Cimetière, du grec koimêtêrion et du latin
coemeterium, signifie "lieu où l'on dort". Cet euphémisme désigne
en fait l'endroit où l'on dépose les cadavres, où on les met en terre
dans nos régions.
Le cimetière, lieu donc d'inhumation, n'est pas un espace neutre. Là,
selon la religion et la doctrine chrétiennes, les défunts attendent la résurrection
des corps après la mort. C'est un "lieu de repos après les travaux,
les vicissitudes, les maladies et la mort... C'est un lieu terrible parce
que c'est là que la justice de Dieu règne en souveraine, mais chargé
d'espérance" (1). Le "champ des morts" est ainsi un
espace consacré par la religion.
De plus, l'ensemble de la communauté du village entretient un lien tout
particulier d'affection à l'égard de son cimetière. En effet, chacun
possède un parent ou un ami enterré à l'intérieur de ses murs ; chacun
souhaite être placé après sa mort auprès de sa famille et de ses ancêtres,
de ses proches. Ainsi, tous les habitants s'y rassemblent après leur décès,
le cimetière recréant un "village des morts" situé à l'intérieur
ou à l'extérieur du "village des vivants".
1. Un domaine sacré, propriété de la commune.
Au sortir de la Révolution et peu
après le rétablissement ales cultes, le cimetière, qui appartenait aux
paroisses sous l'Ancien Régime, devient une propriété communale.
Pendant tout le XIXème siècle, il est l'objet de l'attention des
Gouvernements successifs, des Préfets, mais aussi, à l'échelon local,
des Maires et de l'administration municipale. Les décrets ou circulaires,
les enquêtes (2) ou les arrêtés de police concernant les cimetières
communaux se multiplient.
L'action de l'administration dans son ensemble s'appuie alors sur le Décret
impérial du 23 Prairial an XII (12 juin 1804), qui réglemente la pratique et la police des
inhumations. II peut être considéré comme le texte fondateur dans ce
domaine. Auparavant, en effet, aucun texte de loi n'avait pris en compte
et régi l'ensemble de l'organisation interne et externe du cimetière (3).
Le Préfet, en commentant le texte du décret aux Maires du département,
affirme ainsi que : "Depuis longtemps, le respect dû à la cendre
des morts et la salubrité publique réclamaient qu'il fût pris des
mesures pour établir !a police des inhumations et des lieux de sépulture
: le Gouvernement a fixé son attention sur cet objet important ..."
(4)
Cependant, sous l'Ancien
Régime, la bonne tenue du cimetière paroissial faisait partie des préoccupations
des hauts dignitaires de l'Église. Les procès verbaux de visites
pastorales, rédigés à cette époque, contiennent ainsi nombre de blâmes
à l'encontre du curé ou des fabriciens qui négligent l'entretien du
"champ des morts". Les vicaires généraux ou les archidiacres
se préoccupent de l'état de l'enceinte qui, ouverte, pourrait laisser
entrer les bestiaux. Ainsi, à Contay (dans !e canton de Villers-Bocage)
en 1733, "le cimetière ouvert de tous côtés ... des cochons
souilloient les fosses" (5). A Montrelet (dans le canton de
Domart-en-Ponthieu), "On passe à travers du cimetière pour aller
d'un village à un autre" (6). On réprimande aussi à Allery
(dans le canton d'Hallencourt) "le marguilier qui fait paître sa
vache dans le cimetière" en 1733 (7). Cette action est révélatrice
du souci de l'état matériel des paroisses à cette époque, mais rentre
aussi dans le cadre de la discipline du diocèse. Ainsi, les différents
évêques des XVIIème et XVIIIème siècles attirent-ils fréquemment
l'attention sur la tenue des cimetières paroissiaux dans leurs statuts
synodaux. Monseigneur Feydeau de Brou, en 1697, "défend d'y exposer
en ventes aucune marchandise ou denrée, sous quelque prétexte que ce
soit" (9). Désormais, on exige plus de respect envers les
morts, comme à Dreuil-les-Molliens (dans le canton de Molliens-Dreuil) en
1733 : "le cimetière est dans un triste état, quand on bat dans la
grange, on jette les pailles dans le cimetière, en sorte que le cimetière
est comme une cour pleine de fumier : nous l'avons interdit" (9).
Le décret du 23 Prairial an XII fait suite à une volonté de discipline
à l'égard du cimetière, imposée notamment à l'intérieur du diocèse
sous l'Ancien Régime par les hauts dignitaires de l'Église. Grâce
à ce même décret du 23 Prairial an XII, les communes ont vu s'étendre
au début du XIXème siècle leurs administrations, leurs prérogatives
sur les cimetières. Ce domaine concernait auparavant, sous l'Ancien Régime,
le curé et la Fabrique au sein de la paroisse, l'Évêque dans le cadre
de la discipline à l'intérieur du diocèse. Ainsi, l'article 16 du décret
du 23 Prairial an XII précise que "les lieux de sépulture seront
soumis à l'autorité, police et surveillance des administrations
municipales" (10).
Le Maire de la commune exerce alors seul la police des inhumations. C'est
à lui qu'il appartient désormais "de veiller à ce qu'il ne se
commette aucun désordre dans les lieux de sépulture, et de renouveler en
conséquence les défenses d'y laisser paître ou divaguer les animaux,
d'y faire aucune œuvre servile, d'y commettre aucune indécence, d'y
jeter ou conduire des immondices, et d'y rien faire qui soit contraire au
respect dû à la mémoire des morts" (11). Et ainsi, au cours
du XIXème siècle, divers arrêtés municipaux interdisent dans les
communes certains usages illicites, contraires "au respect dû aux
morts". Par exemple, à Breilly dans le canton de Picquigny en 1805,
un arrêté de police municipale précise que "nul ne pourra faire sécher
du linge sur la clôture du cimetière" (12). Le Maire fixe
aussi les heures d'ouverture et de fermeture du cimetière, reçoit les
diverses réclamations des villageois …
La commune doit également veiller à son entretien, au bon état de
l'enceinte notamment. Cependant, les productions qui pourraient provenir
du cimetière (ventes d'arbres ou de l'herbe fauchée) appartiennent,
elles, à la Fabrique. Dans certains cas, il peut s'agir d'une source
importante de revenus (13). Cette cohabitation entre Conseil
municipal et fabriciens à propos du cimetière pendant la période
concordataire ne se déroule pas toujours sans heurts et sans incidents
…
Celle-ci prend fin en 1905, avec la loi du 9 Décembre qui entérine la Séparation
dé l'Église et de l'État et décide la fin de l'existence des
Fabriques. A partir de cette date et ce jusqu'à nos jours, le cimetière
appartient entièrement à la commune, qui est chargée de son
administration et de son entretien.
Quelques années auparavant, une autre loi, datée du 14 novembre 1885,
avait proclamé la neutralité obligatoire, la laïcité du cimetière
communal. Pourtant, celui-ci
est, avec l'église, un haut lieu de spiritualité chez les communautés
rurales. Ainsi, nombre de cimetières, situés au dehors du village et de
l'enceinte des habitations, sont occupés par une chapelle, dédiée à un
Saint.
Celles-ci sont des lieux de dévotions et de processions à certaines époques
de l'année, au XIXème siècle et dans la première moitié du XXème siècle.
On peut ainsi citer la chapelle Saint-Martin, construite en 1733, dans le
cimetière de Bellancourt, près d'Abbeville ; la chapelle Saint Gervais
dans le cimetière de Coulonvillers, dans le canton d'Ailly-le-Haut-Clocher
; la chapelle Saint-Pierre à Fluy, dans le canton de Molliens-Dreuil ou
la chapelle Saint-Firmin à Vignacourt, dans le canton de Picquigny, dont
l'origine remonte au XIème ou au XIIème siècle. Le cimetière de cette
commune est ainsi, selon l'histoire orale, "!e lieu même où
Saint-Firmin, premier évêque d'Amiens et patron de la paroisse, a prêché
l'évangile. C'est là que s'est formée la paroisse ; les anciens
l'appellent encore et ses alentours le vieux Vignacourt .... Ainsi, c'est
l'endroit qui rappelle les souvenirs les plus chers et les plus précieux
de toute la localité" (14).
Le cimetière communal possède aussi un caractère profondément
religieux qui tient à l'ornementation des tombes. Ainsi, pendant tout le XIXème
siècle, la croix de fer ou de bois, les monuments de pierre et même des
chapelles funéraires se dressent au milieu du "champ des
morts". Ils témoignent d'une volonté de localiser les lieux
d'inhumation et donc de l'affection des familles pour les défunts. Ainsi,
le petit cimetière du village de Fourdrinoy, dans le canton de Picquigny,
est littéralement envahi de signes religieux à cette époque "Il
est encombré de 12 monuments de pierre, 38 croix de fer avec pieds en maçonnerie,
20 croix de bois", et ce sur une surface de 400 à 500 m2 (15).
Certains protestent même contre cette profusion de l'ornementation des
tombes, comme ces médecins à Cagny en 1822 : "Nous avons parcouru
le cimetière ... II nous a paru d'ailleurs encombré et fort orné pour
le temps où nous vivons où dans presque toutes les classes de la société,
la piété des fidèles s'attache à consacrer à la mémoire des morts
des monuments bien éloignés de la simplicité des sépultures des
anciens chrétiens" (15).
Cependant, les croix de fer et les chapelles funéraires laissent
progressivement la place, dans la seconde moitié du XXème
siècle, aux caveaux funéraires familiaux. Ceux-ci sont construits en
marbre ou en granit suivant des modèles quasi identiques entre eux. Ils
amènent alors une minéralisation et une uniformisation du décor intérieur
des cimetières. Pourtant, l'érection de ces monuments, aux prix
relativement élevés, issue donc de la hausse du niveau de vie dans les
campagnes à notre époque, témoigne d'une certaine émulation entre les
familles mais aussi de la volonté toujours présente des vivants
d'honorer leurs morts.
Le "champ des morts" est aussi un domaine sacré de part les
nombreuses cérémonies religieuses qui s'y déroulent, notamment au XIXème
siècle. Le cimetière est ainsi le lieu obligatoire de station des
processions à différentes périodes de l'année. Là, autour du prêtre,
l'ensemble de la communauté villageoise prononce une prière en commun au
pied de la croix centrale. C'est aussi à l'intérieur de son enceinte que
l'on célèbre tous les ans, le 2 novembre, la fête de la Commémoration
des Morts, selon le rite prescrit notamment par Monseigneur Boudinet en
1858. A l'issue de la messe, on se rend de l'église au cimetière où une
absoute solennelle est prononcée à cet effet.
Cette piété envers les morts s'exprime également lors des convois funèbres,
particulièrement fréquentés au siècle dernier. De plus, la coutume
veut, chez les populations rurales, que l'on se recueille après l'Office,
sur la tombe des parents ou amis défunts.
Le "champ des morts" est donc un "domaine mixte",
depuis le début du XIXème
siècle ; c'est-à-dire un espace sacré, lieu de dévotion des vivants
envers les morts, lieu où se déroulent de nombreuses cérémonies
religieuses, notamment pendant la période concordataire, mais cependant
laïcité et placé sous l'égide du pouvoir civil, de la commune.
2. Un espace en mutation.
Pendant tout le XIXème
siècle, l'administration supérieure, la Préfecture, promulgue des décrets,
diffuse des circulaires, organise des enquêtes concernant l'ensemble du département
qui témoignent de l'intérêt porté sur les cimetières communaux, dans
le cadre de l'hygiène publique notamment. Ces
divers écrits nous renseignent sur l'évolution de l'aspect et de
l'organisation intérieure du cimetière, mais aussi sur les préoccupations
de l'administration à son sujet pendant cette période.
L'enceinte tout
d'abord est un élément important (tout comme sous l'Ancien Régime).
S'il n'est pas convenablement clos de toutes parts, le cimetière, envahi
à cette époque par les herbes, devient une pâture pour les bestiaux,
qui vont librement à l'intérieur du village. Ainsi à Querrieu dans le
canton de Villers-Bocage en 1858, le cimetière "est fermé de
mauvaises haies en bois et souvent les bestiaux vont paître sur la tombe
des morts, ce qui n'est nullement convenable" (16). De même,
à Quevauvillers, dans le canton de Molliens-Dreuil en 1804 où le Maire
de la commune se plaint ainsi au Préfet : "J'ai déjà réclamé à
plusieurs reprises sur l'état défectueux de notre cimetière qui se
trouve depuis longtemps dépourvu entièrement de fermeture, au point que
tous les bestiaux peuvent y habiter et que tout le monde passe
indistinctement comme dans une rue" (17). Ces intrusions,
contraires au respect dû aux morts, sont vécues avec douleur par les
populations rurales et considérées comme de véritables souillures de sépultures.
Seule une
enceinte close de murs permet de lutter efficacement contre ce genre de
profanation. Mais ce type de construction (en pierre ou en grès, pendant
la première moitié du XIXème siècle, en briques par la
suite) représente un investissement important pour les communes. Ainsi,
à Condé-Folie, dans le canton de Picquigny en 1804, le Maire, suite au
mauvais état de l'enceinte, apprend au Préfet qu' "il sera proposé
de faire entourer le cimetière de murs ; ce sera une dépense considérable,
mais on se proposera de le faire en plusieurs années" (18).
Au début du XIXème
siècle, en 1804, une grande partie des communes situées sur l'espace qui
nous occupe, possèdent un cimetière clos de murs, 53 %. Pour 5 cantons
sur 8 au total, il s'agit d'ailleurs de plus d'une commune sur deux. Ce
chiffre baisse en 1847, avec 30 %. Ceci est peut-être dû au manque de
ressources dans les communes rurales, dans cette première moitié du XIXème
siècle ; celles-ci ne pouvant assurer le paiement des frais de
reconstruction. Peut-être s'agit-il aussi du fait que l'on préfère
clore à cette époque le cimetière de haies, nécessitant un entretien régulier
mais d'un coût moindre. Ces clôtures permettent également à la commune
ou à la Fabrique de tirer quelques revenus de la vente des arbres dont
elles sont composées.
Cependant, on
constate, d'après les enquêtes réalisées en 1804 et en 1847, que très
peu de communes possèdent une enceinte de cimetière en mauvais état :
15 sont dans ce cas de figure en 1804 ; 9 en 1847, soit moins de 10 % du
nombre total. On ne dispose
cependant pas de données quantitatives concernant la fin du XIXème siècle. La question ne figure pas dans les registres de l'enquête départementale
de 1895. L'emploi du fil de fer barbelé a peut-être, à cette époque,
limité la divagation des bestiaux à l'intérieur du village. Le problème
de l'enceinte du cimetière ne revêt alors plus la même importance
qu'auparavant, au début du siècle ou sous l'Ancien Régime.
L'enceinte des
cimetières est pourtant, pour l'ensemble du siècle précédent, une réelle
préoccupation pour les communes situées entre Amiens et Abbeville. Les
murs ou haies sont ainsi soigneusement entretenus, systématiquement réparés
ou réédifiés lorsque leur mauvais état l'exige. Nombre d'entre elles,
pendant la seconde moitié du siècle, sont également
réédifiées en briques, matériaux moins coûteux que la pierre et plus
solides qu'une haie naturelle. Elle peut aussi servir d'ornement extérieur
au cimetière.
L'organisation
interne du cimetière surtout connaît un profond bouleversement au cours
du XIXème siècle.
La nature et la
disposition des fosses sont désormais réglementées. Le décret du 23
Prairial an XII (12 juin 1804) est particulièrement précis à ce sujet :
"Chaque inhumation aura lieu dans une fosse séparée ; chaque fosse
qui sera ouverte, aura un mètre cinq décimètres à deux mètres de
profondeur, sur huit décimètres de largeur ... Les fosses seront
distantes les unes des autres de trois à quatre décimètres sur les côtés,
et de trois à cinq décimètres de la tête aux, pieds" (19).
Le Préfet indique alors aux Maires du département : "Les articles 4
et 5 méritent toute votre attention ;les dispositions qu'ils prescrivent
ont pour but de faire cesser l'usage inconvenant et dangereux où l'on est
dans plusieurs lieux, de jeter les morts dans une fosse commune. Dans
d'autres lieux où cet usage n'existe pas, on est tombé dans un autre
inconvénient, celui de tenir les tombes trop rapprochées les unes des
autres" (20). Ceci signifie donc la fin des fosses communes. Le
respect dû aux morts est entré dans les mœurs, des sépultures
individuelles s'imposent. On change alors de mode d'inhumation et on passe
d'une superposition des corps à une juxtaposition.
Le cimetière, au
cours du XIXème siècle, change donc d'aspect et ce, grâce
à la loi de Prairial qui impose un nouveau mode d'inhumations ; les
fosses communes disparaissent, les tombes s'individualisent et se
disposent dorénavant les unes a cote des autres. Cependant, ce principe
nouveau nécessite, pour sa bonne mise en place, une surface de terrain
importante. Le petit cimetière du village, qui était en règle générale
nettement suffisant pour les besoins de la population, devient quelque peu
exigu, et ce d'autant plus que la première moitié du XIXème
siècle est une période de croissance démographique dans les campagnes.
Le délai de renouvellement, de réouverture des fosses baisse alors. La
moyenne générale entre Amiens et Abbeville est de 16,6 années en 1804,
elle n'est plus que de 10,2 années en 1847. Dans certains cantons,
celle-ci diminue même de moitié : dans le canton de Villers-Bocage, elle
passe ainsi de 15,9 années en 1804 à 8,3 années en 1847, dans le canton
de Molliens-Dreuil, elle passe respectivement de 18,3 à 9,6, dans le
canton d'Ailly-le-Haut-Clocher de 18, 3 à 11,7, dans le canton
d'Hallencourt de 18,2 à 9,5. De plus, 34 % des cimetières en 1804 (47
sur 138 données disponibles) voient leurs fosses se renouveler dans un délai
d'au moins vingt ans : 13,5 % seulement des cimetières en 1847 (21 sur
155) sont dans un cas similaire. Aussi, la superficie des nécropoles
augmente-t-elle pendant tout le XIXème
siècle, en fonction
des besoins des populations. Les cimetières sont régulièrement agrandis
lorsque cela est possible. Dans le cas contraire, il quitte le centre du
village et est transféré à l'extérieur de l'enceinte des habitations,
dans les champs.
Une autre
nouveauté dans le mode d'inhumation favorise elle aussi l'extension de la
surface des cimetières : les concessions (22). Celles-ci, dont le
principe est déjà évoqué par le décret du 23 Prairial an XII, ne
s'imposèrent en fait que bien plus tard dans le siècle parmi les
communes rurales. En effet, en 1847, seuls 10,3 % des cimetières entre
Amiens et Abbeville (15 sur 155 répertoriés) possèdent une parcelle de
terrain affectée aux concessions ; les environs d'Amiens, avec 29 %, se
situant bien au-dessus de la moyenne générale (23). En 1895
cependant, l'ensemble de la région entre Amiens et Abbeville est concerné
par ce mode d'inhumation : les environs d'Amiens, avec 82 % des cimetières
concernés, se situant toujours au-dessus de la moyenne générale, qui,
elle, est de 49 % (81 cimetières sur 166 au total possèdent une parcelle
de terrain destinée à recevoir des concessions) (24).
Le système des
concessions s'impose donc peu à peu dans la seconde moitié du XIXème
siècle. Le Préfet, dans une circulaire adressée aux Maires du département
en date du 8 Septembre 1859, signale ainsi aux administrations municipales
les avantages qui résulteraient de l'établissement d'un tarif pour !es
concessions de sépulture dans les cimetières communaux. Celles-ci (d'une
durée de 15, 30 ans ou à perpétuité) fournissent à la commune un
revenu supplémentaire non négligeable (les 2/3 du montant de la
concession). Elles permettent aussi d'aider le Bureau de Bienfaisance et,
les pauvres (1/3 du montant).
L'adoption de ce
nouveau mode d'inhumation rencontre parfois des résistances au sein des
populations. Dans certains cas, le cimetière communal, situé au centre
du village, est trop exigu pour que la mise en place d'un tel procédé
soit envisageable. Il faudrait aussi agrandir le cimetière, voire même
le déplacer à l'extérieur de l'enceinte des habitations. Cette éventualité
suscite quelques réticences, quelques oppositions au sein des communautés
rurales.
Celles-ci
restent, en règle générale, très attachées aux traditions
ancestrales, à la coutume qui veut que chaque villageois soit enterré
auprès de ses parents, chaque famille ayant "depuis des temps immémoriaux"
un emplacement distinct au cimetière. Le Maire de La Chaussée-Tirancourt
dans le canton de Picquigny répond ainsi à la proposition faite par le
Préfet en 1859 d'établir des concessions dans le cimetière communal :
"Un usage ancien, constant et habituel, attribue à chaque famille
une place déterminée dans le cimetière de la commune l'on ne pourrait
changer l'ordre établi sans causer le plus vif mécontentement parmi les
habitants, peut-être même presque quelques désordres ... Il n'y a pas
lieu de s'occuper du tarif proposé" (25).
L'inhumation en
service ordinaire est donc encore bien représentée à la fin du XIXème
siècle sur le domaine qui nous occupe. Cependant, l'espace consacré aux
concessions à l'intérieur des cimetières communaux (pour les
concessions perpétuelles notamment) ne cesse de s'accroître tout au long
de la seconde moitié du siècle. II devient enfin
majoritaire au siècle suivant.
Tout au long du
XIXème siècle donc, l'agencement de l'espace intérieur du
cimetière évolue, s'organise. Le rôle de l'administration supérieure
(ministère et préfecture) est alors déterminant. Divers décrets et
circulaires instituent ainsi l'individualisation des sépultures qui
marque la fin des fosses communes, l'attribution de concessions
temporaires ou à perpétuité qui rationalise la disposition intérieure
du "champ des morts". Ces
nouveaux modes d'inhumation qui s'imposent peu à peu au sein des
communautés rurales, sont révélateurs du respect des vivants envers les
morts.
Cependant, ces
innovations provoquent aussi une extension importante de la surface des nécropoles.
Le petit cimetière communal, suffisant jusqu'alors, doit s'agrandir en
fonction du besoin des populations. Ceci n'est pas toujours possible
cependant ; la translation du "champ des morts", espace sacré
et lieu de dévotion des populations, vers l'extérieur de l'enceinte des
habitations, est alors rendue nécessaire.
(1)
. Le Dimanche. 25 Novembre 1877. n° 335
(2) . 3 enquêtes départementales
sur les cimetières communaux ont été organisées au cours du XIXème siècle
(en 1804, en 1847 et en 1895).
(3) . La déclaration du Roi Louis XVI du 10 Mars 1776, concernant
les inhumations ne réglemente que les enterrements à l'intérieur des
lieux de culte (églises, chapelles ....) ainsi que la place des cimetières
par rapport aux habitations.
(4) . Le Préfet aux Maires du département de la Somme. 20 Messidor an
XII. V 431 014 Archives départementales de la Somme (ADS).
(5) . Procès-verbaux de visite pastorale dans l'archidiaconé
d'Amiens, rédigés par Bigorgne, archidiacre d'Amiens. 1733. Paroisse de
Contay. G 445. ADS
(6) . État des paroisses de l'archidiaconé d'Amiens. 1687 - 1690.
Paroisse de Montrelet. ms 514 Bibliothèque municipale d'Amiens (BMA).
(7) . État des paroisses de l'archidiaconé du Ponthieu fin XVll ème.
Paroisse d'Allery. ms 513 BMA.
(8) . Statuts synodaux de 1697 de Monseigneur Feydeau de Brou. in
Actes de l'Église d'Amiens. Amiens. Imprimerie Caron et Lombart.
1848. Tome 2 825 p., p. 61.
(9) . Procès-verbaux de visite pastorale dans l'archidiaconé
d'Amiens. 1733. Paroisse de Dreuil-les-Molliens. G 445 ADS.
(10) . Décret du 23 Prairial an XII.
(11) . Le Préfet aux Maires du département de la Somme. 20
Messidor an XII. op.cit.
(12) . Arrêté municipal daté de Germinal an XII (Mars 1805). 99
O 885 (pièces inventoriées) ADS.
(13) . A Montigny, dans le canton de Villers-Bocage, par exemple,
le cimetière est planté de 38 tilleuls en 1854.
(14) . Lettre du curé Mille au Vicaire général Fallières. 1859
(sd). 99 O 3708 Vignacourt ADS.
(15) . Lettre du Maire au Conseil d'Hygiène, datée du 14 Juin
1869. 99 O 1798 (2) Fourdrinoy ADS.
(16) . Rapport de MM. Thuillier, Routier et Ferréol, médecins de
la commission de santé de la Mairie d'Amiens, sur l'état du cimetière
de la commune de Cagny, daté du 15 Mai 1822. 990 982 (2) Cagny ADS.
17)
. Lettre du Maire au Préfet datée du 5 Avril 1858. 99 O 3140 (2).
Querrieu Archives départementales de la Somme (ADS).
(18)
. Enquête sur les cimetières an XII (1804) M 107 433 . Quevauvillers
(canton de Mollien-Dreuil) ADS.
(19)
. Enquête sur l'état des cimetières. an XII (1804). M 107 433. Condé-Folie
(canton de Picquigny) ADS.
(20)
. Décret du 23 Prairial an XII (articles 4 et 5).
(21)
. Le Préfet aux Maires du département de la Somme. 20 Messidor an XII. V
431 014 ADS.
(22)
. Attribution d'une parcelle de terrain du cimetière communal pour une
certaine durée (temporaire ou perpétuelle) contre une somme d'argent.
(23)
. Chiffres donnés par l'enquête départementale sur la .situation et l'état
des cimetières en 1847. Od II 7. ADS.
(24)
. Chiffres donnés par l'enquête départementale sur l'état des cimetières
en 1895. 4 K 241. 4 K 242. ADS.
(25)
. Lettre du Maire au Préfet en date du 20 Novembre 1859. 99 O 1129 (2) La
Chaussée-Tirancourt. ADS.