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                                                   Les églises du XIXème siècle dans le département de la Somme

 

Les églises du XIXème siècle
dans le département de la Somme :
"une fièvre de reconstruction".



par
Marc Nadaux

 



1. Une procédure administrative.
2.
Un mouvement de grande ampleur.
3.
Différents modes de financement.
4. L'emplacement choisi.
5.
Le style du nouvel édifice.
6.
La construction du monument.
7.
Conclusion.



 






Sous le Consulat, Bonaparte prend conscience que le catholicisme, qui a résisté malgré tout à la tourmente révolutionnaire, peut être une des bases du nouvel ordre qu'il cherche à établir. Le Concordat, signé avec le Pape Pie VII, le 16 Juillet 1801, concrétise ce dessein politique.
La religion catholique est reconnue comme "celle de la majorité des Français". Désormais, les Évêques, nommés par le Gouvernement, reçoivent du Pape l'investiture canonique. Les "desservants", nommés par les Évêques, sont choisis parmi les candidats agréés par le Gouvernement. Tous les ecclésiastiques reçoivent un traitement de l'État, le Concordat ayant également entériné la vente des Biens du Clergé. Celui-ci ne retrouvera donc plus sa richesse d'antan.

Au cours du XIXème siècle, se succèdent différents régimes politiques, notamment la Restauration de 1815 à 1830 et la Monarchie de Juillet de 1830 à 1848, puis le Second Empire de 1852 à 1870, et enfin la Troisième République. L'Église, quant à elle, est troublée par des querelles spirituelles et sociales.
Enfin, en 1905, elle se trouve confrontée à une nouvelle crise. La dissolution de presque tous les Ordres religieux français, puis la loi de Séparation de l'Église et de l'État, mettent fin au régime concordataire.

Le XIXème siècle, et plus précisément la période concordataire (1801 1905), est marqué par un intense mouvement de restauration et de reconstruction des églises. Ainsi, "plus du quart de nos églises ont été élevées au siècle dernier" (1). Le département de la Somme n'échappe pas à cette "fièvre de reconstruction" 150 églises environ auraient été édifiées à cette époque. Entre Amiens et Abbeville, domaine de notre étude qui porte sur huit cantons, 53 églises datent ainsi de cette époque.



          1. Une procédure administrative.


Pendant toute la période concordataire (1801-1905), la construction d'une église nécessite, au préalable, l'autorisation du Ministre des Affaires Ecclésiastiques. Celle-ci n'est accordée que lorsque cette même église possède un titre canonique légal (cure, succursale, chapelle vicariale ou chapelle de secours), obtenu par un décret gouvernemental.
Ainsi, par exemple, Mme Lennel, résidant au village de Montonvillers, situé dans le canton de Villers-Bocage, lègue dans son testament daté du 2 Mars 1888, une somme de 10.000 F. pour aider à la reconstruction de la petite église du village, édifiée au XVIème siècle. Cependant, à la mort de la donatrice, le Préfet annonce au Maire du village : "cette église n'étant pourvue d'aucun titre légal les conditions requises pour qu'il puisse être instruit sur un projet de cette nature, ne se trouvent pas réunies... "
(2)
A l'issue de la Révolution, cinq communes ne possédaient pas d'église.
Elles n'en ont pas fait construire une sur leur territoire respectif pendant la période concordataire, étant reliées pour le culte à l'église succursale de la commune voisine. (3)
De même, il est difficile, voire impossible, à une commune de reconstruire son église lorsque celle-ci ne possède que le titre de chapelle de secours. En effet, elle doit, dans ce cas, participer aux frais du culte de l'église succursale du village voisin. L'église de la commune de Saint-Aubin-Montenoye, située dans le canton de Molliens-Dreuil, reconstruite en 1841 et dépendante pour le culte de l'église succursale de Gouy-L'Hôpital, est une exception.
Ainsi, les églises édifiées au XIXème siècle et situées dans la région entre Amiens et Abbeville, possédaient un titre ecclésiastique au moment de leur construction (succursale dans la très grande majorité des cas). II s'agissait alors de reconstruire un édifice plus ancien, parfois une chapelle provisoire.

La construction d'une église au XIXème siècle (ou plutôt sa reconstruction dans la région entre Amiens et Abbeville) nécessité auparavant une importante procédure administrative. Celle-ci est régie par le décret ministériel du 30 décembre 1809 qui règle l'administration des fabriques. Elle met en présence divers acteurs à l'échelon local, départemental et même national.


          Le rôle du prêtre et du Conseil de Fabrique.


La Fabrique est tenue de veiller à l'entretien et à la bonne tenue de l'église. Des visités régulières de l'édifice sont imposées au Conseil de Fabrique, et ce notamment au printemps et à l'automne (4). Dans la plupart des cas, ce même Conseil est à l'origine de sa reconstruction.
Le prêtre, quant, à lui, président du Conseil de Fabrique, en est bien souvent l'initiateur. A Dreuil-les-Amiens, près d'Amiens, en 1854, c'est le desservant qui signale au Conseil municipal le mauvais état de l'église. Celle-ci sera reconstruite peu de temps après, .entre 1856 et 1858. A Longueau, là aussi près d'Amiens, le curé Pautre,: en 1844, écrit, lui, directement au Préfet et demande l'envoi d'un architecte départemental dans la commune, afin de constater que l'église du lieu "menace ruine" (5). Puis, en 1846, il s'oppose ouvertement au Conseil municipal, celui-ci souhaitant simplement la faire réparer. Enfin, en 1849, un projet de reconstruction est mis à l'étude, les travaux en seront réalisés en 1852.
De plus, certains prêtres charismatiques ou à forte personnalité, arrivent à créer par le zèle et l'activité qu'ifs déploient, une certaine dynamique, un engouement au sein de la population villageoise autour d'un projet de reconstruction de l'église. Ainsi à Mouflers, dans le canton d'Ailly-le-Haut-Clocher, "l'abbé Linet est arrivé, trouvant une église en ruine : par son zèle et sa prudence, il a pu doter le pays d'une nouvelle église" (6). On pourrait aussi signaler par exemple les rôles décisifs de l'abbé -Saint-Aubin dans la reconstruction de l'église du village d'Allonville, près d'Amiens, en 1840, ou de l'abbé Loir à Talmas, dans le canton de Villers-Bocage, en 1852.


Certains prêtres, animés du souci d'embellir leur église, en acquièrent même une certaine notoriété. L'abbé Naillon (mort en 1880), surnommé le "bâtisseur d'églises" (7) et possédant selon Rodière "la manie de la truelle" (8), fut même l'objet d'une certaine vénération à la fin de sa vie, dans tout le département. Né en 1810 à Hangest-sur-Somme, dans le canton de Picquigny, il est ordonné prêtre à 26 ans et envoyé à Citernes, un petit village du canton d'Hallencourt. II dote alors la paroisse d'un presbytère, puis d'une église (consacrée le 8 Octobre 1843 par l'Evêque, Monseigneur Mioland), non sans avoir auparavant "multiplié les démarches, les appels à la charité chrétienne, à la bienveillance et à la protection de l'autorité (9). Puis, en 1846, il est nommé à Long, commune située dans le canton d'Aillyle-Haut-Clocher. Celle-ci est pendant tout le XIXème siècle l'une des communes rurales les plus riches du département de la Somme, et ce grâce à la tourbe présente en abondance dans ses marais. L'abbé Naillon voit alors, en 1851, l'achèvement des travaux de construction de la nouvelle église, commencés en 1845. Celle-ci est un monumental édifice en pierres de style néo-gothique (10), réplique de l'Eglise Notre-Dame de Bon Secours de Rouen. Le mérite de l'abbé Naillon attire alors l'attention de Monseigneur de Salinis, qui le nomme en 1853 à la cure de deuxième classe de Nouvion, siège du doyenné situé au Nord d'Abbeville (11). A l'âge de 43 ans, il a déjà fait construire deux sanctuaires ! A Nouvion, il fait tout d'abord agrandir la modeste église, édifiée au XVème siècle. Peu après, en 1866, il provoque le déplacement du cimetière communal, qui entoure cette même église, vers l'extérieur de l'enceinte de la commune. Et "grâce à des merveilles de tact, de délicatesse et quelquefois à des sacrifices personnels, il obtient de ses paroissiens l'exhumation des dépouilles que renfermait encore l'ancien cimetière (12). L'église de Nouvion peut alors être reconstruite, et ce dans des dimensions en rapport avec la population de la commune. Monseigneur Bataille la consacre le 30 Mars 1875. Le Dimanche, semaine religieuse du diocèse, écrit alors pour annoncer cette cérémonie : "les personnes qui ont vu l'église de Nouvion, s'étonneront peut-être qu'on ait pu arriver à la reconstruire sans demander de secours, sinon à la générosité des paroissiens. Mais, ceux qui connaissent les annales diocésains, se l'expliquent facilement, en se rappelant que la main qui a relevé l'église de Nouvion est la même qui a construit celle de Citernes et de Long" (13).
Enfin, Monseigneur Bataille le nomme peu après, en 1877, curé de première classe et ce à titre personnel, distinction honorifique assez rare (14). L'abbé Naillon s'éteint en 1880 ; ses funérailles, présidées par l'archiprêtre d'Abbeville, rassemblent 60 prêtres ainsi que le Maire et toute la population de Nouvion.


Bien souvent donc, le prêtre est à l'origine du projet de reconstruction de l'église. Il réunit le Conseil de Fabrique et convainc celui-ci de l'utilité de l'entreprise. Les motifs invoqués sont de plusieurs natures. Dans la plupart des cas, l'édifice menace d'une ruine prochaine et les réparations que l'on pourrait y effectuer, ne seraient que provisoires et de peu d'utilité à long terme. L'ancienne église peut aussi s'avérer être trop petite pour la population du village, la première moitié du XIXème siècle étant, dans les campagnes, une période de forte croissance démographique. Le mauvais emplacement de l'église, son éloignement par rapport au village ou son insalubrité sont également des motifs invoqués. Et certains pensent même qu'ils, sont la cause de l'absence aux cérémonies religieuses d'une partie de la population du village. Ainsi, à Ville-le-Marclet, dans le canton de Picquigny, en 1866 "l'humidité a régné en tous temps dans l'ancienne église, mais surtout en hiver, ce qui la rend malpropre, insalubre et empêche bien des personnes chrétiennes d'assister aux offices" (15). En 1844, l'abbé Linet, desservant de Longueau, près d'Amiens, invoque même ces quatre motifs principaux, à la suite les uns des autres, dans une lettre adressée au Préfet. II décrit son église comme étant "notoirement malsaine, très mal construite, trop petite, menaçant ruines et surtout gâtant une rue autrefois peu importante" (16).
Cependant, dans bien peu de cas, la fabrique est à même de réunir seule les fonds nécessaires au financement de la reconstruction de l'église. Le Conseil de Fabrique doit alors convaincre le Conseil municipal de l'utilité de l'entreprise projetée.


          Le rôle de la commune.


La commune est tenue de suppléer aux manques de ressources de la fabrique lorsqu'il s'agit d'une restauration ou d'une reconstruction de l'édifice du culte (17). Après avoir reçu la requête du prêtre ou du président de la fabrique, le Conseil municipal examine avec attention le projet, son utilité.
Dans certains cas, les fabriciens voient s'opposer un refus à leur demande. Ce cas de figure s'est présenté, entre autres, dans les communes de Cagny, près d'Amiens, en 1865 ou de Beaucourt-sur-L'Hallue en 1873 et de Pont-Noyelles en 1878, dans le canton de Villers-Bocage. Celles-ci s'étaient prononcées d'une manière favorable, dans un premier temps, à la reconstruction complète de l'édifice. Puis, après consultation du devis établi par l'architecte, et considérant l'insuffisance des ressources disponibles, elles optent pour une restauration ou pour une reconstruction partielle de l'église.
Parfois aussi, le Conseil municipal ne reconnais pas le bien-fondé, l'utilité d'une reconstruction de l'église. On estime que le projet présenté n'est pas en rapport avec les besoins réels de la population du village. Ainsi, à Bonneville, dans le canton de Domart-en-Ponthieu, le Maire de la commune en 1881 déclare que "l'église n'a qu'un inconvénient, c'est d'être trop petite aux quatre fêtes de l'année" (18). Et, après de nombreuses réparations mineures et inutiles à long terme ainsi que de longues années d'attente pour le prêtre et les fabriciens, une donation ou un legs important venant d'un gros propriétaire ou de la noblesse locale, rend enfin réalisable la reconstruction projetée. On peut ainsi citer le cas des communes de Raineville en 1860 avec Melle de Raineville, ou de Saint-Gratien en 1866 avec M. de Thieulloy, situés dans le canton de Villers-Bocage, ou de Vignacourt en 1871 avec M. Dubuc dans le canton de Picquigny, qui illustrent cette démarche.
Cependant, et d'une manière générale pendant tout le XIXème siècle, les Conseils Municipaux des communes situées entre Amiens et Abbeville acceptent les projets de reconstruction en provenance des Conseils de Fabrique. II est rare en effet que ces deux assemblées s'opposent dans ces petites localités. Elles sont en règle générale, composées des mêmes hommes, issus de la notabilité rurale (gros propriétaires ou nobles).
Dès que la décision est prise, le Conseil municipal transmet le dossier à l'administration supérieure. Après avoir reçu l'aval du Préfet, la commune, en accord avec le Conseil de Fabrique, charge un architecte de dresser les plans et le devis du futur édifice. Ceci étant effectué et approuvé, le Conseil municipal peut se préoccuper du problème financier.
La construction d'une église représente pour la commune, au XIXème siècle, une dépense considérable. Celle-ci s'endette généralement pendant de longues années. Et l'utilisation de ces fonds publics n'est décidé en dernier ressort que par le Préfet, non sans avoir auparavant consulté l'Évêque à ce propos.


          Le rôle du Préfet et de l'Évêque.


Le Préfet se situe au sommet de la hiérarchie administrative dans le département. A ce titre, il reçoit les dossiers de constructions d'églises en provenance des Conseils municipaux concernés. II analyse ensuite attentivement les divers projets, observant notamment ta grandeur du futur édifice, à savoir si celle-ci est en rapport avec le chiffre de population et les besoins du village. Mais aussi, si les moyens de financement proposés par le Conseil municipal correspondent bien aux revenus ou à la richesse de la commune et de ses habitants.
Ainsi, le Préfet a souvent un rôle de "modérateur", réduisant la taille de l'église projetée ou revoyant à la baisse le montant du devis établi par l'architecte.
L'Évêque est alors son interlocuteur principal. Il est consulté de façon systématique lorsqu'il s'agit d'une projet de construction d'église. Son avis peut être même, dans certains cas, déterminant quant à la décision finale. Ainsi, à Coisy dans le canton de Villers-Bocage, c'est l'intervention personnelle de Monseigneur de Salinis qui décide le Préfet à autoriser la reconstruction de l'église en 1852. Parfois même, l'Évêque est à l'origine du projet de reconstruction. Le même Monseigneur de Salinis écrit au Préfet en 1860 afin de lui signaler le mauvais état de l'église de Montagne-Fayel, village situé dans le canton de Molliens-Dreuil : "L'église de Montage-Fayel est dans un état de délabrement et d'indécence extrême. Construite en bois, elle a plus l'apparence d'une mauvaise grange que d'un édifice consacré au culte... Je vous serais très reconnaissant, M. le Préfet, de vouloir bien envoyer un architecte visiter cette église, et d'en provoquer la prompte reconstruction" (19). L'église sera alors reconstruite entre 1861 et 1864.
De plus, l'Évêque, lors de ses visites pastorales notamment, est à même d'évaluer l'état des églises, ainsi que les besoins des populations de son diocèse. Il peut être un important soutien pour ces mêmes populations au cours de l'examen du projet de reconstruction de l'église par l'administration supérieure. Et certains Évêques sont mêmes réputés pour leurs préoccupations dans ce domaine. Monseigneur Mioland, par exemple, consacra ou bénit 16 églises entre 1838 et 1849 ; Monseigneur Boudinet consacra, lui, 21 églises entre 1858 et 1869.
II est cependant difficile d'apprécier, vu l'état de nos sources, les rôles respectifs des différents Évêques et Préfets qui se sont succédés au XIXème siècle, en matière de construction d'églises.


Le projet de construction est, par la suite, soumis à l'appréciation du Ministre des Affaires Ecclésiastiques. Celui-ci en examine notamment les modes de financement, se prononce sur l'imposition extraordinaire décidée par le Conseil municipal, en accord avec les plus forts contribuables de la commune. II faut en effet rembourser au plus tôt les emprunts contractés pour 10 ou 15 ans.
Une commission d'architectes est, quant à elle, chargée de vérifier la solidité de l'édifice, de juger du bon goût de son ornementation.
Enfin, après ces examens successifs, le dossier concernant la reconstruction de l'église, retourne à la préfecture, puis au sein de la commune. L'adjudication des travaux est alors organisée.


La reconstruction d'une église est donc, au XIXème siècle, une affaire importante. Elle met en scène différents acteurs. L'initiative en revient le plus souvent au prêtre ou aux élites locales, la noblesse notamment. Le projet de reconstruction de l'église future, quant à lui, est élaboré par le Conseil municipal et ce, en accord avec le Conseil de Fabrique. La décision finale est cependant prise à l'échelon de l'administration supérieure, par le Préfet, voire par le Ministre des Affaires Ecclésiastiques. L'Évêque possède lui-même un rote consultatif important.
Cette procédure administrative ne varie pas pendant tout le siècle concordataire. Il est cependant difficile d'établir le tôle respectif des différentes parties citées (clergé, Conseil municipal ou élites locales, Préfet et administration centrale). La construction d'une église est aussi le théâtre d'une lutte d'influence à l'échelon local ou départemental.



          2. Un mouvement de grande ampleur.


Le XIXème siècle est donc une période d'intenses constructions des édifices religieux, notamment dans le département de la Somme et sur l'espace compris entre Amiens et Abbeville.
On peut cependant se demander si l'ensemble de la période concordataire a été concernée par ce vaste mouvement et dans quelles proportions ?


La Révolution fut, pour les bâtiments consacrés au culte, et pour les églises en particulier, une période difficile. Certaines d'entre elles furent, à cette époque, vendues ou affectées à des usages particuliers (granges, entrepôts). Ainsi, le Préfet Quinette peut écrire au Ministre de l'Intérieur en 1805 : "la majeure partie des bâtiments actuellement affectés au service du culte est dans un état de dépérissement presque absolu, par le défaut d'entretien depuis 1791 ; et les communes, au moins celles rurales, manquent de moyens pour subvenir aux dépenses considérables que va nécessiter la mise en état des édifices concernés" (20). Pourtant, les communautés rurales entreprennent ce travail considérable de restauration. II concerne les premières décennies du XIXème siècle. Peu d'églises datent donc de cette période, 4 entre Amiens et Abbeville.

Le mouvement de construction ne commence en fait que sous la Monarchie de Juillet. 5 églises sont édifiées entre 1830 et 1839, dont l'église de Saint-Vast en 1833, dans le canton de Villers-Bocage. Le mouvement prend alors de l'ampleur dans les années 1840 et atteint son apogée sous le Second Empire. 9 églises sont ainsi construites entre 1840 et 1848, dont l'église d'Allonville, près d'Amiens, en 1841. 7 datent des années 1850 à 1859, dont l'église de style néo-classique de Bavelincourt en 1852 et l'église néo-gothique de Coisy en 1853, toutes deux situées dans le canton de Villers-Bocage. 12 appartiennent à la deuxième décennie du régime de Napoléon III, dont l'église de style néo-roman de Pont-Rémy, construite de 1867 à 1871, dans le canton d'Ailly-le-Haut-Clocher. Le mouvement se ralentit ensuite sous la Troisième République, même si 8 églises sont construites entre 1880 et 1899, dont l'église de style néo-byzantin de Cardonnette, dans le canton de Villers-Bocage, en 1895. II s'estompe complètement au début du XXème siècle et à la veille de la Première Guerre Mondiale.
Au total, 53 églises ont été édifiées pendant le siècle concordataire, dans la région située entre Amiens et Abbeville, et ce sur 150 environ pour l'ensemble du département. Les populations situées sur l'espace qui nous intéresse, ont donc été particulièrement touchées par la "fièvre de reconstruction". Ceci est d'autant plus appréciable si l'on s'en tient au fait qu'il s'agit d'1 église sur 3 qui date du siècle précédent. De plus, si l'on comptabilise les édifices ayant fait l'objet d'un agrandissement ou d'une reconstruction partielle, on arrive à un total de 80, soit 1 sur 2. Ces différents chiffres permettent donc d'apprécier l'énorme travail réalisé pendant la période concordataire.


 




 

Cependant, cette vague de reconstruction a touché avec plus ou moins d'intensité les différentes régions qui font partie de la surface étudiée. (voir carte 7 et document 5). Ainsi, les, cantons d'Abbeville (2 églises sur 13 répertoriées, soit 15 %), d'Hallencourt (4 églises sur 20, soit .20 %) et de Molliens-Dreuil (6 églises sur 30, soit 20 %) sont peu concernés. Les cantons d'Amiens (5 églises sur 16, soit 31 %), de Picquigny (7 églises sur 21, soit 33 %) et de Domart-en-Ponthieu (7 églises sur 22, soit 32 %) le sont moyennement. Et ce, par rapport aux cantons d'Ailly-le-Haut-Clocher (10 églises sur 23, soit 43 %) et surtout par rapport au canton de Villers-Bocage qui, avec 12 édifices sur 25 répertoriés, soit 48 %, est le canton où il s'est le plus construit d'églises pendant la période concordataire. 


 




 

          D'où proviennent ces disparités ?


La cause principale invoquée pour la reconstruction d'une église est son mauvais état général, rendant inutiles toutes réparations partielles. On constate ainsi, et ce grâce aux procès-verbaux de visites pastorales de Monseigneur Mioland (1839-1844), que les cantons d'Abbeville, d'Hallencourt et de Molliens-Dreuil, peu concernés par la vague de constructions qui nous intéresse, possèdent à cette époque des églises bien entretenues, 70 % de ces édifices au moins sont en bon état. De plus, certaines églises du canton d'Hallencourt (dans les villages d'Allery, de Fontaine-sur-Somme et de Huppy) sont de solides constructions du XVlème siècle.
De plus, les cantons d'Ailly-le-Haut-Clocher et de Villers-Bocage, possédant tous deux plus de 40 % de leurs églises édifiées au XIXème siècle, ont, quant à eux, 1 église sur 2 en mauvais état entre 1839 et 1844.
Cette configuration pourrait être la conséquence à long terme des exactions ou du défaut d'entretien qu'ont connus ces monuments pendant la période révolutionnaire.

On constate aussi, d'après la "carte de géographie morale et religieuse de la Somme en 1848" (21) que les cantons d'Ailly-le-Haut-Clocher, de Domart-en-Ponthieu et de Villers-Bocage, régions considérées comme 'assez satisfaisantes", sont ceux où les constructions d'églises ont été les plus nombreuses sur l'espace qui nous occupe au XIXème siècle. Ils s'opposent en cela aux cantons de Molliens-Dreuil et d'Hallencourt notamment, considérés comme "médiocres" et même "mauvais", peu touchés quant à eux par la "fièvre de reconstruction" du XIXème siècle. La reconstruction de !'église ayant pour initiateur le prêtre dans la plupart des cas, mais elle repose surtout sur les élites locales et sur les populations villageoises, prêtes à produire un effort financier de longue durée.
Ces différentes disparités de pourcentage d'églises issues du siècle précédent à l'intérieur des cantons s'expliquent donc par la conjonction de ces deux éléments : des églises en mauvais état, situées dans des villages où le prêtre, les élites locales, la communauté toute entière, sont disposés à assumer l'effort financier nécessaire à leurs reconstructions.

Les régions comprises entre Amiens et Abbeville connaissent donc au XIXème siècle un mouvement de reconstruction des édifices religieux d’une grande ampleur : 1 église sur 3 date de cette période. Ce pourcentage est bien supérieur à celui concernant l'ensemble du département, 1 sur 5. Les cantons d'Ailly-le-Haut-Clocher et de Villers-Bocage, avec respectivement 10 et 12 réalisations, sont même les plus "prolifiques" de la Somme.



          3. Différents modes de financement.


L'église est l'édifice le plus important du village. Sa reconstruction, qui est une décision mûrement réfléchie, nécessite l'emploi de fortes sommes d'argent.

La Fabrique, qui est en général l'instigatrice du projet, ne peut en assurer seule le financement. Elle se tourne alors vers la commune, comme le stipule le décret du 30 décembre 1809. Le Conseil municipal dispose, lui, tout d'abord des fonds communaux, comme la vente d'arbres ou la mise en adjudication de parcelles de marais tourbeux (pour les communes de la vallée de la Somme). Dans la plupart des cas, une imposition extraordinaire est décidée et ce, en accord avec les notables locaux. Celle-ci nécessite l'autorisation du gouvernement et est utilisée par les commandes sans ressources. Cette imposition qui dure de 10 à 15 ans, couvre alors le montant de l'emprunt contracté par le Conseil municipal.

Celui-ci a la possibilité de demander une aide au gouvernement, le Secours. Cette pratique, inaugurée sous la Monarchie de Juillet, est cependant limitée. Chaque année, en effet, une certaine somme d'argent est portée au budget du Ministère des Cultes, afin d'aider les communes en difficulté. Le budget de la " Caisse du Secours", qui varie suivant les années, est fortement disproportionné par rapport au nombre important des demandes formulées par les communes.

Aussi, les différents Ministres des Affaires Ecclésiastiques qui se succèdent, demandent-ils~.à leurs Préfets, pendant toute la seconde moitié du XIXème siècle, d'examiner minutieusement les dossiers de demandes et d'effectuer un choix au préalable avant envoi.
Le Préfet, lui aussi, a la possibilité d'octroyer une somme d'argent aux Conseils municipaux. Ce Secours est accordé en cas de besoin urgent et ne représente qu'une somme très minime.
Il est ainsi difficile aux communes de réunir l'argent nécessaire au paiement des travaux. Certaines élèvent donc leur église en plusieurs fois : à Saint-Ouen, dans le canton de Domart-en-Ponthieu, le chœur et le clocher de l'église datent de 1824, la nef de 1843 (22) ; à Buigny-l'Abbé, dans le canton d'Ailly-le-Haut-Clocher, la nef et le clocher de l'église ont été construits en 1846, le chœur en 1868.

Le Conseil Municipal peut aussi bénéficier de l'offrande des notables ou de la noblesse locale, qui participent ainsi à la reconstruction de l'église de leur village. Le montant de ces dons est fort variable. A Poulainville, près d'Amiens, en 1867, M. Lépine (un propriétaire) lègue 10.000 F., sur un coût total de 42.500 F., soit 25 %. A Havernas, dans le canton de Domart-en-Ponthieu, M. de Brandt (châtelain du village et Maire de la commune) et sa sœur apportent 65.000 F. pour le financement de la construction de l'église et ce sur un total de 72.500 F., soit 90 %. A Vignacourt, dans le canton de Picquigny, en 1872, M. Dubuc, un gros propriétaire de Paris, originaire de la commune, offre lui, 215.000 F., somme colossale à l'époque, sur les 250.000 F., coût total des travaux. II est ainsi à l'origine de la construction de la monumentale église néo-gothique qui orne la place de Vignacourt et est considéré au sein de la commune, comme un bienfaiteur (23).
Dans d'autres cas, la noblesse locale se charge elle-même de la reconstruction de l'église du village (don du nouvel emplacement, financement des travaux, choix de l'architecte ...). L'église de Molliens-au-Bois, située dans le canton de Domart-en-Ponthieu, construite en 1872, est ainsi due à la libéralité de M. Poujol de Molliens ; l'église de Bovelles, dans le canton de Molliens-Dreuil, consacrée le 7 Juillet 1874, est due à M. de Franqueville ;l'église de Vauchelles-les-Domart, datant de 1882, est un don de M. de Gomer à la commune. Une donation de ce type lui donne notamment le droit "de retenir la propriété d'un banc ou d'une chapelle, pour lui et sa famille, tant qu'elle existera" (24).

Une souscription publique organisée au sein du village peut réunir, dans certains cas, une grosse partie des fonds nécessaires. Elle témoigne ainsi de l'effort financier consenti par ces populations rurales, pauvres en général, pour la reconstruction de leur église. Ces souscriptions ou ces quêtes sont dirigées par le prêtre ou par le Conseil de Fabrique, parfois par le Conseil municipal ou par le Maire (comme à Saint-Vaast, dans le canton de Villers-Bocage, en 1833).
A Halloy-les-Pernois, dans le canton de Domart-en-Ponthieu, en 1882, 10.035 F. sont ainsi réunis sur les 48.245 F., coût total des travaux, soit 20 % ; à Crouy-Saint-Pierre, dans le canton de Picquigny, en 1888, la souscription publique représente 20 444 F. sur un total de 32.615 F., soit 62 % ; à Fresnoy-au-Val, dans le canton de Molliens-Dreuil, en 1901, 16.454 F. sur 34.900 F. au total, soit 47 %.
De plus, certaines souscriptions, organisées pour financer la construction de l'église, permettent de réunir l'ensemble de la communauté villageois autour du projet. Chaque famille donne une petite somme d'argent, selon ses modestes moyens, et participe ainsi à l'entreprise collective.
A Ferrières, dans le canton de Picquigny, l'église est reconstruite en 1867 et ce pour 21 379 F. La souscription publique rassemble 11.538 F., soit 36 % du coût total des travaux. Elle est composée de 1.007 F. en dons de matériaux, venant de 27 personnes différentes et de 10.531 F. en argent. Si l'on enlève les dons respectifs du Maire et du châtelain, s'élevant à 8.500 F., on arrive à un total de 2.000 F. environ et ce pour 103 dons, soit 10 F. par don en moyenne. L'ensemble de la population du village, composée de 400 habitants environ à cette époque, a donc participé à la reconstruction de l'église.

A Bonneville, dans le canton de Domart-en-Ponthieu, une souscription publique est aussi organisée en 1895 par le Conseil municipal pour la reconstruction de l'église. Elle permet de réunir 29.962 F., soit 36 % du coût total des travaux évalué à 82.406 F. Si l'on excepte les 10 dons principaux de plus de 1.000 F., on arrive à un total de 14.000 F. et ce pour 166 dons, soit 84 F en moyenne par don. L'ensemble de la population du village (800 habitants) participe là aussi à l'effort communautaire. La liste des souscripteurs est composée dans sa grande majorité d'hommes, pourtant 16 veuves sont aussi donataires, de plus toutes les classes sociales sont représentées : propriétaires et négociants, cultivateurs et artisans (bourreliers, maçons, maréchaux-ferrants ...), ouvriers agricoles (bûcherons, manouvriers) et domestiques, mais aussi garde champêtre, Maire et desservant.
A Coisy, dans le canton de Villers-Bocage, c'est la population du village elle-même qui a élevé son église en 1853 : "les habitants de Coisy ont fait des sacrifices et des efforts surhumains car on les a vu nourrir les ouvriers, travailler eux-mêmes, faire les charrois, offrir de l'argent et des matériaux avec un ensemble parfait, avec une persévérance admirable" (25).

Les fonds nécessaires à la construction des églises pendant le siècle concordataire ont donc différentes origines. Ils proviennent des ressources communales ou de Secours de l'État, des élites locales (notables et noblesse) par le biais de l'imposition extraordinaire ou de donations, de souscriptions publiques organisées au sein des populations. L'ensemble de la collectivité villageoise a donc participé au XIXème siècle à cet effort de reconstruction.
Cependant, la part de ces différents moyens de financement a évolué.
Pendant la première moitié du XIXème siècle, tout d'abord, les Secours de l'État, créés sous la Monarchie de ,juillet, ne représentent qu'une faible part, 5,4 %. Les Fabriques, dont les biens ont été aliénés sous la Révolution, n'ont pas la possibilité de financer la construction d'une église ; le chiffre de 1 % au total est donc révélateur de cette situation. Avec 60 %, la part des fonds communaux est majoritaire. Les dons et souscriptions des particuliers, avec 28 %, sont également importants. Ainsi, à Allonville, près d'Amiens, en 1841, la souscription de M. de Raineville représente 55 % du coût total de la construction.
Ce bilan évolue peu sous le Second Empire. La part de la commune (53,5 %) et celle des dons et souscriptions des particuliers (26,7 %) sont quasi-identiques à la période précédente. Cependant, celle du Secours de l'État, avec 10,5 %, double. Et de 1860 à 1869, dans 9 cas sur 12 répertoriés, l'État participe au financement des travaux et ce dans des proportions importantes, de 15 jusque 29,5 %, même dans le cas de l'église de Montagne-Fayel, dans le canton de Molliens-Dreuil, élevée de 1861 à 1864 (4.000 F. sur un total de 13.585 F.). La part de la Fabrique augmente elle aussi, mais ceci est uniquement dû à l'édification de l'église de Mouflers, située dans le canton d'Ailly-le-Haut-Clocher où " tous les frais ont été payés par la vente de biens appartenant à la Fabrique" (26).
Enfin, sous la Troisième République, on assiste à un renversement dans les parts respectives des fonds communaux (28,3 %) et des dons et souscriptions des particuliers (60 %) et ce, par rapport aux deux périodes précédentes. La part du Secours de l'État reste, elle, sensiblement identique, avec 9,5 %. Il est ainsi intéressant de constater que de 1882 à 1904, l'État participe au financement de 9 des 10 églises construites, et ce dans des proportions importantes, -20 % en moyenne. Ainsi, malgré un anticléricalisme affiché, l'État continue d'aider les communautés villageoises dans leurs entreprises de reconstruction des édifices du culte.


 




 

Ainsi différents modes de financement participent à la reconstruction des églises du XIXème siècle. L'État apporte une aide importante aux collectivités locales, à partir de la Monarchie de Juillet. Mais les communautés villageoises surtout, sont très actives, accordant leur soutien au prêtre et au Conseil de Fabrique, participant aux souscriptions publiques et même parfois aux travaux. Les élites locales ont, eux aussi, un rôle déterminant, en répondant favorablement aux impositions extraordinaires votées par le Conseil Municipal, ou même grâce à des donations importantes. La construction d'une église est l'occasion, pour toute la population du village, de s'unir autour d'un projet commun.



          4. L'emplacement choisi.


L'emplacement à l'intérieur du village des églises construites au XIXème siècle, est tout à fait révélateur de cet investissement des populations rurales. La grande majorité d'entre elles sont ainsi situées au milieu des habitations, au centre de l'agglomération.
La nouvelle construction est ainsi élevée sur l'emplacement de l'ancienne église, démolie peu de temps auparavant. Autour, restent parfois quelques monuments funéraires, quelques croix de fer, débris de l'ancien cimetière qui vient d'être déplacé à l'extérieur du village. Cette translation précède parfois l'édification de la nouvelle église de peu de temps. Ainsi, à Gorenflos, dans le canton d'Ailly-le-Haut-Clocher, la nouvelle église en briques est construite en 1869 sur l'emplacement de l'ancienne et du cimetière, déplacé en 1854. De même, à Coisy, dans le canton de Villers-Bocage, où l'église est édifiée en 1854, le cimetière étant, quant à lui, transféré à l'extérieur de la commune en 1844.
La construction d'une nouvelle église permet alors au Conseil municipal de mettre en valeur l'espace ainsi libéré au centre du village.

Dans d'autres cas, l'emplacement de la nouvelle église est un choix qui s'inscrit dans le cadre plus vaste d'une politique d'organisation de l'espace, au sein de la commune. En effet, l'ancienne église, petite et délabrée, située à l'extrémité du village ou même en dehors, ne participe pas véritablement à la vie quotidienne de ses habitants: L'emplacement de la nouvelle construction est alors acheté par la commune, comme à Bavelincourt, par exemple, dans le canton de Villers-Bocage, en 1853 ou à Bettencourt-Saint-Ouen, dans le canton de Picquigny, en 1848. Le nouveau terrain peut aussi être l'objet d'une donation venant d'un gros propriétaire ou même du châtelain. Ainsi, à Raineville, dans le canton de Villers-Bocage, Melle de Raineville écrit au Maire de la commune en 1861 : "J'ai le dessein d'aider à la reconstruction de l'église de la commune, en lui faisant don de l'emplacement nécessaire". (27). De même, à Molliens-au-Bois, en 1869, toujours dans le canton de Villers-Bocage, M. Poujol de Franqueville, qui finance entièrement la construction de la nouvelle église, offre également l'emplacement. Il s'agit d'un terrain situé dans le haut du village et parmi les habitations, rue Neuve. L'ancien édifice était auparavant placé au milieu du cimetière et à l'extérieur de l'enceinte de l'agglomération.


Ainsi, la nouvelle église, pour laquelle l'ensemble de la communauté s'est investi, doit être située au centre du village.


Cependant, ce choix est parfois discuté. Certains mettent alors en évidence le ou les mauvais côtés pratiques du nouvel emplacement du lieu du culte. Ainsi, à Saint-Léger-les-Domart, dans le canton de Domart-en-Ponthieu, en 1857, "aucun avantage ne peut se produire en bâtissant l'église sur la place publique, c'est l'endroit où l'on rencontre le plus d'inconvénients. Beaucoup d'habitants se servent de cette place pour battre du trèfle, puis du lin et une partie des récoltes. La proximité d'une rue, et d'une route très fréquentée, devant nécessairement interrompre le prêtre aux offices ...." (28). Ainsi, la situation de l'église, parmi le bruit et l'activité économique, pourrait être la cause d'un détachement religieux des populations, tout comme d'ailleurs un changement dans les habitudes. On s'inquiète à ce sujet à Halloy-les-Pernois, là aussi dans le canton de Domart-en-Ponthieu, en 1875, car "le changement de local et partant d'habitudes, peut entraîner du relâchement dans l'accomplissement des devoirs religieux" (29).
Or, les membres du clergé ont une attitude assez diverse à propos du choix de l'emplacement de la nouvelle église. Certains prêtres, comme l'abbé Saint-Aubin à AIlonville en 1840 et l'abbé Dubos à Dreuil-les-Amiens en 1854, près d'Amiens, offrent une partie du terrain dépendant de la maison presbytéral. Celle-ci, située à proximité du cimetière communal et à l'extrémité de l'enceinte des habitations, permet alors de construire la nouvelle église dans des dimensions en rapport avec la population du village, sans toutefois la séparer du "champ des morts". Le centre religieux de la paroisse ne se trouve pas alors divisé.
D'autres prêtres s'opposent au déplacement de l'église. Ainsi, à Fréchencourt dans le canton de Villers-Bocage, en 1859, "M. le curé sème le plus grand désordre dans la commune, en soudoyant les habitants de refuser cette place qui offre tant d'avantages, sous le prétexte qu'il aurait un peu de dérangement pour aller à l'église" (30). L'abbé Lavallard, lui, à Pont-Rémy dans le canton d'Ailly-le-Haut-Clocher, en 1847; organise une souscription publique afin d'acheter un terrain au centre du village sur lequel sera édifiée la nouvelle église, l'ancienne se trouvant au milieu du cimetière à 100 mètres de distance de la première habitation.
Cependant, l'achat du nouveau terrain nécessite une autorisation préfectorale. C'est le Préfet qui, en dernier ressort, donne son accord en promulguant un arrêté officiel. Dans ce cas-là aussi, avant de prendre sa décision, il consulte auparavant l'Évêque. En 1858, Monseigneur Boudinet s'exprime en ces termes, à propos du site de la future église de Saint-Léger-les-Domart, dans le canton de Domart-en-Ponthieu : "L'emplacement le plus convenable, et même le seul convenable, est sans contredit le terrain de la place publique. Une église éloignée du village ne remplirait pas le but religieux, civilisateur et moral, que le Gouvernement, d'accord avec l'Église, se propose en finançant l'édification ou la reconstruction de nos temples" (31).

La place de l'église au XIXème siècle est donc au centre du village, au milieu des habitations et de l'activité économique des villageois. Ce mouvement de recentrage de l'édifice du culte à l'intérieur de l'agglomération, s'appuie largement sur la volonté et l'action des élites locales, de la noblesse notamment.
II s'agit alors de créer une place publique autour de la nouvelle église et au centre du village. Celle-ci regroupe alors l'ensemble des fonctions publiques (mairie et école communale), des fonctions économiques (commerces et artisanats), mais est aussi un lieu de rassemblement de la population, autour, des puits et de la mare communale.


L'église du XIXème siècle est donc celle du village tout entier. Elle trouve tout naturellement sa place au centre de l'agglomération et participe ainsi à la vie quotidienne des villageois. La place publique s'orne alors du nouvel édifice, une vaste église néo-gothique dans la seconde moitié du siècle. Celle-ci, avec ses ornements et sa haute flèche, correspond alors tout à fait aux aspirations des villageois.



          5. Le style du nouvel édifice.


Le XIXème siècle fut donc pour la région entre Amiens et Abbeville, un vaste chantier de constructions d’églises. Plusieurs styles d’architecture cependant sont utilisés successivement, correspondant à la vogue de l’époque, répondant aussi aux aspirations et aux besoins des populations rurales.


Les premières décennies du XIXème siècle voient s'édifier, entre Amiens et Abbeville, des églises sans style défini et à l'aspect massif. On peut citer en exemple les églises de Saint-Vast, construite en 1833, dans le canton de Villers-Bocage ; de Saint-Ouen, dans le canton de Domart-en-Ponthieu, dont le chœur et le clocher datent de 1824, la nef de 1843 ; ainsi que les nefs des églises de Bourdon, dans le canton de Picquigny, édifiée en 1826 et de Citernes, dans le canton d'Hallencourt, édifiée, elle, en 1842. La taille imposante de la nef de ces différents édifices signifie la volonté d'abriter à l'intérieur des murs, le maximum d'habitants du village. Les populations des campagnes connaissent en effet, à cette époque, une forte croissance démographique.


Mais cette première moitié du XIXème siècle est fortement marquée par la vogue du style néo-classique. Celle-ci s'inscrit comme un prolongement aux réalisations de la fin du XVIIIème siècle. Dans l'ensemble du département, s'élèvent ainsi des édifices à l'ornementation sobre, inspirée des temples antiques (grecs et romains) ; le modèle en est l'église de Boves, construite suivant les plans de l'architecte Godde et achevée en 1818. Divers monuments sur l'espace qui nous occupe, ont été érigés dans ce style néo-classique ; et notamment, les églises de Saint-Aubin-Montenoye, datant de 1840 et de Metigny, datant de 1841 ou la nef de l'église de Bougainville, construite en 1829 et 1830, situées dans le canton de Molliens-Dreuil ; la façade de l'ancienne église de Vignacourt, datant de 1821 ou celle de l'église de. Breilly, datant de 1834, toutes deux situées dans le canton de Picquigny ;les églises de Sorel, dans le canton d'Hallencourt et de Buigny-l'Abbé, dans le canton d'Ailly-le-Haut-Clocher, construites respectivement en 1838 et en 1845. Au total, une dizaine de monuments sont édifiés dans ce sobre style néo-classique, entre Amiens et Abbeville, et ce à partir de 1820. Le dernier en date en est l'église de Bavelincourt, dans le canton de Villers-Bocage, construite en 1853. On peut ainsi remarquer que le dépouillement et la simplicité de l'ornementation des années 1830-1840 laissent ici la place à une décoration plus compliquée, qui surcharge la façade.


 















Église de Bavelincourt (1853)


 

Viennent ensuite les églises de Bettencourt-Saint-Ouen, dans le canton de Picquigny et de Saint-Léger-les-Domart, dans le canton de Domart-en-Ponthieu, construites toutes deux, respectivement en 1848 et de 1860 à 1863, et ce suivant les plans de l'architecte Demoulin, de Doullens. Ces deux édifices se composent d'une vaste nef sans décoration, aux fenêtres en plein cintre et surtout d'une, façade tout à fait caractéristique. Ce style élégant n'a cependant pas fait école au XIXème siècle, les églises de ces deux communes (espacées de quelques kilomètres de distance) en étant les seules représentantes.


 














Église de Saint-Léger-les-Domart
(1860 à 1863)


 

La seconde moitié du XIXème siècle est, elle, toute entière vouée au néo-gothique, une trentaine d'églises sont ainsi construites dans ce style, de 1850 à 1880 notamment. 
Ce mouvement est issu du regain d'intérêt, à la réhabilitation du Moyen-Age qui s'effectue à l'époque, sous l'influence du romantisme. Celui-ci contribue ainsi à ranimer en France le goût pour l'architecture gothique du XIIIème siècle. Ce style apparaît aux bâtisseurs de cette seconde moitié du XIXème siècle, comme le plus expressif de la foi ancestrale des Français. On idéalise ce passé, cet "âge d'or de la foi" et ce, en ces temps troublés par le matérialisme ...
De plus, le style néo-gothique permet une réelle économie de moyens par rapport au style néo-classique, car "il n'était pas nécessaire d'employer pour la totalité de l'édifice des matériaux résistants et coûteux" (32). Le coût de la construction se réduit aussi grâce à J'emploi de la brique. Celle-ci est désormais moins chère que la pierre et ce, grâce à l'emploi d'un nouveau combustible, le charbon, acheminé par voie de chemin de fer. De plus, les architectes utilisent le système du "plan-type", qui uniformise les constructions. Ainsi, l'église idéale est bâtie en croix latine, comprenant trois nefs et un transept. Ceci amène cependant une certaine monotonie de l'aspect de ces monuments, accentuée par l'austérité de l'ornementation.
Ces églises sont en règle générale assez volumineuses (de 30 à 35 m de longueur sur 10 à 12 m de largeur), par rapport aux constructions issues des époques précédentes. Le style néo-gothique permet ainsi aux communes de se procurer sans trop de frais un édifice en rapport avec la population. De plus, elles sont toutes surmontées d'une flèche effilée, très haute, et bien visible des campagnes environnantes, des villages voisins notamment ; ce qui amène une certaine émulation entre les différentes communautés.
La grande majorité d'entre elles ne diffèrent en fait que par la qualité ou par la profusion de l'ornementation (fenêtres, statues et sculptures diverses). Certaines d'entre elles, comme l'église de Ferrières, bâtie en 1868 ou celle du village de Crouy-Saint-Pierre, élevée en 1887 et 1888, toutes deux situées dans le canton de Picquigny, sont complètement dénudées et dépourvues de la moindre décoration. Ceci réduit le coût de leur construction au minimum; 35.000 F. environ pour celle de Crouy-Saint-Pierre. D'autres, au contraire, sont remarquables par le luxe de leur décoration.


 














Église de Bovelles (1872).
 

Ce sont en général les constructions financées par les dons de particuliers, par la noblesse locale notamment. On peut ainsi citer les églises de Raineville, édifiée en 1865, ou de Molliens-au-Bois, construite en 1872, dans le canton de Villers-Bocage ; l'église d'Havernas, édifiée elle, de 1872 à 1875 ou de Vauchelles-les-Domart, de 1882, dans le canton de Domart-en-Ponthieu.
Quelques églises de style néo-gothique ont aussi un aspect monumental, comme par exemple la grande église de Flesselles, édifiée en 1872, dans le canton de Villers-Bocage, mais aussi, et surtout, l'église de Vignacourt, située dans le canton de Picquigny, construite de 1872 à 1878. Celle-ci, avec ses trois nefs, a été édifiée en fait aux dimensions d'une petite cathédrale, avec ses 55 mètres de longueur pour 24 mètres de largeur et 50 mètres de hauteur. L'église de Long, dans le canton d'Ailly-le-Haut-Clocher, construite de 1845 à 1851, ainsi que la grande nef de l'église de Molliens-Dreuil datant de 1856, qui sont les seuls monuments néo-gothiques en pierres, ont elles aussi un aspect monumental.

Ainsi, 29 des 53 églises édifiées au XIXème siècle, soit 54 %, le sont dans le style néo-gothique ; ce chiffre monte à 83 % pour la seconde moitié du XIXème siècle (29 sur 35 édifices répertoriés). Pourtant, dans les années 1820 à 1840, le style néo-classique apparaît toujours comme le seul style convenant aux églises. Cependant, le néo-gothique s'impose peu à peu, s'appuyant notamment sur un mouvement de redécouverte de la période médiévale, sous l'influence des laïcs (des sociétés savantes ou des architectes comme Viollet-le-Duc), puis bientôt du clergé. Des revues se chargent de diffuser des modèles, dans les milieux ecclésiastiques notamment, les Annales Archéologiques fondées par Didron en 1844 et surtout la Revue de l'Art Chrétien publiée à Paris à partir de 1857, .sous la direction du Chanoine Corblet. Celle-ci est destinée à offrir des exemples aux prêtres et aux architectes désireux de reconstruire leur église.
Le milieu du XIXème siècle voit ainsi l'avènement du style néo-gothique sur l'espace compris entre Amiens et Abbeville. L'église de Bavelincourt, construite en 1853, dans le canton de Villers-Bocage, est la dernière production de style néo-classique, tandis que l'église de Long, édifiée entre 1845 et 1851, est, elle, la première de style néo-gothique. On s'interroge cependant, dans un premier temps, sur le coût de ces églises en briques, vastes et d'un aspect nouveau. Ainsi, à Coisy, en 1854, dans le canton de Villers-Bocage, "l’église de style ogival du XIIIème siècle attire l'attention et excite dans Amiens une vive surprise quand on pense à la faiblesse des moyens employés" (33).
Le style néo-gothique s'impose alors peu à peu entre 1850 et 1860, grâce à l'utilisation de plans-types notamment, ou au rôle de diffuseurs, auprès de la population rurale, des architectes tels que Deleforterie (père et fils), près d'Amiens. Aussi, dès 1854, l'Evêque, Monseigneur de Salinis, écrit au Préfet à propos de la nouvelle église de Longpré-les-Amiens, près d'Amiens : "Je suis dans l'extrême conviction que le style ogival du XIIIème siècle qui est un produit du génie français, est à la fois plus religieux, plus monumental, mieux approprié à notre climat, et qu'il offre des conditions d'élégance et de solidité qu'on n'obtient qu'à beaucoup plus de frais dans les styles grecs, romains ou modernes ..." (34). Son coût relativement modique incite les Conseils municipaux et les élites locales à reconstruire la vieille église en pierres, mal entretenue et devenue trop étroite pour la population. La nouvelle église en briques, vaste et haute avec son clocher et sa flèche effilées, orne alors la place publique ; elle devient, le "symbole de la modernité" (35).
S'ensuit alors une véritable "fièvre de reconstruction" parmi les communautés villageoises, dans cette seconde moitié du XIXème siècle. Le clergé, ainsi que !es élites locales, en sont les principaux acteurs. L'émulation entre villages voisins a très certainement joué un rôle important. Ainsi, peut-on se contenter de la vieille et basse église en pierres, alors que le village voisin vient d'élever une belle construction néo-gothique, dont la haute flèche domine fièrement la plaine ?


D'autre part, une église fut aussi construite entre 1867 et 1871 dans la commune de Pont-Rémy, canton d'Ailly-le-Haut-Clocher, dans le style néo-roman, suivant les plans de l'architecte Massenot. Celle-ci se différence peu cependant des églises néo-gothiques.


L'église néo-byzantine de Cardonnette, dans le canton de Villers-Bocage est, elle aussi, un cas isolé. Édifiée en 1895 suivant les plans de l'architecte Riquier, elle possède une certaine originalité qui tient à son ornementation, à l'emploi de briques de différentes couleurs et surtout au dôme qui la surmonte, visible de très loin dans la plaine aux alentours. On a dit ainsi, à propos de cette réalisation, que "l'auteur du projet a su arriver à un très bon et très intéressant résultat" (36).


 











 




Église de Cardonnette (1895).



Les constructions issues de la fin du XIXème et du début du XXème siècle sont, quant à elles, fort modestes. Ainsi, les églises de Bussus-Bussuel, datant de 1899 ou de Brucamps, datant de 1904, situées dans le canton d'Ailly-le-HautClocher ou celle du village de Fresnoy-au-Val, datant de 1902, dans le canton de Molliens-Dreuil, ne sont que de petites constructions sans aucun style, construites à moindres frais. Ceci témoigne de la difficulté qu'ont les communes et les collectivités rurales à réunir les fonds nécessaires à financer de nouvelles constructions, en cette fin de période concordataire.


Le XIXème siècle voit donc se succéder différents styles d'architecture. La rapidité de cette évolution est particulièrement frappante. Cependant, on peut s'interroger sur la valeur artistique des monuments de cette époque, pendant laquelle on s'est contenté d'imiter les productions antérieures (style néo-classique, néo-gothique puis néo-roman et même néo-byzantin). Ceci n'a pas échappé aux contemporains. Certains ont même critiqué "la vanité et le mauvais goût ambiant" (37). On fustige surtout les grandes églises néo-gothiques "au luxe déplacé, parfois même grotesque" (38). Celles-ci ont cependant permis aux architectes de répondre aux besoins des campagnes et ce, compte tenu des faibles moyens dont on disposait. De plus, la multiplicité des styles témoigne de l'intérêt que l'on portait à l'époque pour l'art religieux, notamment parmi les architectes.



          6. La construction du monument.


Les églises au XIXème siècle sont construites, dans la plupart des cas, par des entrepreneurs locaux, et ce suivant les plans et devis des architectes. Ceux-ci, auparavant, sont visés par une commission d'architectes, placés sous l'égide du Ministère des Cultes : la Commission des Bâtiments Civils avant 1848, puis la Commission des Arts et Édifices Religieux de 1848 à 1853 (présidée par Eugène Viollet-le-Duc), puis par diverses commissions dans la seconde moitié du siècle.

Leurs observations portent notamment sur la décoration de l'édifice. On demande ainsi en 1871 à l'architecte Deleforterie, plus de simplicité dans l'ornementation de la façade de la future église néo-gothique de Vignacourt, dans le canton de Picquigny. La taille de l'édifice doit aussi être en proportion de la population du village où il va être construit. Ainsi, à propos de la future église de Fréchencourt, dans le canton de Villers-Bocage, le Ministre des Cultes indique au Préfet en 1858 que "l'examen de ce projet a donné lieu de faire observer qu'il offrait des dispositions trop importantes eu égard à la population ... Un édifice conçu dans des données plus modestes et réduit notamment à une seule nef au lieu de trois .... semblerait mieux en rapport avec les besoins réels de la commune de Fréchencourt" (39). Il faut ainsi éviter de construire des édifices trop imposants, qui ne sont le fait que de rivalités, de l'émulation entre communes voisines.
Comme le fait observer, en 1846, le Ministre des Cultes au Préfet, certains projets "témoignent du désir de satisfaire d'un sentiment d'amour-propre et de vanité locale, plutôt qu'à des besoins réels` et urgents" (40).

La commission examine également attentivement le devis de leurs constructions futures, proposés par les architectes. A ce sujet, le Ministre des Cultes met en garde le Préfet en 1850 "Je recommande d'une manière particulière à votre attention la confection du devis. Il faut se prémunir des abus à cet égard et prévenir les communes : le plus dangereux n'est pas toujours l'exagération des évaluations ; c'est au contraire les évaluations insuffisantes qui font croire à une exécution à la portée des ressources pour déterminer à l'entreprendre, et qui ne tarde pas à être démentie par un surcroît de dépenses qui ruine les communes et laisse en présence d'un monument longtemps inachevé" (41). On est ainsi étonné de constater que le coût total de l'édifice à la réception des travaux est toujours supérieur à celui annoncé à l'origine par les architectes dans leurs devis, pourtant très détaillés. La différence s'élève ainsi suivant les cas, de 10 à 25 %, ce qui représente des sommes importantes, et ce d'autant plus que les collectivités ont de plus en plus de difficultés au cours du XIXème siècle à réunir les fonds nécessaires au paiement des travaux.
Parfois, cette augmentation s'explique par la volonté d'un généreux donateur ou par la population toute entière du village, de compléter l'ornementation de l'église. Ainsi, les travaux de construction de l'église d'Havernas étaient évalués l'origine à 42.000 F. Cette somme devait être acquittée en grande partie par le produit d'une souscription dirigée par le Maire, M. de Brandt. Les travaux commencent donc. Une autre souscription est alors organisée, rassemblant au total 30 000 F., ce qui permet de donner à l'édifice un aspect plus monumental. A la réception des travaux, l'ensemble du Conseil municipal constate alors que "les travaux supplémentaires exécutés n'ont fait qu'ajouter à la solidité aussi bien qu'à l'élégance de la construction" (42).

Cependant, dans la plupart des cas, cette augmentation n'est due qu'à un devis incomplet ou mal rédigé par l'architecte. Ainsi, l'architecte amiénois Daullé s'exprime en ces termes, à ce propos, au Préfet en 1859, à l'occasion de la construction de l'église de Flesselles, dans le canton de Villers-Bocage : "Dans cette commune, comme ailleurs, on se méfie des appréciations des architectes et je suis forcé de reconnaître que ce n'est pas sans de justes et légitimes motifs, aussi désirerais-je n'être pas compris dans ceux qui sont connus pour leur mauvaise foi ou leurs ignorances et nous font cette fâcheuse réputation" (43). Difficile de faire la part des choses, sachant que le salaire de l'architecte est calculé en fonction du coût total de la construction (5 % en général).

Les architectes (une quinzaine au total au XIXème siècle nous concerne), sous l'égide des diverses commissions spécialisées ou attachées au Ministère de l'Intérieur, ont tout de même permis aux communautés rurales de se doter d'un édifice consacré au culte, qui répondait à leurs besoins et à leurs aspirations ; une église de style néo-gothique dans la plupart des cas.



          7. Conclusion


L'espace compris entre Amiens et Abbeville, et qui fait l'objet de notre étude, a donc connu au XIXème siècle, une "fièvre de reconstruction". Avec 53 églises édifiées à cette époque sur 170 répertoriées, soit près d'une sur trois, elle est la région la plus touchée par ce mouvement dans le département (44).

Ce mouvement qui commence sous la Monarchie de Juillet, connaît son apogée sous le Second Empire, puis s'estompe à la fin siècle. La construction d'une église au XIXème siècle est essentiellement le fait des populations pratiquantes, prêtes à se mobiliser autour du projet. Le financement des travaux est dû ainsi, suivant en cela l'esprit du Concordat, à la large participation des communes mais aussi au soutien de l'État, et ce même sous la Troisième République (régime pourtant ouvertement anticlérical), ainsi que des élites locales (propriétaires et nobles).

La reconstruction d'une église est une décision mûrement réfléchie au sein des différentes collectivités concernées. Elle nécessite une importante procédure administrative. Au niveau local, la construction d'une nouvelle église est l'un des évènements majeurs de la vie du village au XIXème siècle. Le nouvel édifice, qui est aussi le monument le plus important du village, trouve idéalement sa place au milieu des habitations, à côté de la mare communale et des puits, à côté de l'école et de la mairie. Ce mouvement de recentralisation de l'édifice du culte, de création d'une place publique et donc de réorganisation de l'espace à l'intérieur du village, est largement issu de la volonté des élites locales. L'église au XIXème siècle est au centre de la vie publique.

La nouvelle église, de style néo-gothique dans la plupart des -cas, orne donc la place publique. Sa vaste nef en briques permet d'abriter l'ensemble des paroissiens, selon le vœu du prêtre et du Conseil de Fabrique. Au dehors, sa façade ornée de sculptures, ses fenêtres aux vitraux multicolores, attirent l'attention.. Le clocher surtout, au sommet d'une haute tour, et la flèche effilée se dressent au-dessus des habitations. Visible de loin, la nouvelle église est une source de fierté pour l'ensemble des villageois, qui ont participé aux travaux, mais aussi de convoitise et de désir pour les populations voisines qui, peut-être, en élèveront bientôt une semblable.


 



(nota : les communes citées sont localisées dans le département de la Somme, en Picardie ; les cotes des archives mentionnées sont celles qui ont été relevées sur les dossiers correspondants et sont consultables aux Archives départementales de la Somme).

(1) . C. Bouchon, C. Brisac, M.J. Chaline, J.M. Leniaud, Ces églises du XIXème siècle, Encrage Éditions, Amiens, 1993, 270 p. , p. 13.
(2) . Lettre datée du 27 Août 1888. 99 O 2751 (4) Montonvillers. ADS
(3) . Cependant, il est à remarquer que les villages ou hameaux possédant une église sur leur sol et rattachés pour le culte à l'église paroissiale du village voisin, ont entretenu et réparé, souvent à leurs frais, cet édifice pendant toute la période.
(4) . Décret du 30 Décembre 1809, article 41. V 431 0 .19 (Administration des Fabriques. Lois, règlements, instructions, circulaires. 1809-1896) ADS.
(5) . Lettre datée du 30 Juillet 1844. 99 02405 (4). Longueau – ADS.
(6) . Lettre du Maire au Préfet datée du 19 Août 1882. 99 O 2793 (4) Mouflers – ADS.
(7) . Le Dimanche. (Semaine religieuse du diocèse d’Amiens), 26 Novembre 1880 - n° 483.
(8) . R. Rodière / P. Des Forts, Le Pays du Vimeu, Imprimerie Yvert - Amiens 1938. 613 p., p. 482.
(9) . Notice historique sur l'abbé Naillon, Librairie catholique A. Guillaume, Amiens, 1880. 36 p., p. 13.
(10) . II s'agit de la première église de style néo-gothique élevée dans le département de la Somme.
(11) . Cette commune est située à l'extérieur de notre domaine d'étude.
(12) . Notice historique sur l'abbé Naillon . op. cit. p. 29.
(13) . Le Dimanche. 28 Mars 1875. n° 169.
(14) . Le diocèse d'Amiens compte à cette époque 14 cures de lère classe, dont 9 attachées au siège de la paroisse et 4 à titre personnel.

(15)
. Délibération du Conseil de Fabrique du 28 avril 1866. 99 O 3774 (4) Ville-le-Marclet. ADS.
(16) . Lettre de l'abbé Linet au Préfet datée du 30 Juillet 1844. 99 0 2405 (4) Longueau. ADS.
(17) . Décret du 30 décembre 1809. article 92, op. cit.
(18) . Lettre du Maire au Préfet datée du 11 Février 1881. 99 0 771 (4). Bonneville – ADS. 
(19) . Lettre de Monseigneur de Salinis au Préfet datée du 27 Janvier 1860. 99 0 2711 (4) Montagne-Fayel . ADS.
(20) . Lettre datée du 30 Ventose an XIII. V 431 0 82.
(21) . Matériaux pour l'histoire religieuse du peuple français (XIXème-XXème siècles). éditions du CNRS, Paris, 1982, 635 p.
(22) . Ceci explique pourquoi le clocher de l'église est situé au-dessus du chœur et non au-dessus de l'entrée de la nef, son emplacement habituel.
(23) . A la mort de M. Dubuc, en 1874, un monument rappelant sa mémoire a été érigé au centre du cimetière communal.
(24) . Décret du 30 décembre 1809. article 72. op. cit.
(25) . Lettre de l'abbé Debeaumont au Préfet datée du 28 Décembre 1854, 99 O 1193 (4) Coisy. ADS.
(26) . Lettre du Maire au Préfet datée du 19 Août 1882, 99 O 2798 (4) Mouflers. ADS.
(27) . Lettre datée du 27 Juillet 1861 - 99 O 3181 (4) - Raineville. ADS.
(28) . Déclaration de M. Helluin (propriétaire) lors de l'enquête de commodo et incommodo organisée pour déterminer l'emplacement de la future église, le 9 Avril 1857. 99 O 3385 (4) Saint-Léger-les-Domart. ADS.
(29) . Délibération du Conseil de Fabrique du 18 Août 1875. 99 O 2049 (4) Halloy-les-Pernois. ADS.
(30) . Lettre du Maire au Préfet datée du 27 Avril 1859 99 O 1835 (4) Fréchencourt. ADS.
(31) . Lettre de l'Evêque, Monseigneur Boudinet, au Préfet datée du 12 Août 1858 99 0 3385 (4) Saint -Léger-les-Domart. ADS.
(32) . C. Bouchon, C. Brisac, N.J., Chalines, J.M. Leniaud, Ces églises du XIXème siècle. op. cit. p. 130.
(33) . Délibération du Conseil de Fabrique en date du 28 Décembre 1854. 99 0 1193 (4) Coisy. ADS.
(34) . Lettre de l'Évêque au Préfet datée du 23 Octobre 1854. 99 O 222 (4), Amiens. ADS.
(35) . C. Bouchon, C. Brisac, N.J. Chalines, J.M. Leniaud, Ces églises du XIXème siècle siècle. op. cit. p. 110.
(36) . Conseil département des Bâtiments civils. 10 Janvier 1893 . 99 O 1054 (4) Cardonnette. ADS.
(37)
. A propos des nouvelles églises du département de la Somme. L'architecture et les Picards au XIXème siècle. Amiens. Rousseau Leroy, imprimeur éditeur, 1888. 59 p., p. 5.
(38) . Ibid p. 36.
(39) . Lettre du Ministre des Cultes au Préfet datée du 1er juillet 1858. 99 O 1835 (4) Fréchencourt ADS.
(40) . Lettre du Ministre des Cultes au Préfet datée du 24 Septembre 1846. V 431 082. ADS.
(41) . Lettre du Ministre des Cultes au Préfet datée du 28 Juin 1850. V 431 082 . ADS.
(42) . Délibération du Conseil Municipal en date du 26 Janvier 1876. 99 O 2131 (4) Havernas. ADS.
(43) . Rapport de l’architecte Daullé au Préfet daté du 26 août 1855. 99 O 1694 (4) Flesselles. ADS.
(44) . La ville d'Amiens elle-même non comprise.