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Les
églises du XIXème siècle dans le département de la Somme |
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Les églises du XIXème siècle
dans le département de la Somme :
"une fièvre de reconstruction".
par
Marc
Nadaux
1.
Une procédure administrative.
2.
Un mouvement de grande ampleur.
3.
Différents modes de financement.
4.
L'emplacement choisi.
5.
Le style du nouvel édifice.
6.
La construction du monument.
7. Conclusion.
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Sous le Consulat, Bonaparte prend
conscience que le catholicisme, qui a résisté malgré tout à la
tourmente révolutionnaire, peut être une des bases du nouvel ordre qu'il
cherche à établir. Le Concordat, signé
avec le Pape Pie VII, le 16 Juillet 1801, concrétise ce dessein
politique.
La religion catholique est reconnue comme "celle de la majorité des
Français". Désormais, les Évêques, nommés par le Gouvernement,
reçoivent du Pape l'investiture canonique. Les "desservants",
nommés par les Évêques, sont choisis parmi les candidats agréés par
le Gouvernement. Tous les ecclésiastiques reçoivent un traitement de l'État,
le Concordat ayant également entériné la vente des Biens du Clergé.
Celui-ci ne retrouvera donc plus sa richesse d'antan.
Au cours du XIXème siècle, se succèdent différents régimes
politiques, notamment la Restauration de 1815 à 1830 et la Monarchie de
Juillet de 1830 à 1848, puis le Second Empire de 1852 à 1870, et enfin
la Troisième République. L'Église, quant à elle, est troublée par des
querelles spirituelles et sociales.
Enfin, en 1905, elle se trouve confrontée à une nouvelle crise. La
dissolution de presque tous les Ordres religieux français, puis la loi
de Séparation de l'Église et de l'État, mettent fin au régime
concordataire.
Le XIXème siècle, et plus précisément la période
concordataire (1801 1905), est marqué par un intense mouvement de
restauration et de reconstruction des églises. Ainsi, "plus du quart
de nos églises ont été élevées au siècle dernier" (1).
Le département de la Somme n'échappe pas à cette "fièvre de
reconstruction" 150 églises environ auraient été édifiées à
cette époque. Entre Amiens et Abbeville, domaine de notre étude qui
porte sur huit cantons, 53 églises datent ainsi de cette époque.
1. Une procédure administrative.
Pendant toute la
période concordataire (1801-1905), la construction d'une église nécessite,
au préalable, l'autorisation du Ministre des Affaires Ecclésiastiques.
Celle-ci n'est accordée que lorsque cette même église possède un titre
canonique légal (cure, succursale, chapelle vicariale ou chapelle de
secours), obtenu par un décret gouvernemental.
Ainsi, par exemple, Mme Lennel, résidant au village de
Montonvillers, situé dans le canton de Villers-Bocage, lègue dans son
testament daté du 2 Mars 1888, une somme de 10.000 F. pour aider à la
reconstruction de la petite église du village, édifiée au XVIème siècle.
Cependant, à la mort de la donatrice, le Préfet annonce au Maire du
village : "cette église n'étant pourvue d'aucun titre légal les
conditions requises pour qu'il puisse être instruit sur un projet de
cette nature, ne se trouvent pas réunies... "
(2)
A l'issue de la Révolution,
cinq communes ne possédaient pas d'église.
Elles
n'en ont pas fait construire une sur leur territoire respectif pendant la
période concordataire, étant reliées pour le culte à l'église
succursale de la commune voisine. (3)
De même, il est
difficile, voire impossible, à une commune de reconstruire son église
lorsque celle-ci ne possède que le titre de chapelle de secours. En
effet, elle doit, dans ce cas, participer aux frais du culte de l'église
succursale du village voisin. L'église de la commune de
Saint-Aubin-Montenoye, située dans le canton de Molliens-Dreuil,
reconstruite en 1841 et dépendante pour le culte de l'église succursale
de Gouy-L'Hôpital, est une exception.
Ainsi, les églises édifiées au XIXème siècle et situées dans la région
entre Amiens et Abbeville, possédaient un titre ecclésiastique au moment
de leur construction (succursale dans la très grande majorité des cas).
II s'agissait alors de reconstruire un édifice plus ancien, parfois une
chapelle provisoire.
La construction d'une église au XIXème siècle (ou plutôt sa
reconstruction dans la région entre Amiens et Abbeville) nécessité
auparavant une importante procédure administrative. Celle-ci est régie
par le décret ministériel du 30 décembre 1809 qui règle
l'administration des fabriques. Elle met en présence divers acteurs à l'échelon
local, départemental et même national.
Le rôle du
prêtre et du Conseil de Fabrique.
La Fabrique est
tenue de veiller à l'entretien et à la bonne tenue de l'église. Des
visités régulières de l'édifice sont imposées au Conseil de Fabrique,
et ce notamment au printemps et à l'automne (4). Dans la plupart
des cas, ce même Conseil est à l'origine de sa reconstruction.
Le prêtre, quant, à lui, président du Conseil de Fabrique, en est bien
souvent l'initiateur. A Dreuil-les-Amiens, près d'Amiens, en 1854, c'est
le desservant qui signale au Conseil municipal le mauvais état de l'église.
Celle-ci sera reconstruite peu de temps après, .entre 1856 et 1858. A
Longueau, là aussi près d'Amiens, le curé Pautre,: en 1844, écrit,
lui, directement au Préfet et demande l'envoi d'un architecte départemental
dans la commune, afin de constater que l'église du lieu "menace
ruine" (5). Puis, en 1846, il s'oppose ouvertement au Conseil
municipal, celui-ci souhaitant simplement la faire réparer. Enfin, en
1849, un projet de reconstruction est mis à l'étude, les travaux en
seront réalisés en 1852.
De plus, certains prêtres charismatiques ou à forte personnalité,
arrivent à créer par le zèle et l'activité qu'ifs déploient, une
certaine dynamique, un engouement au sein de la population villageoise
autour d'un projet de reconstruction de l'église. Ainsi à Mouflers, dans
le canton d'Ailly-le-Haut-Clocher, "l'abbé Linet est arrivé,
trouvant une église en ruine : par son zèle et sa prudence, il a pu
doter le pays d'une nouvelle église" (6). On pourrait aussi
signaler par exemple les rôles décisifs de l'abbé -Saint-Aubin dans la
reconstruction de l'église du village d'Allonville, près d'Amiens, en
1840, ou de l'abbé Loir à Talmas, dans le canton de Villers-Bocage, en
1852.
Certains prêtres, animés du
souci d'embellir leur église, en acquièrent même une certaine notoriété.
L'abbé Naillon (mort en 1880), surnommé le "bâtisseur d'églises"
(7) et possédant selon Rodière "la manie de la truelle" (8),
fut même l'objet d'une certaine vénération à la fin de sa vie, dans
tout le département. Né en 1810 à Hangest-sur-Somme, dans le canton de
Picquigny, il est ordonné prêtre à 26 ans et envoyé à Citernes, un
petit village du canton d'Hallencourt. II dote alors la paroisse d'un
presbytère, puis d'une église (consacrée le 8 Octobre 1843 par l'Evêque,
Monseigneur Mioland), non sans avoir auparavant "multiplié les démarches,
les appels à la charité chrétienne, à la bienveillance et à la
protection de l'autorité (9). Puis, en 1846, il est nommé à
Long, commune située dans le canton d'Aillyle-Haut-Clocher. Celle-ci est
pendant tout le XIXème siècle l'une des communes rurales les plus riches
du département de la Somme, et ce grâce à la tourbe présente en
abondance dans ses marais. L'abbé Naillon voit alors, en 1851, l'achèvement
des travaux de construction de la nouvelle église, commencés en 1845.
Celle-ci est un monumental édifice en pierres de style néo-gothique (10),
réplique de l'Eglise Notre-Dame de Bon Secours de Rouen. Le mérite de
l'abbé Naillon attire alors l'attention de Monseigneur de Salinis, qui le
nomme en 1853 à la cure de deuxième classe de Nouvion, siège du doyenné
situé au Nord d'Abbeville (11). A l'âge de 43 ans, il a déjà
fait construire deux sanctuaires ! A Nouvion, il fait tout d'abord
agrandir la modeste église, édifiée au XVème siècle. Peu après, en
1866, il provoque le déplacement du cimetière communal, qui entoure
cette même église, vers l'extérieur de l'enceinte de la commune. Et
"grâce à des merveilles de tact, de délicatesse et quelquefois à
des sacrifices personnels, il obtient de ses paroissiens l'exhumation des
dépouilles que renfermait encore l'ancien cimetière (12). L'église
de Nouvion peut alors être reconstruite, et ce dans des dimensions en
rapport avec la population de la commune. Monseigneur Bataille la consacre
le 30 Mars 1875. Le Dimanche, semaine religieuse du diocèse, écrit
alors pour annoncer cette cérémonie : "les personnes qui ont vu l'église
de Nouvion, s'étonneront peut-être qu'on ait pu arriver à la
reconstruire sans demander de secours, sinon à la générosité des
paroissiens. Mais, ceux qui connaissent les annales diocésains, se
l'expliquent facilement, en se rappelant que la main qui a relevé l'église
de Nouvion est la même qui a construit celle de Citernes et de Long"
(13).
Enfin, Monseigneur Bataille le nomme peu après, en 1877, curé de première
classe et ce à titre personnel, distinction honorifique assez rare (14).
L'abbé Naillon s'éteint en 1880 ; ses funérailles, présidées par
l'archiprêtre d'Abbeville, rassemblent 60 prêtres ainsi que le Maire et
toute la population de Nouvion.
Bien souvent donc, le prêtre est à l'origine du projet de reconstruction
de l'église. Il réunit le Conseil de Fabrique et convainc celui-ci de
l'utilité de l'entreprise. Les motifs invoqués sont de plusieurs
natures. Dans la plupart des cas, l'édifice menace d'une ruine prochaine
et les réparations que l'on pourrait y effectuer, ne seraient que
provisoires et de peu d'utilité à long terme. L'ancienne église peut
aussi s'avérer être trop petite pour la population du village, la première
moitié du XIXème siècle étant, dans les campagnes, une période de
forte croissance démographique. Le mauvais emplacement de l'église, son
éloignement par rapport au village ou son insalubrité sont également
des motifs invoqués. Et certains pensent même qu'ils, sont la cause de
l'absence aux cérémonies religieuses d'une partie de la population du
village. Ainsi, à Ville-le-Marclet, dans le canton de Picquigny, en 1866
"l'humidité a régné en tous temps dans l'ancienne église, mais
surtout en hiver, ce qui la rend malpropre, insalubre et empêche bien des
personnes chrétiennes d'assister aux offices" (15). En 1844,
l'abbé Linet, desservant de Longueau, près d'Amiens, invoque même ces
quatre motifs principaux, à la suite les uns des autres, dans une lettre
adressée au Préfet. II décrit son église comme étant
"notoirement malsaine, très mal construite, trop petite, menaçant
ruines et surtout gâtant une rue autrefois peu importante" (16).
Cependant, dans bien peu de cas, la fabrique est à même de réunir seule
les fonds nécessaires au financement de la reconstruction de l'église.
Le Conseil de Fabrique doit alors convaincre le Conseil municipal de
l'utilité de l'entreprise projetée.
Le
rôle de la commune.
La commune est
tenue de suppléer aux manques de ressources de la fabrique lorsqu'il
s'agit d'une restauration ou d'une reconstruction de l'édifice du culte (17).
Après avoir reçu la requête du prêtre ou du président de la fabrique,
le Conseil municipal examine avec attention le projet, son utilité.
Dans certains cas, les fabriciens voient s'opposer un refus à leur
demande. Ce cas de figure s'est présenté, entre autres, dans les
communes de Cagny, près d'Amiens, en 1865 ou de Beaucourt-sur-L'Hallue en
1873 et de Pont-Noyelles en 1878, dans le canton de Villers-Bocage.
Celles-ci s'étaient prononcées d'une manière favorable, dans un premier
temps, à la reconstruction complète de l'édifice. Puis, après
consultation du devis établi par l'architecte, et considérant
l'insuffisance des ressources disponibles, elles optent pour une
restauration ou pour une reconstruction partielle de l'église.
Parfois aussi, le Conseil municipal ne reconnais pas le bien-fondé,
l'utilité d'une reconstruction de l'église. On estime que le projet présenté
n'est pas en rapport avec les besoins réels de la population du village.
Ainsi, à Bonneville, dans le canton de Domart-en-Ponthieu, le Maire de la
commune en 1881 déclare que "l'église n'a qu'un inconvénient,
c'est d'être trop petite aux quatre fêtes de l'année" (18).
Et, après de nombreuses réparations mineures et inutiles à long terme
ainsi que de longues années d'attente pour le prêtre et les fabriciens,
une donation ou un legs important venant d'un gros propriétaire ou de la
noblesse locale, rend enfin réalisable la reconstruction projetée. On
peut ainsi citer le cas des communes de Raineville en 1860 avec Melle de
Raineville, ou de Saint-Gratien en 1866 avec M. de Thieulloy, situés dans
le canton de Villers-Bocage, ou de Vignacourt en 1871 avec M. Dubuc dans
le canton de Picquigny, qui illustrent cette démarche.
Cependant, et d'une manière générale pendant tout le XIXème
siècle, les Conseils Municipaux des communes situées entre Amiens et
Abbeville acceptent les projets de reconstruction en provenance des
Conseils de Fabrique. II est rare en effet que ces deux assemblées
s'opposent dans ces petites localités. Elles sont en règle générale,
composées des mêmes hommes, issus de la notabilité rurale (gros propriétaires
ou nobles).
Dès que la décision est prise, le Conseil municipal transmet le dossier
à l'administration supérieure. Après avoir reçu l'aval du Préfet, la
commune, en accord avec le Conseil de Fabrique, charge un architecte de
dresser les plans et le devis du futur édifice. Ceci étant effectué et
approuvé, le Conseil municipal peut se préoccuper du problème
financier.
La construction d'une église représente pour la commune, au XIXème siècle,
une dépense considérable. Celle-ci s'endette généralement pendant de
longues années. Et l'utilisation de ces fonds publics n'est décidé en
dernier ressort que par le Préfet, non sans avoir auparavant consulté l'Évêque
à ce propos.
Le
rôle du Préfet et de l'Évêque.
Le Préfet se
situe au sommet de la hiérarchie administrative dans le département. A
ce titre, il reçoit les dossiers de constructions d'églises en
provenance des Conseils municipaux concernés. II analyse ensuite
attentivement les divers projets, observant notamment ta grandeur du futur
édifice, à savoir si celle-ci est en rapport avec le chiffre de
population et les besoins du village. Mais aussi, si les moyens de
financement proposés par le Conseil municipal correspondent bien aux
revenus ou à la richesse de la commune et de ses habitants.
Ainsi, le Préfet a souvent un rôle de "modérateur", réduisant
la taille de l'église projetée ou revoyant à la baisse le montant du
devis établi par l'architecte.
L'Évêque est alors son interlocuteur principal. Il est consulté de façon
systématique lorsqu'il s'agit d'une projet de construction d'église. Son
avis peut être même, dans certains cas, déterminant quant à la décision
finale. Ainsi, à Coisy dans le canton de Villers-Bocage, c'est
l'intervention personnelle de Monseigneur de Salinis qui décide le Préfet
à autoriser la reconstruction de l'église en 1852. Parfois même, l'Évêque
est à l'origine du projet de reconstruction. Le même Monseigneur de
Salinis écrit au Préfet en 1860 afin de lui signaler le mauvais état de
l'église de Montagne-Fayel, village situé dans le canton de
Molliens-Dreuil : "L'église de Montage-Fayel est dans un état de délabrement
et d'indécence extrême. Construite en bois, elle a plus l'apparence
d'une mauvaise grange que d'un édifice consacré au culte... Je vous
serais très reconnaissant, M. le Préfet, de vouloir bien envoyer un
architecte visiter cette église, et d'en provoquer la prompte
reconstruction" (19). L'église sera alors reconstruite entre
1861 et 1864.
De plus, l'Évêque, lors de ses visites pastorales notamment, est à même
d'évaluer l'état des églises, ainsi que les besoins des populations de
son diocèse. Il peut être un important soutien pour ces mêmes
populations au cours de l'examen du projet de reconstruction de l'église
par l'administration supérieure. Et certains Évêques sont mêmes réputés
pour leurs préoccupations dans ce domaine. Monseigneur Mioland, par
exemple, consacra ou bénit 16 églises entre 1838 et 1849 ; Monseigneur
Boudinet consacra, lui, 21 églises entre 1858 et 1869.
II est cependant difficile d'apprécier, vu l'état de nos sources, les rôles
respectifs des différents Évêques et Préfets qui se sont succédés au
XIXème siècle, en matière de construction d'églises.
Le projet de construction est, par la suite, soumis à l'appréciation du
Ministre des Affaires Ecclésiastiques. Celui-ci en examine notamment les
modes de financement, se prononce sur l'imposition extraordinaire décidée
par le Conseil municipal, en accord avec les plus forts contribuables de
la commune. II faut en effet rembourser au plus tôt les emprunts contractés
pour 10 ou 15 ans.
Une commission d'architectes est, quant à elle, chargée de vérifier la
solidité de l'édifice, de juger du bon goût de son ornementation.
Enfin, après ces examens successifs, le dossier concernant la
reconstruction de l'église, retourne à la préfecture, puis au sein de
la commune. L'adjudication des travaux est alors organisée.
La reconstruction d'une église est donc, au XIXème siècle,
une affaire importante. Elle met en scène différents acteurs.
L'initiative en revient le plus souvent au prêtre ou aux élites locales,
la noblesse notamment. Le projet de reconstruction de l'église future,
quant à lui, est élaboré par le Conseil municipal et ce, en accord avec
le Conseil de Fabrique. La décision finale est cependant prise à l'échelon
de l'administration supérieure, par le Préfet, voire par le Ministre des
Affaires Ecclésiastiques. L'Évêque possède lui-même un rote
consultatif important.
Cette procédure administrative ne varie pas pendant tout le siècle
concordataire. Il est cependant difficile d'établir le tôle respectif
des différentes parties citées (clergé, Conseil municipal ou élites
locales, Préfet et administration centrale). La construction d'une église
est aussi le théâtre d'une lutte d'influence à l'échelon local ou départemental.
2. Un mouvement de grande ampleur.
Le XIXème
siècle est donc une période d'intenses constructions des édifices religieux,
notamment dans le département de la Somme et sur l'espace compris entre Amiens
et Abbeville.
On peut cependant se demander si l'ensemble de la période concordataire a été
concernée par ce vaste mouvement et dans quelles proportions ?
La Révolution fut, pour les bâtiments consacrés au culte, et pour les églises
en particulier, une période difficile. Certaines d'entre elles furent, à cette
époque, vendues ou affectées à des usages particuliers (granges, entrepôts).
Ainsi, le Préfet Quinette peut écrire au Ministre de l'Intérieur en 1805 :
"la majeure partie des bâtiments actuellement affectés au service du
culte est dans un état de dépérissement presque absolu, par le défaut
d'entretien depuis 1791 ; et les communes, au moins celles rurales, manquent de
moyens pour subvenir aux dépenses considérables que va nécessiter la mise en
état des édifices concernés" (20). Pourtant,
les communautés rurales entreprennent ce travail considérable de restauration.
II concerne les premières décennies du XIXème siècle. Peu d'églises datent
donc de cette période, 4 entre Amiens et Abbeville.
Le mouvement de construction ne commence en fait que sous la Monarchie de
Juillet. 5 églises sont édifiées entre 1830 et 1839, dont l'église de
Saint-Vast en 1833, dans le canton de Villers-Bocage. Le mouvement prend alors
de l'ampleur dans les années 1840 et atteint son apogée sous le Second Empire.
9 églises sont ainsi construites entre 1840 et 1848, dont l'église d'Allonville,
près d'Amiens, en 1841. 7 datent des années 1850 à 1859, dont l'église de
style néo-classique de Bavelincourt en 1852 et l'église néo-gothique de Coisy
en 1853, toutes deux situées dans le canton de Villers-Bocage. 12 appartiennent
à la deuxième décennie du régime de Napoléon III, dont l'église de style néo-roman
de Pont-Rémy, construite de 1867 à 1871, dans le canton d'Ailly-le-Haut-Clocher.
Le mouvement se ralentit ensuite sous la Troisième République, même si 8 églises
sont construites entre 1880 et 1899, dont l'église de style néo-byzantin de
Cardonnette, dans le canton de Villers-Bocage, en 1895. II s'estompe complètement
au début du XXème siècle et à la veille de la Première Guerre Mondiale.
Au total, 53 églises ont été édifiées pendant le siècle concordataire,
dans la région située entre Amiens et Abbeville, et ce sur 150 environ pour
l'ensemble du département. Les populations situées sur l'espace qui nous intéresse,
ont donc été particulièrement touchées par la "fièvre de
reconstruction". Ceci est d'autant plus appréciable si l'on s'en tient au
fait qu'il s'agit d'1 église sur 3 qui date du siècle précédent. De plus, si
l'on comptabilise les édifices ayant fait l'objet d'un agrandissement ou d'une
reconstruction partielle, on arrive à un total de 80, soit 1 sur 2. Ces différents
chiffres permettent donc d'apprécier l'énorme travail réalisé pendant la période
concordataire.
Cependant, cette vague de reconstruction a touché avec plus ou moins d'intensité
les différentes régions qui font partie de la surface étudiée. (voir carte 7
et document 5). Ainsi, les, cantons d'Abbeville (2 églises sur 13 répertoriées,
soit 15 %), d'Hallencourt (4 églises sur 20, soit .20 %) et de Molliens-Dreuil
(6 églises sur 30, soit 20 %) sont peu concernés. Les cantons d'Amiens (5 églises
sur 16, soit 31 %), de Picquigny (7 églises sur 21, soit 33 %) et de
Domart-en-Ponthieu (7 églises sur 22, soit 32 %) le sont moyennement. Et ce,
par rapport aux cantons d'Ailly-le-Haut-Clocher (10 églises sur 23, soit 43 %)
et surtout par rapport au canton de Villers-Bocage qui, avec 12 édifices sur 25
répertoriés, soit 48 %, est le canton où il s'est le plus construit d'églises
pendant la période concordataire.
D'où proviennent ces disparités ?
La cause principale invoquée pour la reconstruction d'une église est son
mauvais état général, rendant inutiles toutes réparations partielles. On
constate ainsi, et ce grâce aux procès-verbaux de visites pastorales de
Monseigneur Mioland (1839-1844), que les cantons d'Abbeville, d'Hallencourt et
de Molliens-Dreuil, peu concernés par la vague de constructions qui nous intéresse,
possèdent à cette époque des églises bien entretenues, 70 % de ces édifices
au moins sont en bon état. De plus, certaines églises du canton d'Hallencourt
(dans les villages d'Allery, de Fontaine-sur-Somme et de Huppy) sont de solides
constructions du XVlème siècle.
De plus, les cantons d'Ailly-le-Haut-Clocher et de Villers-Bocage, possédant
tous deux plus de 40 % de leurs églises édifiées au XIXème siècle, ont,
quant à eux, 1 église sur 2 en mauvais état entre 1839 et 1844.
Cette configuration pourrait être la conséquence à long terme des exactions
ou du défaut d'entretien qu'ont connus ces monuments pendant la période révolutionnaire.
On constate aussi, d'après la "carte de géographie morale et religieuse
de la Somme en 1848" (21) que les cantons d'Ailly-le-Haut-Clocher, de
Domart-en-Ponthieu et de Villers-Bocage, régions considérées comme 'assez
satisfaisantes", sont ceux où les constructions d'églises ont été les
plus nombreuses sur l'espace qui nous occupe au XIXème siècle. Ils s'opposent
en cela aux cantons de Molliens-Dreuil et d'Hallencourt notamment, considérés
comme "médiocres" et même "mauvais", peu touchés quant à
eux par la "fièvre de reconstruction" du XIXème siècle. La
reconstruction de !'église ayant pour initiateur le prêtre dans la plupart des
cas, mais elle repose surtout sur les élites locales et sur les populations
villageoises, prêtes à produire un effort financier de longue durée.
Ces différentes disparités de pourcentage d'églises issues du siècle précédent
à l'intérieur des cantons s'expliquent donc par la conjonction de ces deux éléments
: des églises en mauvais état, situées dans des villages où le prêtre, les
élites locales, la communauté toute entière, sont disposés à assumer
l'effort financier nécessaire à leurs reconstructions.
Les régions comprises entre Amiens et Abbeville connaissent donc au XIXème
siècle un mouvement de reconstruction des édifices religieux d’une grande
ampleur : 1 église sur 3 date de cette période. Ce pourcentage est bien supérieur
à celui concernant l'ensemble du département, 1 sur 5. Les cantons d'Ailly-le-Haut-Clocher
et de Villers-Bocage, avec respectivement 10 et 12 réalisations, sont même les
plus "prolifiques" de la Somme.
3. Différents modes de financement.
L'église est l'édifice
le plus important du village. Sa reconstruction, qui est une décision mûrement
réfléchie, nécessite l'emploi de fortes sommes d'argent.
La Fabrique, qui est en général l'instigatrice du projet, ne peut en
assurer seule le financement. Elle se tourne alors vers la commune, comme
le stipule le décret du 30 décembre 1809. Le Conseil municipal dispose,
lui, tout d'abord des fonds communaux, comme la vente d'arbres ou la mise
en adjudication de parcelles de marais tourbeux (pour les communes de la
vallée de la Somme). Dans la plupart des cas, une imposition
extraordinaire est décidée et ce, en accord avec les notables locaux.
Celle-ci nécessite l'autorisation du gouvernement et est utilisée par
les commandes sans ressources. Cette imposition qui dure de 10 à 15 ans,
couvre alors le montant de l'emprunt contracté par le Conseil municipal.
Celui-ci a la possibilité de demander une aide au gouvernement, le
Secours. Cette pratique, inaugurée sous la Monarchie de Juillet, est
cependant limitée. Chaque année, en effet, une certaine somme d'argent
est portée au budget du Ministère des Cultes, afin d'aider les communes
en difficulté. Le budget de la " Caisse du Secours", qui
varie suivant les années, est fortement disproportionné par rapport au
nombre important des demandes formulées par les communes.
Aussi, les différents Ministres des Affaires Ecclésiastiques qui se succèdent,
demandent-ils~.à leurs Préfets, pendant toute la seconde moitié du XIXème
siècle, d'examiner minutieusement les dossiers de demandes et d'effectuer
un choix au préalable avant envoi.
Le Préfet, lui aussi, a la possibilité d'octroyer une somme d'argent aux
Conseils municipaux. Ce Secours est accordé en cas de besoin urgent et ne
représente qu'une somme très minime.
Il est ainsi difficile aux communes de réunir l'argent nécessaire au
paiement des travaux. Certaines élèvent donc leur église en plusieurs
fois : à Saint-Ouen, dans le canton de Domart-en-Ponthieu, le chœur et
le clocher de l'église datent de 1824, la nef de 1843 (22) ; à
Buigny-l'Abbé, dans le canton d'Ailly-le-Haut-Clocher, la nef et le
clocher de l'église ont été construits en 1846, le chœur en 1868.
Le Conseil Municipal peut
aussi bénéficier de l'offrande des notables ou de la noblesse locale,
qui participent ainsi à la reconstruction de l'église de leur village.
Le montant de ces dons est fort variable. A Poulainville, près d'Amiens,
en 1867, M. Lépine (un propriétaire) lègue 10.000 F., sur un coût
total de 42.500 F., soit 25 %. A Havernas, dans le canton de
Domart-en-Ponthieu, M. de Brandt (châtelain du village et Maire de la
commune) et sa sœur apportent 65.000 F. pour le financement de la
construction de l'église et ce sur un total de 72.500 F., soit 90 %. A
Vignacourt, dans le canton de Picquigny, en 1872, M. Dubuc, un gros propriétaire
de Paris, originaire de la commune, offre lui, 215.000 F., somme colossale
à l'époque, sur les 250.000 F., coût total des travaux. II est ainsi à
l'origine de la construction de la monumentale église néo-gothique qui
orne la place de Vignacourt et est considéré au sein de la commune,
comme un bienfaiteur (23).
Dans d'autres cas, la noblesse locale se charge elle-même de la
reconstruction de l'église du village (don du nouvel emplacement,
financement des travaux, choix de l'architecte ...). L'église de
Molliens-au-Bois, située dans le canton de Domart-en-Ponthieu, construite
en 1872, est ainsi due à la libéralité de M. Poujol de Molliens ; l'église de
Bovelles, dans le canton de Molliens-Dreuil, consacrée le 7 Juillet 1874,
est due à M. de Franqueville ;l'église de Vauchelles-les-Domart, datant
de 1882, est un don de M. de Gomer à la commune. Une donation de ce type
lui donne notamment le droit "de retenir la propriété d'un banc ou
d'une chapelle, pour lui et sa famille, tant qu'elle existera" (24).
Une souscription publique organisée au sein du village peut réunir, dans
certains cas, une grosse partie des fonds nécessaires. Elle témoigne
ainsi de l'effort financier consenti par ces populations rurales, pauvres
en général, pour la reconstruction de leur église. Ces souscriptions ou
ces quêtes sont dirigées par le prêtre ou par le Conseil de Fabrique,
parfois par le Conseil municipal ou par le Maire (comme à Saint-Vaast,
dans le canton de Villers-Bocage, en 1833).
A Halloy-les-Pernois, dans le canton de Domart-en-Ponthieu, en 1882, 10.035 F. sont ainsi réunis sur les 48.245 F., coût total des travaux, soit
20 % ; à Crouy-Saint-Pierre, dans le canton de Picquigny, en 1888, la
souscription publique représente 20 444 F. sur un total de 32.615 F.,
soit 62 % ; à Fresnoy-au-Val, dans le canton de Molliens-Dreuil, en 1901,
16.454 F. sur 34.900 F. au total, soit 47 %.
De plus, certaines souscriptions, organisées pour financer la
construction de l'église, permettent de réunir l'ensemble de la
communauté villageois autour du projet. Chaque famille donne une petite
somme d'argent, selon ses modestes moyens, et participe ainsi à
l'entreprise collective.
A Ferrières, dans le canton de Picquigny, l'église est reconstruite en
1867 et ce pour 21 379 F. La souscription publique rassemble 11.538 F.,
soit 36 % du coût total des travaux. Elle est composée de 1.007 F. en
dons de matériaux, venant de 27 personnes différentes et de 10.531 F. en
argent. Si l'on enlève les dons respectifs du Maire et du châtelain, s'élevant
à 8.500 F., on arrive à un total de 2.000 F. environ et ce pour 103
dons, soit 10 F. par don en moyenne. L'ensemble de la population du
village, composée de 400 habitants environ à cette époque, a donc
participé à la reconstruction de l'église.
A Bonneville, dans le canton de Domart-en-Ponthieu, une souscription
publique est aussi organisée en 1895 par le Conseil municipal pour la
reconstruction de l'église. Elle permet de réunir 29.962 F., soit 36 %
du coût total des travaux évalué à 82.406 F. Si l'on excepte les 10
dons principaux de plus de 1.000 F., on arrive à un total de 14.000 F. et
ce pour 166 dons, soit 84 F en moyenne par don. L'ensemble de la
population du village (800 habitants) participe là aussi à l'effort
communautaire. La liste des souscripteurs est composée dans sa grande
majorité d'hommes, pourtant 16 veuves sont aussi donataires, de plus
toutes les classes sociales sont représentées : propriétaires et négociants,
cultivateurs et artisans (bourreliers, maçons, maréchaux-ferrants ...),
ouvriers agricoles (bûcherons, manouvriers) et domestiques, mais aussi
garde champêtre, Maire et desservant.
A Coisy, dans le canton de Villers-Bocage, c'est la population du village
elle-même qui a élevé son église en 1853 : "les habitants de
Coisy ont fait des sacrifices et des efforts surhumains car on les a vu
nourrir les ouvriers, travailler eux-mêmes, faire les charrois, offrir de
l'argent et des matériaux avec un ensemble parfait, avec une persévérance
admirable" (25).
Les fonds nécessaires à la construction des églises pendant le siècle
concordataire ont donc différentes origines. Ils proviennent des
ressources communales ou de Secours de l'État, des élites locales
(notables et noblesse) par le biais de l'imposition extraordinaire ou de
donations, de souscriptions publiques organisées au sein des populations.
L'ensemble de la collectivité villageoise a donc participé au XIXème siècle
à cet effort de reconstruction.
Cependant, la part de ces différents moyens de financement a évolué.
Pendant la première moitié du XIXème siècle, tout d'abord, les Secours
de l'État, créés sous la Monarchie de ,juillet, ne représentent qu'une
faible part, 5,4 %. Les Fabriques, dont les biens ont été aliénés sous
la Révolution, n'ont pas la possibilité de financer la construction
d'une église ; le chiffre de 1 % au total est donc révélateur de
cette situation. Avec 60 %, la part des fonds communaux est majoritaire.
Les dons et souscriptions des particuliers, avec 28 %, sont également
importants. Ainsi, à Allonville, près d'Amiens, en 1841, la souscription
de M. de Raineville représente 55 % du coût total de la construction.
Ce bilan évolue peu sous le Second Empire. La part de la commune (53,5 %)
et celle des dons et souscriptions des particuliers (26,7 %) sont
quasi-identiques à la période précédente. Cependant, celle du Secours
de l'État, avec 10,5 %, double. Et de 1860 à 1869, dans 9 cas sur 12 répertoriés,
l'État participe au financement des travaux et ce dans des proportions
importantes, de 15 jusque 29,5 %, même dans le cas de l'église de
Montagne-Fayel, dans le canton de Molliens-Dreuil, élevée de 1861 à
1864 (4.000 F. sur un total de 13.585 F.). La part de la Fabrique augmente
elle aussi, mais ceci est uniquement dû à l'édification de l'église de
Mouflers, située dans le canton d'Ailly-le-Haut-Clocher où " tous
les frais ont été payés par la vente de biens appartenant à la
Fabrique" (26).
Enfin, sous la Troisième République, on assiste à un renversement dans
les parts respectives des fonds communaux (28,3 %) et des dons et
souscriptions des particuliers (60 %) et ce, par rapport aux deux périodes
précédentes. La part du Secours de l'État reste, elle, sensiblement
identique, avec 9,5 %. Il est ainsi intéressant de constater que de 1882
à 1904, l'État participe au financement de 9 des 10 églises
construites, et ce dans des proportions importantes, -20 % en moyenne.
Ainsi, malgré un anticléricalisme affiché, l'État continue d'aider les
communautés villageoises dans leurs entreprises de reconstruction des édifices
du culte.
Ainsi différents
modes de financement participent à la reconstruction des églises du XIXème
siècle. L'État apporte une aide importante aux collectivités locales,
à partir de la Monarchie de Juillet. Mais les communautés villageoises
surtout, sont très actives, accordant leur soutien au prêtre et au
Conseil de Fabrique, participant aux souscriptions publiques et même
parfois aux travaux. Les élites locales ont, eux aussi, un rôle déterminant,
en répondant favorablement aux impositions extraordinaires votées par le
Conseil Municipal, ou même grâce à des donations importantes. La
construction d'une église est l'occasion, pour toute la population du
village, de s'unir autour d'un projet commun.
4. L'emplacement choisi.
L'emplacement à
l'intérieur du village des églises construites au XIXème siècle,
est tout à fait révélateur de cet investissement des populations
rurales. La grande majorité d'entre elles sont ainsi situées au milieu
des habitations, au centre de l'agglomération.
La nouvelle construction est ainsi élevée sur l'emplacement de
l'ancienne église, démolie peu de temps auparavant. Autour, restent
parfois quelques monuments funéraires, quelques croix de fer, débris de
l'ancien cimetière qui vient d'être déplacé à l'extérieur du
village. Cette translation précède parfois l'édification de la nouvelle
église de peu de temps. Ainsi, à Gorenflos, dans le canton d'Ailly-le-Haut-Clocher,
la nouvelle église en briques est construite en 1869 sur l'emplacement de
l'ancienne et du cimetière, déplacé en 1854. De même, à Coisy, dans
le canton de Villers-Bocage, où l'église est édifiée en 1854, le
cimetière étant, quant à lui, transféré à l'extérieur de la commune
en 1844.
La construction d'une nouvelle église permet alors au Conseil municipal
de mettre en valeur l'espace ainsi libéré au centre du village.
Dans d'autres cas, l'emplacement de la nouvelle église est un choix qui
s'inscrit dans le cadre plus vaste d'une politique d'organisation de
l'espace, au sein de la commune. En effet, l'ancienne église, petite et délabrée,
située à l'extrémité du village ou même en dehors, ne participe pas véritablement
à la vie quotidienne de ses habitants: L'emplacement de la nouvelle
construction est alors acheté par la commune, comme à Bavelincourt, par
exemple, dans le canton de Villers-Bocage, en 1853 ou à
Bettencourt-Saint-Ouen, dans le canton de Picquigny, en 1848. Le nouveau
terrain peut aussi être l'objet d'une donation venant d'un gros propriétaire
ou même du châtelain. Ainsi, à Raineville, dans le canton de
Villers-Bocage, Melle de Raineville écrit au Maire de la commune en 1861
: "J'ai le dessein d'aider à la reconstruction de l'église de la
commune, en lui faisant don de l'emplacement nécessaire". (27).
De même, à Molliens-au-Bois, en 1869, toujours dans le canton de
Villers-Bocage, M. Poujol de Franqueville, qui finance entièrement la
construction de la nouvelle église, offre également l'emplacement. Il
s'agit d'un terrain situé dans le haut du village et parmi les
habitations, rue Neuve. L'ancien édifice était auparavant placé au
milieu du cimetière et à l'extérieur de l'enceinte de l'agglomération.
Ainsi, la nouvelle église, pour laquelle l'ensemble de la communauté
s'est investi, doit être située au centre du village.
Cependant, ce choix est parfois discuté. Certains mettent alors en évidence
le ou les mauvais côtés pratiques du nouvel emplacement du lieu du
culte. Ainsi, à Saint-Léger-les-Domart, dans le canton de
Domart-en-Ponthieu, en 1857, "aucun avantage ne peut se produire en bâtissant
l'église sur la place publique, c'est l'endroit où l'on rencontre le
plus d'inconvénients. Beaucoup d'habitants se servent de cette place pour
battre du trèfle, puis du lin et une partie des récoltes. La proximité
d'une rue, et d'une route très fréquentée, devant nécessairement
interrompre le prêtre aux offices ...." (28). Ainsi, la
situation de l'église, parmi le bruit et l'activité économique,
pourrait être la cause d'un détachement religieux des populations, tout
comme d'ailleurs un changement dans les habitudes. On s'inquiète à ce
sujet à Halloy-les-Pernois, là aussi dans le canton de
Domart-en-Ponthieu, en 1875, car "le changement de local et partant
d'habitudes, peut entraîner du relâchement dans l'accomplissement des
devoirs religieux" (29).
Or, les membres du clergé ont une attitude assez diverse à propos du
choix de l'emplacement de la nouvelle église. Certains prêtres, comme
l'abbé Saint-Aubin à AIlonville en 1840 et l'abbé Dubos à
Dreuil-les-Amiens en 1854, près d'Amiens, offrent une partie du terrain dépendant
de la maison presbytéral. Celle-ci, située à proximité du cimetière
communal et à l'extrémité de l'enceinte des habitations, permet alors
de construire la nouvelle église dans des dimensions en rapport avec la
population du village, sans toutefois la séparer du "champ des
morts". Le centre religieux de la paroisse ne se trouve pas alors
divisé.
D'autres prêtres s'opposent au déplacement de l'église. Ainsi, à Fréchencourt
dans le canton de Villers-Bocage, en 1859, "M. le curé sème le plus
grand désordre dans la commune, en soudoyant les habitants de refuser
cette place qui offre tant d'avantages, sous le prétexte qu'il aurait un
peu de dérangement pour aller à l'église" (30). L'abbé
Lavallard, lui, à Pont-Rémy dans le canton d'Ailly-le-Haut-Clocher, en
1847; organise une souscription publique afin d'acheter un terrain au
centre du village sur lequel sera édifiée la nouvelle église,
l'ancienne se trouvant au milieu du cimetière à 100 mètres de distance
de la première habitation.
Cependant, l'achat du nouveau terrain nécessite une autorisation préfectorale.
C'est le Préfet qui, en dernier ressort, donne son accord en promulguant
un arrêté officiel. Dans ce cas-là aussi, avant de prendre sa décision,
il consulte auparavant l'Évêque. En 1858, Monseigneur Boudinet s'exprime
en ces termes, à propos du site de la future église de Saint-Léger-les-Domart,
dans le canton de Domart-en-Ponthieu : "L'emplacement le plus
convenable, et même le seul convenable, est sans contredit le terrain de
la place publique. Une église éloignée du village ne remplirait pas le
but religieux, civilisateur et moral, que le Gouvernement, d'accord avec
l'Église, se propose en finançant l'édification ou la reconstruction de
nos temples" (31).
La place de l'église au XIXème siècle est donc au centre du
village, au milieu des habitations et de l'activité économique des
villageois. Ce mouvement de recentrage de l'édifice du culte à l'intérieur
de l'agglomération, s'appuie largement sur la volonté et l'action des élites
locales, de la noblesse notamment.
II s'agit alors de créer une place publique autour de la nouvelle église
et au centre du village. Celle-ci regroupe alors l'ensemble des fonctions
publiques (mairie et école communale), des fonctions économiques
(commerces et artisanats), mais est aussi un lieu de rassemblement de la
population, autour, des puits et de la mare communale.
L'église du XIXème siècle est donc celle du village tout
entier. Elle trouve tout naturellement sa place au centre de l'agglomération
et participe ainsi à la vie quotidienne des villageois. La place publique
s'orne alors du nouvel édifice, une vaste église néo-gothique dans la
seconde moitié du siècle. Celle-ci, avec ses ornements et sa haute flèche,
correspond alors tout à fait aux aspirations des villageois.
5. Le style du nouvel édifice.
Le
XIXème siècle fut donc pour la région entre Amiens et
Abbeville, un vaste chantier de constructions d’églises. Plusieurs
styles d’architecture cependant sont utilisés successivement,
correspondant à la vogue de l’époque, répondant aussi aux aspirations
et aux besoins des populations rurales.
Les premières décennies du XIXème siècle voient s'édifier,
entre Amiens et Abbeville, des églises sans style défini et à l'aspect
massif. On peut citer en exemple les églises de Saint-Vast, construite en
1833, dans le canton de Villers-Bocage ; de Saint-Ouen, dans le canton de
Domart-en-Ponthieu, dont le chœur et le clocher datent de 1824, la nef de
1843 ; ainsi que les nefs des églises de Bourdon, dans le canton de
Picquigny, édifiée en 1826 et de Citernes, dans le canton d'Hallencourt,
édifiée, elle, en 1842. La taille imposante de la nef de ces différents
édifices signifie la volonté d'abriter à l'intérieur des murs, le
maximum d'habitants du village. Les populations des campagnes connaissent
en effet, à cette époque, une forte croissance démographique.
Mais cette première moitié du XIXème siècle est fortement marquée par
la vogue du style néo-classique. Celle-ci s'inscrit comme un prolongement
aux réalisations de la fin du XVIIIème siècle. Dans l'ensemble du département,
s'élèvent ainsi des édifices à l'ornementation sobre, inspirée des
temples antiques (grecs et romains) ; le modèle en est l'église de
Boves, construite suivant les plans de l'architecte Godde et achevée en
1818. Divers monuments sur l'espace qui nous occupe, ont été érigés
dans ce style néo-classique ; et notamment, les églises de
Saint-Aubin-Montenoye, datant de 1840 et de Metigny, datant de 1841 ou la
nef de l'église de Bougainville, construite en 1829 et 1830, situées
dans le canton de Molliens-Dreuil ; la façade de l'ancienne église de
Vignacourt, datant de 1821 ou celle de l'église de. Breilly, datant de
1834, toutes deux situées dans le canton de Picquigny ;les églises de
Sorel, dans le canton d'Hallencourt et de Buigny-l'Abbé, dans le canton
d'Ailly-le-Haut-Clocher, construites respectivement en 1838 et en 1845. Au
total, une dizaine de monuments sont édifiés dans ce sobre style néo-classique,
entre Amiens et Abbeville, et ce à partir de 1820. Le dernier en date en
est l'église de Bavelincourt, dans le canton de Villers-Bocage,
construite en 1853. On peut ainsi remarquer que le dépouillement et la
simplicité de l'ornementation des années 1830-1840 laissent ici la place
à une décoration plus compliquée, qui surcharge la façade.
|
Église de Bavelincourt
(1853) |
Viennent
ensuite les églises de Bettencourt-Saint-Ouen, dans le canton de
Picquigny et de Saint-Léger-les-Domart, dans le canton de
Domart-en-Ponthieu, construites toutes deux, respectivement en 1848 et de
1860 à 1863, et ce suivant les plans de l'architecte Demoulin, de
Doullens. Ces deux édifices se composent d'une vaste nef sans décoration,
aux fenêtres en plein cintre et surtout d'une, façade tout à fait
caractéristique. Ce style élégant n'a cependant pas fait école au XIXème
siècle, les églises de ces deux communes (espacées de quelques kilomètres
de distance) en étant les seules représentantes.
Église de Saint-Léger-les-Domart
(1860 à 1863) |
|
La
seconde moitié du XIXème siècle est, elle, toute entière
vouée au néo-gothique, une trentaine d'églises sont ainsi construites
dans ce style, de 1850 à 1880 notamment.
Ce mouvement est issu du regain d'intérêt, à la réhabilitation du
Moyen-Age qui s'effectue à l'époque, sous l'influence du romantisme.
Celui-ci contribue ainsi à ranimer en France le goût pour l'architecture
gothique du XIIIème siècle. Ce style apparaît aux bâtisseurs de cette
seconde moitié du XIXème siècle, comme le plus expressif de la foi
ancestrale des Français. On idéalise ce passé, cet "âge d'or de
la foi" et ce, en ces temps troublés par le matérialisme ...
De plus, le style néo-gothique permet une réelle économie de moyens par
rapport au style néo-classique, car "il n'était pas nécessaire
d'employer pour la totalité de l'édifice des matériaux résistants et
coûteux" (32). Le coût de la construction se réduit aussi grâce
à J'emploi de la brique. Celle-ci est désormais moins chère que la
pierre et ce, grâce à l'emploi d'un nouveau combustible, le charbon,
acheminé par voie de chemin de fer. De plus, les architectes utilisent le
système du "plan-type", qui uniformise les constructions.
Ainsi, l'église idéale est bâtie en croix latine, comprenant trois nefs
et un transept. Ceci amène cependant une certaine monotonie de l'aspect
de ces monuments, accentuée par l'austérité de l'ornementation.
Ces églises sont en règle générale assez volumineuses (de 30 à 35 m
de longueur sur 10 à 12 m de largeur), par rapport aux constructions
issues des époques précédentes. Le style néo-gothique permet ainsi aux
communes de se procurer sans trop de frais un édifice en rapport avec la
population. De plus, elles sont toutes surmontées d'une flèche effilée,
très haute, et bien visible des campagnes environnantes, des villages
voisins notamment ; ce qui amène une certaine émulation entre les différentes
communautés.
La grande majorité d'entre elles ne diffèrent en fait que par la qualité
ou par la profusion de l'ornementation (fenêtres, statues et sculptures
diverses). Certaines d'entre elles, comme l'église de Ferrières, bâtie
en 1868 ou celle du village de Crouy-Saint-Pierre, élevée en 1887 et
1888, toutes deux situées dans le canton de Picquigny, sont complètement
dénudées et dépourvues de la moindre décoration. Ceci réduit le coût
de leur construction au minimum; 35.000 F. environ pour celle de
Crouy-Saint-Pierre. D'autres, au contraire, sont remarquables par le luxe
de leur décoration.
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Église de Bovelles
(1872).
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Ce
sont en général les constructions financées par les dons de
particuliers, par la noblesse locale notamment. On peut ainsi citer les églises
de Raineville, édifiée en 1865, ou de Molliens-au-Bois, construite en
1872, dans le canton de Villers-Bocage ; l'église d'Havernas, édifiée
elle, de 1872 à 1875 ou de Vauchelles-les-Domart, de 1882, dans le canton
de Domart-en-Ponthieu.
Quelques églises de style néo-gothique ont aussi un aspect monumental,
comme par exemple la grande église de Flesselles, édifiée en 1872, dans
le canton de Villers-Bocage, mais aussi, et surtout, l'église de
Vignacourt, située dans le canton de Picquigny, construite de 1872 à
1878. Celle-ci, avec ses trois nefs, a été édifiée en fait aux
dimensions d'une petite cathédrale, avec ses 55 mètres de longueur pour
24 mètres de largeur et 50 mètres de hauteur. L'église de Long, dans le
canton d'Ailly-le-Haut-Clocher, construite de 1845 à 1851, ainsi que la
grande nef de l'église de Molliens-Dreuil datant de 1856, qui sont les
seuls monuments néo-gothiques en pierres, ont elles aussi un aspect
monumental.
Ainsi, 29 des 53 églises édifiées au XIXème siècle, soit
54 %, le sont dans le style néo-gothique ; ce chiffre monte à 83 % pour
la seconde moitié du XIXème siècle (29 sur 35 édifices répertoriés).
Pourtant, dans les années 1820 à 1840, le style néo-classique apparaît
toujours comme le seul style convenant aux églises. Cependant, le néo-gothique
s'impose peu à peu, s'appuyant notamment sur un mouvement de redécouverte
de la période médiévale, sous l'influence des laïcs (des sociétés
savantes ou des architectes comme Viollet-le-Duc), puis bientôt du clergé.
Des revues se chargent de diffuser des modèles, dans les milieux ecclésiastiques
notamment, les Annales Archéologiques fondées par Didron en 1844
et surtout la Revue de l'Art Chrétien publiée à Paris à partir
de 1857, .sous la direction du Chanoine Corblet. Celle-ci est destinée à
offrir des exemples aux prêtres et aux architectes désireux de
reconstruire leur église.
Le milieu du XIXème siècle voit ainsi l'avènement du style néo-gothique
sur l'espace compris entre Amiens et Abbeville. L'église de Bavelincourt,
construite en 1853, dans le canton de Villers-Bocage, est la dernière
production de style néo-classique, tandis que l'église de Long, édifiée
entre 1845 et 1851, est, elle, la première de style néo-gothique. On
s'interroge cependant, dans un premier temps, sur le coût de ces églises
en briques, vastes et d'un aspect nouveau. Ainsi, à Coisy, en 1854, dans
le canton de Villers-Bocage, "l’église de style ogival du XIIIème
siècle attire l'attention et excite dans Amiens une vive surprise quand
on pense à la faiblesse des moyens employés" (33).
Le style néo-gothique s'impose alors peu à peu entre 1850 et 1860, grâce
à l'utilisation de plans-types notamment, ou au rôle de diffuseurs, auprès
de la population rurale, des architectes tels que Deleforterie (père et
fils), près d'Amiens. Aussi, dès 1854, l'Evêque, Monseigneur de Salinis,
écrit au Préfet à propos de la nouvelle église de Longpré-les-Amiens,
près d'Amiens : "Je suis dans l'extrême conviction que le style
ogival du XIIIème siècle qui est un produit du génie français, est à
la fois plus religieux, plus monumental, mieux approprié à notre climat,
et qu'il offre des conditions d'élégance et de solidité qu'on n'obtient
qu'à beaucoup plus de frais dans les styles grecs, romains ou modernes
..." (34). Son coût relativement modique incite les Conseils
municipaux et les élites locales à reconstruire la vieille église en
pierres, mal entretenue et devenue trop étroite pour la population. La
nouvelle église en briques, vaste et haute avec son clocher et sa flèche
effilées, orne alors la place publique ; elle devient, le "symbole
de la modernité" (35).
S'ensuit alors une véritable "fièvre de reconstruction" parmi
les communautés villageoises, dans cette seconde moitié du XIXème siècle.
Le clergé, ainsi que !es élites locales, en sont les principaux acteurs.
L'émulation entre villages voisins a très certainement joué un rôle
important. Ainsi, peut-on se contenter de la vieille et basse église en
pierres, alors que le village voisin vient d'élever une belle
construction néo-gothique, dont la haute flèche domine fièrement la
plaine ?
D'autre part, une église fut aussi construite entre 1867 et 1871 dans la
commune de Pont-Rémy, canton d'Ailly-le-Haut-Clocher, dans le style néo-roman,
suivant les plans de l'architecte Massenot. Celle-ci se différence peu
cependant des églises néo-gothiques.
L'église néo-byzantine de Cardonnette, dans le canton de Villers-Bocage
est, elle aussi, un cas isolé. Édifiée en 1895 suivant les plans de
l'architecte Riquier, elle possède une certaine originalité qui tient à
son ornementation, à l'emploi de briques de différentes couleurs et
surtout au dôme qui la surmonte, visible de très loin dans la plaine aux
alentours. On a dit ainsi, à propos de cette réalisation, que
"l'auteur du projet a su arriver à un très bon et très intéressant
résultat" (36).
Église de
Cardonnette
(1895). |
|
Les
constructions issues de la fin du XIXème et du début du XXème
siècle sont, quant à elles, fort modestes. Ainsi, les églises de
Bussus-Bussuel, datant de 1899 ou de Brucamps, datant de 1904, situées
dans le canton d'Ailly-le-HautClocher ou celle du village de
Fresnoy-au-Val, datant de 1902, dans le canton de Molliens-Dreuil, ne sont
que de petites constructions sans aucun style, construites à moindres
frais. Ceci témoigne de la difficulté qu'ont les communes et les
collectivités rurales à réunir les fonds nécessaires à financer de
nouvelles constructions, en cette fin de période concordataire.
Le XIXème siècle voit donc se succéder différents styles
d'architecture. La rapidité de cette évolution est particulièrement
frappante. Cependant, on peut s'interroger sur la valeur artistique des
monuments de cette époque, pendant laquelle on s'est contenté d'imiter
les productions antérieures (style néo-classique, néo-gothique puis néo-roman
et même néo-byzantin). Ceci n'a pas échappé aux contemporains.
Certains ont même critiqué "la vanité et le mauvais goût
ambiant" (37). On fustige surtout les grandes églises néo-gothiques
"au luxe déplacé, parfois même grotesque" (38).
Celles-ci ont cependant permis aux architectes de répondre aux besoins
des campagnes et ce, compte tenu des faibles moyens dont on disposait. De
plus, la multiplicité des styles témoigne de l'intérêt que l'on
portait à l'époque pour l'art religieux, notamment parmi les
architectes.
6. La construction du monument.
Les églises au
XIXème siècle sont construites, dans la plupart des cas, par
des entrepreneurs locaux, et ce suivant les plans et devis des
architectes. Ceux-ci, auparavant, sont visés par une commission
d'architectes, placés sous l'égide du Ministère des Cultes : la
Commission des Bâtiments Civils avant 1848, puis la Commission des Arts
et Édifices Religieux de 1848 à 1853 (présidée par Eugène
Viollet-le-Duc), puis par diverses commissions dans la seconde moitié du
siècle.
Leurs observations portent notamment sur la décoration de l'édifice. On
demande ainsi en 1871 à l'architecte Deleforterie, plus de simplicité
dans l'ornementation de la façade de la future église néo-gothique de
Vignacourt, dans le canton de Picquigny. La taille de l'édifice doit
aussi être en proportion de la population du village où il va être
construit. Ainsi, à propos de la future église de Fréchencourt, dans le
canton de Villers-Bocage, le Ministre des Cultes indique au Préfet en
1858 que "l'examen de ce projet a donné lieu de faire observer qu'il
offrait des dispositions trop importantes eu égard à la population ...
Un édifice conçu dans des données plus modestes et réduit notamment à
une seule nef au lieu de trois .... semblerait mieux en rapport avec les
besoins réels de la commune de Fréchencourt" (39). Il faut
ainsi éviter de construire des édifices trop imposants, qui ne sont le
fait que de rivalités, de l'émulation entre communes voisines.
Comme le fait observer, en 1846, le Ministre des Cultes au Préfet,
certains projets "témoignent du désir de satisfaire d'un sentiment
d'amour-propre et de vanité locale, plutôt qu'à des besoins réels` et
urgents" (40).
La commission examine également attentivement le devis de leurs
constructions futures, proposés par les architectes. A ce sujet, le
Ministre des Cultes met en garde le Préfet en 1850 "Je recommande
d'une manière particulière à votre attention la confection du devis. Il
faut se prémunir des abus à cet égard et prévenir les communes : le
plus dangereux n'est pas toujours l'exagération des évaluations ; c'est
au contraire les évaluations insuffisantes qui font croire à une exécution
à la portée des ressources pour déterminer à l'entreprendre, et qui ne
tarde pas à être démentie par un surcroît de dépenses qui ruine les
communes et laisse en présence d'un monument longtemps inachevé" (41).
On est ainsi étonné de constater que le coût total de l'édifice à la
réception des travaux est toujours supérieur à celui annoncé à
l'origine par les architectes dans leurs devis, pourtant très détaillés.
La différence s'élève ainsi suivant les cas, de 10 à 25 %, ce qui représente
des sommes importantes, et ce d'autant plus que les collectivités ont de
plus en plus de difficultés au cours du XIXème siècle à réunir les
fonds nécessaires au paiement des travaux.
Parfois, cette augmentation s'explique par la volonté d'un généreux
donateur ou par la population toute entière du village, de compléter
l'ornementation de l'église. Ainsi, les travaux de construction de l'église
d'Havernas étaient évalués l'origine à 42.000 F. Cette somme devait être
acquittée en grande partie par le produit d'une souscription dirigée par
le Maire, M. de Brandt. Les travaux commencent donc. Une autre
souscription est alors organisée, rassemblant au total 30 000 F., ce qui
permet de donner à l'édifice un aspect plus monumental. A la réception
des travaux, l'ensemble du Conseil municipal constate alors que "les
travaux supplémentaires exécutés n'ont fait qu'ajouter à la solidité
aussi bien qu'à l'élégance de la construction" (42).
Cependant, dans la plupart des cas, cette augmentation n'est due qu'à un
devis incomplet ou mal rédigé par l'architecte. Ainsi, l'architecte amiénois
Daullé s'exprime en ces termes, à ce propos, au Préfet en 1859, à
l'occasion de la construction de l'église de Flesselles, dans le canton
de Villers-Bocage : "Dans cette commune, comme ailleurs, on se méfie
des appréciations des architectes et je suis forcé de reconnaître que
ce n'est pas sans de justes et légitimes motifs, aussi désirerais-je n'être
pas compris dans ceux qui sont connus pour leur mauvaise foi ou leurs
ignorances et nous font cette fâcheuse réputation" (43).
Difficile de faire la part des choses, sachant que le salaire de
l'architecte est calculé en fonction du coût total de la construction (5
% en général).
Les architectes (une quinzaine au total au XIXème siècle nous
concerne), sous l'égide des diverses commissions spécialisées ou attachées
au Ministère de l'Intérieur, ont tout de même permis aux communautés
rurales de se doter d'un édifice consacré au culte, qui répondait à
leurs besoins et à leurs aspirations ; une église de style néo-gothique
dans la plupart des cas.
7. Conclusion
L'espace compris
entre Amiens et Abbeville, et qui fait l'objet de notre étude, a donc
connu au XIXème siècle, une "fièvre de reconstruction". Avec
53 églises édifiées à cette époque sur 170 répertoriées, soit près
d'une sur trois, elle est la région la plus touchée par ce mouvement
dans le département (44).
Ce mouvement qui commence sous la Monarchie de Juillet, connaît son apogée
sous le Second Empire, puis s'estompe à la fin siècle. La construction
d'une église au XIXème siècle est essentiellement le fait des
populations pratiquantes, prêtes à se mobiliser autour du projet. Le
financement des travaux est dû ainsi, suivant en cela l'esprit du
Concordat, à la large participation des communes mais aussi au soutien de
l'État, et ce même sous la Troisième République (régime pourtant
ouvertement anticlérical), ainsi que des élites locales (propriétaires
et nobles).
La reconstruction d'une église est une décision mûrement réfléchie au
sein des différentes collectivités concernées. Elle nécessite une
importante procédure administrative. Au niveau local, la construction
d'une nouvelle église est l'un des évènements majeurs de la vie du
village au XIXème siècle. Le nouvel édifice, qui est aussi le monument
le plus important du village, trouve idéalement sa place au milieu des
habitations, à côté de la mare communale et des puits, à côté de l'école
et de la mairie. Ce mouvement de recentralisation de l'édifice du culte,
de création d'une place publique et donc de réorganisation de l'espace
à l'intérieur du village, est largement issu de la volonté des élites
locales. L'église au XIXème siècle est au centre de la vie publique.
La nouvelle église, de style néo-gothique dans la plupart des -cas, orne
donc la place publique. Sa vaste nef en briques permet d'abriter
l'ensemble des paroissiens, selon le vœu du prêtre et du Conseil de
Fabrique. Au dehors, sa façade ornée de sculptures, ses fenêtres aux
vitraux multicolores, attirent l'attention.. Le clocher surtout, au sommet
d'une haute tour, et la flèche effilée se dressent au-dessus des
habitations. Visible de loin, la nouvelle église est une source de fierté
pour l'ensemble des villageois, qui ont participé aux travaux, mais aussi
de convoitise et de désir pour les populations voisines qui, peut-être,
en élèveront bientôt une semblable.
(nota : les
communes citées sont localisées dans le département de la Somme, en
Picardie ; les cotes des archives mentionnées sont celles qui ont été
relevées sur les dossiers correspondants et sont consultables aux
Archives départementales de la Somme).
(1) . C.
Bouchon, C. Brisac, M.J. Chaline, J.M. Leniaud, Ces églises du XIXème
siècle, Encrage Éditions, Amiens, 1993, 270 p. , p. 13.
(2)
. Lettre datée du 27 Août 1888. 99 O 2751 (4) Montonvillers. ADS
(3)
. Cependant, il est à remarquer que les villages ou hameaux possédant
une église sur leur sol et rattachés pour le culte à l'église
paroissiale du village voisin, ont entretenu et réparé, souvent à leurs
frais, cet édifice pendant toute la période.
(4) . Décret du 30 Décembre 1809, article 41. V 431 0 .19
(Administration des Fabriques. Lois, règlements, instructions,
circulaires. 1809-1896) ADS.
(5) . Lettre datée du 30 Juillet 1844. 99 02405 (4). Longueau –
ADS.
(6) . Lettre du Maire au Préfet datée du 19 Août 1882. 99 O 2793
(4) Mouflers – ADS.
(7) . Le Dimanche. (Semaine religieuse du diocèse d’Amiens),
26 Novembre 1880 - n° 483.
(8) . R. Rodière / P. Des Forts, Le Pays du Vimeu,
Imprimerie Yvert - Amiens 1938. 613 p., p. 482.
(9)
. Notice historique sur l'abbé Naillon, Librairie catholique
A. Guillaume, Amiens, 1880. 36 p., p. 13.
(10)
. II s'agit de la première église de style néo-gothique élevée dans
le département de la Somme.
(11)
. Cette commune est située à l'extérieur de notre domaine d'étude.
(12)
. Notice historique sur l'abbé Naillon . op. cit. p. 29.
(13)
. Le Dimanche. 28 Mars 1875. n° 169.
(14) . Le diocèse d'Amiens compte à cette époque 14 cures de lère
classe, dont 9 attachées au siège de la paroisse et 4 à titre
personnel.
(15) . Délibération du
Conseil de Fabrique du 28 avril 1866. 99 O 3774 (4) Ville-le-Marclet. ADS.
(16)
. Lettre de l'abbé Linet au Préfet datée du 30 Juillet 1844. 99 0 2405
(4) Longueau. ADS.
(17)
. Décret du 30 décembre 1809. article 92, op. cit.
(18)
. Lettre du Maire au Préfet datée du 11 Février 1881. 99 0 771 (4).
Bonneville – ADS.
(19)
. Lettre de Monseigneur de Salinis au Préfet datée du 27 Janvier 1860.
99 0 2711 (4) Montagne-Fayel . ADS.
(20) . Lettre datée du 30 Ventose an XIII. V 431 0 82.
(21) . Matériaux pour l'histoire religieuse du peuple français (XIXème-XXème
siècles). éditions du CNRS, Paris, 1982, 635 p.
(22) . Ceci explique
pourquoi le clocher de l'église est situé au-dessus du chœur et non
au-dessus de l'entrée de la nef, son emplacement habituel.
(23) . A la mort de M. Dubuc, en 1874, un monument rappelant sa mémoire
a été érigé au centre du cimetière communal.
(24) . Décret du 30 décembre 1809. article 72. op. cit.
(25) . Lettre de l'abbé Debeaumont au Préfet datée du 28 Décembre
1854, 99 O 1193 (4) Coisy. ADS.
(26) . Lettre du Maire au Préfet datée du 19 Août 1882, 99 O 2798
(4) Mouflers. ADS.
(27) . Lettre datée du 27
Juillet 1861 - 99 O 3181 (4) - Raineville. ADS.
(28) . Déclaration de M. Helluin (propriétaire) lors de l'enquête
de commodo et incommodo organisée pour déterminer l'emplacement
de la future église, le 9 Avril 1857. 99 O 3385 (4) Saint-Léger-les-Domart.
ADS.
(29) . Délibération du Conseil de Fabrique du 18 Août 1875. 99 O
2049 (4) Halloy-les-Pernois. ADS.
(30) . Lettre du Maire au Préfet datée du 27 Avril 1859 99 O 1835
(4) Fréchencourt. ADS.
(31) . Lettre de l'Evêque, Monseigneur Boudinet, au Préfet datée
du 12 Août 1858 99 0 3385 (4) Saint -Léger-les-Domart. ADS.
(32) . C. Bouchon, C.
Brisac, N.J., Chalines, J.M. Leniaud, Ces églises du XIXème siècle.
op. cit. p. 130.
(33) . Délibération du Conseil de Fabrique en date du 28 Décembre
1854. 99 0 1193 (4) Coisy. ADS.
(34) . Lettre de l'Évêque au Préfet datée du 23 Octobre 1854. 99
O 222 (4), Amiens. ADS.
(35) . C. Bouchon, C. Brisac, N.J. Chalines, J.M. Leniaud, Ces églises
du XIXème siècle siècle. op. cit. p. 110.
(36) . Conseil département des Bâtiments civils. 10 Janvier 1893 .
99 O 1054 (4) Cardonnette. ADS.
(37) . A propos des nouvelles églises du département de la Somme.
L'architecture et les Picards au XIXème siècle. Amiens. Rousseau
Leroy, imprimeur éditeur, 1888. 59 p., p. 5.
(38) . Ibid p. 36.
(39)
. Lettre du Ministre des Cultes au Préfet datée du 1er
juillet 1858. 99 O 1835 (4) Fréchencourt ADS.
(40) . Lettre du Ministre des Cultes au Préfet datée du 24
Septembre 1846. V 431 082. ADS.
(41) . Lettre du Ministre des Cultes au Préfet datée du 28 Juin
1850. V 431 082 . ADS.
(42) . Délibération du Conseil Municipal en date du 26 Janvier
1876. 99 O 2131 (4) Havernas. ADS.
(43) . Rapport de l’architecte Daullé au Préfet daté du 26 août
1855. 99 O 1694 (4) Flesselles. ADS.
(44)
. La ville d'Amiens elle-même non comprise.
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