Quel est le cadre
dans lequel s'est inscrit le développement de l'automobile en France ?
Les règlements promulgués peu après l'apparition des véhicules
automobiles sont fort peu nombreux, puisque nous n'en dénombrons que deux
: Le décret " portant règlement relatif à la
circulation des automobiles " du 10 mars 1899, paru au Journal
Officiel du 14 avril de la même année; le décret du 10 septembre
1901 " modifiant le précédent, et instituant les règles
d'immatriculation des automobiles ", paru au J.O. du 13 septembre
1901. A ceux-ci, il nous faut ajouter une circulaire du ministre des
Travaux publics, adressée aux préfets le 10 avril 1899, concernant
l'application du premier décret, ainsi que le rapport de ce même
ministre à l'attention du président de la République en date du 11
septembre 1901.
Ces décrets nous montrent combien les pouvoirs publics ont voulu très
rapidement encadrer le phénomène automobile.
1. Le décret de 1899.
II s'agit du tout
premier texte de loi traitant du cas des véhicules automobiles.
Quels
sont les faits qui ont poussé l'État à légiférer sur la question ?
L'automobile à son apparition a suscité deux types d'opposants : pour
les uns, placée entre les mains d'un conducteur imprudent, l'auto
risquait de tuer ou blesser les autres usagers des routes. En outre, elle
affolait les chevaux qui pouvaient alors causer des accidents. Pour les
autres, les voitures trop rapides provoquaient d'énormes nuages de poussière
et dégradaient les routes. On le voit, les sujets d'opposition au nouveau
moyen de locomotion ne manquaient pas. Les populations ont donc demandé
aux pouvoirs publics de prendre positions.
II leur fallut légiférer pour mieux encadrer le phénomène naissant et
apporter des solutions aux désagréments qu'il causait, tels que les
accidents ou la gêne de la circulation. Pour ce qui est du décret du 10
mars 1899, nous pouvons distinguer trois grands thèmes bien significatifs
de l'esprit de cette première grande loi : Les mesures de sûreté, la réglementation
de la vitesse, les règles de circulation. II convient d'ores et déjà de
signaler que les décisions qui suivent avaient été annoncés dès le 10
Octobre 1897. A cette date en effet, le préfet du Maine-et-Loire avait décidé
un arrêté concernant la circulation des automobiles sur les voies
publiques et dont les termes furent repris deux ans plus tardé.
En ce qui concerne les mesures de sûreté appliquées à l'automobile,
nous nous devons ici de résumer les principales :
. Aucun
véhicule automobile ne doit pouvoir laisser échapper toute matière
pouvant causer une explosion ou un incendies (1).
. Les appareils ne devront présenter aucune source de
danger, ni effrayer les chevaux, ni répandre d'odeurs incommodes (2).
. Les organes de manœuvres seront groupés de façon que le
conducteur puisse les actionner sans cesser de surveiller sa route. Rien
ne masquera la vue du conducteur vers l'avant (3).
. Le véhicule devra être disposé de manière à obéir sûrement
à l'appareil de direction et à tourner avec facilité. Les automobiles
dont le poids excède 250 kg seront obligatoirement munis de la marche
arrière (4).
. L'ingénieur des mines vérifiera les types d'autos. II
fera procéder à des essais dont le but premier est de juger de la qualité
des freins. II dressera à cette occasion un procès-verbal (5),
lequel peut être considéré comme l'équivalent de nos cartes grises
actuelles.
. Les divers organes du mécanisme moteur, les appareils de sûreté,
les commandes de la direction, les freins et leur système de commande,
ainsi que les transmissions de mouvements et les essieux seront
constamment entretenus en bon état. Le conducteur devra vérifier fréquemment
par l'usage le bon état de fonctionnement des deux systèmes de freinage
dont l'auto doit être obligatoirement pourvue (6).
Ces mesures, qui constituent la partie principale du décret, sont là
pour nous montrer combien tous les problèmes de sécurité concernant
l'automobile étaient pris très au sérieux par les pouvoirs publics de
l'époque, tant on craignait que ces engins ne provoquassent une
catastrophe. D'une manière générale, on constate que l'accent est mis
sur le très bon entretien de chaque machine. Cela est suffisant pour ne
pas être en infraction. Cependant, aucune norme de sécurité, tant pour
les réservoirs que les tuyaux ou les freins par exemple, n'est définie.
Ainsi, bien que l'on craignît les liquides inflammables, tout n'était
pas fait pour minimiser les risques. Le Journal du Maine-et-Loire
nous rapporte par exemple qu'au moment où M. Bernard, représentant de
commerce, renouvelait sa provision d'essence, " le feu communiqua au
bidon " (7). II n'eut que le temps de sauter sur la route.
L'auto, elle, brûla entièrement (8). Cet exemple nous montre bien
que de tels véhicules restaient très dangereux par certains côtés. De
la même manière, il faut constamment tenir sa mécanique en bon état,
mais rien ne définit exactement le " bon état " d'une
automobile qui se devait d'être inoffensive pour tout un chacun.
Une grande importance est donnée à la présence et à l'efficacité du
système de freinage. L'objectif est de donner aux automobilistes le
maximum de moyens pour contrôler au mieux leur véhicule, pour éviter
que celui-ci ne leur échappe. Les freins semblent être aux yeux des décideurs
le plus sûr moyen de préserver la santé des automobilistes et des
usagers des routes. Ce sont certainement ces mêmes motifs de salubrité
publique qui obligent les automobiles à ne pas répandre d'odeurs
incommodes de pétrole ou d'huile, à moins qu'il ne s'agisse déjà de
mesures de protection de l'environnement. Cependant, une anecdote rapportée
par le Journal du Maine-et-Loire nous fait dire que cette mesure
eut certainement du mal à être appliquée: Une voiture automobile, négligeant
toute prudence, roulait trop vite sur la route de Distré à Montreuil. Ce
faisant, elle affola le cheval d'un marchand de bois. Pendant que ce
dernier alla porter plainte, " les vapeurs de pétrole se dissipèrent
" et " n'incommodèrent plus les promeneurs de la route " (9).
Par ailleurs, le fait que chaque type de véhicule soit contrôlé par
l'ingénieur des mines montre bien que, à une époque où beaucoup
d'automobiles sont expérimentales, plus ou moins bricolées, l'État
n'entend pas faire circuler sur ses routes n'importe quelle machine. Malgré
tout, les prescriptions réglementaires auxquelles se réfère le service
des mines ne nous paraissent pas être très précises, donc peu
rigoureuses au niveau de leur application.
Pour finir, nous avons ici un modèle de ce que pouvait être un véhicule
automobile sûr en 1899 : " II se présente sous la forme d'une
voiture hippomobile dételée. Les roues sont cerclées de fer ou de
bandages pleins en caoutchouc. On trouve quelquefois des suspensions par
ressorts à lames, seulement sur le train avant. La direction par barres
franches est incertaine et dangereuse. La transmission devient aléatoire
à l'usage. Les freins n'agissent que dans le sens de la marche. Malgré
son poids relativement peu important, l'automobile reste lourde et peu
maniable " (10).
Le fait que " rien ne doit masquer la vue du conducteur vers l'avant
" (11) semble indiquer que bien souvent les véhicules n'étaient
pas équipés de pare-brise mais aussi de toits. On note cependant la présence
de capotes pour certains modèles. De la même manière, les ceintures de
sécurité ne semblent pas exister puisque dans un grand nombre de
comptes-rendus d'accidents parus dans la presse, on nous raconte que les
occupants du véhicule sont régulièrement projetés au sol en cas de
chocs. Les automobilistes étaient donc mal protégés.
Passons à la question de la réglementation de la vitesse. Nous l'avons
dit, la vitesse était un problème qui affolait les populations. Les
usagers " traditionnels " des routes reprochent aux
automobilistes, comme le rapportent les ingénieurs en chef par exemple,
d'être non seulement dangereux, mais aussi de rouler bien trop vite, et
de faire peu de cas des piétons. Cela d'autant plus que l'automobilisme
avait alors l'image d'une activité d'oisifs, tandis que les routes étaient
surtout utilisées par des travailleurs de toutes sortes (rouliers,
charretiers...).
Le décret fixe des limitations de vitesse strictes : " La
vitesse devra être ramenée à celle d'un homme au pas dans les passages
étroits ou encombrés. En aucun cas elle n'excédera les 30 km/h en rase
campagne et les 20 km/h dans les agglomérations " (12).
II était prévu une réglementation particulière pour les courses
d'automobiles : vitesse illimitée en rase campagne, mais pas plus de 20
km/h en ville (13). En ce qui concerne les " convois " ou
" trains ", c'est à dire les automobiles qui remorquent
d'autres véhicules, ils ne devaient pas dépasser 20 km/h en rase
campagne et 10 km/h en agglomération. Il s'agissait là d'une réglementation
adaptée aux poids lourds de l'époque. On ne sait pas si les automobiles
étaient dotées de compteur, mais ce qui est certain, c'est que les
agents de police chargés de la surveillance de la circulation ne
disposaient pas de moyens d'évaluer la vitesse d'un véhicule. Tout dépendait
donc de l'appréciation personnelle qu'ils faisaient de chaque situation.
Nous pouvons noter là encore les imprécisions, les lacunes du décret
qui ne donne pas aux agents les moyens d'appliquer efficacement la loi. En
tout état de cause, " le conducteur devait rester constamment maître
de sa vitesse ".
Pour autant, ces limitations de vitesse étaient loin d'être inutiles. Dès
1900, plusieurs automobiles atteignaient 100 km/h. Orles routes et chemins
de France, jugés bons pour l'époque, étaient loin d'être adaptés aux
automobiles. La pierre et la terre battue n'étaient pas encore remplacés
par l'asphalte et les nids-de-poule étaient légion. Par ailleurs, les
voitures automobiles devaient s'adapter au rythme beaucoup plus lent des
charrettes, voitures hippomobiles et autres bicyclettes.
Le décret n'est pas en reste
pour ce qui est des règles de circulation. En premier lieu, il oblige les
conducteurs à être porteurs d'un certificat de capacité délivré par
le préfet. Pour autant, il existait semble-t-il déjà, à Paris
notamment, un permis de conduire. Dès 1893, le candidat devait faire, sur
papier timbré, la demande de permis à la préfecture. Puis il était
invité par un ingénieur du service des mines à se trouver à telle
heure, tel endroit, avec sa voiture. L'ingénieur ne montait pas toujours
dans l'automobile, il se contentait bien souvent de la regarder évoluer
à distance. Pour en revenir au certificat de 1899, le candidat devait
subir devant l'ingénieur des mines un examen pratique : "
L'examinateur aura à apprécier la prudence, le sang-froid, la présence
d'esprit du candidat, la justesse de son coup d'œil, la sûreté de sa
direction, son habileté à varier la vitesse de son véhicule, la
promptitude avec laquelle il met en œuvre et, quand il y a lieu, les
moyens de freinage et d'arrêt " (14). II s'agissait là d'un
véritable permis de conduire au cours duquel on réclamait au candidat de
réelles qualités d'adresse. Plusieurs faits divers sont néanmoins présents
pour nous rappeler combien la possession d'un tel permis n'était pas
suffisante pour permettre aux conducteurs d'être irréprochables sur les
routes. Nous avons par exemple cet accident causé rue d'Alsace à Angers
par le chauffeur de M. Grandin, lequel chauffeur était détenteur depuis
peu de son brevet. II raconte : " je descendais de la rue à petite
allure, moteur coupé et mes freins bloqués. Une femme s'engagea sur la
chaussée. A ce moment, un train montait de la place du Ralliement. La
femme hésita, fut renversée. II n'était pas en mon pouvoir d'éviter
l'accident " (15). Il est évident ici que le conducteur du véhicule
était insuffisamment formé à la conduite d'une automobile.
De la même manière, il était illusoire de miser uniquement sur des
qualités d'acrobate pour espérer avoir moins d'accidents sur les routes.
La circulaire évoque le cas des certificats de capacité délivrés antérieurement
au décret. Nous en avons parlé précédemment. Ceux-ci sont déclarés
valables pour toute la France. En effet, des préfets avaient, avant le 10
mars 1899, délivré des permis de conduire reconnus pour un seul département.
Par ailleurs, " il est nécessaire d'interroger le candidat pour
s'assurer des connaissances pratiques qu'il possède " (16). A
une époque où les garagistes étaient fort rares et ne disposaient pas
de moyens efficaces d'intervention, il convenait de savoir réparer sa
propre machine, afin qu'en cas de panne elle ne gêne pas trop la
circulation par exemple. C'est à partir de ce moment-là que l'on a
commencé à accoler le terme "mécanicien" à celui de
chauffeur d'automobile. II s'agissait donc d'un certificat de capacité à
piloter une automobile, mais aussi à la réparer, à l'entretenir.
II y a enfin une troisième clause à ce certificat: " il faudra spécifier
la nature de la source d'énergie des véhicules que le candidat est
reconnu apte à conduire " (17). II faut savoir en effet qu'à
l'époque, il existait plusieurs prototypes fonctionnant soit à la
vapeur, soit au pétrole, voire même avec l'énergie électrique. Peut-être
en découlait-il des performances bien distinctes, ce qui pourrait
justifier l'existence de plusieurs permis.
En outre, avant de pouvoir circuler, tout véhicule devait être déclaré
à la préfecture. Le procès-verbal de la déclaration était remis au
service des mines qui tenait un registre où étaient mentionnés les
" nom et prénom du propriétaire, le constructeur, le type, le numéro
d'ordre dans la série du type, la date et le numéro d'ordre du procès-verbal,
l'indication du département dans lequel le procès-verbal a été dressé
" (18). Ce registre avait pour but de servir à des relevés
statistiques que le ministre pouvait avoir à demander à ses ingénieurs.
Nous l'avons dit, le décret traite le cas des véhicules tractant une
remorque. Pour ceux-ci, en plus de la déclaration, il fallait aussi avoir
une autorisation préfectorale, délivrée après avis de l'ingénieur des
Ponts et Chaussées (19). II ne fallait pas en effet qu'un tel
attelage dégradât les routes du département. Ainsi, le chauffeur devait
indiquer les routes et chemins qu'il avait l'intention de suivre, ainsi
que le poids de l'automobile et de la remorque. On voit ici que les véhicules
lourds et automobiles n'avaient pas la possibilité de circuler librement.
Le décret de 1899 ne modifie pas le règlement relatif à la circulation
des véhicules et à leur stationnement. Cela signifie que l'automobile,
appelée à utiliser les mêmes voies de communication que la voiture
hippomobile, ne sera pas traitée différemment des autres moyens de
locomotion.
Intéressons-nous maintenant au code de la route que le décret s'attache
à définir. L'automobile était la dernière arrivée sur les routes, où
elle devait s'adapter à un rythme plus lent que ce que ses possibilités
techniques lui autorisaient. Pour éviter d'affoler les chevaux et prévenir
les passants par exemple, l'automobiliste ne devait pas hésiter à se
servir de la trompe dont son véhicule devait être pourvu (20).
Cependant, comme nous l'avons vu plus haut, cette prescription ne semblait
pas être toujours respectée, loin de là. De toute manière, nous
pouvons douter de l'efficacité d'un avertisseur sonore. Par exemple, la
presse nous rapporte que M. Erhmann, propriétaire, qui passait à Cholet
en auto, renversa une fillette qui traversait devant la voiture, malgré
les avertissements (21).
Le décret stipule que l'automobiliste " ralentira ou même arrêtera
le mouvement toutes les fois que le véhicule pourrait être une cause
d'accident, de désordre, ou de gêne pour la circulation " (22).
On voit ici que l'automobile avait une mauvaise image auprès des
populations. Elle est celle qui dérange, qui entrave plus qu'elle ne libère
la circulation. Une clause s'ajoute à toutes ces précautions prises afin
que les automobiles ne soient sources de conflit: " le conducteur ne
devra jamais quitter le véhicule sans avoir pris les précautions utiles
pour prévenir tout accident, toute mise en route intempestive et pour
supprimer tout bruit de moteur ". Chaque automobiliste devait être
prévenant et faire en sorte que son engin ne connaisse pas de saute
d'humeur susceptible d'affoler les populations. II est néanmoins
vraisemblable que le mode de fonctionnement des moteurs de l'époque
pouvait laisser à penser qu'une machine pouvait soudainement s'emballer.
Constatons que ce décret parait bien insuffisant en matière de code de
la route. C'est sans doute cela qui motivera Jules Pénigot, président de
l'Automobile-Club vosgien, à proposer en 1905 son fameux code de la
route. Véritable code de bonne conduite en 9 articles, il est surtout
consacré aux situations les plus dangereuses (dépassement, croisement de
deux voitures, traversée d'une agglomération...).
Enfin, en matière de règles de circulation, le texte qui nous occupe
n'oublie pas de traiter la question des courses d'automobiles, très
populaires à cette époque. " Elles ne pourront avoir lieu sur la
voie publique sans une autorisation spéciale délivrée par chacun des préfets
des départements intéressés, sur l'avis des chefs de voirie " (23).
On cherche toujours à préserver les routes des dégradations que ne
manqueraient pas de causer des véhicules lancés à pleine vitesse. Une
course ne pouvait être organisée n'importe où, n'importe comment.
En guise de conclusion, demandons-nous si les automobilistes risquaient
quelque chose en cas de non-respect de tel ou tel article du décret.
Celui-ci nous dit que : " après deux contraventions dans l'année,
les certificats de capacité pourront être retirés par arrêté préfectoral,
le titulaire entendu, le tout, sur l'avis du service des mines " (24).
C'est ce service en effet qui délivre les permis. II s'agit là d'une véritable
suspension de permis. Cependant, il n'est pas question d'amendes et encore
moins d'échelle de sanctions. Chaque automobiliste était passible d'une
contravention s'il ne se conformait pas aux dispositions du décret. Néanmoins,
rien n'est précisé sur les moyens mis en œuvre pour contrôler les véhicules
(ni dans le décret, ni dans la circulaire), pour juger des excès de
vitesse. On ne peut douter que le décret était appliqué pourtant le peu
de traces dont nous disposons aujourd'hui sur cette question, le fait
qu'après 1899 la population, par le biais des maires, se plaigne des irrégularités
commises, nous montre bien que cet article a certainement été mal
appliqué, tout du moins à ses débuts.
Au total, le décret de 1899, qui institue des limitations de vitesse, qui
oblige sur tout le territoire les conducteurs à être titulaires d'un
permis de conduire, se révèle insuffisant et présente des lacunes qui
l'empêchent de parfaitement encadrer le phénomène automobile. La réglementation
décidée va certes dans le bon sens, mais se révèle parfois bien floue.
Deux ans plus tard, en partie à cause de la pression populaire, l'État
va devoir de nouveau se pencher sur la question de l'automobile. Le décret
de 1899 n'ayant semble-t-il pas fait chuter de manière sensible le nombre
d'accidents causés par des véhicules motorisés (accidents qui se révèlent
être bien souvent de simples accrochages).
2. Le
décret de1901.
Promulgué le 10
Septembre 1901, il a pour but de compléter le précédent. De plus, cette
sous-partie a pour objet de présenter les différents arrêtés
municipaux pris dans le Maine-et-Loire quelque temps après le décret.
Leur intérêt est qu'ils reprennent et appliquent avec plus de sévérité
les textes de loi. La question n'étant pas de savoir s'il s'agissait là
d'une situation originale, propre au département, mais de voir comment étaient
perçues les lois sur l'automobile dans la région.
Un rapport du ministre des Travaux publics au président de la République
en date du 11 Septembre 1901 nous permet de mieux comprendre la
justification de ce second décret (25). II rapporte donc que
l'opinion publique s'est émue des nombreux accidents causés par les
automobilistes roulant à des vitesses exagérées. II apparaît ici
clairement, d'ailleurs les pouvoirs publics de l'époque le reconnaissent
volontiers, que les limitations de vitesse de 1899 ne sont plus respectées.
Pour autant, il semble bien que les contrevenants n'étaient pas davantage
sanctionnés, loin de là. Aux yeux du ministre, les automobilistes sont
doublement coupables : ils ne sont pas soucieux de sécurité, et surtout,
ils s'enfuient ou ne s'arrêtent pas après avoir causé des accidents.
Les sages réglementations de vitesse de 1899 (30 km/h en rase campagne,
20 km/h en ville) ont été perdues de vue.
Dès avril 1900, Le Figaro annonce que le gouvernement va se préoccuper
des accidents d'automobiles et décider la convocation d'une commission
pour surveiller ce mode de transport. Le journal poursuit en annonçant
que l'État va étudier les moyens d'éviter sur les grandes routes les
courses à grandes vitesses (26). Décidément, le décret de 1899
se révéla fort rapidement trop incomplet, ce qui aboutit à la décision
de 1901.
Malgré tout, on ne pouvait interdire la mise en service de véhicules
allant à plus de 30 km/h, notamment dans le souci de préserver
l'emploi4l. De la même manière, il eut été inconcevable de remonter
les limitations de vitesse. La population aurait perçu cela comme un aveu
de faiblesse de la part du pouvoir central vis-à-vis des
"riches" automobilistes. En outre, c'eût été faire courir un
trop grand risque aux routes du pays, certes excellentes, mais tout de même
bien fragiles. II fallait donc faciliter aux agents l'identification des
automobiles.
Pour ce faire, on décida d'immatriculer les véhicules " capables de
marcher en palier à une vitesse supérieure à trente kilomètres à
l'heure " (27). C'est la naissance des plaques
d'immatriculation. A compter de cette date, le pays compte alors deux catégories
d'automobiles : celles qui peuvent dépasser les 30km/h sont portées au
registre de l'ingénieur des mines avec leur numéro d'immatriculation,
les autres avec la mention " néant ". Jugeait-on ces dernières
incapables de provoquer un accident ? Espérait-on reconnaître les
fautifs disposant de voitures, jugées lentes, à coup sûr ? Dans son
rapport, le ministre semble admettre que cet article n'est qu'une
demi-mesure, puisqu'il prévoit déjà d'immatriculer tout le parc
automobile si ces nouvelles prescriptions ne sont pas suffisamment
efficaces. Une lettre datée du 8 juillet 1915, adressée par le ministre
au préfet du Maine-et-Loire nous permet de mieux comprendre le
fonctionnement du registre des immatriculations ainsi que des modalités
d'attribution des numéros. Le Maine-et-Loire appartenait à
l'arrondissement minéralogique de Poitiers. Cependant, c'est le ministre
des Travaux publics qui définissait les séries des lettres et des
chiffres pour le département.
On constate là que le pouvoir central n'envisage pour le moment aucune
autre solution pour améliorer la sécurité routière et éviter les excès
de vitesse. L'immatriculation semble être la panacée.
Deux mesures de moindre importance sont prises à l'occasion de cette
modification de décret. Tout d'abord, on décide que désormais seules
les automobiles dont le poids à vide excède 350 kg devront avoir la
marche arrière (28). Cela semble indiquer que les véhicules sont
en moyenne plus lourds, donc vraisemblablement plus puissants. Ensuite, la
limitation de vitesse concernant les courses automobiles en rase campagne
change : elle passe de 30 km/h maximum à une vitesse illimitée. En
revanche elle reste à 20 km/h en ville.
En conclusion de son rapport, le ministre montre combien ces nouveaux règlements
" donnent aux ingénieurs des mines des pouvoirs considérables,
d'appréciation, de décision. Dans l'exercice de ces nouvelles fonctions,
ils devront s'efforcer de concilier les intérêts de l'industrie des
automobiles françaises avec ceux, beaucoup plus importants toutefois, du
public qui fréquente les routes " (29). II était hors de
question que l'État interdise le nouveau moyen de locomotion comme
certaines personnes le lui réclamaient. L'industrie automobile
apparaissait déjà comme intéressante et méritait donc d'être encouragée.
Ces deux décrets pouvaient prêter le flanc à la critique, ou tout du
moins pouvaient ne pas être totalement satisfaisants pour les maires
soucieux du bien-être de leurs administrés notamment. Il n'est donc pas
étonnant de constater que certaines autorités locales prennent
l'initiative de réglementer elles-mêmes la conduite.
Dans le Maine-et-Loire, nous avons dénombré quatre maires qui ont pris
des arrêtés municipaux réglementant la circulation des automobiles. Le
10 Août 1903, le ministère de l'Intérieur et des Cultes adresse aux préfets
une enquête destinée à renseigner une commission extraparlementaire de
la circulation automobile sur l'existence ou non de réglementations
particulières au niveau local (30). Le questionnaire fait apparaître
d'une part que le département n'a pas adopté de règlement relatif à la
police du roulage, et d'autre part que seules les communes de Baugé,
Montsoreau, Mazé et Saint-Lambert-des-Levées avaient décidé des arrêtés
relatifs à la circulation des véhicules automobiles ( entre le 22 février
1902 et le 3 août 1903 ). Ce phénomène de réglementation au niveau
local fut donc très marginal dans le Maine-et-Loire et ne concerna aucune
des grandes communes telles qu'Angers, Saumur ou Cholet.
Quelles sont les mesures prises par ces arrêtés ? Pour les villes de
Baugé et de Mazé la vitesse maximum autorisée dans l'agglomération est
de 10 km/h. En ce qui concerne Montsoreau et Saint-Lambert-des-Levées, la
limitation est de 12 km/h pour les seules automobiles! Ainsi un cavalier
lancé au grand galop ne risquait aucune contravention. A chaque fois, ce
sont les gardes-champêtres et les agents de la force publique qui étaient
chargés de l'exécution de l'arrêté.
Quels étaient les motifs de
ces arrêtés ? A Baugé, il importait d'assurer la sûreté et la liberté
des voies publiques. A Mazé, on estimait que les voitures lancées à
toute vitesse faisaient courir des dangers aux populations et que les
chauffeurs étaient soumis à un entraînement irrésistible. Le conseil
municipal de Montsoreau invoque pour sa part la vitesse exagérée des
automobiles. Ce motif est repris par le maire de Saint-Lambert-des-Levées
qui considère que les vitesses élevées sont un danger constant pour la
population. Pour tous ces conseils municipaux, la seule solution qui
s'imposait était une limitation plus stricte des vitesses autorisées.
Ils voulaient aller plus loin que la loi, jugée pas assez stricte.
Cette remarque n'est pas inintéressante puisque le 21 août 1903, le
conseil municipal de Doué-la-Fontaine soumet au préfet un projet d'arrêté
municipal concernant la circulation dans la ville des autos et des véhicules
à moteur (31). Là, on considère que les accidents graves sont
journellement occasionnés par des automobilistes lors de la traversée de
la ville. Ainsi il est décidé que les conducteurs automobiles ne devront
pas dépasser la vitesse approximative de 12 km/h ," approximative
" car les agents locaux n'avaient certainement que des moyens
approximatifs de contrôler la vitesse des véhicules). Cet arrêté n'est
en rien différent des précédents. Pourtant, la réponse du sous-préfet
de Saumur est sans équivoque possible : il apprend à son correspondant
que l'arrêté pris à Montsoreau fut annulé par la préfecture, car
considéré comme abusif au regard des dispositions prises par l'Article
11 du décret du 10 Mars 1899. Le maire de Montsoreau ne pouvait aller
contre une décision qui s'appliquait à tout le pays. Le sous-préfet
rappelle ensuite les mesures de prudence édictées par décret et
notamment l'Article 14. Finalement, le projet d'arrêté de Doué est
annulé, à l'instar de celui de Montsoreau. Comme ce dernier fut pris le
22 février 1902, il est fort possible que ceux de Baugé, Mazé et
Saint-Lambert-des-Levées aient été eux aussi annulés, car abusifs au
regard de la loi.
Finalement, le décret de 1901, s'il ne fut pas jugé plus efficace que le
précédent, ne fut pas non plus renforcé par des réglementations
locales. Car si certains tentèrent d'appliquer leurs propres
prescriptions, cela ne semble pas avoir été couronné de succès. Tout
ce qui tentait de brider davantage le développement de l'automobile fut
repoussé par les pouvoirs publics. Néanmoins, ce décret, comme le précédent
d'ailleurs, ne semble pas avoir été très efficace. Le préfet du
Maine-et-Loire note en effet le 10 Août 1903 que ceux-ci étaient "
constamment violés " (32). Laissons le mot de la fin à
l'agent voyer en chef du département pour qui l'auto pouvait rendre de
grands services, à condition que son usage soit réglementé. "Ce
quia été fait jusqu'à ce jour paraît insuffisant. Comment a t’on pu
autoriser la circulation de véhicules allant à 60 km/h alors que les
compagnies de chemin de fer ont été astreintes à prendre des précautions
multiples pour isoler du public leurs voies pourtant spéciales ? La seule
mesure efficace serait d'interdire la circulation d'autos allant à plus
de 30 km/h.
II nous faut constater
combien l'État s'est efforcé de contrôler le phénomène automobile par
le biais de deux textes de lois dont une circulaire et un rapport de
ministre nous donnent l'esprit. Nous en avons souligné les insuffisances
et les tentatives destinées à y remédier. Néanmoins, leur acquis est
indiscutable : voitures et conducteurs sont immatriculés, la conduite et
surtout la vitesse sont réglementées. Les autorités se sont efforcées
d'apporter des solutions aux problèmes d'accidents, de circulation.
(1)
. Article 2, Titre I.
(2) . Article 3, Titre I.
(3) . Article 4, Titre I.
(4) . Article 5, Titre I.
(5) . Article 7, Titre I.
(6) . Article 13, Titre III.
(7) . Journal du Maine-et-Loire, 7 mai 1908.
(8) . Ibid.
(9) . Journal du Maine-et-Loire, 4 septembre 1901.
(10) . Le Mans et l'automobile, cinquantenaire de l'Automobile-Club
de l'Ouest, musée de Tessé, Le Mans,1957, 136 pages, p.30.
(11) . Journal du Maine-et-Loire, 5 Août 1901.
(12) . Article 14, Titre III.
(13) . Article 31, Titre III.
(14) . Circulaire ministérielle du 14 Avril 1899.
(15) . Journal du Maine-et-Loire, 14 mars 1908.
(16) . Circulaire ministérielle du 14 Avril 1899.
(17) . Ibid.
(18) . Journal du Maine-et-Loire, 23 septembre 1900.
(19) . Article 20, Titre IV.
(20) . Article 15, Titre IV.
(21) . Journal du Maine-et-Loire, 21 mars 1900.
(22) . Article 14, Titre III.
(23) . Article 31, Titre VII.
(24) . Article 32, Titre VII.
(25) . Journal Officiel du 11 Septembre 1901.
(26) . Journal du Maine-et-Loire, 18 avril 1900.
(27) . Modification portée à l'article 7 du titre I du précédent
décret.
(28) . Modification portée à l'article 5 du titre I du précédent
décret.
(29) . JO du 11 Septembre 1901.
(30) . Archives départementales du Maine-et-Loire, AD 11451.
(31) . AD, 11451.
(32) . AD, 11451, questionnaire du ministre, 10 Août 1903.