le village a changé du tout au tout. Il
n’y avait plus un homme entre vingt et trente ans, ils étaient
tous à la guerre.
Emilie Carles,
Une Soupe aux herbes sauvages, 1977.
C’est
donc la surprise dans les campagnes où l’on pense aux moissons,
aux vendanges ; pour l’opinion publique qui suit les péripéties
de l’affaire Caillaux, les débats au sujet de l’impôt sur le
revenu. Et puis, il est à noter que tout s’est décidé dans les
couloirs des ambassades, des palais princiers, dans le milieu
des diplomates et des états-majors. Malgré tout, la mobilisation
se fait comme prévu par les autorités. Les Français sont résolus
à faire leur devoir, sans enthousiasme excessif, même s’il y a
bien des rassemblements de foule dans les gares, des défilés de
troupes militaire, à Paris notamment.
Comme le souhaite le président Poincaré, c’est
l’Union sacré. La guerre peut commencer.