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1906, la Charte
d'Amiens
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1906,
la Charte d'Amiens
ou de l'indépendance du mouvement syndical.
par
Marc Nadaux
1.
Le texte.
2. Le
Congrès.
3. Le contexte.
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La
" Charte d'Amiens " est adoptée en 1906 par la Confédération
Générale du Travail (C.G.T.) lors de son IXème congrès confédéral.
Cette déclaration solennelle réaffirme l'indépendance du mouvement
syndical vis-à-vis des partis politiques et marque la prééminence du
syndicalisme révolutionnaire.
"
Le Congrès confédéral d'Amiens confirme l'article 2, constitutif de la
CGT : La C.G.T. groupe, en dehors de toute école politique, tous les
travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du
salariat et du patronat ".
1.
Le
texte :
Le
Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la
lutte de classe, qui oppose sur le terrain économique, les travailleurs
en révolte contre toutes les formes d'exploitation et d'oppression, tant
matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste contre
la classe ouvrière. Le Congrès précise, par les points suivants, cette
affirmation théorique : dans l'œuvre revendicatrice quotidienne, le
syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers,
l'accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d'améliorations
immédiates, telles que la diminution des heures de travail,
l'augmentation des salaires, etc. Mais cette besogne n'est qu'un côté de
l'œuvre du syndicalisme ; il prépare l'émancipation intégrale,
qui ne peut se réaliser que par l'expropriation capitaliste ; il préconise
comme moyen d'action la grève générale et il considère que le
syndicat, aujourd'hui groupement de résistance, sera, dans l'avenir, le
groupe de production et de répartition, base de réorganisation sociale.
Le Congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d'avenir, découle
de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui
fait, à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou leurs
tendances politiques ou philosophiques, un devoir d'appartenir au
groupement essentiel qu'est le syndicat. Comme conséquence, en ce qui
concerne les individus, le Congrès affirme l'entière liberté pour le
syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles
formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique,
se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le
syndicat les opinions qu'il professe au dehors. En ce qui concerne les
organisations, le Congrès déclare qu'afin que le syndicalisme atteigne
son maximum d'effet, l'action économique doit s'exercer directement
contre le patronat, les organisations confédérées n'ayant pas, en tant
que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui,
en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la
transformation sociale ".
SIGNATAIRES :
Marie [Marie François, ouvrier typographe de la Seine] ; Cousteau
[Cousteau M., ouvrier jardinier] ; Menard [Ménard Ludovic, ouvrier
ardoisier à Trélazé] ; Chazeaud [Chazeaud Jules, chaudronnier,
Lyon] ; Bruon [Bruon C., bâtiment] ; Ferrier [Ferrier Louis,
serrurier, Grenoble] ; E. David, B. d. T. Grenoble [David Eugène, plâtrier-peintre,
Grenoble] ; Latapie [Latapie Jean, métallurgie, Paris] ; Médard
[Médard Jean-Baptiste] ; Merrheim [Merrheim Alphonse, métallurgie] ;
Delesalle [Delesalle Paul, métallurgiste en instruments de précisions,
Paris] ; Bled [Bled Jules, jardinier, Seine] ; Pouget [Pouget
Emile] ; Tabard E. [Tabard Etienne, cocher-livreur, Paris] ;
Bousquet A. [Bousquet Amédée, boulanger, Paris] ; Monclard
[boulanger, Marseille] ; Mazau [Mazaud Jacques, cocher de fiacres,
Seine] ; Braun [Braun Joseph, ouvrier mécanicien] ; Garnery
[Garnery Auguste, bijoutier, Seine] ; Luquet [Luquet Alexandre,
coiffeur, Paris] ; Dret [Dret Henri, cordonnier, Paris] ; Merzet
[Merzet Etienne, mineur, Saône-et-Loire] ; Lévy [Lévy Albert,
employé] ; G. Thil [Thil G., lithographe] ; Ader [Ader Paul,
ouvrier agricole, Aude] ; Yvetot [Yvetot Georges, typographe, Seine] ;
Delzant [Delzant Charles, verrier, Nord] ; H. Galantus [Galantus
Henri, ferblantier, Paris] ; H.Turpin [Turpin H., voiture] ; J.
Samay, Bourse du Travail de Paris [Samay J.] ; Robert [Robert
Charles, palissonneur en peaux, Grenoble] ; Bornet [Bornet Jules, bûcheron,
Cher] ; P. Hervier, Bourse du Travail de Bourges [Hervier Pierre,
Bourges] ; Dhooghe, Textile de Reims [Dhooghe Charles, tisseur] ;
Roullier, Bourse du Travail de Brest [Roullier Jules, électricien, Finistère] ;
Richer, Bourse du Travail du Mans [Richer Narcisse, ouvrier en chaussures] ;
Laurent L., Bourse du Travail de Cherbourg [Laurent Léon] ; Devilar,
courtier de Paris [Devilar C.,] ; Bastien, Textile d'Amiens ;
Henriot, Allumettier, [Henriot H.] ; L. Morel de Nice [Morel Léon,
employé de commerce] ; Sauvage [mouleur en métaux] ; Gauthier
[Gautier Henri, chaudronnier, Saint-Nazaire].
2.
Le
congrès :
Le
IXème congrès confédéral, de la CGT, s'est réuni, du 8 au
16 octobre 1906, dans une école des faubourgs de la capitale picarde. Il
rassemblait 350 délégués représentant 1.040 organisations. Ce sont des
hommes, parmi lesquels les provinciaux sont majoritaires, de 35 ans de
moyenne d’âge et de diverses tendances politiques. Plusieurs résolutions
ont été votées par le congrès, les principales portant sur les
relations syndicales internationales, l'action pour les huit heures, le
travail aux pièces, les lois ouvrières et l'antimilitarisme. Mais
l'appellation de Charte d'Amiens a été donnée à un vote du congrès
portant sur les rapports du syndicalisme et des partis, adopté le 13
octobre 1906, à la suite d'un scrutin qui a donné lieu, au préalable,
aux débats les plus animés.
Ainsi, ce sont les deux tendances dominantes au sein de l’organisation
qui s’oppose alors, les guesdistes (marxistes) et les
anarcho-syndicalistes, et au delà la vision de ce qu’est le
syndicalisme, ce que doit être son action à l’avenir qui se trouve être
en jeu. Ainsi, le 14 octobre, le
guesdiste Victor Renard, Secrétaire de la fédération du Textile, dépose
une motion demandant une collaboration étroite entre la C.G.T. et le
Parti socialiste, la S.F.I.O., récemment formé. Le Secrétaire général,
Victor Griffuelhes, et les leaders de la tendance anarcho-syndicaliste s'y
opposent. Et cette motion est repoussée par 724 voix contre 34 (37
abstentions). C'est au contraire une motion radicalement inverse qui est
votée le 13 octobre suivant. La Charte d'Amiens obtient 830 voix contre 8
(une abstention). Aussi, le Congrès d'Amiens confirme l'article 2,
constitutif de la C.G.T. : " La C.G.T. groupe, en dehors de
toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à
mener pour la disparition du salariat et du patronat ".
La grève générale
demeure donc l'outil de lutte préconisé par la C.G.T. La Charte repousse
donc toute sujétion du syndicat à un parti, ne serait-ce que parce que
le parti politique est forcément équivoque dans son recrutement, ses méthodes,
son jeu électoral et parlementaire. Ainsi l’anarchiste Niel affirme à
Amiens : " Quand un patron veut diminuer les salaires de
ses ouvriers, il ne les diminue pas d'un sou à ses ouvriers réactionnaires,
de deux sous aux républicains, de trois sous aux socialistes, de quatre
sous aux anarchistes, de cinq sous aux croyants, de six sous aux athées,
etc. Il les diminue d'une façon égale à tous ses ouvriers, quelles que
soient leurs opinions politiques ou religieuses, et c'est cette égalité
dans le mal qui les atteint, qui leur fait un devoir de se solidariser sur
un terrain où les différences politiques ou religieuses ne les empêcheront
pas de se rencontrer. Ce terrain, c'est tout simplement le syndicalisme ".
Et la Charte affirme de même « l'entière liberté, pour le syndiqué,
de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de
lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se
bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le
syndicat les opinions qu'il professe au-dehors ». Puisque, pour la
C.G.T. et ses membres, l'action politique peut également faire améliorée
la condition ouvrière, en utilisant d’autres moyens que ceux du
syndicalisme. Niel, toujours lui, dit ainsi à Amiens que l’action
politique est dévolue « à ceux qui croient que les rapports entre
les hommes ne pourront jamais être réglés sans l'État; par ceux qui
croient que les réformes ne peuvent venir que de la loi; par ceux qui
affirment l'impossibilité de transformer la société sans faire la conquête
des pouvoirs publics ».
Selon
les syndicalistes de la C.G.T., la balle est donc dans le camp des
politiques de la S.F.I.O.
3. Le
contexte :
Deux
événements principaux pèsent sur les débats, l'affirmation du Parti
socialiste, la S.F.I.O. et un regain des luttes ouvrières.
A
son congrès de Bourges en 1904, la C.G.T. avait adopté le principe de
l'organisation d'une « agitation intense et grandissante à l'effet
que, le 1er mai 1906, les travailleurs cessent d'eux-mêmes de travailler
plus de huit heures ». Après la catastrophe de la mine de Courrières,
qui fait 1.630 victimes, le 10 mars 1906 et est suivie d'une vague de grèves
souvent violentes dans le pays minier puis dans différents secteurs
d'activités (bâtiment, métallurgie, livre, etc.), la préparation du
1er mai fait naître une hantise de guerre civile, exploitée habilement
par le nouveau ministre de l'Intérieur Georges Clemenceau. Ainsi, le siège
de la C.G.T. à Paris est perquisitionné. Sur ce fond de répression, le
Premier Mai est un " succès moral ", selon le secrétaire
de la C.G.T., Griffuelhes. Pour la première fois, le syndicat a pu
impulser un mouvement d'importance nationale et sensibiliser l'opinion à
la journée de huit heures. Mais le reflux des grèves à partir de la
deuxième quinzaine de mai manifeste les limites de l'action directe.
C’est que la C.G.T., née en 1895, onze ans plus tôt, ne regroupe guère
plus de 200 000 adhérents, sur environ 6 millions de salariés français
; ce qui en fait une des confédérations nationales aux effectifs les
plus réduits d'Europe, recrutant essentiellement dans les milieux
d'ouvriers qualifiés et dans l'élite ouvrière.
D’autant
plus que l'unification du mouvement socialiste au congrès de Paris, tenu
salle du Globe, du 23 au 25 avril 1905, permet de poser autrement la
question du rapport entre le parti ouvrier et les syndicats. Les
guesdistes, partisan des thèses marxistes de Jules Guesde, sont
majoritairement représentés au sein de la S.F.I.O. et ces derniers es
accordent une place subalterne à l'action syndicale à laquelle ils
refusent toute possibilité d'autonomie et sont partisans de la
subordination du syndicat au parti. C’est d’ailleurs cette option
qui
encourage le développement des Bourses du travail qu’anime Fernand
Pelloutier, dissident de son P.O.F., et amène la création de la C.G.T.
les 23 et 24 septembre 1895 au congrès de Limoges. L’un
des membres de la S.F.I.O., Victor Renard, avait décidé, lors du congrès
de la fédération du textile, d'entretenir des relations constantes avec
le nouveau parti socialiste. Il estime en effet pour sa part que le
syndicalisme ne risque plus d'être une victime indirecte des querelles
entre socialistes et qu'il peut, au contraire, bénéficier de la
dynamique unitaire. Ainsi, au Congrès d'Amiens de la C.G.T., il dépose
un texte s'intitulant Rapports entre les syndicats et les partis
politiques qui demande une collaboration entre les deux organisations.
La Charte d’Amiens
entérine donc l’option inverse. C’est en quelques sorte un rappel des
statuts de la C.G.T., qui affirme l’indépendance syndicale. C’est
aussi la victoire du courant anarcho-syndicaliste au sein de la Confédération.
Pour
ces syndicalistes révolutionnaires, " la disparition du
salariat et du patronat " constitue le but ultime du
syndicalisme, car si la lutte quotidienne permet d'obtenir des « améliorations
immédiates ", celles-ci sont le plus souvent récupérées le
patronat. La grève générale doit permettre de transformer la société,
le syndicat devenant " le groupe de production et de répartition ",
l’Etat n’ayant plus sa place dans ces vues héritées de
Proudhon.
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